Chapitre 6 - Installation
Aux paroles de Gabriel, l'appréhension d'Eléa revint l'étreindre et elle oublia son désir de se serrer contre le jeune homme.
Que voulait-il lui faire comprendre par cette phrase ? Qu'est-ce qui l'attendait derrière cette porte ?
Elle regarda Gabriel cogner quelques coups alors que son imagination s'affolait en l'inquiétant, les dents mordillant sa lèvre inférieure et se tordant les mains. Quelques secondes s'écoulèrent puis la porte pivota. Eléa releva son regard sur l'une des deux personnes dont elle allait partager la chambre.
Comme elle s'en doutait, il s'agissait d'une jeune fille et elle était aussi grande que Gabriel, ce qui se sentir Eléa encore plus minuscule. Sa peau avait la couleur de l'ébène, tout comme ses cheveux coupés très courts sur son crâne, à la garçonne, un style qui contrastait énormément avec sa tenue : une jupe droite vert émeraude, un élégant chemisier blanc sans manche et blazer court noir, tout comme le maquillage sophistiqué qu'elle arborait. Ses yeux bordeaux en amande, plus ouverts d'un côté que de l'autre, étaient soulignés d'un trait d'eye liner qui se terminait en pointe relevée et ses paupières étaient recouvertes d'un fard cuivré. Ses lèvres charnues, elles, étaient colorées d'un brun tirant légèrement sur l'amarante. Sa pommette droite, haute et marquée, comme sa jumelle de gauche, était piquée d'un grain de beauté mais impossible de savoir si il appartenait au reste du maquillage ou si il était naturel.
En tous cas, elle ne paraissait pas aussi terrible que le laissait supposer la remarque de Gabriel.
Au contraire, elle sourit en avisant Eléa qui se tenait légèrement en retrait derrière Gabriel, appréhendant.
Lui tendant la main, elle se présenta :
« Bonjour, je suis Marianne Delors. Tu es Eléanora Sergan ?
- Eléa, je préfère. Indiqua cette dernière sans serrer la main de Marianne, sur la défensive. Tu attendais quelqu'un d'autre ?
- C'est juste que je ne t'imaginais pas comme ça.
- Navrée de te décevoir. Ironisa Eléa.
- Je vais déjà apprendre à te connaître avant de savoir si je suis déçue ou non.
- Bon, je vais te laisser t'installer. À tout à l'heure, sûrement.
Déclara Gabriel en laissant sa valise à Eléa, puis, après un sourire plastique supplémentaire, il remonta le couloir pour disparaître ensuivant le tournant, les mains dans les poches.
Eléa le suivit des yeux avant de revenir sur Marianne, qui lui adressa un regard éloquent. Eléa baissa le menton, gênée d'être ainsi découverte.
Ne faisant cependant aucun commentaire, Marianne s'écarta de l'embrasure de la porte pour lui permettre d'entrer avec son énorme valise.
L'organisation de la chambre était simple. Deux lits en face de la porte séparés par une fenêtre, celui de gauche poussé contre le mur ouest, et le dernier était dissimulé par l'angle de la porte et était le seul à être installé à l'horizontal. Chacun avait son bureau, contre le pied pour celui de gauche, juste à côté pour celui de droite et contre le mur de l'autre côté de la porte pour le dernier. Pour terminer, un immense placard occupait tout le mur ouest ainsi qu'une portion du sud.
Eléa traina sa valise au centre de la chambre en l'examinant. Pas difficile de deviner où elle s'installait. Les deux lits côte à côte étaient visiblement déjà pris. Celui de droite, parfaitement fait, était recouvert d'une parure brunes aux reflets dorés satinés et lissés et le bureau à côté était rangé avec une incroyable rigueur. Quant à celui de gauche, les draps, à motifs léopard rose d'un goût discutable, étaient froissés et roulés en boule. Le dessus du bureau était à cette image, avec des stylos, des feuilles, deux classeurs, quelques livres et un ordinateur portable fermé s'éparpillant dessus dans un complet désordre.
