Chapitre 25
« I watched you burn & I felt it. »
« You lit a fire in my head & it burned a hole right through my heart. »
Je me recroquevillai sur moi même. Je fermai les yeux, pour ne plus le voir s'agiter sous la douleur ; me bouchai les oreilles pour ne plus entendre ses cris. Pour ne plus entendre les miens. Mais rien de tout cela ne servait à rien... Les secondes s'écoulaient et mon corps s'engourdissait jusqu'à ne plus rien ressentir du tout malgré le feu ardent qui s'était également déclenché en moi. J'avais eu mal lorsque Nathanael m'avait craché ses paroles, davantage lorsqu'il avait fait ce petit geste - ce ridicule geste qui avait tout changé et à présent, il n'y avait plus aucune émotion. Plus qu'un sale instinct de survie qui m'avait coupé de tout, plus que mon inconscient qui ne demandait qu'à revenir en arrière.
- Joyce ! hurla une voix par dessus ce vacarme. Joyce !
Je me réveillai en sursaut, échappant de justesse à ce cauchemar empli de mauvais souvenirs. Je ne voulais pas revivre cela une énième fois, mais mon esprit me l'imposait sans arrêt. Les larmes aux yeux, je contemplai mon frère, en face de moi, inconscient dans son lit d'hôpital depuis maintenant deux jours. Entièrement recouvert de bandage, il était méconnaissable et je redoutais que ce soit finalement la dernière image qui me resterait de lui, s'il ne survivait pas. Je ne verrais plus ses yeux d'un vert luisant, je ne verrais plus sa posture droite et fier, son sourire discret qui semblait cacher tout un tas de secrets ; tout ce qu'il me resterait en tête serait son corps immobile, retenu en vie artificiellement.
- Joyce ? insista une voix calme derrière moi.
Je tournai alors la tête sur ma gauche et découvris d'abord la main de mon interlocuteur, que je n'avais pas senti, sur mon épaule, puis je l'aperçus dressé à mes côtés. Caleb. Les cheveux décoiffés, le regard éteint, souligné par la fatigue et le visage empreint d'une terrible tristesse. Le voir me faisait mal alors que je préférais encore ne rien ressentir. Je souhaitais retourner à mon état de léthargie. Fermer les yeux sur tous ces sentiments que je n'étais pas en mesure d'affronter. Pourtant les images s'imposaient à moi, creusant un peu plus le trou dans mon cœur.
Des mains sauvages m'agrippèrent, me secouèrent dans tous les sens avant de me lâcher négligemment. J'avais arrêté de crier mais ma voix avait été remplacée par une autre et malgré tout, il n'y avait que la voix rauque de Nathan qui dominait. Je relevai la tête, tremblante... Ma vue n'était plus si parfaite mais je perçus tout de même l'objet qui gisait près de moi. Un portable, en plein appel avec les urgences. En reconnaissant celui de Caleb, je me redressai davantage et le vis courir en direction de mon frère qui lui n'arrêtait pas de se déplacer... Il tentait d'échapper à la douleur physique, c'était plus fort que lui.
Je poussai un cris en voyant Caleb traverser les flammes qui avaient pris possession du plancher de la salle et sursautai quand il donna un violent coup de pied à Nathanael. Ce dernier s'écroula alors au sol ; la réaction de mon copain fût immédiate. Je ne savais pas quelle force le poussait mais il se propulsa à plusieurs mètres de là, attrapa les sortes de tapis épais qui reposaient contre le miroir et les abattit sauvagement contre mon frère. Il criait de toutes ses forces comme pour se donner du courage et ne s'arrêtait pas une seule seconde. Il tapait, roulait et tournait le corps à présent inconscient de mon frère mais ses mouvements me paraissaient de plus en plus lents.
J'entendais les sirènes qui se rapprochaient, je voyais la fumée qui envahissait la pièce tandis que je perdais le contrôle de mon corps. Allongée sur le sol, une étrange fatigue me privait de la moindre énergie. Le simple fait de respirer m'était devenu difficile ; mes yeux commençaient à me piquer cependant je luttais pour les garder grands ouverts. J'observais Caleb penché par dessus Nathan, réalisant l'événement qui venait de se dérouler. Et je ne voulais pas fermer les yeux, j'avais peur qu'au moment où je les ré-ouvrirais, mon frère ne serait plus là.
Il avait tenté de se suicider, sous mes yeux. Car il préférait encore mourir que de ne pas m'avoir et de vivre constamment sous le poids de sa culpabilité. Cette culpabilité de désirer un interdit. Ainsi que le poids d'une honte, celle de se sentir anormal... Ces pensées m'arrachèrent à nouveau des larmes, puis des sanglots incontrôlables.
La seconde d'après, Caleb était agenouillé près de ma chaise et m'attirait déjà dans ses bras d'une chaleur réconfortante. Je nichai ma tête contre sa nuque, le serrai avec le peu de force qu'il m'était donné et laissai vaincre ma colère, mon désespoir, ma frayeur et tous les autres sentiments indescriptibles. Je ne saurais dire ce que je ressentais exactement, c'était une confusion de tout en même temps. Que ressentait-on dans ces moments là ? Lorsqu'on était sur le point de perdre son frère, qu'est-ce que l'on était supposé ressentir ? Il y avait des instants, comme maintenant, où tout me sautait au visage puis le reste du temps, c'était le néant total. Et même le vide avait sa part de douleur.
- Ils s'occupent de lui, ça va aller... me murmura Caleb qui s'était précipité sur moi, à l'arrivée des urgences. Ne regarde pas, ça va aller.
