Chapitre 16
« We'll calm the storm ; we're ready for war. »
Je dus endurer une demie - heure de trajet en voiture avec mon père silencieux, alors lorsqu'il s'arrêta devant ma maison, je sautai tout de suite hors du véhicule. Comme nous étions garés dans l'allée là où devait normalement se trouver la voiture de ma mère, j'en conclus facilement qu'elle n'était pas là. Elle n'avait pas l'air pressée de me voir... Tandis que moi, je l'étais peut-être bien pour la première fois de ma vie. Mon père qui sortait ma valise du coffre inspecta les fenêtres de la maison, les sourcils froncés.
- Tu as les clés ? se renseigna-t-il.
- Celles de derrière.
- Je dois retourner sur Houston pour ramener la voiture mais je peux revenir tout de suite après !
- Non c'est bon, assurai-je, je peux bien rester quelques heures toute seule. Maman ne devrait pas tarder et ça me permettra de ranger.
- Tu es sûre ? insista-t-il.
Pourquoi voulait-il tant rester avec moi alors qu'il n'avait pourtant rien à dire ? Il n'avait pas ouvert la bouche jusque là. Quitte à être dans le silence, autant l'être toute seule. Ainsi, j'éviterai la rencontre entre mes parents. Ma mère n'aurait pas besoin de se donner l'air d'une femme complètement heureuse et mon père ne la détruirait pas un peu plus avec son indifférence.
- Bien. On se voit demain alors ?
- C'est ça, à demain ! dis-je en attrapant mes bagages.
Il vint m'embrasser, me serrant un peu trop dans ses bras à mon goût. Ses lèvres claquèrent contre ma tempe et il me laissa finalement avancer vers la maison. Quand je fus près du garage, il n'était toujours pas parti, m'observant. Derrière le volant, il m'adressa un dernier mouvement de main avant de se décider à partir. Je fis le tour de la maison, entrai et montai sans réfléchir dans ma chambre.
Il était plus de 19 heures - soit deux heures plus tard, quand j'entendis finalement la porte d'entrée s'ouvrir. J'aurais pu être contente, j'aurais pu me réjouir. Oui, j'aurais pu si ma mère n'avait pas été accompagnée de son copain. Le fameux Sam qui était apparu soudainement mais qui était très vite devenu l'ennemi de Nathanael. Celui qui rendait ma famille encore plus dingue qu'elle ne l'était déjà.
Assise sur le canapé du salon, j'aperçus ma mère en tenue de travail dans l'entrée. Toujours serrée dans une jupe stricte et dans son chemisier cintré, lui offrant une autorité qu'elle n'avait pourtant pas. Derrière elle, se trouvait Sam aussi transpirant que lors de notre première rencontre. Il ne portait dorénavant qu'une chemise bleue et un pantalon marron clair, ayant abandonné la cravate et la veste. Malgré mon agacement, je pouvais bel et bien reconnaître qu'il était bel homme. Du moins il avait tout pour l'être mais n'en prenait pas bien compte : la peau mâte, les traits forts, le regard naturellement aiguisé, la bouche dessinée en un petit sourire.
J'étais tant absorbée par mon analyse que je ne vis pas ma mère approcher vers moi et encore moins l'entendre m'appeler. Elle me tendait un bras, me regardait avec un sourire chaleureux et attendait une quelconque réaction de ma part. Je me levai pour l'étreindre rapidement puis saluai l'intrus d'un geste de la main. Il prit d'ailleurs mon geste comme une invitation puisqu'il vint se poster à la gauche de ma mère.
- Où est ton frère ? quémanda celle-ci.
- Il est parti avec... sa... enfin une fille ! Il revient Lundi ou plus tard, j'en sais rien.
- Dommage, j'aurais voulu qu'on passe la soirée tous les quatre.
- Tous les quatre ? relevai-je avec moquerie. C'est marrant car habituellement c'est chacun dans son coin.
- Ça ne sera plus comme ça maintenant, affirma-t-elle en échangeant un regard complice avec Sam.
Comme assénée par ce sous-entendu, je reculai d'un pas. J'observais ma mère avec effroi, espérant avoir mal interprété ses mots. Mais je n'eus pas besoin de poser une question de plus, ma mère me devança :
- Sam va souvent être là et je préfère te prévenir.
- Tu crois vraiment que Nathanael va être d'accord ? lâchai-je abasourdie.
Le compagnon de ma mère la regarda immédiatement, comme s'il s'attendait à ce qu'elle me réprimande et qu'elle me dise le contraire. Mais elle ne le ferait pas, car nous connaissions toutes les deux la future réaction de Nate. Je ne voulais pas gérer cela, elle prenait des décisions, elle en payerait seule les conséquences. De plus, je me permettais aussi de me cacher derrière Nathanael ; je n'étais pas très enchantée non plus de voir un homme débarquer chez moi. Je ne me sentais déjà pas à ma place alors qu'en serait-il lorsqu'il serait là constamment ?
