Chapitre 15

« Am I alive or just a ghost haunted by my sorrows ? »

- Et j'ai besoin que tu me promettes quelque chose...

Ses mains se serrèrent autour de mon cou d'une manière beaucoup plus délicate cette fois et me reculèrent légèrement de son corps brûlant, pour que nos regards se croisent et s'épinglent. Que voulait-il que je promette ? Que voulait-il que je fasse pour lui, encore, alors que lui ne me faisait jamais une seule faveur ? J'essayai de cacher ma surprise mais surtout de reprendre mes esprits, cesser de pleurer comme une pauvre enfant et lui faire croire, ne serait-ce qu'une seule seconde, que j'étais plus forte que tout cela... Plus forte que lui, plus forte que tous ces sentiments qui me bousillaient.

D'un mouvement de tête, il me demanda l'autorisation de continuer et comme je ne répondais pas, il se l'octroya lui-même :

- Quoique fasse ou quoique dise Kenneth - et je sais qu'il va tout tenter, j'ai besoin... il faut que tu restes avec moi, chuchota-t-il d'un air convaincu. Tu m'entends ?

Je secouai la tête, pas sûre de tout comprendre. Je n'étais pas certaine de percevoir la vraie portée de ses mots. Il était si déterminé, et effectivement, ce qu'il me demandait semblait lui être vitale. Que se passerait-il si je refusais ? Avais-je ce choix là de toute manière ?

Ses deux mains attrapèrent mon visage en coupe et de ses pouces, il chassa quelques larmes qui avaient résisté sur ma peau. Ses émeraudes sondaient mon regard sombre, essayant en vain de me convaincre et d'une certaine manière, m'hypnotiser... par la terreur.

- Joyce, c'est sérieux ! insista-t-il. Il va tout faire pour nous séparer, ça fait des années qu'il veut le faire et il ne va pas laisser tomber. Et à un moment ou un autre, tu devras choisir...

- Et ? rétorquai-je indifférente.

Il s'attendait visiblement pas à cette réponse de ma part car sa réaction fût tout d'abord inexistante puis son visage prit rapidement des teintes rouges sous l'irritation. Il fronça les sourcils, pinça les lèvres et pencha la tête, tout en me lâchant. Il se recula un peu comme pour avoir une vision d'ensemble et peut-être percevoir quelque chose qui lui aurait échappé dans mon comportement.

- Quoi ?

- Et alors ? Pourquoi je devrais rester avec toi alors que tu ne me voues que de la haine ? Je ne suis pas ton espèce de punching-ball auquel tu peux t'en prendre à chaque fois que ça va pas, encore mois un animal de labo qu'on veut garder auprès de soi pour accomplir toutes ses expériences. Alors, je ne vois pas où est le problème ? Tu me hais tellement, Nate, je crois que ça nous arrange tous les deux si on vit chacun de notre côté.

Après les pleurs, la colère arrivait à grands galops. J'avais juste peur de me laisser emporter par ma haine et de ne pas contrôler mes paroles. Déjà, ce que je venais de lui dire, ne lui plaisait pas du tout. L'incompréhension l'avait premièrement habité puis la frustration encore une fois avait pris possession de son corps, dessinant lentement ses veines le long de ses bras ou de ses tempes. Il me quitta du regard et regarda plutôt au loin, dans le vide.

- Je viens de te dire que je t'aimais ! bouillonna-t-il les dents serrés.

Ce fut comme un déclic soudain dans ma tête ; son comportement m'était alors tout à fait compréhensible. S'il était revenu, s'était montré attendrissant, m'avait loué un tel aveu c'était pour cela, c'était uniquement pour ça... Que j'accepte de rester à ses côtés. Il n'en pensait sûrement pas un seul mot, il m'avait amadoué et j'étais soulagée de ne pas l'avoir cru. Déçue mais soulagée et quelque part, fière de moi. La spécialité de Nathan était de jouer avec les sentiments des autres et de les réduire à néant, ne les transformant qu'en vulgaire pantin. Il avait capté la faiblesse humaine et s'en servait sans peine : un véritable tyran.

- Si tu acceptes de rester avec Kenneth, il m'enverra sans doute en prison et ne voudra plus jamais que l'on se voit ! C'est vraiment ce que tu veux ? Tu es prête à... m'abandonner Joy ?

