Chapitre 5 - L'institut Belforde


« Eléa, ta valise est prête ?

Demanda Irina depuis la pièce à vivre dans un cri pour que Eléa puisse l'entendre depuis sa chambre.
Ne répondant pas, la jeune fille s'assura qu'elle avait prévu suffisamment de vêtements puis glissa sa nouvelle paire d'écouteurs dans son immense valise achetée pour l'occasion, cadeau de départ de ses parents, avant de la refermer. Elle ignorait comment elle allait bien pouvoir la porter alors qu'elle faisait la moitié de sa taille.
Cela ne faisait qu'une semaine qu'ils avaient pris la décision de l'envoyer dans cette institut. Les choses s'étaient faites rapidement grâce à la compréhension du directeur qui s'était efforcé d'accélérer la procédure au maximum pour ne pas laisser Eléa dans cette situation entre pneus lacérés et messages insultants inscrits sur la façade de la maison. Une pierre avait même brisée la fenêtre de sa chambre en pleine nuit et elle n'avait plus osé sortir ces derniers jours où l'attroupement devant leur porte n'avait cessé d'enfler.
Eléa ignorait si elle se réjouissait ou non de ce départ. Elle était soulagée de s'extirper de cette ambiance et de cette hostilité généralisée à son égard mais elle avait de nombreux doutes et questionnements sur cette école, ainsi qu'une bonne dose d'incompréhension. Elle verrait bien une fois qu'elle serait surplace.
De toute manière, ce ne pourrait pas être pire que actuellement ou que dans son ancien lycée, surtout que, comme présenté sur le site, tous les élèves étaient des magiciens comme une partie du personnel.
La jeune fille fit un tour sur elle-même pour embrasser sa chambre d'un regard circulaire, s'assurant qu'elle n'avait rien oublié.
Comme cela na semblait pas être le cas, elle traina sa lourde valise derrière et rejoignit ses parents qui l'attendaient. Patrick prit sa valise pour la porter dans la voiture en un profitant pour vérifier l'état des pneus, routine à laquelle il s'était habitué durant cette semaine.
Le suivant à l'extérieur, Eléa prit place à l'arrière de la voiture après avoir observé l'intérieur de la maison. Elle ne savait pas quand est-ce qu'elle pourrait y revenir car elle ne comptait pas se remontrer dans les parages avant que les tensions ne soient apaisées et pas mal de temps devrait être nécessaire à cela. Irina les rejoignit et Patrick démarra le moteur pour se diriger vers la sortie de la ville alors que la mâtinée débutait.
Une fois qu'ils eurent laissé l'agglomération derrière eux, ce qui ne fut pas vraiment pour déplaire à Eléa qui en haïssait les habitants après ce qu'ils lui avaient fuit subir durant toutes ces années, ils prirent la direction de Saint-Théophile des Mines, à cinq heures vers le nord-est.
Pour s'être brièvement renseigné sur internet, souhaitant se faire une idée de ce à quoi s'attendre, Eléa savait qu'il s'agissait d'une ville assez importante située à l'extrémité du bassin de Saint-Etienne, qui s'était grandement développée grâce à l'exploitation du charbon pour ensuite se reconvertir par de nombreuses activités commerciales ainsi que dans le domaine de l'éducation.
Comme pour l'école, Eléa ignorait qu'en penser mais elle devrait être capable de s'adapter. Elle avait la capacité de supporter beaucoup de choses, ces années de brimade avaient au moins eu le mérite de lui avoir forgé cette qualité.
La ville disparu derrière eux alors que les roues de la voiture engloutissaient l'asphalte, kilomètre après kilomètre. Autour d'eux, il n'y avait que la campagne, des champs utilisés pour la culture ou bien l'élevage aux tailles variés, parfois ponctués de hameaux ou de villages, souvent dans le lointains, dans les hauteurs des montagnes qui se distinguaient un peu avant l'horizon. Il s'agissait là d'un paysage paisible et monotone mais il n'aidait pas Eléa à se débarrasser de ses appréhensions et de ses craintes alors qu'elle le regardait défiler derrière la vitre.