Il gardait ma tête contre son torse, mon corps enfoui dans ses bras et me répétait, d'une voix suppliante, de ne pas chercher à voir Nathanael... J'imaginais que son état devait être déplorable et comme je ne voulais pas m'imposer cette image qui resterait probablement gravée toute ma vie dans mon esprit, je restai immobile. Je fermai même les yeux et tentai d'arrêter mes tremblements mais ceux de mon copain n'aidaient pas vraiment. Après ce qu'il avait fait, il devait être dans un état de choc supérieur au mien. Il s'était surpassé ; il avait su réagir avec intelligence sans laisser la panique le gagner. Contrairement à moi qui était restée sans rien faire.
Il avait sauvé mon frère. Et même si le pronostic vital de Nathanael était engagé, même si ses blessures étaient si graves qu'il était plongé dans un coma artificiel, je savais que sans la présence de Caleb, il serait décédé dans cette salle de danse. L'espoir était infime mais il n'y en avait au moins un et je m'y accrochais puisque c'était tout ce qu'il me restait.
- Tu devrais sortir un peu, me chuchota Caleb. Ta mère peut rester auprès de lui pendant que tu prends l'air, tu en as besoin !
- Je suis bien ici, je veux pas sortir.
Son bras m'entoura avec plus de ferveur et j'y trouvais du réconfort, à être aussi soutenue. Aussi physiquement que mentalement. Il était là, il l'avait été depuis l'événement. Il avait été là, avec moi, à attendre pendant des heures des nouvelles de Nathan puis quand celui-ci avait été admis en soins intensifs au service des grands brûlés. Il avait été là lorsque j'avais défoulé ma haine sur ma mère arrivée à l'hôpital, plus de dix heures après avoir été prévenue. Je n'avais pas su ce qui lui avait pris autant de temps pour venir et je n'avais pas vraiment cherché à comprendre. Elle avait juste été l'occasion de laisser couler toute mon anxiété. Mes mots n'avaient représenté que le quart de mes pensées... Il avait tant de choses pour lesquelles je lui en voulais. Et Caleb m'avait fait comprendre que je devais les laisser de côté pour le moment.
Depuis deux jours, donc, j'étais restée auprès de Nathanael sans accorder d'importance à ma mère qui osait entrer de temps en temps. Sinon, elle restait devant la chambre à nous observer derrière la grande vitre. J'avais de vagues souvenirs de ce qu'il s'était passé le premier jour mais je n'étais pas capable de raconter la journée en détails, victime d'un choc d'une certaine importance... Dorénavant, je m'en remettais petit à petit et c'était pire car mes souvenirs me faisaient souffrir. Je fermais les yeux, je revoyais Nathan brûler ; je les ouvrais, je le voyais en mauvais état devant moi.
Il m'arrivait même de l'entendre encore crier alors qu'un silence pesant triomphait bel et bien dans la pièce. Le bip qui marquait les battements de son cœur était devenu un bruit de fond et mis à part cela, il n'y avait que le silence à entendre.
- Hugh et Olivia sont encore venus aujourd'hui, ils sont juste au bout du couloir... Ils s'inquiètent pour toi.
Je me retirai de ses bras et désignai le lit d'un mouvement de tête, sans oser lever les yeux. Je balayai mes larmes d'un revers de main puis soufflai :
- Ce n'est pas pour moi qu'il faut s'inquiéter.
Du coin de l'œil je vis la tête de Caleb se pencher sur le côté en même temps que ses mains s'accrochaient aux miennes. Ses doigts étaient recouverts par quelques brûlures superflues qui suffisaient pourtant à me comprimer l'estomac. Il avait pris le risque de passer à travers les quelques flammes, pour sauver mon frère...
- Ils veulent te voir, te soutenir, assura-t-il. Quelques minutes ?
Je jetai un rapide regard à Nathan sans trop m'attarder sur lui, puis je tournai la tête vers la vitre derrière laquelle se tenait toujours ma mère. Elle était appuyée dessus, nous tournant donc le dos, et j'apercevais uniquement le portable qu'elle avait en mains. Elle devait être en train de gérer le retard qu'elle avait pris dans son travail sans trop se soucier de ce qu'il se passait derrière elle. Et même cela, suffisait à m'énerver. Nathan pouvait mourir qu'elle n'entendrait même pas le son de la machine.
Pourtant le regard de Caleb pesait sur moi, et la tension de la pièce également. Peut-être avais-je effectivement besoin de sortir d'ici. Alors je me mis sur pieds, d'un geste brusque, gardai ma main dans celle de mon copain puis le suivis dehors. En nous entendant sortir, ma génitrice releva la tête dans notre direction et ses yeux impassibles nous observèrent pendant d'interminables secondes. Je m'empressai de les fuir, tournant plutôt la tête dans l'autre direction.
Le couloir était extrêmement long mais je vis aussitôt les deux ombres de mes... amis. Dans la pénombre, au loin. Une émotion particulière m'envahit car le seul fait de les voir serra l'étau qui se trouvait déjà autour de mon cœur. Comme si les voir rendait la situation plus douloureuse, car plus réel. Et plus, j'avançais, plus je me rendais compte que notre présence dans cet hôpital marquait notre échec. C'était ça qui rendait la peine insupportable. Tous les trois m'avaient tendus la main puis ils avaient finis par comprendre que s'ils voulaient réellement m'aider, il fallait aider Nathan. Mais rien ne s'était passé comme je l'avais pourtant prévu avec Caleb.
