Chapitre 13
« Can't you see that we all fall down sometimes ? »
- Sois gentil avec papa.
Il hocha la tête mais n'avait pas l'air d'avoir réellement compris mes paroles. Je vis Jery s’avancer vers nous d'un pas rapide tandis que Judd s'était rapproché de mon père, avait-il senti lui aussi ? Nathanael venait de poser une ambiance insupportable dans toute la maison, mon corps en frissonnait déjà.
- C'est toi Nathanael ? demanda le benjamin que rien n'arrêtait.
- Non, moi j'suis son jumeau venu d'une autre planète, rétorqua mon frère.
Je vis que mon père, à présent debout, s'apprêtait à riposter mais Jery, vêtu d'un sourire, reprit la parole avant :
- Quelle planète ?
Nathanael parût désarçonné par la question, balbutia quelques maigres mots puis finit par abandonner. Un léger sourire se dessina aussi sur ses lèvres et je compris que Jery venait de gagner son cœur. Il serait sûrement, avec eux, le grand frère génial.
- Donc tu es Nathanael, et bah moi c'est Jery. Mais pourquoi tu viens que maintenant ?
Mon père était à présent à côté de Jery, accompagné de son autre enfant. Il secoua les cheveux du dernier, lui fit remarquer d'un air moqueur qu'il parlait trop puis reporta son attention sur Nate. Je sentais qu'aujourd'hui, il n'était prêt à endosser ne serait-ce qu'une seule reproche de mon frère et j’espérais que ce dernier n'en ferait pas. Même si ça finirait par me faire souffrir, me plonger dans le mensonge, il fallait que mon frère se comporte bien auprès de mon père pour le convaincre qu'il devait être aidé sans en passer par la justice et que je ne me trompais pas en voulant le faire.
Judd se présenta pour ensuite laisser place à un silence suprême, pendant lequel les jeux de regards étaient lancés. Mon père nous regarda Nathan et moi simultanément puis finit par laisser traîner ses yeux brunis sur moi, ayant l'air de s'assurer que j'allais bien. J'imaginais qu'il avait dû compter les minutes et même les secondes depuis que j'étais partie chercher Nate. Il finit par se tourner vers ses enfants et les congédia, annonçant par la même occasion qu'il allait amener Nathanael à sa chambre. Il se dirigea alors vers la partie gauche de la maison, là où se trouvaient sa chambre et celle de Jery et j'étais quelque peu soulagée de savoir que mon frère se trouverait le plus loin possible de ma chambre. Encore plus soulagée de posséder un verrou sur la porte de celle-ci, il ne pourrait me rendre visite durant la nuit comme il avait pris l'habitude de le faire dernièrement. J'étais en fin de compte un minimum en sécurité, ici. Arrivés devant la chambre d'ami, mon père s'adressa cette fois-ci à moi :
- Je voudrais parler à ton frère, tu veux bien nous laisser deux minutes ?
Ses paroles me firent immédiatement paniquer. L'idée de les laisser seuls, eux et leur colère respective, ne m'enchantait pas du tout. Je secouai la tête et mis un pied dans la pièce, m'imposant avec ténacité. Face à mon comportement, Nathanael afficha un minuscule sourire machiavélique, comme s'il était fier de me voir aussi indocile, cependant il me fit tout de même signe de sortir.
- Votre discussion peut attendre, avançai-je, il vient tout juste d'arriver !
- Non le plus tôt nous parlerons, le mieux ce sera ! assura mon père.
- Pour une fois, je suis d'accord avec Kenneth, intervint Nate. Tu devrais nous laisser... parler.
- Parler ? insistai-je.
- Parler ! reprit-il alors que son sourire s'agrandissait. Tu insinuerais quoi ?
Mon père lui lança un regard plein de reproche, en même temps que moi. Le concerné ignora notre réaction, posa sa main dans mon dos et me poussa hors de la chambre avec une délicatesse qui lui était singulière. Ils entrèrent tous deux et avant que je n'ai eu le temps de jauger l'« état nerveux » de chacun, mon géniteur ferma la porte. J'hésitai un moment à partir puis je finis par rester exactement là où j'étais, collée à la porte, en espérant capter quelques bribes de leur conversation. Les murs n'étant pas très épais, la tâche ne fut pas difficile.
- Je suis content de t'avoir à mes côtés, débuta tout de suite mon père, et j'aimerais que ce soit réciproque mais je ne suis pas dupe. Alors je te préviens : ne fais pas l'idiot ! Autrement, je ferai en sorte que tu ne sois plus amené à voir Joyce, ou même qui que ce soit.
- Quand elle saura le fabuleux géniteur que tu es, ironisa Nathanael, je crois que ce sera toi qui ne sera plus amené à la voir.
- Ça te plairait hein ? Ne plus m'avoir dans tes pattes pour continuer d’anéantir ta sœur comme tu l'as toujours fait jusque là.
- L’anéantir ? Tu veux savoir ce que j'ai toujours fait ? Être là pour elle parce que tu ne l'étais pas, cracha mon frère. J'étais là quand petite, elle voulait jouer avec ces satanés poupées, quand elle se sentait seule, quand elle a connu sa première dispute. Et plus grand, j'étais là quand elle avait besoin d'un conducteur pour aller voir sa meilleure amie, j'étais là quand elle est rentrée en pleurant parce qu'un connard de sa classe l'avait insulté, et aussi pour lui dire de faire attention avec son putain de mec qui lui tournait autour. Oh et j'étais là aussi pour remettre en place ce même mec parce qu'il se comporte mal avec ta fille... avec ma sœur. Alors s'il-te-plaît Kenneth, ne viens pas me dire que je l’anéantis car tout ce que je fais, c'est essayer de tenir le rôle que tu ne mérites pas.