Le soleil éclaira bientôt la route d'une forte lumière qui obligea Irina et Patrick à abaisser leurs pare-soleil devant leurs yeux.
Personne ne parlait et il régnait dans la voiture un silence assez pesant et attristé de la part d'Irina et Patrick qui se sentaient peinés devoir Eléa partir. Certes, ce n'était pas comme si elle prenait pleinement et réellement son envole mais l'idée de la séparation restait difficile. Quant à la jeune fille, elle demeurait perdue dans ses pensées.
Ils échangèrent davantage lorsqu'ils s'arrêtèrent dans une petite ville par laquelle ils firent un détour pour manger dans un restaurant sans prétention mais très agréable et confortable. Ils s'y attardèrent un peu pour se détendre et se délasser puis ils reprirent la route et arrivèrent à Saint-Théophile des Mines en début d'après-midi, comme ils l'avaient prévu.
Alors qu'elle était plutôt somnolente et désintéressée par ce qu'il se passait de l'autre côté de la fenêtre, Eléa se redressa et observa.
Ils suivaient une large rue bordée de platanes des deux côtés et dont les frondaisons taillées en carré formaient comme une haie en hauteur et longée par des commerces de toutes sortes.
Elle fixa aussi longtemps qu'elle le put une jeune fille sur le trottoir et dont le regard était rose. Les gens autour d'elle semblaient l'accepter ou seulement la tolérer, à moins qu'ils se contentent de l'ignorer. Dans tous les cas, les habitants "normaux" de la ville paraissaient être habitués à ceux moins ordinaires attirés par l'école.
Tournant le volant, Patrick fit bifurquer la voiture dans un autre quartier qui semblait agréable.
À gauche se trouvaient quelques habitations dépareillées alors que, de l'autre côté, s'élevait un haut mur en pierres claires qui semblait se prolonger par la face d'un bâtiment en briques plus foncées. Le longeant en suivant la route, qui le séparait des petits commerces situés en face, ils arrivèrent bientôt à un portail en métal peint en blanc qui dépassait légèrement la taille d'un homme.
Effectuant un créneau, Patrick s'inséra entre les autres voitures garées le long du trottoir. Eléa s'extirpa en claquant la portière derrière elle, le regard fixé sur le mur et le bâtiment qu'elle apercevait de l'autre côté. Cela ressemblait aux photos du site, le doute n'était pas permis et l'appréhension augmenta.
Les mains agitées de spasmes nerveux, elle récupéra sa valise, que Patrick lui sortit du coffre, et la tira derrière elle en suivant ses parents, non pas jusqu'au portail mais plus loin, à l'extrémité du mur où, faisant l'angle de la rue, dépassait un petit bâtiment semi-circulaire dont les pierres se confondaient avec celles du mur. Une vitre installée en guillotine occupait une large portion de la façade et permettant le contact avec l'intérieur. Apparemment, rien ne pouvait entrer dans l'école sans d'abord passer par ce qui pouvait s'apparenter à un concierge. Prudence rassurante et certainement nécessaire même si le quartier paraissait paisible et relativement consentir à la présence des magiciens.
Patrick cogna quelques coups contre la vitre pour se signaler alors qu'Irina passait un bras protecteur autour des épaules d'Eléa, cherchant à la rassurer mais également angoissée. On aurait pu croire à une mère laissant pour la première fois son enfant pour son premier jour de classe.
Dans le poste du concierge, une femme entre deux âges portant des lunettes à monture fine les examina à travers la fenêtre, s'attardant tout particulièrement sur Eléa et son regard rouge, puis elle leur fit signe de retourner au portail, visiblement au courant de leur arrivée. Obéissant, ils s'exécutèrent, ce qu'Eléa jugeait stupide mais elle se garda bien de le préciser.