Son idée avait été de contourner le problème, d'attaquer par derrière et piéger Nathan. J'avais pris chacune de mes blessures en photos, j'avais réuni la plupart de mes papiers médicaux qui certifiaient de mes coups et blessures - dans l'espoir qu'un jour j'arriverais à récolter assez de preuves face à un docteur qui l'internerait de force. Et si notre plan avait fonctionné, je serais restée à ses côtés, je serais allé le voir, je lui aurais montré que ça valait la peine de guérir car mon amour fraternel pour lui ne changerait pas. Toutefois, mes parents avaient prévu leur propre plan alors rien de tout cela ne s'était produit.
Et peut-être que mon idée n'aurait pas non plus marché, je n'avais aucun moyen de le savoir. Peut-être n'y avait-il aucune manière pour que Nathanael guérisse car il portait cette douleur en lui depuis trop longtemps. Son amour malsain avait forgé son être, en deux parties : l'une qui tendait vers moi et l'autre qui culpabilisait. Ça n'avait fait qu'empirer avec les années mais ça avait toujours existé... Mes parents avaient préféré l'ignorer. J'avais toutes les raisons de leur en vouloir, ainsi je me sentais un peu moins coupable.
- Je suis désolée, me chuchota une voix dans la pénombre.
Nous étions dans un endroit du couloir où les lumières ne fonctionnaient plus alors je ne voyais pas le visage de Hugh et Oli distinctement. Et eux ne voyaient pas mes larmes.
- Désolée, me répéta-la blonde en m'attirant dans ses bras.
Elle avait cette manière de s'excuser qui me prouvait qu'elle était moins optimiste que moi quant au futur de Nathanael. Dans ses mots, il paraissait déjà mort. Le timbre de sa voix réveilla quelque chose en moi, encore l'une de ses multiples émotions et me fit fondre en sanglots contre son épaule. Je sentis une autre main, plus épaisse, venir me caresser le dos mais ça n'arrangerait rien. Ça empirait. Toutes les émotions les plus tristes se déclenchaient à nouveau, et au lieu de ne rien ressentir, j'étais submergée. J'avais l'impression d'étouffer, incapable de gérer ces sensations.
Si je me sentais ainsi alors qu'un petit espoir persistait en moi, qu'en serait-il lorsque cet espoir disparaîtrait... en même temps que mon frère ?
***
- Ça leur prend combien de temps ? quémanda Preston, en fixant la porte devant nous.
Il nous avait rejoint dans l'après-midi, soit une heure plus tôt, dans un état de panique extrême. Il m'avait d'abord reprocher de ne pas avoir été prévenu ; il avait dû appeler ma mère pour apprendre la nouvelle. Et depuis qu'il était arrivé, il ne cessait de me poser un tas de questions. Il ne restait pas une seule seconde silencieux. C'était sa manière à lui de gérer son stress mais ça ne faisait qu'accroître le mien.
Nous nous tenions devant la salle de soins intensifs dans laquelle Nathanael restait constamment tant son état était grave. Ses blessures demandaient donc des soins constants, une surveillance pointue et surtout une prise en charge rapide. En ce moment même, deux infirmières étaient venues changer les pansements et bandages qui le recouvraient de la tête au pieds, mis à part ses deux mains. « 88 % de surface brûlée, nous avait dit le médecin, vous avez de la chance de l'avoir encore aujourd'hui. » Une chance ? Soit il en mourrait, soit il en sortait complètement défiguré ; dans les deux cas, rien ne serait plus jamais comme avant. Au cours de ces trois derniers jours, je m'étais beaucoup interrogée... Pourtant, je n'avais pas réussi à savoir si je préférais qu'il nous laisse ou qu'il survive et affronte une vie emplie de douleur. Car avec cet acte là, Nathan avait repoussé sa douleur mentale en une douleur physique et je sentais au fond de moi-même, qu'il n'était pas capable de supporter cela. Personne ne l'était.
Je ne voulais pas le perdre toutefois je ne voulais pas qu'il souffre davantage.
- Trois quart d'heure, voire une heure... répondis-je finalement.
Il hocha la tête sans tourner le regard. Quelques fois, ses yeux quittaient la porte pour se poser sur la vitre, espérant sans doute voir à travers les stores que les infirmières avaient baissées. La première fois qu'elles étaient venues, j'avais insisté pour rester ; elles avaient prétexté que ce n'était pas bon pour l'hygiène. La peau de Nathan était encore à vif alors on ne devait pas prendre le risque de l'exposer à des bactéries. Puis lorsqu'elles m'avaient caché la vue sur la chambre, j'avais compris que ça ne devait vraiment pas être beau à voir. J'avais arrêté de chercher à en voir plus, à présent je tenais à garder l'image que j'avais de mon frère.
- Je t'ai pris un café, c'était tout ce qu'il restait ! me glissa une voix alors qu'un gobelet se présentait sous mes yeux.
Je l'attrapai et remerciai Oli qui s'asseyait à ma droite. Elle avait tenu à rester avec moi pendant que Caleb et Hugh avaient un rendez-vous avec leur équipe de football. Et j'avais apprécié sa compagnie car elle ne s'était pas montrée trop curieuse, ou ne m'avait pas prise en pitié. Elle avait seulement été là et c'était suffisant.
Mes doigts tremblaient tellement contre le gobelet que le café brûlant se déversa quelque peu sur ma peau, m'arrachant un juron. La main pâle de la blonde enveloppa mon poignet, le caressant de son pouce. Elle n'avait plus besoin de me le dire cette fois-ci... Je la revoyais, deux heures plus tôt, faire le même geste et me chuchoter « Ferme les yeux et prends une grande inspiration ». Ça avait fonctionné la première fois, alors je suivis à nouveau son conseil. Fermer les yeux. Inspirer. « Puis expire, débarrasse-toi de ce sentiment d'oppression ». Expirer.