Les deux côtés étaient de parfaits reflets inversés, certainement comme les deux jeunes filles qui les occupaient, sauf que Eléa ne pouvait pas réellement juger puisque sa deuxième camarade ne se trouvait pas là. Il n'y avait que Marianne, qui reprit la lecture de son roman, allongée sur son lit, sans plus sembler se préoccuper d'Eléa. En réalité, elle la laissait s'installer tranquillement sans l'importuner ou la déranger et elle ne comptait pas l'interroger sur elle et sa vie, préférant la découvrir et apprendre à la connaître au fil du temps qu'elles passeraient ensemble.
Eléa préférait cela également. Elle ne se sentait pas plus à l'aise même si elle constatait qu'elle était acceptée comme n'importe qui. Sa coquille et ses habitudes de protection qu'elle s'était forgé durant toutes ces années lui hurlaient de se méfier, de rester sur ses gardes et la défensive, qu'elle ne pouvait pas être certaine de la sincérité de personne et que même Gabriel ne semblait pas pleinement sincère avec ses sourires figés à la chaine.
Ça, même si elle aurait souhaité le nier, elle était obligée de le reconnaître. Le jeune homme portait comme un masque de bienveillance.
Ses écouteurs dans les oreilles, créant sa bulle autour d'elle, elle tira sa valise jusqu'au lit qui était à présent le sien. Le matelas était simplement posé sur le sommier sans rien de plus, mais il était pourvu d'un tiroir, ce qu'elle n'avait pas remarqué auparavant. S'agenouillant, elle ouvrit sa valise au sil et entreprit de la vider en en sortant ses affaires qu'elle organisa sur son lit avant de les ranger à leurs places définitives, dans le tiroir sous le sommier, sur le bureau ou dans la partie du placard lui étant réservée.
Efficace et ne trainant pas, elle eut rapidement terminé de tout mettre à sa place malgré la grande quantité d'affaires apportée. Ne restait que celles de toilette qu'elle chargea dans ses bras pour franchir la porte à côté de son lit et qu'elle devinait être celle de la salle de bain. Supposition juste.
Un lavabo surmonté d'un miroir accolé à une cabine de douche et un porte-serviette accroché au mur opposé se partageaient l'espace de la petite pièce. Il y avait également une étagère blanche à côté de la porte pour poser les affaires et, à l'image de la chambre, deux parties bien séparées se distinguaient. L'une organisée et triée, celle de Marianne, et l'autre où tout était entassé, celle de sa deuxième colocataire qui ne se montrait toujours pas. Eléa rangea sa trousse de toilette sur la planche libre et jeta sa serviette avec les autres puis sortit en éteignant la lumière.
Repliant sa valise, elle la cala dans un coin de placard qu'elle avait gardé pour cela puis elle regarda autour d'elle, toujours aussi troublée et incertaine dans ses pensées.
À présent, elle était officiellement installée et appartenait à l'institut Belforde, au même titre que tous les autres pensionnaires, mais elle ignorait toujours ce que cela lui faisait ressentir exactement. Peut-être que l'idée ne s'était pas encore pleinement ancré dans son esprit, qu'elle ne se rendait pas encore réellement compte. Pourtant, c'était son nouveau foyer et sa nouvelle vie.
Certainement lui faudrait-il quelques jours, le temps de se prendre dans la routine de l'endroit, avant qu'elle ne réalise véritablement.
Elle embrassa la petite chambre d'un regard circulaire et ses yeux s'arrêtèrent sur le lit aux draps léopards.
Prenant la parole après un long silence d'une demie-heure, non pas pour réellement faire la conversation, mais pour se renseigner et ainsi savoir à quoi s'attendre, l'appréhension ne l'ayant pas quitté, mais s'étant seulement momentanément réduite, elle demanda à Marianne en montrant l'espace de désordre d'un mouvement du menton en se référant au nom en rose sur la porte :
- Et où est Roxy ? Je croyais qu'on était trois.
- On l'est. Elle est sûrement quelque part à fuir la réalité en en faisant trop. »
Sans rien préciser de plus, Marianne retourna à son occupation. Elle ne semblait pas être le genre de personne qui s'étendait en paroles, et, si cela arrangeait en un sens Eléa, qui n'avait jamais appris à être loquace mais à s'isoler dans sa propre dimension personnelle, elle ne lui livrait pas beaucoup d'informations et ne contribuait donc guère à l'apaisement de son angoisse.