Sa voix avait déraillé sur sa dernière phrase et pourtant, il ne montrait toujours aucune émotion. Je l'observai sans scrupule... N'ayant toujours pas eu de réponses après plusieurs secondes, il posa des yeux éteints sur moi. Ma gorge se serra immédiatement, je peinais petit à petit à respirer. Paradoxalement, sa douleur bien qu'invisible était évidente et c'était dur à voir, très dur. Mais pour une fois je devais effacer sa souffrance pour mettre la mienne en avant, penser à moi tout d'abord et cesser de penser à travers lui. Penser intelligemment, non par peur.

- C'est pas ce que tu m'avais dit... se lamenta-t-il d'une voix contrainte.

Apparemment, il avait pris mon silence pour une réponse positive et je me dis que ce n'était peut-être pas si mal. Ce devait être la première fois que j'arrivais à lui faire de la peine, j'en étais peu fière mais une infime partie de moi désirait le secouer un peu, lui montrer ce que ça faisait de se sentir aussi bas. De voir une personne nous abandonner.

Après avoir fuis mon regard pendant de longues minutes silencieuses, il me fixa finalement et sembla chercher quelque chose dans mes yeux. Quelque chose comme la peur peut-être, que je tentai tant bien que mal de cacher. Je ne savais pas ce qu'il devait en penser mais de mon côté, je ne montrais rien. Ni sursaut, ni tremblement, ni yeux baissés... Si bien que lorsqu'il m’attrapa le bras brutalement, je ne bougeai pas.

J'aperçus mon père à l'entrée de ma chambre et bien que Nathanael lui tournait le dos, il comprit à mon regard que quelqu'un venait d'arriver. Sans me lâcher, sa main chaude contre ma peau habitée de frissons, il se retourna lentement. Le regard plus meurtrier que jamais...

Mon père était tout sauf satisfait de me voir seule avec Nate, aussi proche de lui ; je pouvais même dire qu'il était aux bords de la crise de nerf. Je priais pour que mon frère ne fasse et ne dise rien qui puisse aggraver son cas sinon les conséquences seraient plus graves qu'un coup de poing dans le visage. Quand j'y repensai, ça me paraissait toujours étrange que mon père ait osé taper son propre fils... Lui qui s'était toujours contrôlé pour ne pas le faire. Je comprenais enfin que les moments que nous étions en train de vivre étaient fatidiques, que tout était bien sur le point d'exploser et que le choc serait brutale.

- Joyce, on va y aller ? m'appela-t-il tendu.

Je hochai la tête, me levai et fixai la main de mon frère qui tenait toujours fermement mon bras gauche. Je lançai alors un regard vers mon père et le vit faire un pas en avant grinçant presque des dents. Je reportai derechef mon attention sur Nathan qui me fixait aussi en retour. Choisir... J'avais passé ma vie à choisir entre eux deux, mais que ferai-je lorsque ce choix devra être définitif ?

- Vous allez où ? me demanda Nathanael.

- Faire examiner ma main, expliquai-je en la désignant d'un mouvement de tête.

Il la regarda comme s'il avait oublié ce que j'avais et sembla en effet s'en rappeler quand il posa les yeux sur mon bandage. Ma brûlure était sans doute plus importante que ce que j'avais envisagé et les quelques soins que mon père m'avait acheté ne suffisaient plus. J'avais toujours aussi mal, la blessure s'empirait même. Mon père avait alors décidé de m'emmener aux urgences.

- Bon timing, s'adressa-t-il à notre père.

Il se leva, se tenant collé à moi sans pour autant laisser mon bras. Je regardai encore mon père ; il n'avait même pas fait attention à la remarque de Nathanael ou du moins avait décidé de ne pas la relever. Il ne le considérait pas et gardait son regard sur moi, comme pour se concentrer et ne pas déraper.

La main de mon frère remonta de mon avant - bras à mon épaule doucement puis ses doigts se fermèrent naturellement autour de mon cou. Il avait de l'emprise sur moi ainsi, pour son plus grand plaisir.

- Garde en tête ce que je t'ai dit, chuchota-t-il si bas que je le lus presque sur ses lèvres. Mmh ?

- Les adieux ne sont pas nécessaires, on sera de retour dans quelques heures ! intervint mon père impatient.