Ils n'eurent pas à attendre bien longtemps devant la grille. La femme les rejoignit et déverrouilla le portail à l'aide d'une clés qu'elle portait sur un trousseau avec une vingtaine d'autres. Leur tenant le battant métallique, elle les fit entrer en leur expliquant en quelques mots où trouver le directeur.
Eléa n'écouta pas ces indications, entièrement focalisées sur son environnement. Entre le mur et ce qui semblait être le bâtiment principal, celui posant sur la page d'accueil du site, avec le troisième étage plus petit que les deux inférieurs, un peu comme un donjon de château fort sur un dessin d'enfant. Deux ailes symétriques à gauche et à droite en partaient et descendaient vers le mur avec un angle arrondis.
Plusieurs arbres se côtoyaient apparemment sans véritable ordre sur la pelouse parfaitement tondue qui s'étalait sur toute la superficie de ce qui était la cour, sauf sur un chemin dallé de pavés bruns clair qui débutait depuis le portail en traversant ce qui s'approchait davantage d'un jardin de manoir et faisait le tour du bassin rectangulaire de la fontaine, se trouvant plus proche du bâtiment que du mur, puis se séparaient en trois pour mener à la porte de chaque aile. Pour terminer, des bancs peints en gris clair s'éparpillaient un peu partout le long des édifices.
Quelques élèves se repartissaient dans l'espace par petits groupes ou en solitaire, parfois aussi en couple et Eléa constata que les plus âgés avaient environ son âge. Elle en remarqua des plus jeunes, mais seulement de quelques années.
Tout en observant tout autour d'elle, Eléa emboîta le pas à ses parents qui s'engagèrent sur le chemin tracé à travers l'herbe.
Plusieurs regards intrigués se tournèrent vers eux et la jeune fille se sentit de nouveau l'écart, incapable de se mêler aux autres, même lorsqu'il s'agissait de magiciens comme elle.
Arrivant à la fontaine, Eléa remarqua trois personnes en pleine conversation, deux assises sur le rebord du bassin qui devaient avoir environ treize ans et une autre leur faisant face debout qui semblait plus âgée à en juger par sa taille, qui était celle d'un adulte. La voyant de dos, Eléa ne pouvait distinguer ses traits mais, si elle se fiait à ses longs cheveux roux foncés et lisses cascadant jusqu'au bas de ses reins et coiffés d'un large bonnet rouge clair, c'était d'une fille, peut-être de son âge, d'un mètre quatre-vingt environ et à la silhouette athlétique.
Les avisant, les deux plus jeunes suspendirent leur discussion pour les examiner. Eléa contracta les épaules, n'appréciant pas cette sensation d'être une bête curieuse.
Suivant leur regard, la jeune fille se retourna et Eléa comprit son erreur car il s'agissait en réalité d'un jeune homme, plutôt séduisant dans son genre d'ailleurs. Elle s'était fourvoyé à cause de ses longs cheveux mais, une fois qu'on l'avait face à soi, le doute n'était plus possible.
Il avait une vingtaine d'années, la peau rosée à peine bronzée. Le bas de son visage était fort avec les mâchoires et le menton légèrement carrés, mais le haut était un peu plus fin avec les pommettes hautes juste marquées, un front plutôt étroit et un nez droit et pointu aux narines étroites. Cependant, Eléa se sentit immédiatement attirée par ses yeux de chat violets clair, pas tout à fait mauve.
Il portait un simple blue jeans et une chemise blanche légèrement déboutonnée. Les examinant comme Eléa le faisait avec lui, il avisa le regard sanglant de la jeune fille et la valise qu'elle trainait à sa suite.
Comprenant, il sourit, exposant deux rangées parfaites de dents blanches et Eléa se sentit comme défaillir à la vision des fossettes qui creusèrent les coins de ses lèvres. La jeune fille secoua discrètement la tête de gauche à droite pourchasser ces pensées. Que lui arrivait-il ? Elle s'efforça de ravaler son trouble alors que le jeune homme s'avançait vers eux entendant la main en un geste de salut.