Mon cœur se calmait déjà cependant mon angoisse revint lorsqu'en ouvrant les yeux, je vis ma mère arriver près de nous... suivie de mon père. Il semblait avoir couru des dizaines de kilomètres tant il manquait de souffle ; son visage luisait même de sueur. Il gardait un pas pressé, puis son regard perdu s'agrandit en me voyant. Il combla les mètres qui nous séparaient, un bras déjà tendu dans ma direction.
- On est venu aussi vite qu'on a pu, le premier avion ! allégua-t-il.
On ? Il était venu avec sa famille ? Je n'étais même pas celle qui l'avait prévenu... Je ne le voulais pas ici, tout comme je ne voulais pas de ma mère. Sa présence fit augmenter ma colère si vite que je me sentis à peine me lever de mon siège et lui balancer ma boisson chaude dessus. Poussant un cris rauque, il se recula alors que Preston et Olivia se tinrent immédiatement à mes côtés. J'avais ce fort sentiment de ne plus être seule à présent et je me sentais capable d'enfin tout dire. De leur faire savoir tout ce que j'avais toujours gardé, bien enfoui, en moi. Toutes mes peurs, mes hontes, mes déceptions, mes colères, mes regrets...
- Ne me touche pas, murmurai-je, ne m'approche même pas. Je ne veux plus de tes mensonges. Ne me fais plus croire que tu es là pour moi, que je peux me reposer sur toi, que tu veux m'aider... Car jusqu'à présent ce n'était qu'un tas de conneries ! T'as jamais été là pour toi, ni pour Nathanael comme tu le prétendais. Tu n'as fait que mentir... Tu n'étais même pas mieux que maman finalement.
- Joyce, s'il-te-plaît... Pas ici, pas maintenant... Je sais que tu es en colère et triste mais...
- Tout ce que t'as toujours voulu faire c'est effacer tes erreurs du passé ! Ça a toujours été que pour toi, et ta sale personne ! m'écriai-je.
L'homme qui tenait toujours le coup, le masque de mon père se brisa là devant nous. Ses épaules s'affaissèrent, ses yeux se mirent à briller en même temps que le désespoir s'accaparait de son visage. Malgré ma colère, j'arrivais à voir sa propre peine malheureusement ça ne me touchait pas. Ça ne m'atteignait plus.
- Je ne voulais pas te perdre, toi aussi, couina-t-il. Mon erreur m'avait déjà fait perdre ta mère et ton frère, je ne voulais pas que tu me détestes à ton tour. Et que tu souffres... Ce n'était pas que pour moi, c'était pour toi.
Je secouai la tête alors que mes larmes brouillaient ma vue. Je ne le regardai plus vraiment, je laissai mon regard dans le vide.
- Tu veux savoir, papa ? Je ne connais même pas toute l'histoire, je ne sais même pas quelle a été ton erreur que je te déteste déjà. Je te hais pour toutes les douleurs que tes mensonges ont causé, pour toutes ces années où tu as préféré cacher tes secrets plutôt que d'aider mon frère. Et surtout je te déteste pour avoir fait croire à Nathanael que je ne voulais pas le voir pendant qu'il était au centre... Tu as menti, encore une fois ! Tu lui as fait croire que je l'avais abandonné alors que, putain, c'était ce qu'il redoutait le plus ! C'est de ta faute s'il a voulu se suicider, tout est de ta faute ! déballai-je hystérique.
J'effaçai les larmes qui traînaient le long sur mes joues et reprit ma place sur le siège car j'avais beau ne plus vouloir être en sa présence, je ne souhaitais pas m'éloigner de Nathan. Le médecin avait bien fait comprendre que quelque chose pouvait arriver à tout moment alors j'avais l'intention d'être toujours là. Mon père pouvait se casser, maintenant humilié, je m'en fichais. Ma mère aussi. Ils faisaient ce qu'ils voulaient, je considérais qu'ils n'avaient plus leur place auprès de Nathan et moi. Nous n'étions plus une famille - ce depuis des années, je le réalisai et l'acceptai maintenant. Une famille n'était pas qu'une question de sang, elle était surtout faite d'amour... D'unité. De soutien. Et ce n'était pas notre cas.
Mon père passa une main sur ses joues mal rasées, souffla puis nous tourna le dos.
- Je vais rester un peu dehors finalement, cracha-t-il, ce sera mieux pour tout le monde.
- Kenneth... l'appela ma mère, en le suivant.
Je les vis partir, comme toujours. Ils étaient incapables d'affronter et dès que l'on soulevait quelque chose qui n'allait pas, ils fuyaient. En les regardant s'éloigner, je réalisai que je n'avais plus besoin d'eux. Auparavant, j'espérais avoir une vraie famille ; je n'en voulais plus aujourd'hui.
- Est-ce que j'ai raté un truc ? demanda Preston, ignorant toute la situation.
Même Olivia eût l'air étonnée qu'il ne sache rien, je le compris au regard qu'elle lui lança. Cependant, elle ne dit rien et tout ce que je trouvai de bon à dire fût un mensonge à peine crédible : « Pas grand chose ».
- Je me tiens dans un hôpital, devant la chambre de mon meilleur ami qui a fait une tentative de suicide alors y'a forcément un truc que je rate Joy, me dit le brésilien avec une voix inquiète. C'était quoi cette dispute là avec ton père ? En quoi c'est de sa faute ?