A cet instant, je maudis quelque peu mon père car les doigts de Nathanael se resserrèrent avec fermeté autour de mon cou. Il parlait et c'était encore moi qui en subissait les conséquences ! Après m'avoir regardé pendant un moment, s'assurant que ses précédentes paroles étaient bien passées, il décida de retirer sa main.

- A toute, me glissa-t-il tandis que je m'avançai vers mon père.

Je me sentais frêle, froide, et pire encore, vide quand j'arrivais près de mon père et que nous prenions déjà la direction du salon. D'interminables frissons parcouraient mon corps et je sentais toujours la chaleur de ses doigts contre mon cou. Je me calmai petit à petit, me demandant maintenant si mon père ne redoutait pas de laisser sa femme et ses enfants seul avec le prédateur. Mais je n'eus même pas besoin de poser la question car arrivée au salon, j'aperçus quelques uns de ses travailleurs dont Gabin en train de discuter avec sa femme. Elle n'était pas seule. Bien que je doute qu'en cas de pétage de plomb, ces hommes soient très utiles face à mon frère.

Mon père discuta un petit instant avec sa femme et les hommes que j'avais déjà entrevu une ou deux fois depuis mon arrivée ; il m'entraîna ensuite dans la voiture. Et nous partîmes un peu plus loin que la ville, là où se trouvait le seul " bon " hôpital des alentours et selon ses dires, ce n'en était même pas un mais juste un espace médical. Je m'en fichais pas mal, du moment que l'on trouvait une solution pour soigner ma main.

- Tu vas bien ma puce ? débuta-t-il.

- Ça va... éludai-je en admirant le paysage défiler derrière la fenêtre.

- T'es restée dans ton coin depuis hier soir et quand je viens te voir, ton frère est déjà là. Qu'est-ce qu'il a dit ?

Il avait l'air très curieux ou inquiet, je le devinais dans le timbre de sa voix. Je tournai la tête pour le constater. Et je repensai à la détermination de Nathanael dans ses paroles, il m'en fallut pas plus pour faire le lien entre les deux.

- Pas grand chose, dis-je tout en restant vague. Tu lui as parlé avant qu'il ne vienne, n'est-ce pas ?

- Pas vraiment, souffla-t-il. Il a surpris un bout d'une conversation que j'avais avec Sara.

Je fronçai les sourcils, consternée. Il avait parlé à notre mère ! Pourquoi ? Et qu'est-ce que Nathan avait donc entendu ? Je me redressai sur mon siège, redoutant légèrement ce que mon père allait m'annoncer.

- Je pensais qu'il se serait dépêché de te le dire mais apparemment il me laisse au moins le faire comme je le voulais...

- Tu veux nous séparer ? m'alarmai-je.

Être loin de Nathan ne m'inquiétait pas tellement mais je paniquai surtout à l'idée de l'endroit où mon père voulait le mettre. Car ce dernier essayerait en effet de le placer soit en psychiatrie ou en prison, le genre de centre de redressement pour jeunes. C'était selon moi une très mauvaise idée ; j'avais l'impression qu'il n'en sortirait que pire.

- Je n'ai jamais voulu vous séparer Joy, râla-t-il. En revanche, je veux que tu sois heureuse et surtout... en sécurité. Je veux que tu vives dans de bonnes conditions. Ici !

Mes yeux s'agrandirent sous le choc. C'était tout ce que j'avais toujours souhaité ! Mais dorénavant je n'étais plus très sûre de le vouloir... Quitter les États-Unis pour venir ici ? Quitter Caleb ? Ma mère ? Nathan ? Rejoindre mon père qui ne me semblait plus très honnête à présent. Il avait fait du mal à mon frère pour que ce dernier lui en veuille à ce point alors rien ne prouvait qu'il ne pouvait m'en faire à moi. Et puis effectivement, si je venais vivre avec lui, je choisissais mon camp. Je choisissais d'envoyer valser la douleur et la haine de Nathanael ; il avait raison, je l'abandonnais.

- Je vais demander ta garde. C'est pourquoi, je rentre avec vous dans deux jours ! continua-t-il. Je peux rien gérer d'ici et je préfère rester auprès de toi le temps que ça se règle.

- Dans deux jours ? m'étonnai-je. Attends, quoi ?

