Chapitre 4 - La magie a ses conséquences


Son sac sur le dos, Eléa courut à travers les couloirs, dérapant sur le carrelage jusqu'à la sortie puis elle jaillit dans la rue où elle descendit à grandes foulées affolées.
Elle traversa presque sous les roues des véhicules, forçant les conducteurs à freiner violemment pour éviter de l'écraser.
Cette fois, elle se moqua des invectives qu'on lui lança, vitres baissées, et elle poursuivit sa course effrénée et désespérée.
Elle manqua de chuter en s'engouffrant dans sa rue en tournant d'une manière trop serrée. Vacillant, elle retrouva son équilibre et continua jusque chez elle,entraîne par la pente.
Ouvrant violemment la porte, elle se rua dans la pièce à vivre, faisant sursauter ses parents qui, en cuisine, entamaient la préparation de repas du soir.
Le souffle court et le cœur battant avec force entre ses côtes, et pas uniquement à cause de sa course, elle tituba jusqu'au canapé pour s'y appuyer en laissant tomber son sac au sol.
Ses muscles tremblaient et ses jambes se dérobaient sous elle.
Elle s'écroula au pied du divan, la main crispée dessus.
Ses parents échangèrent un regard inquiet et se précipitèrent vers elle. Irina s'agenouille à côté d'elle, un bras autour de ses épaules, et s'enquit d'une voix inquiète en passant une main dans ses mèches hérissées :

« Ma chérie, que se passe t-il ? Dis-moi.
- Je...je ne voulais pas. Sanglota Eléa en se laissant tomber contre sa mère qui l'enlaça.
- Quoi donc, ma puce ? Raconte-nous.
- Je... C'est Eve...j'en ai eu assez...elle a dépassé les bornes et je me suis énervée a...alors...mes pouvoirs...le sang coulait de partout...le sang... Maman...

Les larmes étouffèrent le reste des paroles d'Eléa, qui n'aurait pas apporté beaucoup de précision à son résumé entrecoupé de pleurs. Ses parents en avait suffisamment entendu pour comprendre et deviner quel genre d'incident s'était produit et avait ainsi perturbé Eléa.
Cette dernière enfouit son visage contre l'épaule d'Irina en sanglotant toujours plus, l'image de la peau ensanglantée d'Eve aux yeux aussi rouges que les siens fixés dans son esprit sans qu'elle puisse l'en chasser.
Elle avait raison d'avoir toujours gardé sa magie enfouie au fond d'elle-même mais, apparemment, cela ne suffisait plus, elle ne parvenait plus à le conserver enfermé là où il n'était un danger pour personne.
Alors qu'Irina et Patrick échangeaient un regard préoccupé se demandant comment gérer tout cela, aussi bien par rapport au lycée et aux gens que par rapport à Eléa, cette dernière se serra davantage contre sa mère à la recherche de réconfort et de chaleur car elle se sentait glacée de l'intérieur, mais elle ignorait pourquoi.
Ses larmes continuaient à ruisseler et tout son corps était agité de tremblements nerveux qu'elle ne réussissait pas à calmer, ne semblant plus contrôler son corps, alors que la scène d'Eve ensanglantée et hurlante repassait sans cesse dans ses pensées sans qu'elle soit capable d'en formuler d'autres.
La saisissant délicatement par les épaules, Irina la détacha doucement d'elle pour l'examiner et son angoisse augmenta lorsqu'elle constata que son regard rouge ne semblait pas réellement la voir. D'ailleurs, elle ne l'entendit pas vraiment non plus lorsqu'elle appela d'un ton qui se fit de plus en plus inquiet à mesure qu'elle ne réagissait pas, restant inerte et les seuls mouvements troublant son immobilité étant ses tremblements.
Paniquant, Irina hésita à la secouer, ne voulant pas la brusquer mais ne supportant pas de la voir dans cette espèce de torpeur dont elle souhaitait se tirer.