- J'en parlerai avec lui ! concéda ma génitrice. En attendant, nous ne serons que trois.
- Je suis plutôt fatiguée avec tous ces heures de voyage et le décalage horaire alors je crois que ce ne sera que vous deux.
- Joyce... Tu peux au moins rester un petit moment !
Je jetai un regard aux deux adultes qui me faisaient face, habillés d'un sourire pincé. Ma mère, elle, avait l'air de me supplier du regard tandis que Sam me faisait presque des yeux attendrissants pour que je craque. Après tout, je ne savais pas pourquoi je réagissais assez mal. Sam n'avait pas l'air d'être un homme insupportable mais surtout ils donnaient tous deux l'image d'un couple, d'un vrai. Et ça faisait très longtemps que je n'avais pas vu ma mère rompre la distance, être plus détendue... plus naturelle. Il y avait tout de même quelque chose de singulier, toutefois je voulais bien leur laisser le bénéfice du doute.
- D'accord, pas longtemps, acceptai-je.
Je me laissai tomber mollement sur le canapé et ils vinrent me rejoindre, ma mère me fixant avec de grands yeux pétillants. Je ne me faisais toujours pas à son regard, habituellement accroché à des tonnes et des tonnes de feuilles.
- Comment étaient tes vacances ? entama-t-elle, pleine d'entrain.
- Bien... C'était cool.
- Soamiary et les enfants vont bien ?
Je l'observai, suspicieuse face à une telle question mais ma mère avait pourtant l'air sincère. Alors je répondis positivement, terminant ainsi notre conversation. Je fis semblant de m'intéresser aux images qui déroulaient sur l'écran de la télévision pour ne pas ressentir la tension qui commençait à peser. Ma mère décida, à ce moment là, d'aller nous chercher à boire ! J'entendis Sam se racler la gorge plusieurs fois avant de se mettre à parler :
- Madagascar hein ? Ça doit faire un grand changement !
- Oui, souris-je. Ça n'a rien à voir avec ici, c'est un vrai paradis sur Terre.
- Pour être allé à La Réunion, je confirme ! hocha-t-il la tête.
- Vous êtes...
Il me coupa immédiatement avec un "Tutoie-moi !" dépité comme si le fait d'employer le vouvoiement le plongeait dans l'âge de la vieillesse. De mon côté, ça me dérangeait de laisser cette politesse de côté alors j'esquivai.
- C'était comment ? demandai-je plutôt.
- Magnifique ! D'autant plus que je suis originaire de là-bas mais je n'y étais pas encore allé alors j'ai eu l'occasion d'en apprendre plus sur ma famille.
Ma mère refit son apparition comme une fleur ; je me doutais bien qu'elle avait pris plus de temps que nécessaire. Elle déposa les quelques boissons sur la table basse puis reprit place entre nous, relançant avec enthousiasme le sujet que nous venions d'aborder. Sam se mit alors à nous parler de ses origines, enfin s'adressant plus à ma mère. Elle buvait ses paroles comme si se trouvait devant un elle un grand aventurier aux multiples expériences. Et quand ils commencèrent inconsciemment à m'exclure de leur petit monde, j'en profitai pour retourner dans ma chambre, en ayant en tête la journée qui m'attendait le lendemain.
***
Après dix bonnes minutes de marche dans cette chaleur invivable, j'arrivai finalement devant la maison d'Olivia. Mis à part pour venir chez Caleb, je n'avais jamais vraiment circulé dans ce coin de la ville. Un coin envahi de maisons, de villas, toutes superbes. Immenses, bien entretenues et transpirant de richesse. Toutes sauf la maison simple devant laquelle je me trouvais, une qui paraissait si minuscule face aux autres.
Je finis de rêvasser et prévins Olivia de ma présence par téléphone, n'osant pas aller sonner. Elle sortit presque tout de suite comme si elle m'avait attendu depuis des heures. Elle avait aujourd'hui attaché sa chevelure blonde en queue de cheval, dégageant son splendide visage. Et au fur et à mesure qu'elle approchait, je notai qu'elle avait aussi laissé de côté le maquillage. Elle était toujours aussi magnifique. Cette fille, en plus de me faire envier, devait bien rendre jalouse la moitié des filles sur cette Terre. Tout semblait trop parfait chez elle... Son apparence, sa personnalité, son environnement. Dans un film ou dans une histoire, on l'aurait classé chez les pouffiasses de service qui se la pète. En réalité, elle n'appartenait à aucun groupe. Elle était juste elle ; elle avait l'air de vivre comme elle en avait envie, et seulement ça. Elle était juste au-dessus de tout ça, sans aucune prétention. Et c'était sans doute ce trop plein de perfection qui me faisait redouter une possible amitié. J'étais son total contraire !