Trop d'informations affluaient dans mon cerveau. Mes vacances étaient passées si vite, je n'avais pourtant rien fait à part angoisser quand Nathanael n'était pas là et continuer d'angoisser une fois qu'il était arrivé ! Puis... mon père voulait ma garde, ce qui voulait dire que je n'avais pas le choix. Je n'allais pas choisir si je voulais vivre avec ma mère ou lui, non s'il obtenait ma garde alors j'étais obligée de le suivre. Mais en même temps quelle personne sensée ne s'empresserait pas de fuir son bourreau à la première occasion ?

- Le temps que ça se règle, c'est à dire ?

- Que j'organise tout avec mon avocat, que tout soit en mise en place et que la procédure démarre.

- Et si je ne veux pas que tout se mette en place ? rétorquai-je.

Il tourna la tête vers moi et je vis ses yeux s'assombrirent avant qu'ils ne se reposent sur la route.

- Tu ne vas pas recommencer Joyce, avec ton obsession de vouloir sauver ton frère ! s'énerva-t-il. Tu ne peux rien pour lui. Je t'éloigne de là-bas, je fais en sorte qu'il soit suivi et peut-être qu'un jour tu seras amenée à le revoir. Peut-être !

- Et peut-être qu'un jour je serai amenée à savoir toute la vérité.

J'étais prise au piège ; la colère ne faisait que monter. J'avais bien envie de crier et taper mais cette situation ne bougerait pas d'un poil.

- Vous avez beau essayé de me tenir loin de ce secret, repris-je, mais je le vois. Je vois papa comme il souffre et j'ai compris que tu étais en grande partie la cause. Alors ouais, t'as sans doute raison il n'ira jamais mieux mais je peux pas rester comme maman et toi, les yeux grands ouverts, à le laisser se détruire lui-même et détruire ce qui l'entoure.

Nous étions arrêtés derrière une file de voitures et il en profita pour me fixer avec peine. Ma respiration était devenue frénétique sans même que je m'en aperçoive et il m'était impossible dorénavant de me contrôler. J'avais tous ces mots au bout de la langue qui ne demandaient qu'à être exprimés.

- Tu me veux heureuse ?

- C'est tout ce que je veux, admit-il.

- Comporte toi comme un père, arrange les problèmes, affronte les au lieu de les fuir sans cesse.

Il fût étonné d'entendre un tel conseil de ma part, qui ressemblait plutôt comme un ordre. Je venais clairement de dire à mon père de porter ses couilles sans être aussi familière et vulgaire mais je venais de le faire ! Je ne pouvais pas être plus précise et bien qu'il était tanqué sur sa position, j’espérais qu'il finisse par faire quelque chose. Il avait beau m'envoyer à l'autre bout du monde, de l'autre côté, son fils lui irait toujours si mal.

- Je pourrais régler le différend que j'ai avec lui c'est vrai mais ensuite, tu crois qu'il arrêtera de s'en prendre à toi ? Non, Joyce. Car personne ne connaît ses motivations, je suis sûr qu'il ne les connaît pas lui même, décréta-t-il.

- C'est quoi le problème entre vous deux ?

Il secoua la tête, m'indiquant qu'il n'approfondirait pas ce sujet malheureusement. Comme d'habitude !

- Qu'est-ce que t'as bien pu faire pour qu'il t'en veuille aussi jeune ?! insistai-je.

Il ne prit même pas la peine de me répondre. Mon dernier mot se répercuta en échos dans mon esprit... Jeune... Jeune... Puis je me rappelai soudainement, tout me revint. La discussion à propos de notre mère que j'avais eu avec lui dans la chambre d’hôtel, lors de notre venue : « Donc tu avoues avoir des choses à te reprocher ? », lui avais-je demandé et il avait répondu « J'étais jeune. ». Et si le mal être de Nathanael était dû à ce qu'avait fait mon père à notre mère ? Mais pourquoi en vouloir à celle-ci ? Et à moi ? Ça restait encore un terrain flou mais je devais me renseigner sur cette piste. Seulement, je ne savais pas comment savoir ce qu'il s'était passé si aucun membre de ma famille ne daignait me le dire. Et puis pourquoi Nathan ne me l'avait pas déjà dit ? Lui qui avait toujours voulu que je déteste notre père ! J'étais perdue mais je ne baissais cependant pas les bras.