Avant qu'elle ne le fasse, Patrick posa une main apaisante sur la sienne et lui expliqua d'une voix posée bien qu'il soit aussi inquiet qu'elle :

- Elle est en état de choc, Irina. Il faut y aller en douceur et essayer de la réchauffer.

Lui faisant confiance, n'ayant aucune raison de douter de lui et de son expertise, Irina lâcha Eléa avec difficulté, ne voulant pas s'éloigner d'elle, même de quelques mètres, pour se rendre dans l'espace cuisine où elle réchauffa une tasse de thé bien sucrée.
Pendant ce temps, Patrick, resté à côté d'Eléa, s'empara du plaide plié sur le divan pour en envelopper la jeune fille, qui ne semblait toujours pas remarquer quoi que ce soit.
La tenant délicatement par les épaules, il entreprit de la mettre debout. Suivant le mouvement plus par réflexe qu'autre chose, Eléa se releva, tremblant toujours de tous ses membres et se laissa asseoir sur le divan, les mains crispées sur le plaid.
Paraissant revenir à elle et à la réalité alors que son dos s'enfonçait contre le dossier du canapé, elle remonta ses genoux contre sa poitrine en les entourant de ses bras où elle dissimula son visage, pleurant toujours.
Patrick resta à côté d'elle en s'efforçant de la rassurer, bien qu'il ne se sentait guère à l'aise avec la fille de son épouse, puis il échangea sa place avec Irina qui revint rapidement avec une tasse fumante.
La laissant s'occuper d'Eléa, sachant qu'elle était plus efficace que lui avec elle, il se leva pour aller décrocher le téléphone, posé sur la commode à côté de la coupe où s'entassaient toutes les clés de tout le monde, et appeler le proviseur du lycée, prenant les choses en main pour tenter de les garder sous contrôle et que tout cela ne retombe pas sur Eléa.
Elle en souffrait déjà suffisamment.
Il composa le numéro puis alla s'isoler dans leur chambre pour éviter qu'Eléa n'entende la conversation. Pas la peine de l'éprouver encore davantage.
Sur le divan, Irina passa la main dans les cheveux teintés de sa fille en lui murmurant des paroles réconfortantes. Eléa se laissa tomber contre elle en sanglotant, ayant la sensation que tout ce que toutes ces personnes affirmaient sur sa nature monstrueuse était finalement vrai mais Irina lui assurait le contraire d'une voix douce.
Préférant la croire, elle, elle se raccrocha à ses mots mais elle restait sous le choc sans parvenir à s'apaiser.
Elle s'empara de la tasse que sa mère lui tendait, refermant ses mains autour sans se soucier de la brûlure dans ses paumes, et avala le thé, petite gorgée à petite gorgée, en s'efforçant de maîtriser ses tremblements pour ne pas en renverser autour d'elle.
La chaleur de la boisson coulant dans sa gorge irritée par le produit qu'elle avait involontairement avalé dans le bac d'entretiens lui fit du bien, descendant jusqu'à son estomac en irradiant dans son corps, chassant le froid en combinant son action avec celle du plaid sur ses épaules.
Ses tremblements s'apaisèrent et ses larmes cascadèrent avec moins d'intensité de ses yeux rouges mais elle ne se sentait pas réellement mieux.
Elle termina de boire le fond de sa tasse d'une traite, récupérant toute cette chaleur qui lui manquait, qui l'avait fuit sous le choc.
Irina la lui prit des mains pour la reposer sur la table basse poussée contre l'accoudoir du divan pour elle revint l'enlacer de nouveau en la ramenant contre elle. Eléa se laissa tomber contre elle en calant sa tête contre son épaule alors qu'elle passait toujours sa main dans ses mèches ébouriffées en des caresses maternelles rassurantes.
Bercée par le calme et la sécurité de leur maison ainsi que par la douceur réconfortante de sa mère, Eléa fini par s'apaiser après de longues minutes à sangloter et elle ne fit plus que renifler régulièrement même si elle savait que tout n'allait pas s'arranger simplement comme l'affirmait Irina pour la rassurer et l'apaiser.