Le rire forcé et sarcastique de mon père brisa la tension, que je sentais même à travers le mur.
- Si le rôle consiste à s'en prendre à elle et lui faire croire que ce n'est pas si grave alors je suis content de ne pas le mériter, haussa-t-il en retour.
Et, à peine eût-il le temps de terminer sa phrase qu'un grand fracas explosa. La voix de Nathanael gronda et sembla même faire trembler chaque cloison de cet habitat mais je ne réussis pas à comprendre un seul mot de sa phrase. Sans prendre le temps de réfléchir, de peser le pour ou le contre, j'entrai dans la chambre et les aperçus à quelques mètres l'un de l'autre. Rien ne semblait avoir bougé dans la pièce hormis le tableau, normalement accroché sur le mur devant lequel mon frère se trouvait avant que je les laisse. Il était dorénavant près de la baie - vitrée, comme s'il s'apprêtait à partir. Ils étaient tous deux en colère mais mon père ne l'était pas autant que Nathan, ce dernier étant sur le point de se défouler sur n'importe qui... Il lui fallait juste quelqu'un. Alors, ça m'étonnait de le voir en train de fuir, donnant presque l'impression de se battre contre lui-même pour se retenir, pour ne pas faire de mal à notre père... Quand ses yeux se posèrent sur ma personne, ils semblèrent s'assombrir et tandis qu'ils s'attardaient ensuite sur mon père, son index se pointa vers moi. Il cracha alors :
- Je sais ce que tu es en train d'essayer de faire et je ne tomberai pas aussi bas que toi !
Après ces quelques mots, il laissa tomber son bras contre son corps et s'approcha de son interlocuteur.
- Franchement, merci pour l'accueil... papa ! finit-il en s'en allant ensuite par le jardin.
Le dernier mot était sorti avec un immense mépris, une once de dégoût et une haine incommensurable. Une haine que rien, ni personne ne semblait pouvoir guérir. Le problème de Nathanael, c'était notre père, ça l'avait toujours été. Bien qu'il ne soit aimable avec aucun de nous, j'avais très vite compris que sa plus grande source de colère, après moi, c'était notre père. J'avais alors bien du mal à croire que le géniteur adorable auquel j'avais le droit, avait un jour pu faire du mal à Nathan d'une quelconque manière. Et si ce n'était que Nathan qui s'était enfermé dans sa colère, dans son monde ? Et si c'était mon père qui jouait parfaitement son rôle ? J'avais toujours été dans cet entre-deux, au milieu de ces deux hommes qui avaient à présent l'air de se battre pour gagner ma confiance. Je devais choisir, un jour ou l'autre, je devrai faire ce choix fatidique entre les deux. Mais qu'importe ma décision, je savais déjà que je ne laisserai jamais tomber Nathanael...
Sans un regard pour mon père, évitant ses reproches silencieuses, je suivis mon frère. Il était sorti du jardin, passant entre les buissons, et descendait maintenant vers le canal du Mozambique, le pas lourd. Malgré ma peur, je décidai de le rejoindre à grands pas. Lorsque j'arrivais à quelques mètres de lui, il s'assit brutalement sur le sable brûlant. Nous étions seuls sur cette partie de la plage et les seules personnes que j'arrivais à distinguer ne se trouvaient qu'à un bon kilomètre de là, n'étant que des tâches noirs lointaines. J'analysais ensuite la distance qu'il y a avait entre la maison et là ; si Nathanael levait la main sur moi, je n'avais aucun moyen d'y échapper. A cette pensée, je voulus presque prendre mes jambes à mon cou mais mon regard resta accroché à Nathan, vêtu d'une expression nouvelle. Une indéchiffrable. De la peine peut-être ? J’aspirai une bonne bouffée d'air chaud puis partis m'asseoir à sa droite. Je me ressassai les mots qu'il avait dit à mon père, le ton avec lequel il les avait dit...
- Il savait que tu étais restée derrière la porte, il voulait que je lui pète la gueule... commença-t-il les dents serrés. Il n'attendait que ça, que tu rentres et que tu me vois en train de détruire sa gueule d'enfoiré. Pour te donner une raison de me haïr un peu plus !
- Mais tu ne l'as pas fait... lui rappelai-je.
- J'aurais dû ! Il me provoque depuis qu'il est venu te chercher ! La prochaine fois, je ne me retiendrai pas...
- Tu as réussi une fois, alors pourquoi pas une fois de plus ?
Il tourna lentement la tête vers moi, je vis sa pomme d'Adam descendre et remonter avec ralenti le long de sa gorge et j'eus tout de suite aussi du mal à déglutir. Tout l'air de Madagascar semblait avoir été aspiré, me laissant effrayée face à mon bourreau. Le ralenti s'était désormais transformée en une pause dans le temps, pause de la vie. Plus aucun bruit, mis à part ma propre respiration. Même celle de Nathan me paraissait inexistante. Il n'y avait que ses yeux brillants qui me tenaient à la réalité, qui me faisaient comprendre que je n'étais pas en train de rêver, de paniquer... Alors quand il leva la main vers moi, même doucement, j'eus un léger mouvement de recul qui fût inutile car ses doigts tièdes atteignirent tout de même ma joue. A ce moment, la chaleur de sa main me donna à la fois un bien-être total et une crainte infime, si bien que je ne bougeai pas.