***

Quand je revins du rendez-vous, je retrouvai Nathanael exactement là où nous l'avions laissé : dans ma chambre. Seuls ses cheveux ébouriffés et mouillés et la serviette enroulée de son cou signalaient qu'il avait tout de même bougé d'ici. Il ne portait qu'un pantalon bleu marine et offrait encore à ma vue, les cicatrices qui coupaient son torse.

Il me remarqua et étonnamment, m'envoya un sourire discret. Il s'allongea à nouveau en travers du lit tout en me demandant comment ça s'était passé, du moins j'imaginais qu'il parlait de ça lorsqu'il m'avait dit :

- Alors ?

- Alors la plaie s'est un peu infectée mais le médecin pense que ça devrait être guéri dans deux semaines environ, répondis-je innocemment.

Il ricana face à ma fausse stupidité. Je savais que son mot désignait plutôt une quelconque information que j'aurais réussi à soutirer de mon père mais en réalité je ne savais pas si je devais lui dire ou plutôt attendre que mon père s'en charge.

- Viens là, me demanda-t-il gentiment cette fois. Et la porte, tu la fermes.

J'obéis avec une lenteur extrême. Lorsque je m'assis enfin près de lui, il me tira en arrière pour que je repose allongée à ses côtés. Son bras droit presque appuyé sur le mien me transmettait toute la chaleur de son corps, ce qui suffit à me faire frissonner. Je me rendais compte à présent de ce que je venais de faire : me jeter dans la gueule du loup sans même réfléchir. Sans paniquer, j'avais fermé la porte et j'étais venue le rejoindre. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ?

- Tu ne t'es pas ennuyé ? quémandai-je pour détendre l'atmosphère.

- Non je parlais à Vanessa puis j'ai dansé le reste de l'après-midi, dit-il le plus honnête possible.

- Qui est Va..

Je n'eus pas le temps de terminer ma question qu'il m'interrompit d'une voix sèche :

- Il t'a dit quelque chose ?

Je tournai la tête vers lui et remarquai qu'il m'observait avec précaution, avec tendresse je dirais même. C'en fût déstabilisant... Je ne sus que dire sur le moment puis la panique me prit aussitôt lorsque je me concentrai sur la question.

- Il rentre avec nous après-demain, annonçai-je en omettant le plus important.

Son expression changea alors et devint plus inquiète, plus frustrée. Je ne voulais plus subir à nouveau sa colère ; je remettais à mon père la charge de lui dire ce qu'il avait en tête. Après tout j'avais rien demandé... enfin presque !

Nathanael avait eu raison depuis le début : il était question de choix, ça avait toujours été ainsi. C'était soit mon père, soit mon frère, non les deux. Je comprenais quelque peu la colère de Nathan car elle était justifiée mais celle de mon père n'avait aucun sens. S'il avait fait quelque chose de mal, une erreur qu'il disait regretter, alors pourquoi n'avait-il pas l'air de vouloir se rattraper ? Il avait beau le prétendre auprès de moi, je pensais plutôt le contraire. Son fils était en train de se détruire et tout ce qu'il était capable de faire c'était de me tirer loin de cette réalité et me dire de ne pas me retourner.

- Joyce, je te parle ! se plaignit mon frère.

- Désolée...

Baissant la tête, mon attention se porta à présent sur la même cicatrice le long de ses côtes qui m'avait causé des problèmes la veille. Encore plus imposante de près... Je n'entendais déjà plus les paroles de Nathan. Et j'oubliais davantage la réaction à laquelle j'avais eu le droit car automatiquement et bêtement, j'amenai ma main vers la tâche décolorée. Je me coupais, il se brûlait... L'auto-destruction devait être dans nos gênes. Sauf qu'à ma différence, lui participait aussi à ma propre destruction.

Cette fois, quand mes doigts atteignirent sa peau il ne les retira pas. Il frissonna encore et parût même se détendre sous mon contact. Il avait fermé les yeux puis ses bras s'étaient peu à peu relâchés contre le matelas.

- Tu ne devrais pas te faire mal, persistai-je.

- Ça ne me fait pas mal.

Je relevai la tête vers lui ; il me regardait de ses émeraudes brillantes. Je vis son bras gauche bouger et quelques secondes après, je sentis sa main relever la mienne et ses doigts s'entrecroiser avec les miens. Il dût apercevoir mon étonnement car il lâcha un petit rire avant de reprendre un air grave.