De toute évidence, et à en juger par le calme et la rigueur posée de Marianne, ce n'était pas d'elle contre qui Gabriel l'avait implicitement mise en garde mais donc bien de cette Roxy qui, pour l'instant, marquait par son absence, ainsi que par ses goûts quelques peu particuliers, et Eléa ne savait pas pourquoi.
N'ayant donc que des hypothèses invérifiables pour réponses pour le moment, Eléa s'assit sur le bord de sin lit, qu'elle avait fait avec sa parure blanche à large motifs de fleurs hawaïennes rouges, la bouche légèrement tordue sur le côté en une petite moue, ne sachant plus que faire maintenant qu'elle était installée. Certes, elle aurait pu engager la discutions avec Marianne et ainsi en apprendre plus sur cet endroit en général mais elle ignorait comment faire et comment franchir les barrières qu'elle avait dressé pour sa sécurité il y avait longtemps déjà. En avait-elle seulement envie ?
Le silence se prolongea sur plusieurs longues minutes, malaisant, du moins, pour Eléa car Marianne ne paraissait nullement gênée et lisait toujours tranquillement sur son lit.
Elle, elle ressentait l'étrange sensation d'être à sa place mais en décalée, comme si elle était trop en avance ou, au contraire, en retard. Elle peinait à définir et expliquer cette impression mais elle était là, juste à côté de son cœur.
Heureusement, quelques coups frappés contrela porte rompirent ce malaise. Relevant les yeux, elle croisa le regard bordeaux de Marianne, qui lui fit signe avec un sourire d'aller ouvrir, l'encourageant à prendre réellement possession de la chambre et à s'y habituer.
S'exécutant, la jeune fille aux cheveux cassis se leva en retirant ses écouteur, délaissant Egypt Central, et entrouvrit la porte, vérifiant tout d'abord de qui il s'agissait.
Avisant les longs cheveux roux et les yeux violets, elle ouvrit plus largement à Gabriel qui, lui, souriait avec toujours cette expression comme affichée sur ses traits.
Il hocha la tête en constatant qu'Eléa s'était installée à son aise,espérant qu'elle serait bien ici, puis il la prévint :
« Tes parents vont partir. Je suppose que tu souhaites leur dire au-revoir.
- Je pense aussi. Confirma Eléa.
- Tes parents doivent tenir à toi. Commenta Marianne et Eléa ne sut comment interpréter cette phrase aux accents amers.
- Je te suis. »
Annonça Eléa à Gabriel, se doutant qu'il allait l'accompagner de toute manière, avec ou sans son autorisation, et décidant qu'elle se soucierait de l'étrange remarque de Marianne plus tard, ou même pas du tout, cela n'avait pas grande importance.
Toujours mal-à-l'aise, elle salua la jeune fille à la peau d'ébène d'un mouvement hésitant et incertain avant de suivre Gabriel à l'extérieur.
Se souvenant du chemin parcouru précédemment, elle n'eut pas besoin de rester derrière le jeune homme pour qu'il lui serve de guide et,sachant où se diriger, elle marcha à côté de lui jusqu'aux escaliers qu'ils empruntèrent.
Dans le silence, il lui semblait sentir son regard violet sur elle. Du moins, pas exactement. C'était plutôt comme si il fixait quelque chose qu'elle avait à côté d'elle et qui ne l'abandonnait pas malgré ses déplacements. Se demandant ce qui pouvait bien le fasciner de la sorte, car c'était bien de fascination qu'il s'agissait, elle ralentit et baissa les yeux sur son propre corps mais elle ne repéra rien de particulier qui puisse justifier cette observation.
S'apercevant de la manière dont il la fixait effectivement sans beaucoup de discrétion, se laissant envoûter par sa contemplation, le jeune homme détourna ses yeux violets pour les reporter sur le couloir se déroulant devant eux en passant une main dans ses cheveux, dérangeant quelques unes de ses longues mèches rousses. Ce n'était pourtant guère son genre de céder ainsi à la fascination, à l'admiration, traitant tout le monde avec la même bienveillance et la même distance.