- Il faut que tu arrêtes de faire ça, Joyce... murmura-t-il.
- De... de... faire q-quoi ? m'emmêlai-je.
Ses yeux dévisagèrent lentement mon visage de haut en bas, s'arrêtant vers mon menton et y restèrent plantés un moment, puis Nathan finit par m'adresser un sourire pincé. Son pouce caressa furtivement ma pommette et retournant son visage vers l'étendue d'eau, sa main amena ma tête contre son épaule d'une légère mais résistante pression. Collée à lui, j'admirai le paysage qui nous faisait face alors que tout, autour de nous, reprenait vie. Je profitais de sa présence, cette fois, apaisante. De ce simple geste affectif duquel j'avais été privée depuis de longues années. Je m'attendais à un changement de comportement de sa part mais non à un revirement de situation aussi brutal... À partir de cet instant, j'étais certaine de devoir m'attendre à tout durant ce séjour : les plus beaux moments comme les plus terribles.
***
Nous étions rentrés de notre endroit paisible après y avoir passé plus de deux heures dans un calme qu'aucun de nous deux n'avaient essayé d'interrompre. Il était ensuite parti se reposer pendant que j'avais aidé mon père à cuisiner, accompagnés d'un silence qui était cette fois glaciale. Il donnait l'impression de m'en vouloir mais j'avais deviné qu'il était uniquement énervé de devoir supporter à longueur de journée la bombe à retardement qu'était son fils. De plus, depuis que Soa était absente - soit depuis 4 jours, il s'était davantage fermé sur lui-même. Même avec ses deux garçons il n'arrivait pas à se débarrasser de cette dureté, leur faisant sentir, malgré lui, sa peur.
- Quand est-ce que tu vas reprendre le travail à la serre ? lui demandai-je alors que nous nous apprêtions à passer à table.
- Je ne sais pas, quand Soa sera là sans doute.
- Et où est-ce qu'elle est ? quémanda une voix raillée.
Nous tournâmes la tête vers le propriétaire de cette voix, Nathanael, qui se tenait à l'entrée du jardin. Ses cheveux dégoulinaient encore d'eau contre son front, mouillant au fur et à mesure son débardeur. Quand bien même, il n'avait aucun « spectateurs » ici, il se tenait avec une allure admirable. Capable de détrôner n'importe quel roi par la simple puissance de son regard. Mon père parût en être déboussolé tout autant que moi car il mit un petit moment à répondre :
- Chez son père.
Il se retourna vers la table, faisant dos à Nate, et fronça les sourcils exagérément. Mon frère s'avança et prit la place que mon père lui assigna d'un vague geste de la main. En diagonale de la mienne, à mon plus grand bonheur... Je n'aurais pas trop à supporter ses émeraudes.
- Qu'est-ce qu'ils font... marmonna mon père, je vais chercher les garçons.
Dès qu'il rentra dans la maison, je me fis la plus petite possible dans ma chaise tandis que Nathanael semblait s'être redressé et se grandir petit à petit. Il se mit à taper son portable contre la table en bois sans s'arrêter, créant un bruit insupportable. Il faisait cela pour jouer avec mes nerfs et bien évidemment me mettre à bout toutefois je me forçai à ne pas réagir. Pas même à lever le regard vers lui, comme s'il était à présent transformé en une version masculine de Méduse. Puis, du coin de l’œil, je le vis attraper une des bougies que mon père avait distraitement posé le long de la table. Nathan réussit au moins à attirer mon regard car je ne le quittai plus des yeux à cet instant et lui n'avait que pour centre d'intérêt, la légère flamme dansante. Ses émeraudes étaient baignés d'une lumière à la fois brute mais aussi lénifiante. J'avais en effet cette peur qui s'éveillait en moi et ce plaisir qu'il semblait partagé avec moi. Nate avait ces yeux baignés de passion, de fascination et presque d'envie. Et je fus surprise de le voir quitter cette flamme du regard, pour poser celui-ci sur moi. Un petit rictus déforma ses lèvres et il contempla à nouveau la bougie.
- Comment va Caleb ? m'interrogea-t-il d'une voix quasi-inaudible.
- Très bien, lâchai-je tout de suite.
- En espérant que ça dure... Et qu'il n'entende plus parler de moi.
Je me redressai, tapant du pied contre le sol.
- Tu as dit que tu ne le toucherai pas ! rétorquai-je la gorge sèche.
- Oui et je ne l'ai pas fait, quand tu me l'as demandé. Je n'ai pas dit que je ne le toucherai plus, tu vois la différence ?
Je soufflai et échappai à son regard, fixant distraitement l'intérieur de la maison. Que faisaient mon père et ses gosses ? Pourquoi ne venaient-ils pas couper court à cette conversation qui aboutirait seulement à la colère de Nathan ? Ce dernier poussa la bougie de côté et s'appuya sur la table. Je ne l'observai toujours pas, pourtant je pouvais saisir le moindre de ses gestes. Je sentais même ses yeux me brûler la peau.
- Joyce, débuta-t-il d'une voix autoritaire, si ce mec là t'emmerde, je ne vois pas pourquoi tu continues de perdre ton temps avec lui. Il ne te rend pas heureuse, il te traite comme une sous-merde, te fait croire que tu vaux moins que toutes ces filles prêtes à donner leur cul... Et tu vas me dire, que tu aimes réellement ce mec ?