- C'est ça le pire, tu vois ? Ça ne me fait rien, je ne ressens pas, m'avoua-t-il. Je préférais encore souffrir que de ne rien sentir alors je me suis fait ça, mais j'étais toujours aussi vide.

Je ne saurais dire si c'était l'étonnement de le voir se confier ou l'importance de son aveu mais je restai sans voix. Silencieuse alors que pourtant des tonnes de pensées se bousculaient dans mon esprit. Tant de choses à dire et aucuns mots pour les exprimer. Mon inertie dura un peu trop longtemps car Nathan eût l'occasion de se reprendre, de se rendre compte qu'il était sur le point d'en dire trop et surtout qu'il venait de me parler ne serait-ce qu'un peu de ses sentiments. Se redressant, il s'exclama :

- J'ai faim !

Je me redressai à mon tour. Nous regardâmes tous deux nos mains liées et nous mîmes un petit moment avant de vraiment se lâcher. Lorsque ses doigts s'éloignèrent enfin de ma main, il sortit précipitamment de la pièce. Lui qui refusait que je le touche la plupart du temps en avait à présent été gêné et non énervé... Il agissait de plus en plus curieusement et je n'étais pas capable de dire pour l'instant si c'était plutôt un bon ou un mauvais présage.

Je me mis sur mes pieds et me préparai pour aller rejoindre ma " demie-famille " qui se trouvait tout le temps dans le salon, quand Judd apparût à l'entrée de ma chambre. A ses côtés, se tenait aussi Jery qui brandissait vers moi un fil avec un pendentif rond en bois. Tandis que le plus grand était occupé à essayer d'attacher ses cheveux qui se faisaient de plus en plus longs. 

- On a deux cadeaux pour toi ! m'annonça Jery en avançant vers moi. 

Il me donna le tissu qui s'apparentait de plus prêt à un bracelet, monta sur mon matelas et comme tout enfant, se mit à sauter dessus. 

- Des cadeaux, pourquoi ? souris-je. 

- Pour ton départ ! s'exclama Judd maintenant devant moi. 

- Parce qu'on t'aime et que t'es gentille... Et que tu fais bien la cuisine, rigola ensuite l'autre microbe. 

Je roulai des yeux puis les posai ensuite sur l'objet que je tenais entre mes mains. Ce n'était pas le plus beaux des bijoux mais je compris que c'était sans doute eux qui l'avaient fabriqué. Sur le rond en bois, la sculpture « JJJ » me fit sourire. Si mon grand frère ne me faisait pas sentir à ma place, mes demi-frères le faisaient à la perfection. 

- J'aime beaucoup, merci ! lançai-je réellement contente. Judd, tu veux de l'aide ? 

Il acquiesça et alors que je lui attachai ses cheveux, il m'expliqua : 

- C'est papa qui nous a donné l'idée ! Il nous a dit qu'il nous a appelé Judd et Jery pour que ça aille avec Joyce...

Mes sourcils se froncèrent à cette aveu quelque peu étrange. Tout ce qu'il faisait avait l'air de me prouver un peu plus qu'il rejetait Nathanael. Choisir deux autres prénoms en fonction du mien ce n'était rien en soit mais ça donnait l'impression que j'étais finalement la seule qui comptait à ses yeux. Il y avait Nathanael, puis Judd, Jery et moi. 

- Merci ! Et le deuxième cadeau se trouve dehors, t'es prête ? 

Je me glissai dans des chaussures plus confortables avant de me faire entraîner dehors par ma baie-vitrée. La main accrochée à la mienne, Judd me tira à toute vitesse entre les buissons et Jery nous suivait en courant. Nous arrivâmes près des deux serres devant lesquelles se trouvait Gabin tout sourire. Qu'est-ce que ces trois là avaient encore prévu ?

- Gabin va t'y mener ! 

- Monte ! proclama le concerné en me tournant le dos. 

Je les regardai tour à tour les yeux ronds et surtout j'évaluai la hauteur de Gabin. Monter sur son dos serait une très mauvaise idée, je n'y arriverais même pas.

- Quoi ? Vous êtes malades ! Je suis capable de marcher, protestai-je. 