- Joyce ! sautilla-t-elle avec un grand sourire. Comment tu vas ?
- Je vais bien. Et toi ?
- Superbement bien ! C'est un beau jour, ça ne peut qu'aller, n'est-ce pas ?
Je hochai la tête, ajoutant à ceci un petit sourire timide bien que je ne sois pas du même avis qu'elle. Je n'allais pas faire ma rabat-joie alors que c'était bien la première fois qu'une personne prenait la peine de me parler, ou mieux, de sortir avec moi ! Je la plaignais d'avance car elle allait devoir me supporter pendant une journée.
- Tu aurais dû me laisser venir , ça t'aurait empêché de traverser toute la ville ! grimaça-t-elle, arrivée devant moi.
- J'ai l'habitude, t'en fais pas.
Elle me lança un regard perplexe tout en avançant vers une petite voiture grise métallique. Je la suivis, lentement.
- Tu veux dire que Caleb te laisse venir à pieds ?
- Ouais, la plupart du temps ! Il revient directement de l'entraînement donc... mais mon frère me dépose quelques fois, confiai-je.
- Quel chien ! Faut que ça change.
Elle me fit signe d'entrer dans le véhicule avant de s'y engouffrer, toujours avec une grâce particulière. A l'intérieur, l'air était étouffant si bien que nous peinions à respirer avant qu'elle ne décide à enclencher la climatisation.
- Tu dois lui dire " Viens me chercher ou sinon, on ne se voit pas ".
- Je crois que ça ne le dérangerait pas trop de ne pas me voir, hissai-je.
Elle rigola alors que j'esquissai uniquement un sourire.
- Toi, ma chère, ponctua-t-elle, tu ne connais vraiment pas ton copain.
Elle balaya aussitôt ses paroles, prétextant que nous avions assez parlé de Caleb, que nous étions là pour moi. Ça ne m'enchantait pas énormément d'aborder ce sujet, aux abords creux mais qui cachait pas mal de choses en réalité. Si l'on me demandait, ma vie paraîtrait plate, ennuyeuse à mourir mais si l'on prenait le temps de comprendre, alors on y verrait tout... De la tristesse à la colère, de la souffrance au vide et de la complexité à l'incompréhensible.
- Comment c'était chez ton père ? débuta-t-elle.
Je me lançai dans un récit plutôt enthousiasmé afin de lui donner l'idée que mes vacances avaient été parfaites. Je pensais ainsi que ça allait lui suffire mais au contraire ça ne faisait qu'accroître ses questions. Pour échapper au supplice, je lui retournai la question.
- J'ai pas fait grand chose, juste le quotidien... Être avec mes sœurs, ma mère, ou Hugh. Surtout pas mes amies, je les vois assez toute l'année.
- Tu ne veux pas voir tes amis en dehors des cours ? fus-je surprise.
- Pas tellement, je préfère être de mon côté et changer d'air. Puis, ce ne sont pas tant mes amis, plutôt un grand groupe où tout le monde s'entend bien, me confia-t-elle entièrement. Voilà pourquoi j'étais étonnée que tu n'en fasse pas partie, depuis le temps.
Elle m'observait de ses grands yeux bleus et je me contentai de répondre d'abord par un haussement d'épaule indifférent puis de me justifier :
- Je préfère aussi être de mon côté et pas seulement pendant les vacances... tout le temps !
- D'accord, si tel est ton choix ! s'exclama-t-elle. Mais tu vas devoir te faire à ma présence.
Sur cette phrase, nous partîmes en direction du centre commercial le plus proche. Je redoutais un peu le comportement d'Oli. Je redoutais ce qu'elle allait tenter de me faire comprendre, car, je n'étais pas dupe cette sortie entre filles n'était pas innocente.
Finalement, mes appréhensions s'éteignirent quelque peu au cours de la journée. Je devais avouer que je passais un bon moment à ses côtés, apprenant à la connaître sans devoir en dévoiler sur moi et sans que ça m'ennuie. Elle m'avait parlé de ses parents, sa petite et sa grande sœur, de sa relation avec Hugh et y compris celle avec Caleb, me racontant comment elle les avait rencontré tous deux. Volontairement sans doute, elle m'avait présenté l'image d'un tout autre Caleb - un que je ne semblais pas connaître du tout. Et contrairement à ce que j'avais pensé plus tôt, elle semblait ne rien avoir en tête. Peut-être était-ce uniquement moi qui était trop sur mes gardes...
- Rassure-toi, on a bientôt fini, lança-t-elle en regardant les sacs autour de notre table.