Tout n'irait pas mieux car elle cesserait d'y penser, l'événement ne s'effacerait pas car elle ne se torturait plus l'esprit avec, il faudrait en assumer les conséquences et les traverser, survivre à cette épreuve, mais, pour le moment, elle devait seulement se calmer et se remettre du choc pour être en mesure d'affronter la suite.
Ses sanglots s'apaisant donc, bien que l'image d'Eve couverte de sang s'accrochait à ses pensées sans qu'elle puisse l'en chasser, elle se détacha d'Irina, qui lui sourit, rassurée de la voir se calmer un peu et elle essuya ses joues, mouillant ses doigts de ses larmes. Elle l'encouragea de nouvelles paroles de consolation puis, la laissant seule quelques minutes sur le divan, elle alla allumer le chauffage dans la salle de bain et récupérer le pyjama préféré d'Eléa, le noir au pantalon décoré d'arabesques rouges, ses deux couleurs favorites, pensant qu'une douche lui ferait le plus grand bien. Parfaitement d'accord, la jeune fille l'en remercia.
Avant que cet événement ne vienne perturber et bouleverser sa journée, et certainement plus largement son existence, elle souhaitait effectivement uniquement se laver et s'enfouir sous ses draps.
Coinçant son pyjama sous son bras, elle gagna la salle de bain après que sa mère l'ait embrassé sur le front.
Son reflet, qui l'accueillit, lui montra ses traits décomposés et ses yeux rouges encore écarquillés par le choc mais cette image était loin d'être aussi terrible que celle d'Eve qui restait dans sa tête sans qu'elle puisse s'en défaire.
S'en détournant, elle retira ses vêtements qu'elle jeta dans le panier à linge sale.
Elle ignorait si elle pourrait les remettre un jour à présent qu'ils était rattachés à cet incident traumatisant.
Ne se posant pas la question, son habillement étant l'un de ces derniers soucis, elle lança la musique sur son téléphone, la laissant envahir la petite pièce, et s'engouffra dans la cabine de douche.
Ouvrant le jet à fond, elle laissa l'eau chaude pleuvoir sur elle, la réchauffant et détendant un peu ses muscles contractés mais qui ne suffisait pas à emporter les problèmes que sa magie avait causé sans qu'elle le veuille ni effacer cette journée plus que catastrophique.
D'ailleurs, l'eau qui ruisselait sur son corps hâlé ne réussissait pas à noyer cette scène sanglante qui se rejouait devant son regard, que ses paupières soient ouvertes ou fermées.
Sa crise de tremblements et de larmes la reprenant, elle se recroquevilla dans un coin de la cabine, entre les bouteilles de shampoings et les flacons de gel douche, la tête dans les bras, libérant de nouveau ses sanglots que la musique couvrit derrière le son des guitares électriques mêlé à celui de la batterie.
Le rythme, qu'elle commença inconsciemment à battre du pied contre le sol mouillé, toujours sous le jet brûlant, l'apaisa un peu et elle se reprit en reniflant.
Se forçant à se remettre, momentanément au moins, elle se releva pour se savonner et se rincer. Un coup de serviette et elle revêtit son pyjama.
Physiquement, elle se sentait un peu mieux, le traumatisme pesant un peu moins sur ses muscles, mais psychologiquement, s'était autre chose.
Elle luttait pour ne pas s'écrouler de nouveau, pas immédiatement.
Coupant sa musique pour glisser son téléphone dans la poche de sa veste, elle entendit ses parents échanger dans la cuisine. Elle ne saisissait pas les propos mais cela signifiait que Patrick avait terminé son appel.
Voulant se renseigner sur la situation et son cas, se doutant que c'était forcément le sujet de leur conversation et que, si c'était elle qui le leur demandait directement, ils ne lui répondraient pas franchement en cherchant à atténuer les faits, elle entrouvrit discrètement la porte pour écouter à l'insu de ses parents.