Je soufflai, prise au piège. Je m'étais laissée emporter face à mon père sans prendre en compte que je me trouvais devant quelqu'un qui n'était au courant de rien. Et je me demandais si ça valait la peine qu'il le soit... Je ne voulais pas que Nathanael perde le soutien de son meilleur ami. De plus, si la nouvelle venait à se propager ? Je voyais déjà les gens nous pointer du doigt dans la rue et nous traiter d'incestueux. Et lui de fou... Les gens n'étaient pas du genre à comprendre. Mais Preston n'était pas n'importe qui, je le connaissais assez pour savoir qu'il était digne de confiance. D'une certaine manière, il méritait de savoir.
- Dis-lui, intervint Oli qui me voyait réfléchir.
Mon regard se tourna une dernière fois vers la chambre de Nathanael, à l'instar d'une excuse silencieuse. Puis, je racontai tout à Preston et à Olivia par la même occasion ; je leur confiai tout sans entrer dans les détails. Et inconsciemment, je choisis les mots adéquats pour ne pas rendre le sujet plus difficile qu'il ne l'était déjà. Alors j'évitai de leur dire combien Nathan m'avait fait souffrir, comme il avait été sans pitié certaines fois. Je leur présentai plutôt la situation comme je la voyais à présent : mon frère avait développé des sentiments plus que fraternels à mon égard et pour tenter de les restreindre, il s'en prenait à moi et me défigurait. Il m'avait puni et s'était puni lui-même à la fois.
Dit à haute voix, ça semblait invraisemblable et complètement tordu. De plus, cela souleva une question essentielle que Preston s'empressa de me poser :
- Où est le rapport avec ton père et l'amour que te porte Nathan ?
- C'est ce que j'espère savoir un jour, déclarai-je. Je suis certaine que ça a un lien... Mon père a fait un truc qui a eu des répercussions sur Nathan. Quelque chose qui l'a poussé à s'accrocher à moi, au point de m'aimer, peut-être ?
- Comment comptes-tu le découvrir ? continua Preston.
Je lui adressai un haussement d'épaules qui précéda un long silence pendant lequel il parût tout encaisser. Il avait glissé sa tête dans ses mains, soufflait et se tirait les cheveux de temps en temps. Sa réaction me semblait plutôt raisonnable contrairement à ce que je m'attendais ; avant de commencer, je le voyais s'en aller. Mais non, il restait. Et il resta jusqu'à ce qu'il puisse voir son meilleur ami, quand les infirmières sortirent.
J'en profitais pour leur demander l'état de Nathanael et l'une d'entre elle m'affirma qu'il stagnait encore. C'était ce qui était prévu par les deux médecins qui s'occupaient de lui... Selon eux, la première semaine était décisive et si mon frère la passait alors l'espoir de voir des progrès s'agrandissait. Nous n'étions qu'à trois jours ; j'étais pressée de voir les quatre prochains jours s'écouler car cette tension était insoutenable.
On nous avait dit « C'est un garçon fort, il faut garder espoir ». Le problème restait que mon frère était assez fort pour vivre, mais assez fort pour vouloir mourir également. Et à cet instant, la situation ne dépendait pas de lui... Il ne contrôlait plus sa vie. Nous devions uniquement attendre de voir quel était son destin.
***
Il se remit à pleurer de plus belle, en même temps que moi. Quand je le vis retourner le satané bidon vert sur lui, se reversant toute la quantité de liquide transparent sur la tête et le corps, je fis un bond en arrière. Mon cœur était en train de s'éteindre...
Je fermai les yeux alors que l'eau tapait sauvagement contre ma peau, l'eau était gelée mais je m'en fichais. Je voulais me brusquer, faire en sorte que tous ces flash-backs ne me sautent pas au visage. J'en avais marre de revivre constamment ce moment. Marre d'entendre sa voix pleine de détresse et de rancune.
« Comment on fait pour arrêter d'aimer, Joy ? »
Je coupai soudainement l'eau et m'empressai de m'envelopper dans une serviette, la serrant de toutes mes forces contre moi.
« Je ne dois plus être là. »
Les sanglots commençaient à prendre possession de mon corps, je fis tout pour les rejeter mais la peine était plus forte que moi. Je me dépêchai de m'habiller, me séchant à peine, et sortit de la petite salle de bain adjacente à sa chambre. L'infirmière, que je commençais à connaître depuis ces quatre jours passés ici, m'avaient autorisé à l'utiliser. Ainsi je n'étais pas loin de Nathanael et entendre son cœur battre grâce à la machine avait quelque chose de rassurant sur moi.
Bien que, depuis ce matin, sa fréquence cardiaque avait augmenté, inquiétant les médecins. Ces derniers n'avaient cependant encore rien fait, ils disaient attendre de voir comment ça évoluait. Une bonne partie de la journée était donc passée sans incidents... Toutefois, mon inquiétude se déclencha à nouveau quand je m'assis auprès de lui et que sa main me sembla brûlante. Était-ce anormal ? Je relevai les yeux sur son visage bandé, soupirai et enveloppai un peu plus sa main dans les miennes. Je posai ma tête contre le matelas et fermai les yeux, laissant les souvenirs m'assaillirent.
Sa main m'attira à nouveau à lui. Plus proche cette fois-ci, si proche que je paniquai lorsque je le vis se pencher. Son front vint finalement se poser contre mon épaule tandis que sa main entrelaçait ses doigts aux miens. Je le sentais trembler contre moi, je le sentais respirer fortement, je le sentais pleurer et c'était la chose la plus déchirante que je n'eus jamais vécu.