Elle repoussa son pot de glace terminée, regarda l'heure sur sa magnifique montre et me perça de son regard. Elle resta ainsi un petit moment, sans rien dire puis annonça d'une voix droite :
- Je vois exactement les robes qu'il te faut et crois moi, avec ça si ce n'est pas Caleb qui craque alors ce sera tous les autres mecs autour !
Je levai les yeux au ciel et soufflai à peine quand elle enchaîna :
- Ok si tu ne le fais pas pour les mecs, fais le pour toi au moins. Tu verras, ça va te plaire !
- Finissons en vite alors ! soufflai-je en me levant.
Elle se leva à son tour, s'empara d'une grande partie des sacs tandis que je me chargeai du reste puis d'une main, elle m'entraîna dans un immense magasin tout au bout du bâtiment. Dedans, ne se trouvaient que des tenues classes qui me dégoûtaient déjà rien qu'à l'idée de les porter. Je n'étais pas faite pour cela et surtout, je n'avais aucune raison de les porter.
Oli, en voyant ma tête, éclata de rire mais ne recula pas pour autant. Toujours sa main accrochée à la mienne, elle avança dans les rayons et eût l'air de parfaitement savoir où m'amener. En effet, elle s'arrêta devant une rangée de robes aux couleurs étincelantes. Elle en décrocha quelques unes, me les plaça dans les bras et me poussa vers les cabines d'essayage ! Autant dire que je n'avais pas le choix. Sa forte poigne et son regard comminatoire éteignirent promptement mes envies de rébellion.
Les robes s'enchaînaient et je n'en aimais aucune, sur moi. Elles étaient belles mais n'étaient pas faites pour moi. Soit trop serrées ou trop grandes, soit trop découvertes... Il fallait avoir un beau corps pour les porter, ce qui n'était pas mon cas. Derrière, Olivia insistait pour que je lui montre mais je trouvais une bonne excuse à chaque fois.
Soudain le rideau s'ouvrit. Je remontai à temps la robe que je m'apprêtai à enlever pour cacher mes blessures le long de mon épaule. Olivia était là, une enième tenue dans la main et me regardait fixement. Chaque seconde muette faisait augmenter les battements de mon coeur mais je me calmai quand la blonde m'adressa un sourire.
- Tu vas rester longtemps à me regarder ? Essaye cette robe ! me lança-t-elle.
J'acquiescai et refermai le rideau, après m'être emparée du vêtement d'une couleur sobre. Je pensais avoir vécu le pire mais c'était avant qu'elle me prouve le contraire :
- C'est la dernière, on y va après ! Les garçons nous attendent.
***
Olivia poussa la porte de chez Caleb, d'un geste machinal et prévint de notre arrivée. Mes mains étaient tout à coup moites, je n'avais jamais autant redouté de voir Caleb. Mais après ce qu'il s'était passé durant mon absence et surtout là, où nous en étions restés, je ne savais plus comment me comporter. Comment nous considérer ?
La blonde se dirigea immédiatement au salon ; j'y avançai sans trop de motivation. Finalement, quand j'arrivai au pas de la porte, je croisai le regard de Hugh qui me salua d'un geste de la main et d'un mini sourire ainsi que le regard de Caleb, qui, lui, resta silencieux et surtout neutre. Comme si ma présence ne changeait finalement rien. Butée par cet accueil, je ne bougeai pas. Il avança vers moi d'un pas lent, presque hésitant toutefois lorsqu'il s'arrêta devant moi, il parût sûr de lui. Sa fierté masculine au plus extrême. Malgré son dos droit, ses épaules relevées et son torse légèrement bombé, son regard reflétait tout autre chose. Il fuyait mes yeux et contemplait, à la place, un endroit quelconque juste derrière moi. Il paraissait à court de mots ; de mon coté, j'avais trop à dire. Et comme toutes ces fois précédents, nous préférâmes nous réduire au silence. Avant que l'un de nous deux ne se décide à parler, l'autre couple nous invitait déjà à faire un jeu de cartes.
Caleb fronça les sourcils, attirant enfin mon attention sur le pansement qu'il portait encore à l'arcade. Mes yeux se baladèrent alors sur son ecchymose qui n'avait plus que des reflets jaunes dorénavant et je me demandais si à l'instar de cette blessure, la colère de mon copain s'était vite effacée. Je me demandais s'il voulait toujours que l'on se sépare, s'il me considérait réellement comme un fardeau.
- Tu restes un peu ? me demanda-t-il d'une manière peu accueillante.
Je murmurai un " Oui " sans doute inaudible puis, sans attendre, je rejoignis Hugh et Olivia autour de la table basse. Le géant aux dreadlocks balada ses yeux brillants de malice de Caleb à moi alors qu'en même temps, un sourire se dessinait discrètement aux coins de ses lèvres. Un sourire niais qui ne présageait rien de bon, jamais !
- Quelles retrouvailles émouvantes ! souleva-t-il.
