Chapitre 12

« Don't go, I can't do this on my own. »


***

Quelques heures plus tard, j'étais assise sur le canapé, mon ordinateur sur les genoux et j'étais plus occupée à regarder mon père qui jouait l'homme heureux auprès de ses garçons qu'à répondre aux messages d'Olivia et Preston. Ces derniers étaient d'ailleurs les seuls à vouloir prendre de mes nouvelles : la meilleure amie de Caleb me demandait des photographies du pays et me répétait surtout, sans cesse, que dès mon retour elle voulait que l'on passe une journée ensemble. J'avais été contrainte d'accepter cette journée shopping car elle m'avait d'abord proposé une soirée entre couples... Je n'étais pas sûre que son copain, Hugh, me porte vraiment dans son cœur et de plus, je n'étais pas certaine non plus de toujours former un réel couple avec Caleb. Alors j'avais réussis à négocier l'après-midi shopping et ainsi amortir les dégâts, ce n'était peut-être pas si mal de passer une journée avec elle.

Le meilleur ami de mon grand frère, de son côté, prenait seulement de mes nouvelles et m'avait aussi confié sa surprise face à la venue de Nathanael à Madagascar. J'avais dû feindre de ne pas savoir réellement la raison ; le plus comique était qu'il m'avait ensuite dit que " je devais être heureuse de passer du temps avec mon frère". Heureuse, oui, très heureuse... Je ne pouvais m'empêcher de lui reprocher d'être autant naïf. Si un jour il venait à découvrir la vraie nature de Nate, je croyais même qu'il ne le supporterait pas du tout et couperait tout de suite les ponts. De toute manière ce jour n'arriverait pas.

- Joyce, m'interpella Jery posté en face de moi.

Je levai les yeux vers le plus jeune de mes demi-frères, tout en fermant mon pc. Il venait juste de sortir de table, les miettes autour de sa bouche pouvaient en témoigner, et son visage affichait un air que je ne savais pas distinguer de la fatigue ou de la tristesse. Il se dandinait sur ses pieds, de gauche à droite, attendant peut-être une réponse de ma part.

- Pourquoi tu es en colère contre papa ?

Je lançai un regard vers le bar de la cuisine, là où se trouvait mon géniteur, le soupçonnant d'avoir envoyé son fils mais ce dernier ne nous prêtait pas attention et continuait de manger, tout seul.

- Je ne le suis pas, assurai-je.

- Mais il a dit que...

Alors que la suite de sa phrase pendait aux bouts de ses lèvres, Judd arriva en courant et en criant je-ne-sais-quoi. Il sauta par dessus le dossier du canapé et atterrit sur mes genoux, digne d'un sauvage. Ses longs cheveux bruns, qu'il avait fini par détacher, retombaient sur tout son visage. Le tout ajouté à son teint foncé, il me faisait penser à un petit indien d'Amérique.

- Tu viens de manger, tu devrais pas bouger autant ! lui conseillai-je en riant.

- J'ai pas mangé, c'était dégueulasse, m'apprit-il, papa sait pas cuisiner.

- Oui, c'est mieux quand c'est maman qui prépare, surenchérit son frère en s'asseyant près de nous.

Je passai une main dans les cheveux lisses de Judd, lui tirai en arrière pour apercevoir son visage et eus le droit à une jolie grimace de sa part. Je regardai ensuite Jery qui, j'en étais certaine à présent, était triste, du moins n'était pas au meilleur de sa forme.

- Je veux qu'elle revienne.

- Elle reviendra pas idiot, rétorqua le plus grand.

- Tu dis n'importe quoi ! Papa a dit qu'elle serait vite de retour. On habite sur une île, où tu veux qu'elle aille ? Alors c'est toi l'idiot !

J'allais intervenir mais je fus coupée par la voix grave de mon père, qui de là où il était, n'avait rien raté de tout cet échange. Je sentis le corps de Judd se tendre, comme s'il s'était arrêté de respirer et il ne bougeait plus. Si tous les deux n'avaient pas vraiment de leur père, on pouvait au moins voir qu'ils le respectaient et lui obéissaient parfaitement.