Ses paroles ne rentraient pas dans l'oreille d'une sourde, ils étaient lourds et indestructibles. Je savais que je ne les oublierai pas, que je passerai probablement le reste de ma soirée à cogiter dessus. Je le savais car ses mots n'étaient que le reflet de ma propre conscience, que je tentais tant bien que mal d'ignorer. Caleb n'était pas le copain parfait mais je l'aimais, et alors ? Après tout, je faisais la même chose avec Nathanael.
- On peut changer de sujet, s'il-te-plaît ?
- Tu sais, m'ignora-t-il, un petit-ami est censé être une personne avec qui tu passes du bon temps, qui sait prendre soin de toi et non, qui te blesse constamment.
- Et il en va de même pour un grand frère...
Il était le premier à donner des cours sur le comportement qu'un père ou un petit-ami devait avoir mais il n'était même pas capable de tenir son rôle à la perfection. Ne voyait-il pas qu'il était celui qui me causait le plus de souffrance ? Ce n'était pas mon père, ni Caleb, c'était lui. Il rejetait sans cesse la faute sur les personnes qui m'entouraient, y compris ma mère, comme s'il était aveuglé par ses propres défauts.
Ma remarque qui aurait dû l'énerver, laissa plutôt place à un silence gêné si bien que je me demandai un moment s'il l'avait entendu. L'arrivée de mon père, Jery et Judd ne me laissa pas réfléchir plus longtemps. Les voix des petits animèrent très vite le repas avec une discussion sans importance, à laquelle mon père et Nathanael participaient tout de même. De mon côté, je me contentai de contempler mes demi-frères... Ils adoraient déjà Nate ; Jery innocent comme jamais lui donnait toute sa confiance tandis que Judd bien que détendu, gardait une certaine distance.
- Je vais me coucher, lança Nathan en se levant. Joyce, c'était très bon, tu devrais cuisiner plus souvent à la maison !
Il avait dit ça avec un sourire provocateur qui réussit à me crisper en l'espace d'une seconde. Je levai les yeux au ciel et il s'en alla, débarrassant au passage quelques couverts - chose qu'il ne faisait jamais ou bien très mal, de manière à énerver ma mère. Après avoir été à la cuisine, je le vis ensuite traverser le salon, d'une allure toujours sans reproche. Quand il fut hors de vue, j'eus l'impression que tout le monde relâcha le souffle que l'on avait retenu tout au long du dîner.
- Pourquoi il a des yeux verts et pas toi ? questionna immédiatement Jery.
- Pourquoi tu as les cheveux bouclés et ton frère a les cheveux lisses ? répondis-je en souriant.
- Parce qu'il est nul !
Je rigolai doucement alors que Judd se plaignait déjà, critiquant son jeune frère à son tour.
- Nathanael a les yeux de votre grand-père, nous informa finalement notre père.
- Ton papa à toi ? continua Jery, pas sûr d'avoir tout saisi.
Alors mon père hocha la tête et se fut la fin de la discussion. Après quelques temps, nous rangeâmes et tour à tour nous partîmes dans nos chambres. Une fois dans mon lit, j'envoyai un message à Caleb pour avoir de ses nouvelles puis je restai dans le noir, sentant que cette nuit serait sans sommeil pour moi. Savoir que Nathanael n'était qu'à quelques mètres de ma chambre, cassait la sécurité que j'avais pourtant ressentis dans cette pièce depuis que j'étais arrivée. Maintenant qu'il n'était plus à des milliers de kilomètres, les murs me paraissaient trop fin, la porte pas assez forte... Rien n'était assez puissant pour empêcher le danger qui menaçait.
Une notification sur mon portable me fit sursauter violemment contre le matelas. J'allais devenir paranoïaque si je continuais ainsi. A cette pensée, je souris et attrapai mon portable pour regarder la réponse de Caleb. J'étais déjà étonnée de voir qu'il avait répondu aussi vite alors quand je lus les quelques mots, je ne pus restée que la bouche-bée avec un semblant de sourire.
« Ça va mieux. Tu m'manques, tu rentres quand ? »
Comme je croyais en la possible guérison de Nathanael, je voulais croire à la relation que j'entretenais avec Caleb. Même si elle n'était pas basée sur un vrai amour, même si elle était vouée à foncer dans le mur, même si à la fin j'en sortais perdante. J'aurais au moins essayé et il ne resterait plus rien de mes regrets. Parmi ces pensées naïves, surgit la question de Caleb à laquelle je ne savais répondre finalement. J'avais oublié la date de mon retour, et ça me fit penser que je ne connaissais pas non plus celle de mon frère. Et s'il rentrait avant moi ? J'aurais au moins un dernier temps de repos avant de retourner à ma terrible vie. Et s'il rentrait après moi, alors je pouvais être sûre qu'il allait semer le chaos entre mon père et moi mais surtout rendre encore plus noire leur relation.
Je répondis à Caleb, oubliant déjà les mots de mon frère à son propos, et s'en suivit une longue discussion qui m'occupa toute la moitié de la nuit, jusqu'à ce qu'enfin de compte je trouve le sommeil. Un sommeil rythmé des pires cauchemars, de réveil en sursaut au moindre bruit mais un sommeil quand même... C'était ridicule de constater à quel point Nathan avait rendu chaque choses du quotidien, chaque banalités, dures à vivre.