Le jour où je lui avais tourné le dos pendant un week-end, à deux doigts d'abandonner. Le jour avant qu'il aille s'enfermer dans le centre psychiatrique car il était prêt à tout pour me garder avec lui. Avant, il m'avait dit « Je ne veux pas avoir à te perdre, Joyce... ». C'était pourtant ce que mon père lui avait mis en tête, en me cachant où il se trouvait et en lui racontant des mensonges.
- Tu ne m'as pas perdu, Nathan... susurrai-je. Je suis là, je serai toujours là. Parce qu'il est impossible d'arrêter d'aimer par la simple volonté, c'est plus fort que ça. Toutes ces fois où j'ai voulu te haïr, ça n'a jamais duré très longtemps. Je n'ai pas cessé de voir cette lumière en toi, elle m'encourageait à m'accrocher... Alors s'il-te-plaît, montre-moi et montre-leur que ça valait la peine de se battre autant pour toi.
Je me réduis au silence, serrant sa main et priant un quelconque Dieu auquel je ne croyais même pas. Je priais pour que Nate m'entende, je priais pour qu'il soit capable d'être plus fort que tout. Je priais pour cette situation chaotique, ma vie qui en plusieurs mois avait plongé dans les enfers. Je priais pour que qu'il advienne mon frère ne souffre pas.
J'étais restée près d'une demi-heure avec lui quand le pouls s'accéléra de plus en plus. Je me levai aussitôt de ma chaise, lâchant sa main dans le mouvement, et courus jusqu'au pas de la porte. Là j'appelai les infirmières et médecins qui couraient déjà dans ma direction. Tout sembla se passer au ralenti, comme dans un stupide film qui faisait pleurer. Sauf que tout était réel... Le personnel affluait dans la chambre, certains me poussaient, d'autres me criaient de sortir. Ce fût un homme qui me mit dehors finalement, me laissant désarçonnée devant toute cette action folle.
- Tension artérielle basse ! entendis-je crier.
Quelques secondes après, ils firent sortir le lit de Nathanael et traversèrent tout le couloir alors qu'un médecin venait de crier à mes parents qu'ils l'emmenaient en « réa ». Il n'avait même pas pris la peine de dire le mot « réanimation » en entier comme si ce mot nous était aussi familier qu'à lui. Réanimation... Que se passait-il ?
- Qu'est-ce qu'il y a ? s'affola Caleb qui me tenait le bras.
Je bougeai la tête dans tous les sens, ne pouvant répondre à sa question. Puis je ne me sentais pas bien, le sol n'était plus vraiment stable. Je me tins fermement à mon copain et observai Hugh et Preston qui étaient aussi là. Oli ne devait pas être très loin. Je tournai la tête ensuite vers mes parents, restés dans le couloir depuis la matinée. Un homme bien habillé, aux lunettes rondes, et au ventre bedonnant se tenait à leurs côtés et il eût l'air de me reconnaître en me voyant.
- Vous êtes Joyce, la sœur de Nathanael n'est-ce pas ?
J'acquiesçai à peine que mon père lui assura que ce n'était pas le moment alors l'inconnu présenta ses excuses mais ne manqua pas de préciser qu'il repasserait. Que voulait-il ? Je l'oubliai rapidement lorsque mes parents vinrent me demander ce qu'il venait tout juste de se passer.
Je me retins de leur dire « Nathan est sur le point de nous quitter » car je n'étais pas prête à l'entendre. Pas prête à l'accepter.
***
J'avais eu l'impression d'avoir entendu ses pas depuis plusieurs mètres, d'avoir senti la mauvaise nouvelle arriver avant même que le médecin ne se pointe devant nous avec un air grave. Nous l'avions tous regarder avancer vers nous, avec frayeur et de mon côté, toutes mes émotions s'étaient comprimées en une boule venue se loger dans mon ventre. Dans ma gorge... J'avais collé mon dos au torse de Caleb et tenait sa main avec rage.
Et lorsque le médecin avait baissé les yeux en secouant la tête, la boule à l'intérieur de moi avait explosé. Ça avait fait si mal qu'au début je n'avais rien ressenti. Ça semblait si irréel que j'étais restée sans bouger, sans pleurer, sans réagir d'une quelconque manière. J'avais seulement entendu le cris aigu de ma mère, les pleurs soudains de mon père. J'avais senti les bras de Caleb envelopper mon corps. Et ça ne pouvait pas être vrai car une heure plus tôt, Nathanael est encore allongé dans son lit. Je lui tenais encore la main. Sa main si chaude entre mes doigts gelées de tristesse.
Je baissai les yeux sur mes doigts, ignorant les mots que me murmurait Caleb, et je fermai ma main dans le vide. Ce n'était pas possible, n'avaient-ils pas dit que son état stagnait ? Comment avait-il pu partir comme ça... après ce que je lui avais dit ? Je refusais de croire que mon combat avait été inutile, je refusais de vivre un nouvel échec aussi douloureux.
- Vous mentez ! hurlai-je alors. J'étais avec lui ! J'étais avec lui et j'entendais encore son cœur... Pourquoi vous nous mentez ?
Chaque mot me brûlait la gorge, chaque respiration était difficile, chaque battement me cognait gravement contre la poitrine. Je me mis à pleurer sans même le vouloir car si je pleurais alors cette situation était réelle. Une chaleur insupportable grimpait à l'intérieur de mon corps, un feu me consumait... Mais ce n'était pas celui de Nathanael, c'était celui de la tristesse, la haine, la culpabilité.