- Je ne vous ais pas dit d'aller dormir ? Demanda-t-il, sévère.

- On veut rester un peu avec Joyce ! Tenta Jery.

Je guettai la réaction de mon père, à l'instar des garçons. Il souffla et s'adressa à eux en français ou malgache, d'une manière toujours aussi peu aimable. Sous ces paroles, Judd et Jery parurent céder et finirent totalement par le faire. Ils me souhaitèrent une bonne nuit avant de s'en aller chacun de leur côté, tout penaud. Notre père indifférent recommença à triturer les aliments dans son assiette. Même involontairement il m'agaçait ! Je rassemblai toutes mes affaires puis traversai toute la pièce ; je sentais son regard sur moi mais je ne m'arrêtai pas pour autant et je rejoignis ma chambre. Pour me rafraîchir les idées, permettre à mon esprit de se reposer, je partis prendre un long bain.

Une fois plongée dans l'eau froide, je vidai ma tête de toutes pensées vaines... Je me débarrassai des insultes à l'égard de mon père, de mon frère, de ma frustration sur ce grand secret qui planait sur ma famille, de ma déception vis à vis de Caleb, ma colère contre ma mère. Derechef, je m'étais noyée sous cet amont d’événements dramatiques, je m'étais perdue. En réalité je n'avais jamais existé par moi-même, jamais, j'étais comme invisible et c'était affolant. Sans Nathanael je n'avais pas vraiment de valeurs aux yeux des autres, je n'étais plus la petite sœur du canon ; sans Nathanael je ne serai pas non plus la fille pour laquelle le père s'inquiète ; encore moins la petite-amie déprimante de Caleb. J'existais dans la tristesse, dans une tristesse bien noire, mais j'existais. Peut-être était-ce ça mon problème ? Cela ne m'arrangeait-il pas d'être la victime ? J'étais incapable de répondre à ces questions, incapable de me l'avouer ou de l'avouer à quiconque. Ça m'étonnait d'ailleurs de me les être posé.

Une demie-heure me passa sous les yeux sans que je réalise. Quand je sortis de la salle de bain, j'eus l'occasion d'entendre les plaintes de mon père. Si je ne comprenais pas le français, je connaissais bien le mot " Merde " qu'il venait à présent de crier. J'entendais du remue-ménage et j'hésitais énormément à aller voir ce qu'il se passait. J'avais beaucoup été sur son dos ces dernières heures, puis je l'avais ignoré depuis notre discussion dans le jardin, j'étais loin de faire ce que je voulais : être là pour lui. Mais les choses étaient claires, j'étais sa fille et il y avait certaines choses auxquelles je ne pouvais être mêlée. Il avait sa vie en dehors de moi et je devais comprendre. Malgré ces quelques persuasions que je m'étais répétée en tête, j'avais finis par arriver à l'entrée de la cuisine.

Il se penchait au sol pour attraper un plat mais lorsqu'il se redressa avec, le récipient échappa de ses mains agitées. Il donna un coup de pied colérique dedans puis en un mouvement fit valser tous les objets qui étaient pourtant, eux, calmement posés sur le bar. La cuisine était dorénavant dans un état déplorable, de même que mon père.

- Tu devrais aller dormir, concédai-je, je m'occupe de tout ça.

- Pas question, t'essayes déjà bien assez de réparer mes dégâts.

Je haussai les épaules, m'avançai dans la pièce et commençai à ramasser "ses dégâts". Sans protester davantage, il fit de même avec de grands gestes secs. Ce n'était pas sous l'effort que mon cœur tapait avec hargne contre ma poitrine mais sous la tension qui régnait dans toute la pièce, toute la maison. J'avais l'impression d'être au côté de mon frère et d'être sur le point de souffrir si je disais un moindre mot. Mais quelque part je ressentais que mon père pouvait tout me confier, là maintenant. Si j'attendais le lendemain, il aurait repris ses esprits et se fermerait entièrement comme il le faisait tout le temps. Je pouvais au moins tenter :

- La situation est si grave que ça ? Tu n'es pas du genre à craquer aussi facilement, remarquai-je.

- Je le voulais tellement, cracha-t-il les dents serrés.