Cherchant à reprendre une contenance et son assurance, les rôles s'étant inversés par rapport au moment où il avait surpris Eléa en train de le détailler tout à l'heure, il s'enquit, un peu gêné à son tour :
« Tu es bien installée ? (elle haussa les épaules). Tu as l'air toujours aussi ravie !
- Je ne sais toujours pas quoi penser.
- Ça viendra.
Lui assura Gabriel en changeant d'intonation pour un ton qu'elle peinait à identifier et qui la laissait perplexe.
Au vu du comportement qu'il adoptait depuis son arrivée, il aurait dû lui promettre que tout irait bien, qu'elle allait rapidement s'habituer et qu'elle serait bien ici, or, il affichait une expression fermée,impénétrable, le regard légèrement bas, comme égaré dans ses pensées ou ses souvenirs.
Son opinion sur l'institut Belforde serait-elle négative ? Cela semblait totalement invraisemblable à Eléa pour plusieurs raisons.
Premièrement, le directeur était son tuteur, il paraissait parfaitement à l'aise dans ces bâtiment set se bienveillance manifeste laissait croire qu'il tenait à cet endroit et à ses pensionnaires. Eléa ne comprenait pas. Il y avait quelque chose d'illogique.
Elle ouvrit la bouche pour lui demander quelques précisions, ce qu'il lui arrivait soudainement, mais il se reprit et lui adressa son sourire plastique. La jeune fille renonça à le questionner et se contenta de franchir la porte qu'il lui tenait.
Ils traversèrent rapidement la cour nord pour pénétrer dans le bâtiment principal pour gravir les premiers étages et arriver devant la porte du bureau du directeur où ce dernier rassurait Patrick et Irina.
Visiblement, il était difficile pour eux de laisser Eléa ici. Ils avaient la sensation de l'abandonner, de se débarrasser lâchement du problème. Ils se tournèrent vers Eléa en lui souriant, même si elle remarquait bien les larmes qui brillaient dans leurs yeux, y compris dans ceux de Patrick.
La jeune fille déglutit pour tenter de faire passer le nœud qui venait de se former dans sa gorge en les laissant la prendre dans leurs bras, se moquant bien de se comporter comme une enfant voulant rester avec sa maman, même devant Gabriel. Elle leur rendit leur étreinte en retenant un sanglot. Pour elle aussi la séparation était difficile. Jamais elle ne s'était éloignée de ses parents, par exemple pour partir en vacances, puisqu'ils s'y rendaient toujours ensemble, ou ne serait-ce que pour passer un week-end chez des amis, puisqu'elle n'en avait jamais eu, toujours marginalisée et rejetée par tous.
S'installer dans cette école loin d'eux et de leur foyer n'était donc nullement une étape anodine mais changement brutale, un bouleversement totale de son existence et de ses repères, ce qui expliquait en partie son incertitude à se forger un avis et à savoir que songer.
Serrée contre Patrick et Irina, elle hocha la tête à chacune de leurs recommandations, leur promettant ainsi de faire attention et de leur transmettre beaucoup de nouvelles alors qu'eux lui assuraient qu'ils restaient là pour elle au moindre problème et qu'elle pouvait continuer à compter sur eux.
Après quelques minutes d'étreinte, ils se détachèrent, émus et remués par l'idée de la séparation.
Sur demande du directeur, qui retourna s'enfermer dans son bureau après avoir souhaité un bon retour à Irina et Patrick, Gabriel les raccompagna au portail, évidemment suivis par Eléa qui leur adressa de larges signes de la main,auxquels ils répondirent à travers la grille.
Lorsque la voiture disparut au coin de la rue, la jeune fille se détourna en prenant une profonde inspiration pour maîtriser son émotion et se défaire de cette boule coincée dans son œsophage. Sentant les larmes lui brûler les yeux, elle les essuya de sa main en poussant un soupir,que l'envie de pleurer, à laquelle elle se refusait de céder au milieu d'inconnus, rendit saccadé.