Ainsi, elle apprit, comme c'était prévisible, que le proviseur était outré qu'elle ait ainsi osé user de ses pouvoirs contre une autre élève alors que le personnel du lycée avait toujours été extrêmement tolérant à son égard, se moquant bien que cette action ait été totalement involontaire, et que Eve avait dû être hospitalisée en urgence à cause de la perte de sang.
Eléa se mordit la lèvre inférieure, ne sachant pas exactement que penser de cette information mais il était certain qu'elle les vivait mal et qu'elle en souffrait.
Ayant entendu ce qu'elle souhaitait apprendre, elle quitta la salle de bain, après avoir éteint le chauffage, et ses parents cessèrent de parler dès qu'elle entra dans la pièce à vivre et se tournèrent vers elle avec un plis soucieux sur le front.
Le regard bas et le visage sombre, Eléa lança d'une voix qu'elle découvrit enrouée par les larmes et le choc :

- Je suppose que ce n'est pas la peine que je prépare mes affaires de cours pour demain.
- Ce n'est pas grave, ma chérie. Ça va aller. Ça va s'arranger... »

Assura Irina en hochant le menton avec détermination, comptant bien ne pas laisser sa fille dans cette situation où seul un regrettable accident l'avait plongé, tout comme elle ne permettrait à personne de la tourmenter et de l'accuser alors qu'elle n'avait jamais voulu faire souffrir personne.
Eléa haussa les épaules.
Elle savait que sa mère était sincère et qu'elle ferait tout pour que ces dires deviennent la vérité mais ce ne serait pas aussi simple. Les choses ne s'arrangeraient pas simplement parce qu'on le souhaitait de toutes ses forces.
Finalement, peut-être aurait-il mieux valu qu'elle accepte d'être scolarisée à domicile comme sa mère l'avait suggéré lorsqu'elle était rentrée avec son haut déchiré après son premier jour de sixième, ce qu'elle avait refusé.
Comme le lui avait dit Patrick, elle était ce qu'elle était et n'avait pas choisi alors c'était aux autres de s'adapter et pas à elle de changer. C'était devenu sa philosophie de vie mais, aujourd'hui, ce mantra ne lui sauverait pas la mise en améliorant sa situation et peut-être d'ailleurs qu'elle s'était trompé en le suivant toujours puisqu'elle devait bien reconnaître que, si elle ne l'avait pas écouté, rien de cet incident ne se serait produit et elle ne s'inquiéterait pas de la sorte, ni ses parents.
Qu'aurait-elle pu faire pour éviter cet événement dramatique ?
Être normale, évidemment, être née sans cette magie qui la mettait en marge de tous comme une pestiférée mais elle ne pouvait décider de sa nature alors il allait falloir qu'elle assume et traverse les épreuves à venir en serrant les dents.
Alors, sans rien dire ou contredire l'affirmation de sa mère, qu'elle espérait tout de même être vraie malgré la difficulté de sa réalisation, elle s'assit à la table en se tordant les mains, les épaules toujours agitées de spasmes nerveux et le menton baissé.
L'odeur de la béchamel ne tarda pas à s'élever dans la cuisine. Un léger sourire sans joie étira timidement les lèvres d'Eléa. Elle était certaine que sa mère allait étaler cette sauce onctueuse sur du pain grillé au four pour lui confectionner son plat préféré et ainsi la réconforter un peu.
Il faudrait beaucoup plus pour la consoler et chasser ce traumatisme mais Eléa était tout de même touchée par le geste de sa mère.
Elle demeura silencieuse, les dents dans sa lèvre inférieure et maîtrisant comme elle le pouvait les tremblements de ses doigts sur ses genoux, en attendant que le repas soit prêt.
Perdue dans ses pensées qui la torturaient et où repassait l'image d'Eve toujours aussi sanguinolente, elle sursaut alors qu'elle sentit une main se poser contre elle.