Il balança négligemment le chiffon qu'il avait dans les mains avant de poser ses mains sur le plan de travail et s'incliner par-dessus. Les tremblements avaient quittés ses mains et prenaient possession de ses bras et bientôt son torse. Il me faisait dos toutefois même sans voir ses expressions, je ressentis sa grande douleur, celle-ci me compressa le cœur sans pitié. J'avais été dure avec lui, l'obligeant à m'avouer quelque chose dont il ne semblait pas vraiment fier ou qu'il n'acceptait peut-être pas. Que voulait-il ? De quoi parlait-il ?

- Je le voulais...

La fin de sa phrase mourût dans un soupir, précédant ensuite un long silence. Je fis quelques pas pour me placer à ses côtés et je laissai tomber ma main contre son bras.

- Qu'est-ce que tu voulais, papa ? murmurai-je.

- Un autre enfant.

Mes idées s'emmêlaient dans tous les sens et ne formaient rien de bien concret. J'étais loin, très loin, de comprendre ce qu'il se passait avec Soamiary, pourquoi l'avait-on emmené ? Et où était donc le lien avec l'enfant que mon père voulait avoir ? Pourquoi ne pouvait-il pas l'avoir ? Je ne voulais pas le brusquer alors je me contentais d'espérer silencieusement qu'il m'éclaire finalement. Comme s'il l'avait sentis, il se retourna vers moi et appuya cette fois son bassin contre le meuble. Ses traits de colère déformaient son visage qui paraissait si serein habituellement, ça ne pouvait que m'inquiéter.

- Tu prendras sûrement mal ce que je m'apprête à te dire mais au point où j'en suis, souffla-t-il désespéré, allons-y.

Il gratta sa joue, légèrement recouverte d'une barbe récente, et pencha sa tête en arrière. Il venait de perdre toute l'assurance qu'il avait pourtant bien porté depuis mon arrivée.

- Après être parti de la maison quand je me suis séparée de ta mère, j'ai décidé de revenir ici. Nous y avions fait notre mariage et notre lune de miel, seulement y vivre c'est totalement différent. Malgré l'argent que j'avais, j'ai eu énormément de mal à trouver une maison à acheter alors j'ai passé un temps dans un hôtel puis j'étais chez un collègue du boulot. Après un temps, il m'a conseillé d'acheter un terrain et de faire construire ma propre maison, c'est là que j'ai rencontré le père de Soamiary, Mr. Rajana ! On peut dire qu'il possède en quelques sortes toute la ville. Je voulais acheter ce terrain là, sur lequel repose donc la maison, et qui s'étend aussi jusqu'aux champs après les serres et jusqu'au Mozambique. Tout était quasiment acheté puis un jour il est venu me dire qu'il ne manquait que quelques conditions... J'achète le terrain à moitié prix mais j'épouse l'une de ses filles en échange.

- Tu... Quoi ? hurlai-je.

Je fis un pas en arrière ; il s’empressa de me saisir la main. Ses doigts se fermèrent autour des miens et eurent l'effet d'un échos aux mots de mon père... Il avait épousé Soamiary pour un stupide terrain ? Une maison ? Je le savais matérialiste mais à ce point ?! Ce n'était pas juste. La vie ne marchait pas comme ça, on n'épousait pas seulement quelqu'un par intérêt, je voulais le croire. La plupart de mes espoirs, rêves, avaient déjà été brisés mais cette fois ma vision de la vie était complètement noire. Il avait osé se marier à quelqu'un qu'il ne connaissait même pas, qu'il n'aimait pas !

- Je sais, je sais, continua-t-il, je n'ai pas eu le meilleur des comportements. Crois moi je m'en suis voulu comme un fou au début ! Nous nous sommes mariés après que la maison soit construite, et entre temps j'avais tout fait pour la voir, pour passer au moins un peu de temps avec elle mais son père s'est bien chargé de m'en empêcher. On a donc emménagé ici alors que nous ne nous connaissions pas. Elle restait toujours aimable, souriante, contrainte de suivre le choix de son père mais je voyais qu'elle n'était pas vraiment heureuse. Je m'en voulais terriblement mais nous ne pouvions revenir en arrière, tout ce que je pouvais lui offrir c'était des beaux jours... Alors j'ai fait tout ce qui était dans mes capacités pour la rendre heureuse puis en même temps qu'elle, j'ai finis par trouver mon bonheur à ses côtés. Elle souriait, rigolait même quand elle ne comprenait pas vraiment ce que je disais, elle parlait anglais avec ce petit accent qu'elle a malheureusement perdu au fur et à mesure des années, et moi je tombais un peu plus amoureux à chaque fois. Vraiment Joyce, je sais que ce jour là je n'ai pas fait un choix très bon moralement mais à présent j'en suis content, et elle aussi.