- Nous sommes désolés, annonça le médecin d'une voix neutre - trop neutre. Il était atteint d'une sepsis sévère, une infection une infection du sang qui a provoqué des défaillances multiviscérales soit au niveau de plusieurs organes : le cœur, les poumons, le...
Je voulus lui crier d'arrêter de déballer son discours médical mais je fus dépourvue de voix. Ses mots n'avaient aucun sens pour nous, et sur le moment l'on s'en fichait de savoir comment il était mort... On devait d'abord assimiler sa mort. Et je me demandais si j'y arriverais un jour, si c'était possible de se faire à la mort d'un proche, de l'accepter. Tout de suite, ça m'était trop douloureux.
- Nous n'avons pas pu éviter le choc sceptique et l'hypovolémie, le manque de sang, qui s'est déclenchée par la suite. Nous avons fait de notre mieux. Nos plus sincères condoléances...
Ces quatre derniers mots terminèrent de m'achever. Nathanael était décédé. Je ne sentirais plus sa présence, jamais très loin de moi. Je ne verrais plus ses émeraudes partager un long regard avec moi. Je ne le verrais plus danser, briller comme une étoile. Et les rares fois où j'avais eu la chance d'entendre son rire resteraient gravées précieusement dans ma tête. Sa voix, qui m'avait murmuré des méchancetés mais également des promesses, des confessions, des douleurs... Cette voix, j'espérais ne jamais l'oublier. Et la manière qu'il avait d'attirer toute l'attention lorsqu'il entrait dans une pièce. La façon dont ses sentiments étaient si puissants qu'ils finissaient par rejaillir sur les gens. La manière dont ses pleurs et ses sourires étaient communicatifs. Je me remémorai tout cela pour les garder en mémoire.
Je fermai les yeux de toutes mes forces et pensai à son regard. La dernière fois où il l'avait posé dans le mien, la dernière fois où j'avais aperçu la lueur dans ses yeux. Ses yeux d'un vert perçant qui m'avaient autant troublé que rasséréné. Ça faisait terriblement mal de le revoir ainsi, juste avant qu'il ne se suicide. Ce fût encore plus douloureux d'ouvrir les yeux sur la chambre vide... Une crampe soudaine à l'estomac me plia en deux alors que des spasmes me compressaient le cœur. Je me sentis tomber et des exclamations s'élevèrent tout autour de moi.
Fermer les yeux, prendre une grande inspiration. Puis expirer, se débarrasser du sentiment d'oppression. Je tentai d'appliquer ce qu'Oli m'avait dit mais j'avais beau recommencer une dizaine de fois, ça ne marchait pas. Rien ne semblait assez capable pour rejeter ce que je ressentais là. C'était impossible.
Je nous revoyais dans la salle de danse, en train de partager un câlin... Si j'avais su que c'était le dernier, je l'aurais tenu un peu plus fort ; je l'aurais garder plus longtemps contre moi. Ses lèvres s'étaient posées contre ma tempe puis ma joue avant que Nathanael ne s'éloigne de moi. Et dès lors notre monde avait commencé à se briser autour de nous.
Désormais, c'était mon monde qui venait de s'écrouler.
***
Le pire n'était pas le premier jour, c'était ceux qui suivaient... Lorsque je rentrais dans la maison et que je remarquais que son odeur n'était plus de partout, elle ne résidait que dans sa chambre. Lorsque je m'asseyais sur le canapé et qu'il me paraissait bien trop grand pour moi toute seule. Lorsque je tapais malencontreusement dans une de ses affaires qu'il avait laissé traîner. Lorsque j'entendais une musique sur laquelle il aimait danser. Lorsque je croyais reconnaître sa voix chez le premier passant. Lorsque ça sonnait à la porte ou au téléphone et que je me retenais de crier « Va ouvrir / répondre ! ». Lorsque je passais tous les jours devant sa porte que je m'interdisais à ouvrir.
Le pire c'était le jour où l'on comprenait que le vide pouvait peser lourd. Que les silences étaient plus assourdissants quel le bruit. Que chaque seconde rendait l'absence un peu plus insupportable. Et qu'il était possible de sentir un manque au quotidien.
Alors dès que l'on nous avait appelé pour nous dire que la salle de danse de Nathan était à nouveau accessible, je m'y étais réfugiée. C'était le seul lieu où je gardais de bons souvenirs de mon frère malheureusement c'était aussi le lieu où tout avait pris fin. L'endroit où nous avions partagé de nombreux moments ensemble, et surtout notre dernier. J'avais eu du mal à entrer mais je m'étais finalement surpassée ; je me tenais maintenant assise au sol que mon père avait fait remplacer. Cacher, camoufler était sa spécialité. Comme si cela suffisait pour effacer ce qu'il s'était passé... Non ça ne suffisait pas, pas pour moi qui avait tout vu se dérouler.
Je relevai la tête et regardai chaque recoin de la pièce. Mon regard s'arrêta alors sur la mini-télévision posée au fond de la salle mais aussi sur la caméra qui résidait dessus. Je me levai immédiatement, traversai la pièce à toute vitesse et tapai désespérément sur le bouton de la télé afin de l'allumer. Je tombai alors sur un tout un tas de vidéos des danses de Nathanael. Je décidai de regarder la dernière car elle correspondait au jour où il s'était immolé. Peut-être une heure avant que je ne le retrouve. Il était déjà dans tous ses états, tremblant et pleurant mais il continuait quand même sa chorégraphie sur une musique douce. Quelques notes de piano et une voix vibrante. Il s'arrêtait quelques fois avant de reprendre avec plus de force et plus il dansait, plus ses gestes prenaient de l'ampleur. Sa danse était pleine de rage mais restait gracieuse ; j'avais l'impression de voir se combiner les deux côtés de Nathanael.