Elle releva son regard sur Patrick qui lui serra affectueusement l'épaule en lui transmettant du courage.
Eléa le remercia intérieurement d'être là et de s'efforcer de gérer la situation et de la rassurer dans la mesure de ses moyens car elle savait que cela lui demandait des efforts.
Il n'avait jamais été très à l'aise lorsqu'il était sujet de son pouvoir et il n'avait nullement signer pour s'occuper des dégâts causés par l'anomalie de fille d'Irina en lui passant la bague au doigt. Alors, Eléa était touchée qu'il soit pas, et pas seulement passivement.
La jeune fille fut de nouveau extirpée de ses pensées par l'assiette remplie par la tartine croulant sous une généreuse couche de béchamel dont l'odeur appétissante monta à ses narines.
Cependant, elle se sentait incapable d'avaler quoi que ce soit de solide, que ce soit son plat favoris ou non. Son estomac était noué et la boule qu'elle sentait obstruer sa gorge empêchait le passage de toute nourriture mais elle savait qu'il fallait qu'elle mange, n'ayant rien avalé depuis le petit déjeuner de ce matin et ne devant pas rester ainsi le ventre vide après avoir traversé toutes ces émotions.
Pourtant, même en sachant cela, elle ne trouvait pas l'appétit et elle avait plutôt la nausée à l'idée d'ingurgiter ce plat qui lui faisait habituellement tant plaisir.
Sans compter que l'image de tout le sang sur le visage d'Eve et son odeur qu'elle percevait encore dans ses narines lui coupaient l'appétit.
Cela la rassurait dans le sens où le sang, pour une fois, la dégoûtait au lieu de l'attirer en la fascinant comme ordinairement pour le pouvoir qu'il représentait pour elle.
Certainement était-ce une question de circonstances auxquelles le sang était rattaché.
Se forçant tout de même , elle prit une bouchée qu'elle mâcha longuement, ne parvenant pas à déglutir, l'œsophage toujours noué et ayant l'impression que sa nourriture avait le goût du sang. Elle avala avec difficulté et fit l'effort de mordre de nouveau dans sa tartine.
Elle réussi à en manger un tiers avant de ne plus en pouvoir.
Si elle prenait une bouchée de plus, elle régurgiterait tout, alors elle repoussa son assiette vers le centre de la table.
Comprenant, sa mère n'insista pas et remporta son assiette sur le plan de travail de la cuisine, la laissant aller se coucher malgré l'heure encore peu avancée, la journée l'ayant grandement éprouvée et sa seule envie étant de se tasser sous sa couverture.
Irina l'enlaça en la serrant contre elle avant de lui permettre de quitter la pièce, ce qu'elle ne fit pas immédiatement car elle demanda à Patrick si il pouvait lui prêter ses écouteurs pour la soirée. Acceptant, il les lui remit et lui souhaita de bien dormir en lui conseillant de ne pas s'en faire. La jeune fille lui répondit d'un sourire sceptique et tiré.
Son conseil était tout simplement impossible à appliquer mais c'était gentiment attentionné de sa part d'essayer de la rassurer.
Toujours silencieuse et sombre, elle gagna sa chambre dont elle ferma les volets.
Sa fenêtre donnant sur la rue, elle avisa deux de leurs voisins qui échangeaient à voix basses et, lorsqu'ils la remarquèrent, ils se turent en lui adressant un regard méprisant mais aussi craintif.
Apparemment, la nouvelle de l'incident s'était déjà rependu dans la ville.
Comment la rumeur allait-elle amplifier et modifier cette histoire ?
Certainement pas en lui attribuant le beau rôle.
Elle s'empressa de refermer les battants en les claquant l'un contre l'autre et elle bondit sur son lit en remontant sa couverture au-dessus de son crâne, voulant se cacher et disparaître pour échapper à tout cela.
