1. This night is cold in the kingdom
1.
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Could you find a way to let me down slowly?
A little sympathy I hope you can show me
If you wanna go then I'll be so lonely
If you're leaving baby let me down slowly
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Il y a une plaine, là-haut, sur laquelle pleurent des bouts d'étoiles perdues. Le soir, dans le brouillard, là où monstres et séraphins se tendent la main. Ils y viennent souvent, sur cette plaine quand le jour est mort, quand la nuit respire. Beaucoup de gens, avec de la musique et des bouteilles, et des rires, et des yeux qui brillent.
Il y a une plaine, là-haut, sur laquelle des inconnus s'enlacent et oublient leurs âmes déchirées. Le soir, dans les ténèbres, là où Nolan courbe l'échine face aux sourires de gens qu'il ne connait pas. Il est l'enfant perdu qui recherche Peter Pan, un verre de trop dans la main et ses doigts sur son visage hilare. La lune embrasse sa peau blanche, et il déambule sur ce fragment de vie hors du temps. On parle de dépravation, de débauche pure. Sur cette plaine. Belle de jour, enjôleuse de nuit. Où les gens viennent et quémandent une illusion de liberté.
This night is cold in the kingdom
I can feel you fade away
From the kitchen to the bathroom sink and
Your steps keep me awake
Il y a les arbres pas loin, comme une toile cirée collée aux murs. Dans cette toile cirée des adolescents se cachent, rient et font quelques bêtises qui s'oublieront sûrement. Mais la musique est trop forte, et tout le monde s'en fout.
Et tout le monde s'en fout.
C'est l'anniversaire de quelqu'un, il ne sait plus de qui. Nolan se fait inviter à tous les anniversaires, et il les accepte tous. Il débarque sans cadeau, sans mots bateau, juste avec un sourire de petit con. Nolan est un garçon infect, quand l'alcool ne roule pas dans ses veines. Il est capricieux, maniéré, impatient, langue de vipère. Et les gens disent qu'il est franc et vrai, mais s'il avait été moins beau, ils diraient qu'il est une raclure.
On ne voit pas plus loin, ce visage qu'on lui a donné est sa plus grande malédiction. Il ne connait plus sa valeur, son essence, ce qui fait de lui quelqu'un.
Toute sa vie est une expérience sociale, un moyen de détecter la limite de la bêtise humaine. Elle n'en a pas, et il est bloqué dans cet état d'âme où il n'est pas une bonne personne mais que tout le monde s'en fout. Et il s'enivre de déboires et de désillusions.
Il n'y a que des parties de son être, éparpillées ici et là. Nolan, c'est un fouillis de fragments que personne ne sait remettre à leur place. Ses défauts dans un placard, son sourire en tête d'affiche. Il y a la surface, et il y a les abysses.
Il y a une plaine, là-haut. Et sur l'herbe piétinée déambulent des couffins lumineux, aux lueurs incandescentes, qui baignent le terrain courbé d'étincelles, et au milieu il y a un feu de joie. Les visages sont à peine discernables, les voix sont floues. Personne ne veut voir le monde réel, tous le savent hideux.
Et tout le monde s'en fout.
Son euphorie boit le ciel, sa gorge déployée dans un rire sonore. Nolan est seul au milieu de tous ces gens, comme tous les soirs. Il a embrassé quelqu'un, le goût amer danse encore sur sa langue, mais la personne est partie et son visage n'était qu'une ombre. Et son corps titube sur le sol quand il le regarde de trop près. Ses pieds rasent l'herbe et il tombe sur les genoux, le verre lui échappe, se renverse dans les brins frais. La nuit est censée être froide, mais il a chaud. Au corps, pas au cœur. Son cœur lui, comme la nuit, est glacé.
Son esprit seul, qui n'est ni vrai ni faux. Dans un monde qui lui, est peut-être un peu plus qu'un peu faux. C'est l'enfant qui crie au loup et qui finit par tomber dans son propre mensonge.
Don't cut me down, throw me out, leave me here to waste
I once was a man with dignity and grace
Autour de lui les adolescents dansent, hurlent, chantent. Il y a des paroles criardes qui se couchent dans ses oreilles. Et peut-être que demain quelqu'un lui dira pour la première fois qu'il a l'air pitoyable. Qu'il verra son défaut, il attend. Il attend encore.
Mais plus il attend, plus son épiderme tremble de la proximité qui se crée autour de lui. Et son cœur se serre quand les peaux dansantes le frôlent. Certaines par inadvertance, d'autres volontairement. Les mains qui se baladent, les souffles sur son visage, les yeux scintillants.