Patrick hésita quelques secondes, quelques peu déstabilisé par ce soudain accueil auquel il ne s'attendait pas, avant de la serrer dans la sienne alors que le rouquin se présentait en souriant toujours :

« Vous devez être la famille Alkore ! Monsieur Belforde m'a prévenu de votre arrivée. Enchanté, je suis Gabriel Belforde. Je vous amène à son bureau.
- Et bien, euh, merci beaucoup, Gabriel.

Accepta Irina, elle aussi déstabilisée mais également appréciant la politesse et la sympathie de Gabriel.
Ce dernier sourit une nouvelle fois avant de se diriger vers le bâtiment central en suivant le tracé des dalles.
Restant derrière ses parents, car elle peinait à tirer sa valise sur les pavés du chemin, Eléa l'observa à la dérobée.
Percevant sans doute son regard sur son dos, le jeune homme se retourna vers elle et, la voyant se débattre avec son bagage, il vint à sa hauteur pour l'en alléger et galamment lui porter. Tentant de se donner une contenance à présent qu'elle avait les mains vides, la jeune fille croisa les bras sur sa poitrine alors qu'elle pénétrait dans le bâtiment à la suite de ses parents, Gabriel leur tenant l'un des battants de la large porte vitrée alors qu'il était chargée de la lourde valise d'Eléa.
Ils se retrouvèrent dans un large halle rectangulaire où se repartissaient bancs et blocs de casiers tous identiques mais personnalisés par des autocollants et diverses étiquettes. Deux portes s'ouvraient sur le mur de gauche et menant aux salles de permanence et une autre plus large sur le mur de droite. Une dernière, identique à celle qu'ils venaient de passer, se situait en face et laissait entrevoir une seconde cour à la pelouse impeccable. Pour terminer, un escalier s'élevait à chaque angle du fond, conduisant à l'étage, donnant une forte impression de symétrie.
Reprenant la tête de leur petit groupe, Gabriel s'engagea sur celui de gauche.
Le suivant, ils débouchèrent sur le palier du premier étage qui se composait des différentes salles de classes, qui s'alignaient les unes après les autres ainsi qu'un autre escalier tout au fond qu'ils gravirent, tout comme le suivant au deuxième étage, pour atteindre le troisième et dernier étage, le plus petit, qui semblait réservé à l'administration.
Sachant parfaitement où il se dirigeait et paraissant très bien connaître les personnes travaillant ici, qu'il salua de façon familière avec toujours son sourire, qu'Eléa trouvait à présent figé, Gabriel alla droit vers une porte légèrement isolée des autres et frappa quelques coups contre.
Lorsque l'autorisation d'entrer leur parvint, légèrement étouffée, le jeune homme ouvrit le battant et les laissa entrer dans un bureau à l'atmosphère ouatée et confinée créée par la moquette vert foncé recouvrant le sol et par les murs lambrissés de bois clair.
Juste en face de la porte, sur le mur du fond, s'ouvrait une large fenêtre à croisillons de bois devant laquelle était installé un imposant bureau en bois sombre massif et venir parfaitement organisé avec un écran d'ordinateur et un clavier sur la droite, quelques pots à crayons au milieu et un cadre à photo sur la gauche. Une cheminé en pierre polie, peut-être du marbre, Eléa était incapable de se prononcer, occupait le centre du mur ouest. Au-dessus de son manteau était accrochée une photographie sous verre en noir et blanc représentant l'école devant laquelle posaient ceux qui devaient être les premiers pensionnaires ainsi que le fondateur de l'institut. Le reste du mur était pris par de hautes étagères chargés de dossiers, d'archives et de plusieurs volumes à la reliure ouvragés.
Assis derrière le bureau se tenait un homme d'une petite cinquantaine d'années. Ses cheveux blonds étaient bien peignés sur son crâne et son bouc parfaitement taillé.