Ne connaissant qu'un moyen pour s'enfuir, elle brancha les écouteurs prêtés par Patrick à son téléphone et les introduisit dans ses oreilles pour lancer sa musique, qui l'apaisa un peu sans pour autant la purger de toutes ses préoccupations.
Focalisée sur le rythme et les paroles, elle n'entendit pas Irina entrer et sursauta violemment lorsqu'elle s'assit sur le bord de son lit pour l'étreindre, comme lorsqu'elle était enfant et qu'elle faisait des mauvais rêves.
Elle resta longtemps serrée contre sa mère, en quête de réconfort dans ses caresses maternelle dans ses cheveux, dans ses paroles rassurantes et ses promesses que tout irait bien.
Apaisée, elle fini par s'endormir contre Irina qui l'allongea doucement en s'assurant que sa couverture ne glisserait pas puis elle quitta la chambre en se mordillant l'intérieur des joues, inquiète pour sa fille et la suite des événements.
Cependant,le sommeil d'Eléa ne fut pas réparateur et ne contribua pas à la détendre et la calmer.
Au contraire, sa nuit fut peuplée de cauchemars ensanglantés avec du sang dégoulinant de partout et elle s'acheva lorsqu'elle se réveilla en sursaut à cause du cri provenant de la pièce à vivre.
Se redressant sur ses bras tremblants, à cause de la fatigue et du choc de la veille qui n'était toujours pas passé, elle retira ses écouteurs, avec lesquels elle s'était endormi et qui ne diffusaient plus aucune musique, et tendit l'oreille, se concentrant sur son ouï.
Ainsi,elle identifia deux timbre féminins, dont celui de sa mère et un autre qu'elle ne connaissait pas.
Ils avaient donc de la visite mais qui ?
D'après le ton et les cris qui s'élevaient, pas quelqu'un d'amical.
En écoutant, elle comprit qu'il s'agissait de la mère d'Eve et elle se raidit à cette constatation mais encore plus lorsqu'elle saisit qu'elle exigeait que les frais d'hospitalisation d'Eve soient payés par les Alekor. Ce que Irina refusait catégoriquement, argumentant qu'Eléa n'avait jamais voulu nuire à personne. Ce qui était la vérité d'ailleurs.
Face à ce rejet péremptoire, la mère d'Eve menaça de les trainer au tribunal et de faire enfermer Eléa à vie, là où elle ne mettrait plus personne en danger.
La discutions ne continua guère après ça et Eléa devina que Patrick venait de mettre la mère d'Eve à la porte.
La jeune fille resta assise sur son lit, les genoux remontés contre sa poitrine et les larmes lui brûlant les yeux dès le matin.
Elle savait qu'il ne suffisait pas que la nuit passe pour tout effacer ou de l'espérer pour que tout s'arrange subitement.
Les problèmes arrivaient en masse et il ne s'agissait pas seulement d'être renvoyée d'un lycée. Là, il était sujet de tribunaux, de saisir la justice, de plainte et peut-être même de prison.
C'était extrêmement grave.
Tout ça car elle n'était pas capable de maîtriser les actions de sa magie une fois qu'elle s'échappait de la cage normalement conçue pour la retenir.
Ne se sentant pas de taille à affronter la situation, même si elle était entièrement responsable, et voulant seulement disparaître pour que tout cesse,elle relança sa musique et se rallongea en enfonçant la tête dans son oreiller alors que ses pensées virevoltaient d'une angoisse à une image d'Eve ensanglantée sans qu'elle puisse l'empêcher.
Elle ferma les paupières, espérant fuir tout cela en s'endormant, bien que sa nuit achevée il y avait peu lui avait prouvé que cette solution ne fonctionnait qu'avec peu d'efficacité.
De toute manière, le sommeil ne vint pas.