- Allez s'il-te-plaît Joy, c'est plus marrant et ça ira plus vite ! m'assura maintenant Jery. Ça va bientôt commencer !

Je ne savais pas de quoi il parlait mais je voyais comme ils avaient l'air tous impatients... Si pour une fois j'avais l'occasion de ne penser à rien, d'arrêter de réfléchir et de m'amuser alors j'allais le faire. Râlant une dernière fois tout de même, je m'approchai de Gabin qui après m'avoir adressé un dernier sourire, se tourna à nouveau. 

- Allez ! trépignèrent d'impatience mes demi-frères.

Ils observaient tous deux le ciel et je m'aperçus seulement à ce moment comme le paysage était teintée de cette couleur orangée qui précède le coucher de soleil. C'était donc ça ! Cette fois impatiente de savoir où ils comptaient m'emmener pour assister à cela, je grimpai sur le dos musclé du malgache. J'accrochai son cou de mes bras et il soutint mes jambes de ses bras. Je n'avais jamais été aussi proche de lui, c'était quelque peu embarrassant. Du moins seulement pour moi car lui eût l'air d'en faire abstraction, se mettant tout de suite en route.

Nous sortîmes tous du jardin et remontâmes en direction de la dune, traversant un chemin colossal dans lequel j'aurais bien eu du mal à avancer. J'étais finalement contente de me trouver à un mètre du sol sans rien avoir à faire. J'avais par contre un peu de peine pour Gabin qui devait porter le poids de nos deux corps bien qu'il ne donnait pas l'air d'en pâtir.

Une dizaine de minutes plus tard, nous arrivâmes finalement tout en haut de la dune qui surplombait une partie de la plage. Sur la droite en bas, on voyait parfaitement la villa de mon père et droit devant, sur des kilomètres, le canal du Mozambique et son splendide coucher de soleil. 

- Tu pouvais pas partir en manquant ça, me glissa Gabin.

Ce fut dans un calme total que l'on admira ce spectacle naturel, même les petits avaient réussis à se réduire au mutisme. Les minutes passaient... Et j'oubliais que je me trouvais sur le dos d'un garçon que je ne connaissais que depuis deux semaines, j'oubliais que mon frère était resté seul avec mon père et Soa, j'oubliais mes questions, ma douleur et tout le reste. L'instant même était magique et j'aurais aimé pouvoir me satisfaire d'aussi peu au quotidien.

Quand le soleil eût presque disparu, caché par quelques nuages et qu'il laissa derrière lui un rose nostalgique, Gabin fit demi - tour. Sans que je m'y attende, il se mit à dévaler la dune avec aisance comme si je n'étais pas là. J'entendais les cris de Judd et Jery qui nous couraient derrière et surtout les rires du malgache, mêlés aux miens. Ses pieds ne semblaient même pas toucher la terre tandis que moi, je m'y serai probablement enfoncée, maladroite comme j'étais. Il traça jusqu'à la plage sans s'arrêter une seule fois, risquant de me faire glisser quelques fois. Je croyais qu'arrivé sur le sable chaud, il allait enfin me lâcher mais non. Il avait tout de même ralenti et permettait ainsi à mes demi-frères de courir à nos côtés, leur parlant dans leur langue.

Au moment où il mit les pieds sur les planches d'un ponton d'une trentaine de mètres, je compris aussi pourquoi ils avaient tant insisté pour me mettre sur son dos. Ces mecs étaient mesquins ! Il arriva au bout en quelques enjambées et resserrant son emprise autour des mes jambes, Gabin sauta dans l'eau d'un bleu qui donnait à quiconque l'envie de s'y baigner ! 

Je remontai à la surface et me rendais compte que pour la première fois depuis longtemps, je riais aux éclats. Et à vrai dire à leurs côtés, depuis que j'étais arrivée, j'avais toujours été plus ou moins de bonne humeur. Alors si c'était l'endroit qui me rendait heureuse, cela voulait-il dire que c'était forcément l'endroit où je devrais vivre ? 

***

Trois jours plus tard - deux avec le décalage horaire, nous fûmes de retour à Houston... Les deux escales en présence de Nathanael et mon père avaient été dures mais pas catastrophiques. Le silence avait plané pour la plupart du temps, laissant résider la tension et la rendant même un peu plus haute à chaque seconde. Quelques fois mon frère avait lancé des remarques désobligeantes pour faire craquer mon père et ainsi en savoir plus sur la raison de sa venue. Mais le concerné s'était contenté de l'ignorer, il en était presque devenu muet, ne me parlant que lorsque Nathan s'éloignait. J'avais passé les moments les plus insolites de ma vie ! 