Il releva son regard dépareillé, son œil gauche étant brun clair et l'autre bleu, vairons, et sourit chaleureusement en se levant de sa chaise.

- Bonjour, bienvenus ! J'espère que vous avez fait bonne route (il vint serrer la main de Patrick et Irina pour ensuite s'intéresser à Eléa). Eléanora je présume. Tu n'as pas à t'inquiéter, tout a été prévu pour ton arrivée, même si ton admission a été un peu précipitée mais ce n'est pas très grave. Nous n'allions tout de même pas te laisser dans cette situation fâcheuse. Je parle et j'en oublie la politesse la plus élémentaire ! Je suis Aaron Belforde. Mon grand-père a fondé cette école pour offrir un refuge à tous les magiciens quels qu'ils soient. Bon, il me reste quelques formalités à régler avec tes parents alors, en attendant, Gabriel pourra te montrer où t'installer. Tu peux faire ça, mon garçon ?
- Bien sûr. »

Accepta le jeune homme avec un hochement du menton puis, se tournant vers Eléa, il lui demanda son avis de son regard violet troublant.
La jeune fille haussa les épaules en détournant le visage sur le côté. N'ayant jamais fréquenté d'autres magiciens, elle n'avait guère l'habitude des yeux particuliers mais elle sentait que son trouble venait également d'autre part. Irina lui sourit, l'encourageant, alors, après avoir salué et remercié Monsieur Belforde, elle suivit Gabriel, qui tirait toujours sa valise à sa suite et lui tint la porte.
Laissant les ''grands'' s'occuper des formalités administratives, ils remontèrent le couloir jusqu'aux escaliers, rebroussant le chemin qu'ils avaient parcouru pour monter ici.
Marchant côte à côte, Eléa releva discrètement le regard sur Gabriel qu'elle détailla à la recherche de similitude entre lui et le directeur.
Elle avait évidemment relevé que le jeune homme roux portait le même nom que lui et que cette école. Cependant, elle n'en trouva aucune. Ils étaient totalement différents. À part leurs noms, rien ne permettait de supposer qu'ils appartenaient à la même famille.

« Tout va bien ?

La voix chaude de Gabriel tira Eléa de ses pensées dans un léger sursaut et elle s'aperçut qu'elle le fixait sans plus aucune subtilité ni retenue, s'abandonnant dans ses réflexions.
Le rouge aux joues, extrêmement gênée d'être ainsi surprise à l'observer de la sorte par l'intéressé lui-même, elle baissa les yeux, les rivant sur le bout de ses chaussures en se sermonnant tout bas pour ce comportement.
Avait-elle tellement besoin d'être acceptée qu'elle s'attachait stupidement à la première personne partageant son regard en quelques secondes ? C'était idiot et ridicule.
Tentant de se donner un peu de contenance, elle enfouit ses mains dans les poches de son jeans puis, faisant comme si de rien n'était,ou plutôt, s'efforçant de le faire sans beaucoup de succès, elle grommela en réponse à la question de Gabriel :

- Ouais, ouais.
- Refais le en plus souriante et je te croirais peut-être. Plaisanta Gabriel avec son sourire figé. Tu n'es pas contente d'être ici ?
- Je ne sais pas que penser de tout ça...
- C'est le temps de t'accoutumer. Ça ira mieux ensuite, tu verras. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, viens me voir. Je suis là pour ça.
- Gabriel Belforde... Tu es le fils du directeur ?
- Non mais il a été mon tuteur et, comme il me fallait un nom, il m'a donné le sien. Toi, c'est un peu l'inverse. Tu es bien la fille de tes parents pourtant, tu ne portes pas leurs noms.
- En fait, ma mère a prit le nom de mon beau-père en l'épousant. Moi, j'ai gardé le sien.
- Pas celui de ton père ?
- Non.

Répondit Eléa dans un sifflement, les dents et les poings serrés, l'évocation de son père ayant immanquablement cet effet sur elle.