- Ferme là, souffla Caleb en s'asseyant aussi. C'est quoi votre jeu alors ?
Le rire de son ami parcourut la pièce quelques instants avant que celui-ci soit calmé et se décide à lancer son jeu. Il prétendit vouloir s'amuser et pour cela, me choisit comme coéquipière laissant les meilleurs amis ensemble. Son comportement me semblait aussi étrange que celui de sa copine, tous deux me connaissaient à peine des semaines auparavant et aujourd'hui, faisaient preuve d'une certaine gentillesse qui me dépassait.
Je laissai néanmoins mes soupçons de côté. Je me focalisai sur le jeu en cours, j'avais tenté d'ignorer la main forte de Caleb qui s'était plaquée dans mon dos un court instant et de ne pas être déconcentrée par mes appréhensions. Le comportement de mon partenaire rendit cette tâche plus aisée, en lançant des remarques d'abord moqueuses puis encourageantes. Au fur et à mesure que nous gagnâmes, Hugh sembla m'apprécier un peu plus ou du moins s'en contenter.
- Ma petite Joy où étais-tu toutes ces années ? s'exclama-t-il.
- Je crois que tu viens de faire de lui l'homme le plus heureux du monde ! persifla Olivia.
Il la regarda de ses yeux ronds puis fit une légère moue tout en mélangeant les cartes pour la prochaine partie :
- J'en avais assez de perdre.
- Sûrement parce que tu es le mauvais joueur dans l'histoire, attaqua mon copain.
- Mais non ! Tu veux que je te rappelle la semaine dernière ? beugla Hugh avec de grands gestes.
Et encore une fois ils se lancèrent tous deux dans une conversation qui m'était incompréhensible. Ils se remémoraient des moments que je n'avais pas vécu, parlaient de personnes que je ne connaissais pas et abordaient certains sujets vagues pour moi. Olivia fit quelques petites interventions puis eût l'air de crouler sous l'ennui aussi, après un certain temps.
- Je vais nous chercher à boire, décida-t-elle déjà debout.
Je la suivis du regard, me demandant si je devais la rejoindre ou rester ici au beau milieu d'une conversation floue. Hugh m'épargna ce choix là ; il prétexta ne pas vouloir tenir la chandelle pour aller rejoindre sa copine. Mes yeux restèrent fixés sur ses longues dreads foncés qui rebondissaient contre son dos au rythme lent de sa démarche. Quand, alors, il disparut de mon champ de vision, je reportai piètrement mon attention sur le tapis sur lequel j'étais assise. Caleb resta muet et je commençai à m'encourager intérieurement de faire le premier pas lorsque je sentis son épaule contre la mienne puis son visage tout près, si près, du mien. Le dos de sa main contre ma joue ainsi que ses lèvres tièdes contre les miennes. Je ressentais même son poids contre mon corps et j'aimais cette sensation. Après ces deux semaines de vacances mouvementées, Caleb m'avait manqué.
- Viens, souffla-t-il en s'empressant tout de même de reprendre le baiser.
Il m'embrassa quelques fois de plus d'une douce manière avant de se redresser et de me remettre aussi sur pieds. Il indiqua le couloir sans en dire davantage, c'était à se demander si chaque syllabe qu'il prononçait lui coûtait quelque chose. Cependant, il agissait donc je fis de même. Je me dirigeai au fond du couloir, dans sa chambre. Je pouvais deviner son corps tout juste à un mètre de moi, je pouvais sentir son parfum tout autour de moi et surtout je pouvais entendre mon cœur battre à exploser. Je crus même qu'il était arrivé à son maximum quand j'entrai dans la pièce sombre et que la porte se ferma derrière nous.
- Je savais pas que tu allais venir, désolé pour le bazar, dit-il en se penchant pour ramasser un t-shirt.
Je haussai les épaules, geste qu'il ne vit pas. Je le regardai essayer d'arranger le bazar près de lui puis vite abandonner finalement. Il me regarda un long instant, fit un pas et un deuxième. Un troisième pour enfin rapprocher nos deux corps désespérés. Sa main forte saisit ma nuque et il se pencha vers moi, réduisant la distance entre nos lèvres.
- C'était pas facile ces derniers temps mais ça ira, ok ? Je ferai en sorte que ça s'arrange...
Je perçus presque de la peine dans le timbre de sa voix, ou même de la compassion ? Il semblait désolé alors qu'il ne l'avait jamais été jusque là. Ma raison scintillait comme une guirlande de Noël : il y avait quelque chose de curieux. Mais pour une fois, par peur de tout gâcher, je ne fis pas attention.
Il captura à nouveau mes lèvres, me serrant dans ses bras. Tout s'éveillait en moi, je sentais le feu brûler de toute part dans mon corps. C'était une sensation indescriptible mais en tout cas merveilleuse que je semblais enfin partager avec lui. Je ne savais pas vraiment ce qui avait changé depuis mon retour, tout semblait trop différent. Trop beau pour m'appartenir.