- ça va aller ? S'enquit Gabriel à côté d'elle et, comme précédemment, elle haussa les épaules pour répondre. Vous êtes très proches.
- Autant qu'un enfant peut l'être de ses parents (les mâchoires de Gabriel se contractèrent sans qu'elle ne le remarque). Ce sont mes seuls fréquentations affectueuses, les autres n'ont jamais été...très agréables.
- Tu n'es pas la seule dans ce cas ici, au contraire.
- Donc on me comprendra et j'aurais des dizaines d'amis. Ça, ça serait dans un monde idéal.
- Tu verras bien (Eléa ne paraissait toujours pas convaincue, comme depuis son arrivée. En effet, la fréquentation d'autrui n'était vraiment pas dans ses habitudes et elle doutait de réussir à faire autrement et à laisser les autres à s'approcher. Gabriel le voyait nettement. Il voulait la rassurer sur ce fait mais il hésita avant de finalement lui promettre d'un ton moins chaleureusement artificiel que d'habitude:) et puis, moi je serai là, au cas où.
- Merci, murmura Eléa. Je crois que ça m'aidera d'avoir quelqu'un vers qui me tourner dans les premiers jours.
- Alors compte sur moi, sourit Gabriel avant de remettre cette expression-masque. Bon, je te fais visiter ? »
Eléa acquiesça, toujours émue mais à présent rassurée de savoir qu'il y aurait au moins une personne vers se tourner en cas de besoin, et pas uniquement car il semblait se comporter comme un grand-frère bienveillant avec tout le monde.
Lui emboîtant le pas, elle le suivit sur la pelouse parfaitement tondue.
Parlant tout en avançant à la manière d'un guide dans un musé ou sur un site historique, il lui expliqua que la concierge servait à réguler les contacts avec l'extérieur, comme un accueil, mais qu'elle pouvait sortir de l'enceinte de l'école sans s'y signaler, et s'occupait également du courrier des pensionnaires.
Continuant à avancer en remontant vers le bâtiment principal, il lui apprit que l'aile ouest servait aux cours du cursus scolaire ordinaire alors que l'est était réservée à ceux enseignant aux élèves à maîtriser leur magie. Cela intéressa particulièrement Eléa qui souhaitait vraiment que l'accident l'ayant conduite ici ne se reproduise pas mais elle n'était pas certaine de savoir faire remonter son pouvoir pour un jour parvenir à le contrôler parfaitement, ni même de le vouloir.
Délaissant ces pensées, la jeune fille revint se concentrer sur le discours de Gabriel qui précisait que, avec l'augmentation du nombre de pensionnaires ces dernières années, il avait également fallu ouvrir des salles pour faire classe au premier et deuxième étage de l'aile centrale où, au rez-de-chaussée, se trouvaient un foyer et les deux salles de permanence.
Poursuivant la visite, ils traversèrent le bâtiment principal pour pénétrer dans la seconde cour où Gabriel joua toujours les guides en livrant les informations à Eléa. À gauche du dortoir, le réfectoire et, à droite, l'infirmerie.
Il se dirigea vers le dortoir, Eléa sur les talons qui l'écoutait attentivement en examinant chaque endroit qu'il lui indiquait.
En passant sous un arbre, il releva le regard vers les branches. Se demandant ce qu'il y avait, elle observa à son tour et découvrit une jeune fille, environ de son âge, perchée en hauteur, la même qu'elle avait aperçut sur le trottoir. Anticipant la remarque que Gabriel allait faire, elle lui tira la langue sans lui laisser le temps de la formuler, exposant un piercing argenté, ses yeux roses pétillants de malice. Le jeune homme ne dit rien et reprit plutôt son chemin en secouant la tête de gauche à droite avec un sourire, amusé, à moins que cela ne fasse partie de son numéro de camarade souriant et bienveillant avec tous en toutes circonstances.
S'interrogeant sur l'attitude de Gabriel, Eléa le suivit à l'intérieur du dortoir dont il lui expliqua la disposition. Un grand foyer au rez-de-chaussée, comme elle l'avait deviné, avec quelques chambres ainsi qu'un accès au réfectoire et un autre à l'infirmerie.