***
Le lendemain matin et midi se déroulèrent dans la même ambiance que la veille, soit dans un calme ambiguë. Jery et Judd avaient aussi participé à ce calme, chuchotant presque à certains moments. C'était du moins le comportement qu'ils avaient abordé avant que Nathanael leur propose de faire une partie de football il y a une heure. Alors depuis, les cris des garçons avaient envahis le jardin et la maison. Mon père, en état de décomposition dans le canapé, n'allait pas lui avouer mais il était bien reconnaissant du geste de Nathanael.
- Les mecs vous allez me tuer, on fait une pause ! lança ce dernier en arrivant au salon.
Il s'assit sur la chaise haute du bar et se servit plusieurs verres d'eau à la suite. A l'observer ainsi, on pouvait facilement dire qu'il était ici comme chez lui. Le jour où Nathanael se comporterait avec gêne n'existerait jamais. Judd et Jery arrivèrent ensuite, se précipitant déjà sur leur père.
- Papa on a battu Nate ! se vanta l'aîné.
Il fit semblant d'être étonné et les laissa gentiment déballer leur flot de paroles. Une ombre apparût près de la baie-vitrée, je relevai la tête et découvris Gabin posté dans l'embrasure, un pied dedans et un autre dehors. Il portait aujourd'hui un débardeur et un short, exposant ses bras et ses jambes à la belle peau brune. Il entra dans le salon mais lorsqu'il remarqua la présence de Nathan, il eût un mouvement de recul. Prêt à s'enfuir et cette fois, 'il n'avait pas complètement tort de vouloir le faire. Plus il restait éloigné de mon frère, mieux c'était pour lui.
- Gabin, viens entre ! l'invita mon père, sentant sa réticence.
Il ne répondit pas, bien trop concentré sur Nathanael pour pouvoir écouter. Je le vis se crisper de plus en plus alors que son corps restait pourtant immobile. Ses yeux ne semblaient vouloir lâcher Nate pour aucune raison, et je devinais que non seulement le problème était la présence d'une personne qui lui était étrangère mais qu'en plus cette personne occupait sa place habituelle. Je sondai mon père du regard, m'attendant à ce qu'il agisse avant que ça ne dégénère mais il ne fit rien, observant aussi le comportement de Gabin.
Mon frère tourna enfin la tête vers lui au bout d'une poignée de secondes et de là où j'étais je ne pouvais voir l'expression de son visage. Ils se regardèrent un moment puis Nate pivota vers nous, étonné.
- C'est qui lui ?
- C'est Gabin, m'empressai-je de répondre, il travaille avec papa.
- Et il est parfaitement capable de se présenter lui-même, ajouta mon père.
Nathanael haussa les sourcils et fit de nouveau face au malgache.
- Nathanael, le grand-frère de Joyce ! lâcha-t-il avec dédain. Qu'est-ce que t'as à me fixer comme ça, Gabin ? T'as jamais vu un blanc de ta vie ?
Je m'apprêtai à intervenir mais mon père posa sa main sur mon bras, m'empêchant de me lever et même de parler. Je lui lançai un regard confus, voulait-il que Nathan blesse Gabin ? Il n'était pas uniquement fort avec ses poings, il l'était aussi avec ses mots.
- Réponds ou bouges de là, restes pas planté ici à me regarder comme un taré !
Le calme duquel je m'étais plainte quelques minutes avant, me manquait aussitôt. La tension était extrêmement haute ; j'appréhendai leur réaction, ils étaient tous deux imprévisibles. Alors quand Nathanael se leva de sa chaise pour faire face à un Gabin, empli de nervosité, j'échappai à l'emprise de mon père et me dirigeai vers eux. Si Gabin avait le corps imposant alors Nathan, avait lui, l'attitude. Et l'attitude, qui découlait du mental, était malheureusement plus forte que le physique.
- Tu comprends ce que je te dis ou pas ? enchaîna-t-il.
N'ayant toujours pas de réponses en retour, Nathanael parût quelque peu déboussolé mais cela ne fit qu'accroître sa colère. Il passa une main sur son visage, appuya sur ses yeux d'un geste typiquement automatique et fit un minuscule pas en arrière. Son regard avait changé, il était habité d'une lueur machiavélique face à laquelle mon cœur s'enflamma. J'étais comme pétrifiée à un mètre d'eux, oubliant pendant un instant que j'étais là pour les séparer. Les prunelles de mon frère m'absorbaient, m'obligeaient à me plier sous cette terreur que je ne connaissais que trop bien. Il était seulement question de temps là et de réactions, en l’occurrence celles de Gabin.
- Bouges de mon chemin, souffla-t-il comme un dernier avertissement.
Je comblai la distance et me postai face à Nathanael, le suppliant du regard avant d'insister :
- Arrêtes s'il-te-plaît.
Ma voix tremblait, j'avais l'impression de m'entendre le supplier à chaque fois qu'il s'en prenait à moi. Nous étions tout près, mon corps presque collée contre son torse et ses yeux n'avaient jamais été aussi proches qu'aujourd'hui. Ses yeux... Brillants. Menaçants. Je venais de m'exposer, pour sauver la mise de Gabin : soit j'étais folle, soit j'étais trop gentille. J'échappai à cette torture et me tournai vers l'autre jeune homme, qui lui avait l'air tout sauf en colère.
- Gabin, c'est pas...
J'avais commencé à amener ma main vers son bras mais il l’attrapa violemment à mi-chemin, serrant trop fort, mais inconsciemment, ma brûlure. Je laissai échapper un gémissement de douleur étouffé qui provoqua la pire réaction possible de la part de mon frère : passant devant moi en une enjambée, il repoussa avec force, le malgache près de la baie-vitrée.