Cependant, elle s'obligea immédiatement au calme et à repousser cette colère par de longues et profondes inspirations. Elle ne souhaitait pas faire subir à Gabriel ce qu'il était arrivé à Eve en retenue. Ici, elle était normale pour le moment alors inutile d'adopter une image de monstre dès dès le premier jour et elle voulait encore moins blesser Gabriel.
D'ailleurs, ce dernier sembla percevoir le danger qui émana soudainement d'elle alors que son pouvoir s'agitait au fond d'elle en une promesse de danger car il eut un léger mouvement de recule, se rapprochant du mur du couloir, lambrissé du même bois que dans le bureau du directeur à l'étage au-dessus. Eléa contracta les mâchoires.
Même parmi les magiciens, elle effrayait la première personne qu'elle rencontrait et qu'elle aurait aimé connaître plus en détails. Au moins, l'énervement disparu simplement avec ce sentiment d'agacement contre elle-même qui l'attristait grandement. Cela avait également l'avantage d'avoir chassé son trouble et sa gêne, émotions relativement plus agréables.
Voyant qu'elle s'était apaisé, Gabriel se rapprocha de nouveau, paraissant lire ce qu'elle ressentait ou bien percevoir quelque chose de plus qui échappait au reste du monde et qui lui fournissait des indices sur son humeur. Peut-être était-ce le cas.
Après tout, elle ignorait à quel pouvoir correspondaient les yeux violets et il pouvait très bien avoir un don de télépathie mais, ignorant si il s'agissait d'une chose qui se demandait entre sorciers et n'ayant plus très envie de parler après le sujet de son géniteur, elle ne le questionna pas et garda son interrogation pour elle. Il lui sourit d'un sourire paraissant légèrement moins plastifié que le précédent, ne semblant pas lui tenir rigueur de son coup de colère.
Descendant comme il le put avec la valise d'Eléa dans les bras, Gabriel la conduisit de nouveau vers le halle. Il s'assura qu'elle le suivait bien en reposant son bagage au sol puis il se dirigea vers la seconde porte qui menait à la deuxième cour.
La tenant en se plaquant contre, il laissa passer la jeune fille, aussi galant que depuis qu'il s'était présenté à eux. Elle le remercia du bout des lèvres sans oser relever le regard sur lui, désolée de l'avoir apeuré par son soudain énervement et toujours sujette à ce trouble qui s'enjouait à tracer des réseaux de nœuds entre sa gorge et son estomac.
S'arrêtant sur le palier extérieur, elle examina cet autre côté d'un large regard circulaire. Là, il n'y avait pas de chemin dallé mais un genre d'amphithéâtre,évidemment plus bas d'un côté et la pelouse formait une pente douce autour. En revanche, il y avait toujours des arbres disséminés sur tout l'espace, plus restreint de ce côté.
Face à elle, et donc à l'arrière du bâtiment principal, s'en dressait un qui occupait toute la longueur du mur d'enceinte au fond qui s'élevait sur quatre étages. Partant de son extrémité gauche, appuyé contre le côté ouest, un autre à un seul étage qui semblait relié au plus grand avec lequel il était accolé. Tout comme celui relié au côté est, aux angles arrondis et qui n'était séparé du bâtiment principal que de quatre mètres environ sur deux étages.
Même si elle ignorait toujours que penser de tout cela et de cette institut, elle devait reconnaître que le cadre était agréable et que l'on s'y sentait en sécurité, ce qui paraissait propice à l'épanouissement de jeunes magiciens fuyant la discrimination.
Peut-être qu'elle y serait heureuse elle aussi. Elle verrait bien dans les prochains mois, attendre la semaine suivante pour se forger un réel s'avérant trop rapide.