Ses mains se firent plus curieuses tandis que son corps imposant me poussait lentement vers le lit. Il y avait une part de moi qui résistait et une autre qui me laissait guider comme une idiote. Assis sur le matelas, il m'attira sur ses genoux. Nous nous embrassâmes derechef pendant un temps qui dépassait sans doute notre record. Rares avaient été des baisers aussi langoureux depuis des mois. Et j'eus à peine le temps de m'en délecter qu'il arrêta, repoussant mes cheveux dans mon dos afin de s'en prendre dorénavant à mon cou. Il me faisait petit à petit fondre, d'autant plus que sa peau continuait de caresser la mienne sans fin. Ses doigts discrètement glissés sous mon haut, son bras collé à ma taille, sa mâchoire contre mon cou. Il était là, de partout, et s'évertuait à me transporter ailleurs, à me connecter à lui. Alors je profitais.
Je profitais tant que je ne me sentis pas glisser sur le matelas, je le sentis encore moins se poser au dessus de moi et déboutonner avec soin mon chemisier. Je ne sentais que ses lèvres, ses mains, sa personne. Ce semblant d'amour sorti de nulle part ! J'avais délaissé ma méfiance au pas de la porte et je le regrettai immédiatement quand le tissu glissa le long de mes bras. Quand il se dévoila à lui - même non un corps attirant mais plutôt un marqué d'horreurs. Ses lèvres s'étaient avant tout posées sur ma clavicule puis plus rien. J'avais donc compris, ouvrant les yeux en un éclair, me redressant et tentant d'enfiler mon habit. Mais Caleb en décida évidemment tout autrement, il tirait dessus et repoussait mes mains en même temps.
- Joy, bordel arrête ! s'énerva-t-il.
Avec une force toute nouvelle, je l'éloignai de moi et me redressai en vitesse. Mon cœur, lui, s'éteignait me poussant à faire quelque chose. Bouger, partir vite et loin d'ici. Sauver cette situation catastrophique. Caleb était resté allongé sur le lit, légèrement recroquevillé et la tête caché dans ses bras tandis que moi je m'activai. J'enfilai à nouveau ma chemise et courus presque à la porte. J'avais envie de rejeter toute ma rancune sur lui, de le taper, l'engueuler. Mais je fuyais plutôt... Du moins c'était ce que je comptais faire avant que je n'entende les mots de Caleb :
- Putain mais elle avait raison...
- Elle ? soulevai-je en me retournant tout de suite.
Il s'était assis sur le lit et me fixait avec de grands yeux meurtris, qui n'exprimaient pourtant rien. Il pencha la tête sur le coté, se massant une tempe sans aucune délicatesse.
- Bordel, Joyce ! C'est quoi tout ça ? quémanda-t-il sur les nerfs.
- Réponds moi ! m'écriai-je stressée.
Il se leva si vite, me rejoignit en quelques grandes enjambées et m'empoigna sans me quitter des yeux. Sa colère se reflétait maintenant, je pouvais le voir à ses joues rosées et à ses pupilles resserrées.
- Tu vas me dire qui t'a fait ça ! C'est ton père c'est ça ? Olivia avait raison, putain de merde ! déblatéra-t-il fou. Joyce ne crois pas que je vais laisser passer une telle chose. Je vais aller le voir moi ton père !
Il continuait ainsi pendant une bonne minute alors que j'étais restée à un seul mot. A un prénom. Je commençais à trembler de tristesse car je comprenais petit à petit tout ce que je venais de vivre. La journée shopping, notre venue ici, la gentillesse de Hugh, la tendresse de Caleb... Je leur faisais de la peine et mon copain, lui, m'avait amadoué afin d'avoir le cœur net sur leurs hypothèses. Rien n'avait été vrai, rien ne changeait, j'étais toujours au même point : seule.
- Olivia...
- Oui... Elle s'inquiétait et m'en a parlé, avoua-t-il dans un souffle.
- Donc tu voulais voir de tes propres yeux c'est ça ? l'attaquai-je, hors de moi. T'as préféré me manquer de respect, t'es tellement habitué à le faire !
Je lui tournai le dos et m'en allai enfin de cet endroit qui me causait tellement de peine à chacune de mes venues. Je traversai le couloir, suivie par Caleb. Il ne cessait de m'appeler mais je ne l'entendais pas, il était loin dans mon esprit. Je l'éloignai, je m'éloignai de cette réalité.
- Ça ne sert à rien de m'en vouloir Joyce, hurla-t-il à plein poumons, ça n'arrangera pas tes problèmes. Tu passes ton temps à fuir !