Elle était trop inquiète pour se rendormir et toujours bouleversée par l'incident de la veille mais elle ne voulait pas se lever pour être directement confrontée au critique de la situation, seulement se cacher en niant la réalité. C'était peut-être immature et stupide mais elle avait besoin de l'être. Elle était trop éprouvée et mal pour affronter tout cela, alors, elle enfouit son crâne sous sa couverture, tentant de se créer un cocon où seule existerait la musique pour se couper de tous ces problèmes,les yeux clos.
Elle ne sut combien de temps elle resta ainsi, isolée dans sa bulle où même le temps s'effaçait, mais elle fut forcée de la quitter lorsqu'on tira doucement la couverture de sa tête.
Dans la semi-obscurité, elle releva le regard sur sa mère qui se tenait debout à côté de son lit, un plateau entre les mains. Elle le posa sur la table de chevet, poussant légèrement la lampe et le roman,et Eléa put voir qu'elle lui avait préparé des œufs à la tomate avec des tartines beurrées et du lait chaud parfumé à la cannelle.
Elle sourit, émue par les attentions dont l'entourait toujours sa mère, mais elle ne réussit qu'à produire une expression tirée, trop préoccupée pour réellement sourire.
Devinant qu'elle ne se sentait guère mieux que la veille, ce qui aurait été surprenant,Irina s'assit sur le bord du lit et passa une main dans ses cheveux, rendus plats par l'oreiller, un sourire soucieux aux lèvres.
Avec douceur, elle retira les écouteurs des oreilles d'Eléa mais, avant qu'elle ne s'enquiert de son état, bien qu'elle soupçonnait déjà la réponse, la jeune fille la prit de vitesse en déclarant :

« J'ai entendu la mère d'Eve. Si elle porte plainte, nous ne réussirons jamais à nous défendre.
- C'était un accident ! Décréta Irina d'une voix tremblante. Ça ira, tu verras. Tu devrais manger et aller prendre un peu l'air. Ça te fera du bien plutôt que de rester ici enfermée. »

Irina sourit une nouvelle fois, toujours soucieuse sous sa bienveillance et ses gestes de réconfort, et elle embrassa sa fille sur le front avant de la laisser tranquille pour se réveiller.
Suivant ses conseils, Eléa posa la plateau sur ses jambes étendues sous les draps et entreprit d'avaler son petit déjeuner mais, comme la veille, sa gorge et son estomac étaient bien trop noués et elle ne réussit à ingurgiter que quelques bouchées d'œufs et elle ne tenta même pas les tartines. En revanche, elle but l'intégralité de son lait, le liquide passant mieux que le solide, qui la nourrit le plus.
Incapable d'en avaler davantage, elle repoussa son plateau pour se relever.
Suivant tout de même sa routine matinale comme tous les jours, elle ouvrit ses volets et constata que la mâtinée en était à son milieu.
Se moquant bien de l'horaire, elle se détourna de la fenêtre pour choisir ses vêtements, un peu au hasard, son apparence étant actuellement parmi ses dernières préoccupations.
Sa tenue se composa donc d'un pantalon moulant noir et d'un sweat à la poche et aux bords rouges.
Elle ne passa pas par la salle de bain pour se coiffer, s'en moquant bien aujourd'hui, et déboucha dans la pièce à vivre où elle constata que Patrick était parti à son travail de moniteur d'une auto-école mais que, en revanche, sa mère avait visiblement prit un jour de congé pour rester avec elle, délaissant momentanément son poste d'assistante sociale.
Eléa l'avertit que, comme elle le lui avait conseillé, elle sortait, certainement pour une petite heure, pour tenter de s'aérer et de se changer les pensées.
Remettant sa musique dans ses oreilles, elle suivit le sens de la rue vers le bas, les mains dans les poches de son sweat, la droite tenant son téléphone.
Ainsi, elle s'éloignait du centre-ville pour rester dans les quartiers résidentielles où elle s'enfonçait, limitant les risques de croiser du monde.
Baissant la tête à chaque fois qu'un véhicule passait, comme si elle se sentait capable alors que, comme Irina l'avait affirmé, il ne s'agissait que d'un accident qu'elle regrettait terriblement, elle marcha au hasard, fuyant en vain ses pensées qui s'accrochaient à elle.