Tremblante comme une vulgaire feuille, je m'appuyai aussi sur le meuble à ses côtés et contemplai mon père avec de grands yeux ronds dans lesquels il devait lire la déception et la confusion. Alors c'était ça, tout ce lourd secret ? Comment étais-je censée le croire ? Disait-il entièrement la vérité ? Il me laissa faire la part des choses dans ma tête et se contenta de me caresser doucement la main. Il était vrai que l'homme que je voyais n'avait plus rien en commun avec l'homme que j'avais vu sur la photographie de leur mariage. Il semblait dorénavant épanoui, satisfait... entièrement comblé. J'avais eu raison lorsque j'avais remarqué que Soamiary n'était pas du tout le genre de femme auquel mon père pouvait s'intéresser, cela s'expliquait à présent. Pourtant je voyais comme il se préoccupait de sa femme, il l'aimait je voulais bien le concevoir mais ça ne changeait rien au principe : il avait pris le risque de se marier juste pour un terrain ? Juste pour un échange ? J'étais surprise et soulagée à la fois, c'était en réalité inexplicable.

- J'imagine que c'est beaucoup à digérer, tu dois sûrement me voir comme un connard riche sans cœur mais cette fois je ne peux pas m'excuser ou dire que je regrette car ce n'est pas le cas. J'aime Soamiary et même si je ne suis pas le meilleur mari au monde je l'ai sauvé du vieux tyran auquel elle devait d'abord se marier. Seulement j'avais plus d'argent que lui alors son père m'a choisi, l'argent a du bon certaines fois.

Je hochai la tête n'étant pas vraiment d'accord avec lui mais il était certain que mon père n'était pas le pire mari. Et ce n'était pas parce qu'il avait empêché Soa de se marier à un papi dégoûtant qu'il était un héros pour autant ! Puis soudainement, je me demandai :

- Quand vous avez eu Judd, tu l'aimais ?

- Oui bien sûr ! affirma-t-il. Nous voulions tous deux un enfant ensemble, nous en voulions quatre en réalité... Mais...

- Mais ? insistai-je.

- Une des conditions, en plus de me marier avec Soamiary, c'était aussi de ne pas avoir plus de deux enfants, m'expliqua-t-il en grimaçant. Pour l'héritage, pour l'économie, pour les coutumes... Alors nous avons respecté ce choix, surtout parce que Soa a réussi à me convaincre enfin jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte y'a quelques semaines. On veut tous les deux le garder mais elle ne voulait pas que l'on ait un enfant sans le consentement et sans que son père soit au courant, alors elle a voulu lui dire. J'étais complètement contre ! Voilà pourquoi tu m'as vu si en colère quand je sortais de sa chambre, nous venions de nous disputer à ce sujet. Elle est tout de même partie lui avouer, totalement sûre de le persuader, il n'a rien dit à ce moment puis il a envoyé ces... chiens venir la chercher ce matin.

- La chercher pour quoi ? Que va-t-il se passer ?

Il souffla longuement et lâcha ma main en même temps. Il fuyait mon regard, baladait ses yeux dans toute la pièce à la place et secouai nerveusement ses jambes. Soudain, il ferma les yeux avant de déclarer d'une voix grave :

- Ce qu'il se passe lorsqu'on ne veut pas d'un enfant...

- Ils n'ont pas le droit de la faire avorter de force papa ! protestai-je tout de suite.

- Je n'ai aucun pouvoir ici ma puce, je risque même de mettre Soa et les enfants en danger si je fais un scandale. L'avis du mari ne vaut rien face au père, surtout pas face à Mr. Rajana...