Je claquai la porte d'entrée derrière moi, entendant une nouvelle voix s'ajouter à celle de Caleb. Fatiguée, je marchai à pas lourds. J'avais l'impression de faire du sur place. Je luttai pourtant pour ne pas que le poids de cette douleur me tombe sur les épaules mais elle se faisait un peu plus lourde à chaque seconde.
- Tu as besoin d'aide, annonça une voix droite.
- Non pas de la vôtre, sûrement pas ! explosai-je en faisant face à Olivia, et plus loin, les deux garçons. Vous passez votre temps... à m'humilier et je devrais considérer ça comme de l'aide ? Je devrais vous remercier pour ça ? Vous empirez tout ok ?
Ses yeux brillaient. Elle se pinça les lèvres et grimaça, comme compressée par une quelconque douleur. Elle jeta un regard - un appel à l'aide - aux garçons qui approchaient puis reposa des yeux encore plus décapités sur moi.
- Je ne sais pas encore comment mais on peut faire quelque chose pour toi, décréta-t-elle finalement.
- Non, tu ne sais pas de quoi tu parles Olivia, vous ne pouvez rien, balbutiai-je.
- Y'a forcément un truc !
- Oui, laissez moi tranquille. Je vous en supplie, retournez à vos vies délirantes et si géniales ! Je m'en sors très bien toute seule.
Caleb fit un pas en avant pour se poster face à moi. Il avait l'air déterminé et pour une fois donnait l'impression de savoir ce qu'il voulait, ce qu'il comptait dire et sans doute ce qu'il comptait faire. Il s'imposait par le physique et ne tarda pas à l'appuyer avec des mots :
- Non, lâcha-t-il brutalement. Non, on ne fera pas ce que tu veux. Pas cette fois. J'ai toujours accepté tes choix, j'ai toujours accepté tout un tas de choses venant de toi Joyce ! Maintenant que ça te plaise ou non, on ne suivra pas ta décision. Faut que tu t'y fasses d'accord ? Parce qu'il est hors de question qu'on te laisse comme ça, sans rien dire. Qu'on ferme les yeux sur cette situation et qu'on te laisse retourner à ta vie. Non ! C'est important, c'est grave, ne t'attends pas à ce que l'on reste sans rien faire. Plus maintenant.
Je restai silencieuse, me prenant en pleine face une réalité trop difficile à digérer. Ils allaient rendre les choses encore plus monstrueuses, peu importe ce qu'ils comptaient faire. Nathanael ne supporterait pas s'il l'apprenait et j'étais sûre, cette fois, que ça ne passerait pas. Quand j'affirmai qu'ils ne pouvaient pas m'aider, je le pensais réellement. Et même si les voir résister ainsi me faisait plaisir et croire un instant qu'ils se souciaient un peu pour moi, j'étais en colère. Mais surtout abattue car plus l'histoire prenait de la proportion, plus elle m'échappait des mains et plus Nathanael s'éloignait. Il devenait cet être flou, incompréhensible, incapable d'être sauvé. On le balançait au loin au milieu d'une mer folle et on le regardait se noyer.
- Je te ramène chez toi, annonça Olivia.
- Non foutez-moi la paix, j'ai besoin de marcher. J'ai besoin d'être de mon côté, pendant un temps.
- Comme tu voudras, continua Caleb, et pendant ta période de solitude, garde bien en tête qu'on ne laissera pas tomber.
J'avais toujours refusé d'être proche des gens, j'avais eu raison. Ils étaient trop dangereux, je l'étais beaucoup trop aussi. Mon frère avait fait de moi quelque chose destinée à souffrir et faire souffrir les autres, de toutes les manières possibles.
Sur le chemin du retour, je reçus justement un message du concerné qui me sortit de mes plus sombres pensées. Il me demanda où je me trouvais et après reçu ma réponse, il me proposa de l'attendre où j'étais pour que l'on aille ensemble à son studio. Le voir danser me détendrait ; l'éloigner du domicile me rassurait davantage. Je ne voulais pas vivre une soirée cauchemardesque après cette fin de journée.
Quand sa voiture, arrivée à toute allure, freina sèchement en face de moi et que je le vis me saluer tout content, mon sourire fut automatique. Malgré ce que j'avais encore en tête, malgré ma haine qui était toute proche là, prête à exploser pour un rien. Je montai avec beaucoup de peine dans sa voiture - comme à chaque fois et me tournai vers lui. Il avait dégagé ses cheveux à l'arrière de sa tête, son teint habituellement pâle était là coloré, son sourire était timide mais franc et ses yeux...
- Je suis passé à la maison, me dit-il d'un ton solennel, c'était la plus grande erreur de ma vie. J'ai vu l'autre con et au lieu de le virer, je suis sorti sur le champ. On peut considérer ça comme des progrès, n'est-ce pas ?