Au milieu d'une foule amorphe, de sourires sans visages, Nolan croit voir le diable. Les monstres qui ondulent percent sa bulle. Trop près, trop nombreux, ils zigzaguent et croassent dans l'air alcoolisé. Ils sont trop, trop près, trop faux, trop nombreux, trop nombreux, trop nombreux. Nolan ne rit plus, l'espace se confine de monde, son espace, son oxygène. C'était le dernier verre, le verre de trop. Celui où on ne se sent plus bien, où on tombe dans un autre univers. Où le lendemain ne sera jamais bien, jamais. Nolan déteste le monde et les soirées, et un peu moins le ciel et l'alcool. Jamais il n'était allé jusqu'au verre de trop.
Cold skin, drag my feet on the tile
As I'm walking down the corridor
Jamais il n'a senti son cœur au bord de l'implosion, son estomac tordu et sa poitrine aussi lacérée. Trop de gens, trop nombreux. Et quand il se relève, les genoux tremblants et un peu blessés, une fille fond sur lui, emprisonnant sa bouche dans une étreinte suffocante. Les yeux ronds, Nolan la repousse brutalement et crie. Toujours pas de visage, juste une ombre filiforme. Puis une autre, et beaucoup d'autres. Les regards sur lui, qu'il n'arrive pas à discerner. Si près, si trop. Le monde se fige pour le regarder. Nolan voit flou, ses membres paralysés, il cherche la sortie. Mais il se noie dans un marécage de débauche. Autour de lui, tout le monde est déchiré. Et ils rigolent. Mais c'est parce qu'ils sont bourrés, demain, ils diront à nouveau que Nolan est un gars franc et authentique.
C'est faux, Nolan est un connard. Il insulte les gens, un par un, les yeux exorbités. Il est pitoyable, pauvre gars. Pas d'identité, pas de personnalité. Qui es-tu, bâtard ?
Personne. Une poussière. Mais une jolie poussière, et c'est ce qui fait la différence.
Un bras l'empoigne, fait à nouveau éclater sa bulle. Et colérique il hurle, encore, mais le bras n'est pas doux, pas délicat, pourtant précis dans ses mouvements. Nolan se sent tiraillé, traîné de force dans un coin d'oxygène. Les monstres le percutent, des mains glissent sur lui sans qu'il ne s'en rende compte et la forme inconnue grogne en les repoussant. Puis il est jeté dans l'herbe, plus loin, près d'un autre couffin luminescent. Et Nolan roule sur le dos, ses cheveux trempés de sueur et son regard vitreux.
Une ombre se penche sur son front, des doigts glissent contre sa peau moite et une voix brumeuse éructe.
— T'es pathétique.
Pas d'alcool dans cette voix, pas de fausse délicatesse. Mais un peu de douceur, pas une douceur voulue. C'est une empreinte, la personne est en train de le sermonner, de l'insulter, mais l'empreinte, l'intonation, ne peut qu'être douce malgré les mots acérés.
Pas de mensonge dans cette voix, pas de retenue. Nolan bat des cils, régule ce cœur piétiné par la foule. La crise de panique s'immole, dans ses poumons l'air se remplit. Dans son dos les brins froids, et contre son front une main pâle. L'autre main presse son épaule, passe sous son aisselle et glisse dans son dos, relevant le corps à demi conscient de Nolan. Et la voix continue.
— T'es pitoyable.
Son buste presque à la verticale, sur le visage flou du garçon une lumière bleue se dépose. Mais les yeux de Nolan ont abandonné, et il y a juste une écharpe d'un rouge vif qui attaque sa rétine. Elle s'agite dans l'air et une fragrance de vanille embrasse sa peau, masquant momentanément celle âcre des molécules d'éthanol.
— Qu'est-ce que t'essaies de prouver Nolan ?
Il laisse Nolan tomber contre le fauteuil en fibres synthétiques, fin et hermétique. Les étoiles tournoient. Son corps frissonne, et l'écharpe entoure son cou comme un cocon de sûreté. Peu alerte, ses doigts se portent au tissu qu'il remonte faiblement sur son visage, fermant les yeux.
Ça sent bon.
Il y a une plaine, là-haut, sur laquelle Nolan est pitoyable aux yeux du garçon à l'écharpe. Ce garçon qui a à nouveau sa main sur son front et une voix douce qui dit des mots froids. Et le cœur en miettes de Nolan se sent un peu mieux, un tout petit peu. Ce n'est plus noir de monde, de paroles vides et de fausses personnes. La main sur son front laisse ses doigts passer sur ses tempes humides, les massant pour décrisper son visage encore éprouvé.
Now I'm slipping through the cracks of your cold embrace
Un souffle lui échappe, fort et brisé. Mais bien vite le garçon s'en va, laissant l'autre recroquevillé sur un matelas de fortune, le nez planté dans une écharpe rouge.
Nolan, c'est un enfant qui n'est ni vrai ni faux, dans un monde un peu plus qu'un peu faux.
I can't stop myself from falling
Et tout le monde s'en fout.
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