- Ne la touche pas ! Hurla Nate, plus qu'en colère.
Mon père apparut tout de suite, quoiqu'un peu en retard à mon goût, devant nous, barrant au cas où l'accès à Gabin.
- Mais bordel Nathan, qu'est-ce qu'il t'arrive ? s'indigna-t-il les yeux ronds. T'énerver pour si peu ? Il n'a pas voulu lui faire de mal, ça n'aurait pas été le cas d'ailleurs si elle n'avait pas cette blessure que tu lui as faite.
- Je veux pas savoir, continua le concerné avec fermeté, il n'a pas à la toucher. Compris ?
- C'est pas possible...
Le soupir de mon père parcourut toute la salle et fut bientôt rejoint par celui de Nathanael, qui suite à cela, se dirigea vers sa chambre. Encore une fois, il fuyait au lieu de déverser sa colère... Devrais-je m'en réjouir ou m'en alarmer ? En colère, il était déjà bien assez incontrôlable, alors qu'en serait-il lorsqu'il relâcherait tout ce qu'il s'efforçait à garder depuis ? Je préférais ne pas imaginer car ça s'annonçait mal, très mal, horrible. Pour lui et pour moi, qui serait la victime.
Deux paires de yeux avaient depuis observé la scène sans un bruit, ceux de Judd et Jery, assis sur le canapé. Je voyais comme le plus jeune s'était légèrement rapproché de son frère et je me sentais terriblement désolée pour eux. Personne ne méritait de subir ce mauvais côté de Nathan, personne ne méritait de ressentir cette frayeur qui me hantait quotidiennement. Surtout pas eux, qui pour le moment construisait une image plutôt positive de leur grand demi-frère. C'était ce qu'il y avait de plus génial dans la jeunesse, les adultes faisaient tout le temps en sorte de nous protéger le plus longtemps possible de la cruauté de la réalité.
Gabin gagna sa place à présent libérée du méchant dragon et se ratatina sur lui-même, les épaules voûtées, la tête rentrée. Ses doigts se défoulaient contre sa balle en mousse ; son visage lui se déformait au fur et à mesure. Il était tout juste à côté de moi mais j'étais bien incapable de faire quoique ce soit pour le réconforter alors je m'assis uniquement sur la chaise d'à côté. Mon géniteur se chargea encore d'éloigner ses fils en les renvoyant jouer dans le jardin et vint auprès de nous. Il posa une main chaleureuse dans le dos de Gabin avant de se pencher légèrement vers lui :
- Ça va aller ?
Il avait posé la question comme s'il ne s'attendait pourtant pas à un retour. En réalité sa question sonnait plus comme une affirmation, un encouragement. Une manière de lui dire implicitement « Allez te laisse pas abattre par mon idiot de fils » et moi, j'étais bien prête à lui lancer : « Allez te laisse pas abattre par mon idiot de frère... »
Il contempla un moment le malgache qui nous avait coupé de son monde puis lui tapota le dos de sa main paternelle. Il passa ensuite dans la cuisine, s'affairant à des tâches inutiles sous mon regard frustré. J'accordai alors de nouveau, mon attention à Gabin. Il paraissait ne pas être sur le point de ce remettre de cette altercation, j'espérais au moins que ça ne restreindrait pas son envie d'être ici. Il se sentait si bien auprès de mon père et de mes demi-frères... Nathanael venait de prouver une énième fois qu'il pouvait faire basculer la vie et le bien-être d'une personne en un instant. Une phrase ; un battement de sourcil ; un rictus ; un regard fixe et vous étiez fichus.
- Je suis désolée, soufflais-je enfin, désolée pour le comportement de mon frère. Mais il ne faut pas que tu sois en colère, ça ne se reproduira plus.
Il se tourna vers sa gauche, de manière à me tourner le dos entièrement. Mon père me fit un signe de la main, me faisant comprendre de laisser tomber.
- Laissons le tranquille, me conseilla-t-il.
En le voyant me sourire ainsi, après m'avoir donné un tel conseil comme si Gabin était son fils, je relevai tout de suite comme mon père était tout de même attentionné. Pourquoi n'arrivait-il pas à faire les mêmes efforts avec Nathanael ? Pourquoi n'essayait-il pas de le comprendre ? De faire avec sa différence ? Il le condamnait d'avance sans prendre la peine de saisir ce qu'il se passait réellement. Personne n'avait l'air de le comprendre, pas même Nathanael - surtout pas lui, et c'était la raison pour laquelle je faisais autant d'efforts. Mais ça me tuait de voir que j'étais bien la seule à vouloir le sortir de cette spirale infernale.
Mon père hissa soudainement la tête, stoppant le geste qu'il s'apprêtait à faire. Il était à l'écoute... J'essayai de faire de même pour comprendre ce qui attirait autant son attention. Alors, et seulement maintenant, j'entendis le vrombissement qui devenait de plus en plus clair à percevoir. Il semblait longer la maison et finalement mener vers l'entrée, accompagné du bruit des graviers qui glissaient. Nous avions un visiteur, ou plutôt une revenante. Personne ne bougeait, même Gabin s'était mis à fixer la porte d'entrée sans avoir l'air de cligner des yeux une seule fois. Mon père restait, lui, immobile et je lisais sur son visage qu'il était tout aussi impatient qu'apeuré de retrouver sa femme. La question que nous nous posions tous : la retrouverait-il enceinte ou non ? Non en fait, j'étais la seule à me la poser car les deux hommes à mes côtés étaient sûrs de déjà connaître la réponse. Je voulais tout de même espérer, croire que lorsque Soamiary passerait cette porte - si elle le faisait, elle annoncerait à mon père qu'elle avait réussi à « sauver » leur enfant.