- Il n'y a aucune chance pour que le père change d'avis et qu'elle le garde ?

- Aucune, ou ces chances sont très faibles, finit-il.

J'entendis un petit trémolo dans sa voix qui me fit lever les yeux vers lui un instant pour m'assurer qu'il n'était pas en train de pleurer. Il ne l'était pas, mais il était certainement sur le point et ça me faisait d'autant plus mal que tout ce qu'il venait de me dire. Il devait sûrement être débordé par tous ces problèmes dans ses deux familles et je comprenais à présent toute sa nervosité. Il avait toujours réussi à me le cacher et s'il n'y arrivait plus à présent, la raison était toute simple : il était à bout, dépassé, et impuissant. On allait faire du mal à sa femme ; il allait aussi perdre l'enfant qu'il voulait. Je me disais malgré tout que s'il le voulait vraiment, il y avait un moyen d'empêcher ce drame mais ma raison me poussait à le croire. Les conditions, traditions, de ce pays n'étaient certainement pas comme celles des États-Unis, leur façon de vivre pouvait me sembler étonnante, délurée ou encore inhumaine mais après tout, elle pouvait s'expliquer. Enfin presque.

- Ça va aller, fût tout ce que je réussis à dire.

Il secoua la tête, aussi sceptique que moi. Je me penchai vers lui et glissai promptement dans ses bras, le serrant avec force comme si l'on menaçait de nous séparer. Je n'étais peut-être pas capable de parler, mettre des mots sur ce que je ressentais, ou lui dire des paroles suffisantes pour le réconforter mais quelques fois il était préférable de montrer son soutien avec de simple geste à l'instar de cette étreinte. Il me garda blottie contre son torse un long moment, pendant lequel je me questionnais sur l'état de sa femme à cet instant. Je me demandais aussi comment ça allait se passer à son retour. Et bien que ce soit déplacé de ma part, j'étais tout de même soulagée d'apprendre enfin que mon père était finalement un homme bien. Il faisait des erreurs, certes, mais tout le monde en faisait et le pardon existait. Il n'avait rien - rien du tout de semblable avec Nathanael. 

***

Je regardai avec attention l'avion se poser sur le sol, espérant profondément que Nathanael n'en sortirait pas. Après en avoir parlé et reparlé avec mon père pendant les deux derniers jours, il m'avait laissé venir ici seule à ce petit aéroport, qui ne se trouvait qu'à une ou deux minutes de la maison. Il ne pouvait rien m'arriver sur le trajet et de mon côté, je voulais toucher deux mots à Nathanael avant qu'il soit le centre d'intérêt de toute la famille. Histoire de clarifier ce qu'il s'était passé depuis que j'étais partie, du moins c'était ce que je comptais faire mais je perdais courage au fur et à mesure que les minutes passaient. Et toutes onces de force qui avaient pu naître en moi ces derniers temps s'évaporèrent quand Nathanael sortit à son tour de l'avion, derrière quelques personnes. Il ne pouvait pas me voir car je me tenais derrière les grillages, à la sortie de la piste d’atterrissage, mais de mon côté je ne voyais que lui. Ses cheveux noirs étaient redressés sur sa tête et même de loin, j'avais l'impression d'être transpercée par ses émeraudes. Je voyais même son sourire narquois ! La torture commençait, une longue et dure semaine de torture...

Après avoir contemplé le paysage pendant quelques minutes, il se décida enfin à s'avancer vers la sortie à mon plus grand désespoir. Que devais-je dire ? Comment étais-je censée me comporter ? J'allais sûrement m'adapter à son attitude, j'étais douée depuis le temps. Seulement je me rendais compte que ce n'était plus des menaces qu'il me ferait à travers le combiné, cette fois-ci il pourrait à la fois me menacer mais aussi agir. J'étais replacée en position de victime et je n'étais plus vraiment sûre d'être capable de l'aider maintenant qu'il serait tous les jours à mes côtés. Alors une part de moi ne pouvait s'empêcher d'être soulagée de le retrouver mais je restais principalement agacée et comme à mon habitude... apeurée.