Avant de s'engager dans les escaliers au bout du couloir, il lui indiqua la porte de sa chambre.
Juste à l'entrée du couloir bifurquant en face du foyer, l'étiquette collée dessus paraissait ancienne. Les coins étaient arrondis par le temps et l'usure et les lettres, écrites au feutre noir, étaient quelques peu effacées sans pourtant rendre illisible le nom de Gabriel. Notant ces informations dans son esprit, l'emplacement de la chambre du jeune homme, le fait qu'il semblait être ici depuis longtemps mais également celui qu'il y était seul, privilège suffisamment étrange et particulier au dortoir pour être souligné, Eléa s'engagea à sa suite sur les marches, pensant qu'il la raccompagnait à sa chambre.
Sauf que, à la place, il l'entraîna vers le milieu du couloir où,comme à l'étage inférieur, s'ouvrait une arche sur le mur pour livrer le passage vers un autre foyer. De taille fortement réduite, il n'y avait que quelques fauteuils, un bureau avec un ordinateur et une bibliothèque débordant de livres et de magazines. Gabriel lui expliqua qu'il y avait un petit foyer comme celui-ci par étage.
Ayant terminé cette visite générale de l'école, Gabriel s'écarta pour laisser passer Eléa et qu'elle puisse retourner à sa chambre mais,alors qu'elle sortait, Gabriel à sa suite, une voix rauque et profonde lança :
« Alors c'est elle, la nouvelle.
Eléa se tourna vers la personne qui venait de l'invectiver d'un ton qui paraissait désintéressé, comme si elle n'en avait pas réellement grand chose à faire.
Comme l'indiquait le timbre clairement masculin, il s'agissait d'un jeune homme de dix-neuf ans de taille moyenne, légèrement plus petit que Gabriel mais bien plus grand qu'Eléa, comme tout le monde. Il n'était pas très difficile de dépasser ses un mètre cinquante-deux. Sa peau avait une teinte caramel assez belle et séduisante, comme son visage en triangle. Pour le reste, il avait un front large, un nez épais et droit et des joues fermes dévorées par une barbe de trois jours du même noir de nuit que ses cheveux, légèrement plus longs sur le dessus que sur les côtés. Deux clous perçaient le lobe de son oreille droite et il avait une vieille cicatrice sur la joue du même côté. Quant à ses grands yeux en amande, ils étaient dissimulés sous des verres teintés en jaune foncé et il était impossible d'en déterminer la couleur exacte.
Il était effectivement séduisant, pas autant que Gabriel à l'avis d'Eléa, mais elle ne pouvait nier qu'il se dégageait de lui un certain charme. Seulement, celui-ci était atténué par son expression revêche et patibulaire qui rebutait et repoussait.
N'attendant visiblement pas de confirmation à sa déclaration, il sortit un paquet de cigarettes de la poche de son jeans large et, pinçant le philtre de l'une entre ses lèvres, il la tira à l'extérieur pour l'allumer de son briquet. Il prit une bouffée et expira la fumée, rependant une odeur désagréable dans le couloir.
Devant le regard désapprobateur de Gabriel et celui circonspect d'Eléa, il grogna avec mauvaise foi, puisqu'il connaissait évidemment déjà la réponse :
- Y a un problème ?
- A ton avis ?
Rétorqua Gabriel, nettement moins sympathique avec ce garçon qu'avec toutes les autres personnes qu'ils avaient croisé jusqu'ici.
Par provocation, toujours avec ce visage antipathique, il exhala une nouvelle bouffée de fumée grisâtre par les narines puis, cigarette à la bouche, il traversa le couloir, dépassant Eléa et Gabriel en se tenant aussi éloigné d'eux que possible. Il disparut en s'engouffrant dans les escaliers mais l'odeur de tabac persista derrière lui. Gabriel soupira, d'une manière qui semblait désespérée, puis il indiqua à Eléa :
- Je te présente Salim. Bon courage, il est dans ta classe.
- Mais il est un peu plus âgé, non ?
- Les classes ne sont pas organisées selon une année de naissance mais par tranches d'âges. Tu es dans celle des plus âgés, la seule qu'il y ait, mais ce n'est pas la plus simple. Tu devrais cependant bien t'entendre avec la majorité de tes camarades.