Très vite, des portières claquèrent, et des coups martelèrent la porte. Mon père retrouva tous ses esprits, se précipita à l'entrée et ouvrit abruptement la porte de sa maison. Il se retrouva face à sa femme, dont j'apercevais la mauvaise mine même d'ici, et un des hommes présent aussi la fois précédente. Celui-ci leur adressa quelques mots tandis que Soa se glissait déjà dans les bras de mon père puis sans attendre quoique ce soit, il fit volte - face et rejoignit la 4x4 noire garée en plein milieu du chemin.
- Maman ! s'écrièrent deux légères voix en français.
Jery et Judd traversèrent le salon à la vitesse d'un éclair et se joignirent au câlin de leur parent. Mon père tenait le visage de Soa en coupe, la submergeant de questions que je n'entendais pas de ma place et que je ne comprendrais sans doute pas. Son comportement ne faisait que confirmer ses paroles d'il y a deux jours : il l'aimait bel et bien. J'avais même l'impression qu'il l'aimait plus qu'il n'avait aimé ma mère bien que ce temps là me soit inconnu. Je n'avais pas eu la chance de voir ce même regard adressé à ma mère, des mots doux qui se voulaient discrets, des petits gestes attentionnés du quotidien... Rien de tout cela. C'était plutôt des menaces, des cris, des insultes à travers un saleté de combiné. Je n'étais pas jalouse, bien au contraire, mais quelque part ça faisait mal de voir la vie à côté de laquelle j'étais passée. La vie que je n'avais pas eu le droit d'avoir ; celle qui aurait peut-être fait de Nathanael une meilleure personne.
Mal à l'aise, je décidai de laisser la nouvelle famille Lewis et partis retrouver un des membres de ma piteuse famille... Nathanael. Depuis qu'il était arrivé, je ne cessais de lui « courir après », d'aller vers lui tout en redoutant sa réaction. J'avais cette envie de retrouver ce frère qui se faisait suppliant au téléphone, qui paraissait plus faible que moi à des milliers de kilomètres. Qui, malgré tout, avait besoin de moi.
Je toquai à sa porte mais le silence plana. J'entendis cependant du mouvement de l'autre côté du mur, me signalant sa présence. J'insistai alors, tapai plus longtemps et plus fort puis entrepris d'ouvrir la porte sans autorisation. Qu'importe ce qu'il adviendrait ensuite ! Je ne pourrais pas dire que je ne le méritais pas. Ma main attrapa la poignée et la serra de toutes ses forces tandis que mon cœur, en parallèle, se serrait aussi. Mes doigts tremblaient si forts que j'eus du mal à ouvrir la porte mais lorsque je réussis et que je la poussais jusqu'au bout, je le regrettai sur le champ. Mon frère était assis sur le lit, tapis dans le noir à l'instar d'un monstre. Il n'était éclairé que par la lumière du jour que je venais de laisser entrer. Ses yeux luisaient même dans la pénombre, je n'exagérais pas ! J'avais déjà la chair de poule pourtant j'avais cette envie là de rentrer, de faire face à Nathan, de le bousculer. Après les multiples coups et tortures, je commençais à croire que je n'avais plus grand chose à craindre. Je sous-estimais son esprit créatif mais ce n'était que par déni, je préférais me mettre cela en tête plutôt que de me mettre à imaginer ce qu'il pourrait inventer d'encore plus diabolique.
- Tu dégages, articula-t-il.
- Est-ce que tu vas bien ?
- Joyce, casse toi !
Ce n'était plus un avertissement semblable à une menace mais à une supplication... Si je restais alors nous savions tous deux comment ça allait finir. Lui, satisfait et moi en pleurs. Lui, au maximum de sa joie et moi, au fond de mon désespoir. Alors pourquoi restais-je plantée là ? A plonger mes prunelles dans ses émeraudes sans fins... Je devrais partir en courant, j'aurais dû le faire dès sa première phrase mais mes sentiments décidaient tout autre chose que ma raison. C'était comme si la peur m'avait déjà pétrifiée et que je n'étais plus maître de mon corps. Comme si, Nathanael avait déjà gagné en un regard et qu'en fait, ça ne devait - ça ne pourrait pas se passer autrement. Que j'étais destinée à souffrir pour son bonheur. C'était glauque, ça me donnait envie de crier, taper des pieds, pleurer.
- Casse-toi, répéta-t-il plus bas cette fois.
Il l'avait presque chuchoté et ne me regardait plus à présent. Sa main droite fit rouler un objet dans sa paume et ses doigts se serrèrent autour, précédent un clic et une flamme. Un briquet, qu'il amena avec sérénité contre son autre avant-bras. Allait-il se... ? Il caressa sa peau gentiment, en n'ayant aucune réaction, ne serait-ce qu'un léger recul, une grimace, un gémissement. Non rien. Juste des yeux soulagés.
- Arrêtes ça ! m'écriai-je en entrant.
Il ne m'écoutait pas alors je fis abstraction de mes jambes en coton, de mon cœur agonisant et je le rejoignis. J'attrapai soudainement son briquet mais il le tenait bien trop fermement pour le lâcher. Nous tirâmes chacun dessus.
- Lâches ça putain... se plaignit-il.
- Non ! Tu dois arrêter de faire ça !