Et je m'arrêtai de respirer quand, ayant fini de danser sur toute la musique, il se leva et se dirigea vers la caméra. Mais au lieu de l'éteindre il resta planté devant, son regard émeraude fixé dessus - capable de transpercer l'objectif. Il passa une main sur son front pour chasser les mèches noires qui lui collaient à la peau puis dans un souffle, il réprima un sanglot. Quand il ouvrit la bouche, que sa voix nouée résonna, un sentiment étrange m'envahit.
« Je ne sais pas si tu vas me rejoindre ici.. Les choses n'ont pas l'air de se passer comme je le voudrais, dernièrement. Alors... » soupira-t-il avant de marquer une longue pause. « Alors j'enregistre cette putain de vidéo déprimante pour te dire que... J'ai détesté toutes ces fois où j'ai laissé ma rancœur surpasser mon amour, j'aurais aimé être plus fort que tout ça. Etre plus fort pour toi car tu le méritais. Je suis pas doué avec les mots, faut croire que je suis pas vraiment capable de faire quelque chose de bien en fait. Et je sais que tu ne m'as jamais cru quand je t'ai dit t'aimer mais tu dois me croire car personne ne t'aimera autant que moi... Ça j'en suis sûr, petite sœur. »
Il se laissa tomber parterre, en manque de force. Là où je me tenais exactement. Ce détail m'arracha un petit rire qui se transforma très vite en pleurs.
« J'avais dans l'idée de me battre jusqu'au bout mais je suis plus sûr de pouvoir endurer tout ça, de tenir. Je veux plus te détruire, nous détruire petit à petit. Et j'ai compris, aujourd'hui, qu'un feu est destiné à consumer tout ce qu'il y a autour de lui sauf si l'on décide de l'éteindre avant. Pardonne-moi, j'aurais du le comprendre bien avant, j'aurais pu t'éviter des années de douleur, en partant plus tôt. Tu sais quoi, Joyce ? Cette connerie de vie après la mort ça a jamais été mon truc mais cette fois j'ai envie d'y croire... J'ose espérer qu'un jour, quelque part, on aura la chance de se retrouver. Et je sais que toi, en attendant, tu sauras vivre sans moi. »
La vidéo prit fin alors que Nathanael baissait la tête et en allant vérifier sur l'appareil photo, je vis qu'il n'y avait plus assez de place pour enregistrer davantage. Et si il avait continué de parler après ? Je ne saurais jamais les mots qui avaient suivis toutefois j'étais au moins touchée d'avoir eu ceux-ci. Le voir, l'entendre, avait quelque chose d'apaisant mais cette sensation s'évaporait à l'instant où je me rendais compte que c'était tout ce qu'il me restait de lui. Des photographies, des vidéos, des souvenirs...
Mon portable se mit à sonner, me faisant sursauter. C'était mon père qui me prévenait de son arrivée devant la salle. Je me redressai alors que je commençais à appréhender ce qui allait suivre. La veille, il m'avait dit être prêt à tout m'avouer. Moi qui pensait être capable de l'entendre, je ne le pensais plus tellement désormais. Cependant, l'enterrement de mon frère avait lieu demain, et j'avais besoin de savoir exactement pourquoi je lui disais au revoir. La raison pour laquelle nous en étions arrivé là.
Et, constater que nous avions dû passer par tout cela pour que la vérité éclate enfin me mettait hors de moi. Ça n'avait plus tellement d'utilité maintenant que Nathanael n'était plus là...
_______________________________
Hello hello ! Vous avez remarqué quelque chose, sur la couverture de l'histoire ?
Je sais pas trop quoi dire après un chapitre comme ça... C'était surement un des plus durs à écrire, de toutes les histoires que j'écris. Alors pour le coup j'ai pas vraiment essayé de travailler mon style d'écriture, j'ai juste tapé les mots comme ils venaient car ils sortent tout droit de mon cœur ( lol ). Non mais sérieusement, à vous de me dire vos avis je les attends avec impatience. Ça ne prend que quelques secondes, je compte sur vous pour me laisser un petit commentaire, histoire de savoir ce que pensent mes lecteurs.
Vous aurez sans doute envie de me tuer parce que... Nate... et parce que vous n'avez pas davantage de réponses. Pour dire vrai, je comptais mettre des révélations dans ce chapitre mais ça me semblait déplacé étant donné la situation. J'ai vraiment voulu centrer le chapitre sur l'inquiétude de Joyce et sur sa tristesse après, au point qu'elle se coupe du monde qui l'entoure - l'homme mystérieux, par exemple, qu'elle zappe en quelques secondes car ses pensées ne sont tournées que vers son frère. Vous comprenez ? J'espère que oui.
Je pense que le prochain chapitre sera le dernier ( mais faut jamais me faire confiance ), puis il y aura un épilogue évidemment & voilà cette histoire se terminera. Vous saurez tout sur le passé des Lewis, vous comprendrez que je n'ai fait pas mourir Nathanael dans le seul but de faire pleurer mais pour faire passer un message. Voilà voilà, à bientôt !
Ps : Merci de me lire, laisser des commentaires et voter vous m'avez encouragé et permis de finir une deuxième histoire dans ma vie ahah. ♥
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top