Ne parvenant pas à faire rouler la valise dans l'herbe et comme aucun chemin ne facilitait le passage ici, Gabriel la porta à bout de bras, penchant légèrement sur le côté à cause du poids et Eléa se demanda combien de temps il allait pouvoir tenir, ayant elle-même pu constater la lourdeur de son bagage qu'elle ne parvenait même pas à soulever. Cependant, il devait être plus fort et endurant que le laissaient supposer ses épaules étroites et ne la reposa pas avant d'arriver au bâtiment leur faisant face et, comme ce qui paraissait être une polie habitude, il tint la porte à la jeune fille avant d'entrer à sa suite.
Comme Eléa l'avait deviné, il s'agissait du dortoir.
L'entrée se prolongeait par un large couloir où était accroché un grand panneau d'affichage pour que les pensionnaires puissent y laisser des messages ou que l'administration fasse passer les informations. Sur la gauche s'ouvrait une large arche donnant sur un foyer où se réunissaient quelques personnes et un autre couloir partait de l'autre côté, donnant sur un premier accès aux chambres. Au fond, un escalier à côté d'un troisième corridor longeant le foyer. Les murs étaient peints en couleur crème et le sol de parquet clair, apportant une impression de clarté et de profondeur.
Gabriel examina rapidement les annonces épinglées sur le panneau de liège puis s'engagea dans les escaliers. Lui emboîtant le pas, Eléa se demanda combien de marches elle allait encore monter et descendre.
Le couloir de l'étage formait comme un "H"renversé avec les portes s'alignant de parte et d'autre. Sur le bois de chacune étaient scotchées des étiquettes au noms des occupants, en général deux ou trois par chambre. Eléa se doutait qu'elle ne serait pas seule.
Elle appréhendait de se retrouver à devoir partager la chambre où elle ne pourrait jamais être seule. La cohabitation avec autrui n'avait jamais été aisée pour elle et la fréquentation de personnes extérieures à sa famille s'était toujours résumé aux brimades du lycée alors elle redoutait ce partage et la rencontre avec ses colocataires.
Semblant détecter son angoisse comme avec sa colère un peu plus tôt, Gabriel lui adressa un sourire rassurant, différents de ceux figés qu'il avait distribué tout autour de lui depuis qu'ils étaient arrivés, et l'entraina vers la branche supérieure du "H"puis à une porte située à l'extrémité ouest.
Les noms accrochés dessus annonçaient Marianne, écrit à l'encre noire avec une très belle calligraphie élégante, et, au-dessus, Roxy. Le style de cette deuxième étiquette se différenciait totalement de la première. Le stylo utilisé était rose vif, le bas "y"à la fin était tracé avec une forme d'éclair et un crâne aux yeux en cœur à la place des habituelles orbites creuses était dessiné contre les lettres. Il y avait un troisième nom, certainement récemment rajouté. Écrit en rouge se déroulait le nom d'Eléanora, le sien.
La jeune fille aux cheveux cassis écarquilla les yeux, stupéfaite. Elle avait déjà sa place ici. On l'avait déjà accepté, sans question, sans préjugé, sans mépris. Elle n'en revenait pas et l'émotion la saisit aux larmes. Retenant un sanglot, elle se plaqua une main sur la bouche.
Suspendant son geste, s'apprêtant à frapper, Gabriel se tourna vers elle, captant sa brusque montée d'émotion. Il hésita un peu car, même si il avait coutume de manifester sa sympathie à l'égard de tous, il n'avait pas celle d'être réellement proche des autres, puis il passa un bras autour des épaules de la jeune fille en un geste de consolation.
Cette dernière se crispa en se raidissant à ce contacte qui éveilla en elle la volonté de se dégager mais également celle de la prolonger.

- Que t'arrive t-il? S'enquit le jeune homme en se penchant vers elle, qui avait presque trente centimètres de moins.
- C'est juste que...je n'ai pas l'habitude qu'on m'accueille ainsi...
- C'est le principe de cette école, tu sais. Mais attend de rencontrer tes camarades. Tu es loin d'être avec la classe la plus facile. »

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