Avec sa force incontrôlée, il me broya les os mais je réussis tout de même à prendre complètement le briquet et le glisser dans la poche arrière de mon short. Il se leva alors et se retrouva collé à moi, encore plus menaçant qu'avant. Il passa ses doigts dans ses cheveux et les tira tellement forts que je crus un instant qu'il allait se les arracher. Son autre main s'était fermé en un poing compact qui mettrait bien moins d'une seconde à m'atteindre s'il le voulait. Je reculai à grands pas, prenant seulement conscience à ce moment de la situation dans laquelle je m'étais fourrée. Il fût plus rapide que moi, comme à chaque fois, ferma férocement la porte et s'approcha à nouveau de moi, d'un pas presque félin. Si la panique m'avait empêchée de bouger quelques minutes plus tôt, désormais je n'avais qu'une seule envie : courir dans tous les sens, échapper à cette chaleur dangereuse que dégageait son corps à lui seul... Dans le noir, je n'avais au moins pas le droit à son regard paralysant mais j'arrivais tout de même à le sentir. Là, sur mon visage. Ma respiration devint suffocante et je me mis à le supplier, au travers de couinements irréguliers, de me laisser partir en lui promettant de lui rendre son briquet. Je ressentais tant de tristesse que la terreur ne faisait que décupler : Nathanael se brûlait, c'était alors comme mes mutilations... Et je n'avais encore vu son torse, cachait-il de terribles tortures personnelles ?
Quand sa main saisit bestialement mon poignée, enfonçant ses doigts dans mes veines, je me mis à pleurer. A la fois de douleur physique mais aussi morale. Mon frère souffrait et je n'étais qu'une incapable, qui ne faisait qu'empirer les choses.
- Tu vas me rendre ça, cracha-t-il.
- Je ne veux pas que tu te fasses ça, Nate... S'il-te-plaît...
Son visage se rapprocha du mien tandis qu'il me secouait en même temps. J'entendais comme sa respiration était saccadée, j'entendais et je sentais chaque détail qui me signalaient que ça allait arriver. Sa voix rugit à nouveau :
- Tu ne décides de rien, tu ne me donnes pas d'ordre. Tu obéis !
Je sanglotai de plus en plus fort, désespérée mais avant tout, à bout. Pourquoi faisait-il des efforts pour ne pas s'en prendre à mon père ? Et pourquoi alors ne les faisait-il pas pour moi ? Je méritais pourtant bien de recevoir tous ces efforts de sa part après ceux que j'avais fait de mon côté. Je désirais tant qu'il lutte pour ne pas me faire souffrir aussi, qu'il lutte pour me protéger de lui - même comme moi j'essayais de le faire. Je n'avais jamais ressentis douleur aussi grande, ça dépassait bien la rupture que j'avais frôlée avec Caleb, c'était plus poignant. Elle me pesait sur l'estomac, le rendant plus lourd à chaque seconde qui passait. Je commençais à croire bien au fond de moi que toute cette histoire était vouée à l'échec, et que rien ne changerait jamais. Notre vie était destinée à pourrir dans cet éternel cycle destructeur. Mais alors si l'un de nous deux devait être détruit dans cette fatalité, ça devait être moi.
Épuisée par la crainte, et les divers émotions qui me traversaient à ce moment, je perdis presque l'équilibre. Je ne ressentais à présent plus rien, c'était comme le néant à l'intérieur de moi mais ce vide ne servait qu'à appuyer ma tristesse. Bientôt, un mal de tête vint cogner mon crâne en parfaite synchronisation avec mes larmes. Dans un dernier geste de désespoir, comme un condamné à mort qui se jette dans les bras de son bourreau, je posai ma tête contre l'épaule de Nathanael. Ma joue trempée, collée à son cou brûlant et mes bras bientôt enlacés contre son torse. J'avais voulu avoir auprès de moi le Nathanael sensible mais en poussant cette porte, je venais de découvrir bien pire.
- Je t'en supplie, arrêtes...
Je sentis son corps tiède se tendre sous l'emprise de mes bras et il eût un léger mouvement de recul, pas assez grand pour se débarrasser de moi. Étonnement, sa main trouva le bas de mon dos pour ensuite me serrer contre lui. Il tremblait puissamment et j'avais l'impression de sentir son cœur battre à la folie, se mêlant parfaitement au mien. Le bruit du briquet, tombé sur le sol, se répéta sans fin dans ma tête alors que l'autre bras de Nathanael se croisait autour de mon dos. Il me gardait blotti dans ses bras un moment avec intensité comme s'il faisait ses adieux... Alors je compris. Ce n'était pas des adieux, mais des excuses... pour ce qu'il s'apprêtait à faire.
Je fermai les yeux, espérant avec toute la volonté du monde me retrouver loin d'ici pourtant les mains de Nathanael maintenant sur mes hanches me signalèrent avec arrogance que mon souhait n'était pas prêt de se réaliser.
Son souffle contre mon oreille. Un petit ricanement. Et je fus projetée en arrière.
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Hello, tout d'abord je suis vraiment désolée pour ce retard de.. deux mois ? Quand ce n'était pas un problème de temps, c'était un problème d'inspiration mais la voilà, la suite ! Je n'en suis pas vraiment satisfaite, la plupart des scènes importantes me semblent ratées mais bon... Je ne pouvais vous faire attendre plus longtemps, car à ce stade je bloque. J'espère néanmoins que ça vous plaira, de plus pour me faire pardonner ce chapitre était plus long que les autres ( vous pouvez quand même me lancer des tomates ) ! Byeeee :)
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