- Oui... Tu as donc besoin de te défouler, devinai-je.
- Et toi aussi.
Il avait glissé ceci avec conviction, accompagnant ses mots de légers hochements de tête. Après ces rapides mots échangés, il mit donc fin à la conversation et ce n'était surtout pas moi qui allait la relancer ! Mon regard se perdait au loin, sur les vieux immeubles d'Angleton, et mon esprit divaguait sur ce que je venais de vivre. Les paroles de Caleb ne quittaient pas ma tête, me torturant un peu plus à chaque passage. « On ne laissera pas tomber » avait-il dit, sans songer que si moi je l'avais fait depuis longtemps, ils finiraient par faire de même.
Cinq minutes passèrent avant que l'on arrive au studio et une fois de plus, Nathanael fut le premier à entrer, quittant sa voiture en trombe. Avide d'échappatoire, je me dépêchai aussi. Au moment où j'entrais dans la pièce fraîche, il démarrait tout juste la musique tout en s'étirant. Sans même réfléchir, je rejoignis ma place au fond de la salle, là où je pouvais pleinement profiter du spectacle qu'il acceptait de m'offrir.
Une paisible musique plongea la pièce dans une ambiance non triste mais mélancolique. Une musique sur laquelle Nathanael plaça une superbe chorégraphie, sans doute plus touchante qu'à l'ordinaire. Il avait éteint sa colère pour laisser sortir ce malheur transparent. Lui qui aimait se regarder danser dans le miroir avait gardé les yeux fermés tout au long. Ses gestes non plus n'étaient plus les mêmes, moins brusques... Tout était fin, léger. Il volait à travers la salle. Il donnait tout ce qu'il avait. Il resplendissait de beauté.
Je fus terriblement déçue lorsque la mélodie, sur une dernière note de violon, se termina. Il resta debout, immobile et haletant le temps d'une minute - à peine. Puis, la tête baissée, il vint s'asseoir en face de moi. Je lui fis rouler sa bouteille d'eau pendant qu'il passait une main sur son visage. Pas de remarques, pas de demandes d'avis... Son comportement était pourtant contraire à ce qu'il m'avait montré sur le trajet. Posant mes bras autour de mes genoux et ma tête dessus, je l'observai silencieusement. Je ne voulais pas briser cette atmosphère particulière qui s'était installée dès le début de la chanson. Quant à lui, il ne s'en était même pas aperçu.
- Je t'ai menti, m'avoua-t-il. C'est pas Sam qui était à la maison... C'était papa.
Son dernier mot sortit si naturellement de sa bouche qu'il ne me choqua pas d'abord puis je tiltai. Ses émeraudes s'accrochaient à mon regard avec peine, comme s'il voulait me faire comprendre quelque chose qu'il n'était pas en mesure d'exprimer à vois haute.
- Et j'ai encore fui pour ne pas lui en mettre une, ricana-t-il avec amertume.
- C'était la meilleure décision, assurai-je.
- Je ne sais pas...
Il prit la même position que moi : il croisa ses bras sur ses genoux et y appuya sa tête, penché sur le côté. Nos yeux ne souhaitaient pas se lâcher et ne cédèrent pas non plus sous le silence pesant. Sans aucunes explications rationnelles, ma respiration devint de plus en plus difficile. Ma cage thoracique se contractait sous la douleur ; je réalisai que ma vie n'en était plus vraiment une. Ou si c'en était une, moi je n'en voulais plus.
- Le truc c'est que... débuta-t-il en un chuchotement. Même si je sais que tu n'es jamais très loin, j'ai peur que ce ne soit plus le cas un jour. A cause de lui. Mais je ferai toujours tout ce qui est de mon possible pour te ramener à moi, à mes côtés.
Il prit une pause, durant laquelle il me regarda avec plus d'intensité. Je n'avais pas l'habitude qu'il m'en dise autant, qu'il me parle de ce qu'il ressentait et de ce qu'il avait en tête. Mais aujourd'hui, il semblait prendre conscience tout autant que moi que notre vie allait se retourner. C'était les échos d'une guerre qui résonnaient au loin... Seulement, je ne savais pas de quel côté je devais - ou plutôt où je voulais me battre.
- T'auras peut-être l'impression que je fais des mauvais choix, que j'agis comme un con et que je fonce droit dans le mur mais je sais qu'on finira par avoir ce que l'on veut.
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Pas de long speech cette fois, je pars me cacher à la place... J'ai honte de vous avoir fait attendre pour ce genre de chapitre brouillon. J'ai juste l'impression de ne pouvoir faire plus alors voilà, j'espère néanmois que ça vous a plu. Je prendrai le temps de réécrire certains passages que je trouve un peu bâclés ! N'hésitez pas à me donner un avis honnête, encore désolée pour le retard. Byeeee
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