Une silhouette bondit sur moi et se plaqua contre la grille, enflammant ainsi mon effroi. Je posai un regard affligé sur mon faux agresseur après avoir prié stupidement de ne pas découvrir mon vrai agresseur... Cependant, c'était bien lui. Nathanael. Il accrochait la grille de ses mains fines et me scrutaient avec un immense sourire. Ses yeux étaient d'une clarté qui me semblait toute nouvelle et n'étaient habités d'aucunes mauvaises lueurs. Il m'observait sagement et me donnait presque l'impression d'être content de me retrouver. Je n'en doutais pas : il avait retrouvé son petit joujou, sa bête de laboratoire.

- Joyce ! appuya-t-il. Ça y est, nous ne sommes plus que séparés par cette grille.

Et malheureusement, dans quelques instants plus rien ne nous séparerait. J'avais peur, j'avais affreusement peur. Je n'arrivais pas à me réjouir de retrouver la présence de mon grand frère, je ne percevais que l'arrivée de mon bourreau. Même s'il se tenait correctement durant cette semaine, j'aurais mal car je savais que dès notre retour tout recommencerait et que je n'aurais rien arrangé.

- Quoi, t'as déjà perdu ton anglais en une semaine ? ironisa-t-il.

- Ça risquait pas d'arriver avec tous tes appels, relevai-je.

- Tu m'as démasqué, sœurette...

Il leva les mains, en riant, avant de récupérer au sol son sac de sport qui lui servait de valise. Il me fit signe qu'il allait vers la sortie et je décidai de ne pas le rejoindre là-bas mais de l'attendre là. Je n'étais pas vraiment prête pour la vraie confrontation. Il avait bel et bien adopté le comportement de l'adorable Nathanael, devais-je me contenter de profiter de cette bonne humeur, cette gentillesse pendant une semaine ? Ou devais-je au contraire rester distante et lui faire comprendre que je n'entrais pas dans son jeu ? Si je voulais son bonheur alors je me pliais à ses règles, malgré ce que me criait ma raison suffocante. Peut-être même que si j'étais gentille avec lui, j'arriverai à lui dire quelques trucs au cours des jours ? J'avais bien réussi à l'atteindre un tant soit peu lors de nos appels téléphoniques alors pourquoi ne pourrais-je pas maintenant ? Je pouvais très bien jouer la carte de la sœur qui a besoin de l'amour de son frère, tout simplement lui montrer la réalité, lui montrer ce que je ressentais vraiment ! Je voulais aussi croire qu'il avait besoin de moi, besoin que je sois toujours à ses côtés, toujours à l'aimer malgré son comportement. Car si je ne l'aidais pas, alors qui le faisait ?

Du coin des yeux, je l'aperçus. Même dans ce décor splendide, il réussissait à attirer l'attention. Il se tenait droit, sans même le vouloir et semblait surpasser cet endroit paradisiaque, cette nature royale. Flottant dans son t-shirt trop grand, et tabassant la terre de ses grosses chaussures d'officier, il avança vers moi. La distance se réduisait petit à petit tandis que mon anxiété, elle, arrivait à son comble. Mes mains tremblaient contre mes jambes, pour une fois uniquement couvertes d'un short, et ces dernières avertissaient de me lâcher bientôt. J'avais même peur que l'on voit mon cœur sortir de mon torse comme dans les cartoons.

- Wow, je vois que Madagascar te fait le plus grand bien ! avança Nate en s'arrêtant à deux ou trois mètres de moi.

- En espérant que ça marche aussi sur toi, répliquai-je tout de suite.

- Je veux dire, t'es un peu bronzée et ça te... change. En bien !

La lueur étrange dans ses yeux était réapparue ; je m'en voulus soudain de l'avoir attaqué. Il fallait tout de même que j'arrête de faire la maligne, je ne pourrais me plaindre ensuite s'il s'en prenait à moi. Je réduisis alors toutes mes pensées négatives pour finir par les faire disparaître et conclure à haute voix sur un bref "Merci". Il avait perdu son sourire et ses yeux n'arrêtaient pas de m'inspecter dans les moindres détails, rien de plus gênant.

- Tu... vas bien ? Commençai-je pour casser la tension.