- Tu n'es pas dans cette classe, toi ?
- Non. Il y a longtemps que je ne vais plus en cours, je n'ai plus rien à y faire. J'ai apprit le nécessaire et, comme je ne sortirai certainement jamais de cette école, je n'ai pas besoin d'en savoir plus, et, de toute manière, mon pouvoir est totalement passif. J'occupe plus une fonction d'assistant du directeur que d'élève.
- J'ai l'impression qu'il se repose beaucoup sur toi, effectivement.
- C'est vrai. Mais Monsieur Belforde est étrange en ce moment. Il délaisse beaucoup les affaires de l'école et s'isole.
- Il est magicien, Monsieur Belforde ?
- Non. Tu n'as pas remarqué ? Il a les yeux vairons, les magiciens n'en ont pas. Tu ne le savais pas ?
- J'avoue ne pas connaître grand chose sur le sujet.
- Tu veux que je t'explique ? Je suis là pour ça après tout.
Eléa acquiesça, se réjouissant de cet instant avec Gabriel, même si elle se refusait à le reconnaître, mais également curieuse d'en apprendre plus à propos de cette catégorie de la population à laquelle elle appartenait malgré elle.
Si, chez elle, elle n'avait jamais réellement voulu se renseigner sur le sujet grâce à internet,aujourd'hui, en compagnie de Gabriel et du côté pédagogique qu'elle lui avait trouvé durant leur visite, elle brûlait d'en apprendre davantage. Sans compter qu'elle pourrait être certaine que les informations fournies par le jeune homme seraient fiables.
Cherchant un endroit plus confortable pour ce petit cours improvisé que debout dans le couloir, ils retournèrent dans le foyer, duquel ils n'étaient d'ailleurs pas réellement sortis, et s'installèrent dans deux des fauteuils.
Eléa releva les yeux sur Gabriel, attendant qu'il débute ses explications et profitant également de ce dialogue pour le fixer sans avoir à détourner le regard avec gêne lorsqu'il la surprenait.
Posant lui aussi les yeux sur la jeune fille, qui s'agaça de s'en sentir ainsi troublée, il commença un véritable exposé pour elle :
- Peut-être que tu le sais déjà mais on ignore ce qui fait que certaines personnes héritent de pouvoirs. En tous cas, ce n'est pas génétique, seulement magique peut-on dire. En plus, les recherches avancent lentement. Peu de personnes s'intéresse vraiment aux magiciens. Ils veulent seulement qu'on les laisse tranquilles. C'est à peu près tout ce que je peux te dire.
- Et les couleurs ? Je ne les connais pas non plus.
- Bon, ça tu dois déjà le savoir, le rouge c'est la maîtrise du sang. C'est très rare, comme la capacité de prévoir la mort qui correspond à un rouge très foncé ou bien l'ombre, le vert foncé. Il y a également ce qu'on appelle la magie brute, le noir, la maîtrise du temps, le blanc, ou celle de la gravité, bordeaux, comme Marianne, qui sont assez rares. Pour le reste, avec un degrés divers de rareté, le jaune c'est le feu, le pourpre la psychokinésie, le marron clair la nature, bleu la guérison, l'orange la télékinésie, l'indigo la télépathie, le gris correspond à l'air, le rose au langage, le vert aux sens, le chocolat à la terre, le turquoise aux sons, le bleu marine à l'eau et le gris-bleu à la glace.
- Et le violet ? Tu t'es oublié.
- La perception des auras.
- C'est donc ça que tu regardais... Comprit Eléa.
- Non, pas du tout ! Se défendit Gabriel. Enfin, c'était par réflexe. Bon, je ne peux malheureusement pas passer la journée avec toi. Je te laisse. »
Gabriel sourit puis se leva pour quitter le foyer en saluant Eléa de la main.
La jeune fille soupira.
Ses affaires étaient rangées dans sa chambre, ses parents étaient repartis et elle en savait plus sur les magiciens. On pouvait dire qu'elle était officiellement une élève de l'institut Belforde.
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