Et malgré ce que nous nous apprêtions tous à vivre dans les jours suivants, malgré mon angoisse de retrouver ma mère et Caleb, malgré ma vie qui allait reprendre son cours, j'arrivais contente. J'avais passé deux dernières journées dans la joie et la bonne humeur auprès de mes demi-frères et de Gabin et je n'étais pas prête de mettre ça de côté. J'étais comme revitalisée même si ça n'allait pas durer bien longtemps. 

- Ah je dois y aller, on est venu me chercher ! déclara Nathanael en regardant vers la sortie. 

Je suivis son regard et remarquai qu'une jeune fille à la peau mate restait plantée là, le regard visé aussi dans notre direction. Mon frère se tourna vers moi, posa sa main sur mon bras et me dit : 

- Je serai pas là ce soir, ni demain sûrement ! Tu dis à maman de me foutre la paix et de pas m'appeler ok ?

Je me contentai d'un simple et discret hochement de tête tandis qu'à ma gauche mon père lâcha un soupir de consternation. Un sourire empli de fierté illumina le visage de Nathan ; il asséna cependant un rapide regard sombre à " Kenneth ". Comment réussissait-il à être souriant puis mécontent en même temps ? 

- Et tu fais attention à toi, finit-il d'une voix rauque. Reste pas trop à la maison, on sait jamais ce que tu pourrais voir...

Je tournai soudainement la tête vers mon père pour voir son visage blanchir. Je prenais compte dorénavant du moindre mot que sortait Nathanael car il faisait de plus en plus allusion à leur secret. « On sait jamais ce que tu pourrais voir », une phrase qui ne faisait que me perdre davantage dans mes hypothèses. 

Après avoir, comme il le voulait, soulevé la tension, mon grand frère s'en alla à grands pas. Mon père et moi le regardâmes silencieux s'approcher de la métisse comme s'il s'apprêtait à retrouver le grand amour de sa vie. Arrivé près d'elle, il l'enlaça d'un geste gracieux et ils partagèrent tous deux un baiser sauvage. C'était donc elle Vanessa ? Qu'en était-il alors de la blonde sur les photos ? S'il changeait de "copines" comme il changeait d'humeur, sa vie devait être assez mouvementée. 

- Tu ne cours pas retrouver Caleb toi ? ricana mon père. 

- Quoi, tu veux te débarrasser de moi ? 

Il détourna le regard alors que nous nous dirigions vers l'autre sortie, là où était garée la voiture de son ami. J'avais plus que hâte d'arriver à Angleton, puis chez moi et de m'allonger dans mon lit pour une durée indéterminée. Le lendemain, je devais voir Olivia pour la fameuse après - midi shopping. Je n'avais pas vraiment eu le choix car lorsqu'elle m'avait envoyé le message pour me proposer c'était Nathanael qui y avait répondu. Elle avait ensuite été si emballée que je n'avais pas encore osé annuler mais j'avais encore quelques heures pour y penser.

- Tu sais ton frère a peut-être pas tort pour une fois, reprit mon géniteur, je serai à la maison pour discuter avec ta mère... Ça ne sera pas très joyeux. 

La journée avec Oli n'était finalement pas si mal... 

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Hello ! Chapitre qui fait légèrement avancer les choses, qui vous fera peut-être aussi changer votre jugement sur les personnages. Team Nathanael / Team Kenneth ? :3 Ou Team Joy qui part vivre toute seule au fin fond de la jungle ?  J'espère que vous avez aimé, n'hésitez pas à me donner votre avis, j'attends ça avec impatience comme d'habitude. :)

Ah oui et je tenais aussi à préciser, même si vous l'avez sûrement remarqué par vous mêmes, j'ai choisi de ne pas traiter la pauvreté comme j'avais prétendu vouloir le faire avant ! Je me serais trop embrouillée et surtout, je ne savais pas comment caler ça... Je l'ai juste évoqué avec le problème de Soa - qui refera surface plus tard dans l'histoire.

Byeeeeeee !

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