Il sembla autant étonné que moi d'entendre une telle question, inhabituelle de ma part.

- Bien, très bien. Et toi ? Qu'est-ce que tu fous là toute seule ? Kenneth s'est caché dans un buisson ou un truc du genre pour nous observer c'est ça ?

Je souris et secouai la tête, ce qui ne lui échappa pas puis le fit sourire aussi. Il fit un pas de plus vers moi tandis que moi je fis inconsciemment un pas dans le sens inverse. C'était presque comme une question de survie, je restais sur mes gardes.

- Pas de Kenneth dans les buissons, répondis-je, il est avec ses enfants chez lui et travaille en même temps.

- Tu n'as pas répondu, tu vas bien ? relança-t-il.

Je baissai la tête, faisant tomber mes cheveux noirs en avant et ramenai une mèche derrière mon oreille. Que répondre à ça ? Lui dire la vérité ou mentir ? Je n'étais même pas sûre moi même de savoir ce que je ressentais en ce moment même. Sa sorte de bipolarité semblait décalquer sur ma personnalité car des sentiments contradictoires ne cessaient de se combattre en moi.

- Oui ça va.

- Ton père ne t'a pas encore..., hésita-t-il en faisant des gestes de la main, tu sais... retourner contre moi ?

Il parlait encore une fois comme si notre père était son pire ennemi, comme si finalement je ne pouvais vivre en paix avec les deux et que je devais absolument choisir entre eux deux. A se demander si le divorce s'était bel et bien passé entre ma mère et mon père ou entre Nathanael et mon père. Il m'avait maintes fois répété que j'avais " choisi d'aller voir notre père " au lieu de rester auprès de lui comme si j'avais décidé de partir pour toujours et je ne comprenais pas vraiment pourquoi il avait cet impression que notre géniteur était un réel danger pour lui. Ce dernier ne voudrait jamais me séparer de mon frère... si ?

Nathanael me jaugeait en attente d'une réponse et semblait perdre patience face à mon silence ou plutôt croire que mon père avait réussi à faire ce qu'il redoutait le plus. S'il savait combien je l'aimais, il saurait aussi que personne ne pourrait jamais me " retourner contre lui ". Car il n'était pas mon ennemi, mon bourreau certes mais il n'était pas cette être que je voulais faire souffrir en retour aussi étrange que ça puisse être. Il apparaissait à mes yeux comme le coupable et la victime à la fois, plongé dans un cercle vicieux dont il ne pourrait se sortir tout seul.

- Tel n'est pas son but, lâchai-je détachée, et même si ça l'était il ne réussirait pas.

Je n'eus pas le temps de voir l'expression de son visage car il fit un pas, deux puis enfin trois, mettant fin à la distance entre nous sans que je ne bouge de mon côté. Ses pas avaient été si rapides que je ne l'avais pas vu venir aussi près de moi et quand son parfum parvint à nouveau à mes narines, tout mon corps se mit à bouillir. La chaleur à laquelle j'avais finis par m'habituer était dorénavant insupportable, étouffante et par dessus tout brûlante. Je sentais son regard parcourir mon visage mais je m'obligeai à ne pas le fixer en retour. Je le vis porter sa main à mon cou, m’électrifiant sur place, et consciente de ce qu'il s'apprêtait à faire, je posai mes mains sur son torse pour le repousser. Toutefois ma force face à la sienne était réduite à néant, il m'attira contre lui et posa ses lèvres chaudes contre mon front. Je fermai les yeux alors que deux soupirs d’allègement se libérèrent de nos bouches respectives. Je sentais tout de même qu'une forte tension nous dominait tous deux mais j'étais bien incapable de savoir d'où elle provenait. Ses lèvres restèrent un moment sur ma peau et mes doigts, toujours contre lui, se détendirent quelque peu. Tandis que moi je n'osais pas du tout bouger, Nathanael s'éloigna un peu afin de capter mes yeux. Son index et son pouce remontèrent le long de ma joue et pincèrent une mèche de cheveux pour jouer avec alors que ses émeraudes étaient toujours plantés dans mes yeux. Je souris d'une manière gênée espèrant peut-être le faire réagir mais ça ne fit qu'appuyer la tension. Ses lèvres se pincèrent, sa machoîre se déforma sous la contraction et sa main libre se forma en poing contre sa jambe. Il finit par lâcher mes cheveux et mena dorénavant sa main sous mon menton dans un geste doux. Un  geste qui ne lui correspondait pas, que faisait-il ? Il finit par fermer les yeux et quand il les réouvrit, je remarquai comme ils brillaient. Mettant fin à ce spectacle, il s'avança à nouveau pour déposer un bras sur mes épaules et me demanda si je comptais rester camper ici. Je ne savais pas cette fois si c'était volontaire mais son bras me faisait légèrement mal néanmoins je décidai d'ignorer et avançai vers la maison, aux côtés de mon frère. La présence de l'adorateur de feu me refroidissait paradoxalement. Alors que j'avais trouvé son baiser dérangeant, c'était là maintenant que nous nous dirigions vers notre autre famille que je ne me sentais plus à ma place.

- Je pensais jamais que tu viendrais, lançai-je essayant d'avoir l'air indifférente.

- Moi non plus, articula-t-il tendu, mais le putain de connard qui assouvit les désirs de notre mère a menacé de porter plainte contre moi.

Je levai les yeux au ciel sous son langage loin d'être aussi élégant que sa personne.

- Porter plainte pour quoi ?

- Intrusion de propriété, vandalisme, agression physique...

- T'es rentré chez lui, t'as détruit sa maison et comme si, ça suffisait pas, tu t'es en pris à lui ? M'égosillai-je.

Il s'éloigna enfin de moi, avança un peu plus vite et je le vis hausser les épaules.

- A vrai dire, j'ai pas eu le temps de finir le salon qu'il est arrivé et il m'a sauté dessus, alors j'ai dû le calmer.

- Et en quoi venir ici l'empêche de porter plainte ?

- Elle lui a dit qu'elle m'envoyait ici, " chez mon père pour qu'il s'occupe de mon cas ", rigola-t-il.

Je secouai la tête en soufflant, ma mère était incroyable. Elle mentait comme elle respirait et ça en était affolant mais pour une fois je lui en étais quelque peu reconnaissante car elle avait empêché à Nathanael de faire face à la police. Seulement je me demandais pour qui avait-elle fait ça ? Pour elle et sa notoriété ? Sa réputation de mère divorcée qui s'occupe de deux enfants ? Ou pour Nathanael son fils, qui souffrait d'un trouble psychologique ? Et avait-elle hésité un moment, en se disant que si elle laissait son ami porter plainte, c'était une manière d'arrêter les agressions de Nathanael ? 

- Quelle menteuse, soufflai-je.

- Le monde est cruel, chère sœur !

Il me lança un dernier regard sérieux et avança dans le virage, suivant le chemin comme s'il était venu depuis des années. Quand il vit la maison, il laissa échapper un sifflement suivi d'un ricanement lourd d'arrières pensées sarcastiques.

- Je vois pourquoi il nous a laissé maintenant, fût-il obligé de dire.

Je l'ignorai, le dépassai et me dirigeai vers la pente qui menait au devant de la maison. J'entendais mon frère traîner des pieds derrière moi mais sans l'attendre, je rentrai dans la maison. J'aperçus mon père assis sur le canapé, alors que ses fils jouaient sur la table basse et je me sentis presque désolée de briser le calme qu'il avait réussis à trouver avec eux depuis l'absence de Soa. Je le prévins tout de même de notre présence au moment même où Nathanael se pointait à ma droite. Judd et Jery se levèrent immédiatement ; mon père lui se contenta de se tourner vers nous comme pour constater mes paroles de ses propres yeux. Je posai les yeux sur mon frère, qui me regardait aussi et le suppliais tout bas :

- Sois gentil avec papa.

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Hey, pas grand chose à dire cette fois... mis à part, désolée pour ce long temps d'attente que je vous ai imposé ! J'espère que ce chapitre vous aura plu, autant pour les révélations que pour la ( tendre ) arrivée de Nathanael. Si son comportement ne confirme pas certaines hypothèses alors tant pis ahah ! N'hésitez pas à me donner votre avis :)

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