Encore une fois, elle n'eut aucune conscience du temps qui s'écoula et elle ne se rendit compte de la durée réelle de cette promenade que lorsqu'elle remarqua que midi approchait.
Elle jura.
Sa mère devait s'inquiéter.
Sans attendre davantage, elle fit volte-face et rebroussa chemin en suivant les trottoirs.
Avec le repas qui ne tarderait plus, il y avait bien plus de gens dans les rues et Eléa accéléra le pas en se dissimulant sous la capuche de son sweat, fuyant les regards qui la dévisageaient. Il fallait croire que tous était au courant de l'affaire bien que les choses restent relativement calmes autour et qu'on se contentait seulement de la fixer lorsqu'elle passait.
Du moins, ce fut ce qu'il lui sembla jusqu'à arriver devant chez elle.
Le pallier était envahis par un groupe d'une douzaine de personnes, hommes et femmes, brandissant des pancartes et des banderoles aux slogans qui ne laissaient guère de doutes sur leurs positions en ce qui concernait les magiciens : La sécurité pour nos enfants, Les sorciers enfermés, magie =danger, On ne veut pas avoir peur dans notre ville.
Eléa contracta les mâchoires en serrant les poings. Elle avait l'habitude de ce genre de discours, trop quotidiennement entendus, mais, là,ils venaient les déclamer directement devant sa porte. Il s'agissait d'une attaque personnelle dont elle était la cible.
Pourtant, la colère ne la saisit pas car, dès qu'elle commença à monter, elle se souvint de la dernière fois où elle avait cédé et l'image du visage sanglant d'Eve la calma immédiatement, pour ainsi dire.
Seulement, elle constatait qu'il allait falloir qu'elle traverse cette masse hostile pour atteindre la porte et rentrer chez elle.
Elle inspira profondément pour se donner du courage puis, la capuche rabattue au maximum sur ses traits, elle entreprit de se frayer un passage jusqu'à la porte.
Elle se glissa entre deux femmes de l'épaule en le dépassant et elle était presque arrivée, ayant traversée l'attroupement sans encombre lorsqu'une poigne puissante se referma autour de son poignet pour la tirer au milieu du groupe et faisant retomber sa capuche en arrière, ce qui dévoila son regard de sang.
Elle leva brièvement ses yeux sur l'homme au regard dur en tentant de se libérer de ses doigts serrés sans grand succès.

« Justement celle qui nous intéresse. Écoute moi bien, gamine, tu vas partir d'ici. Tu n'es pas la bienvenue, tu ne l'as jamais été.
- Lâchez ma fille immédiatement. »

Ordonna une voix basse et dure, légèrement menaçante, derrière eux et tous se tournèrent vers Patrick, qui descendait visiblement de voiture.
Le beau-père d'Eléa fendit l'attroupement en adressant des rictus méprisants à ceux qui le formaient et, arrivant à leur hauteur, il arracha le bras d'Eléa, sans faire mal à cette dernière, de la main de l'homme puis, entourant les épaules de la jeune fille d'un bras, il l'entraîna à l'intérieur sans plus se soucier de ce groupe agressif, qui reprit ses invectives dans leurs dos.
Eléa remercia Patrick du bout des lèvres, fortement préoccupée par cet incident et ce qu'il impliquait également troublée qu'il l'ait désigné comme sa fille.
C'était la première fois qu'il l'appelait ainsi et elle ignorait qu'il la considérait réellement comme telle.
Une fois qu'ils furent à l'abri à l'intérieur, il verrouilla la porte d'entrée, montrant à Eléa à quel point il était inquiet, puis il expliqua à Irina en quelques mots ce qu'il venait de se produire.Elle vint enlacer Eléa pour la rassurer en déclarant :

« Ce n'est plus possible, il faut faire quelque chose !
- Mais quoi ? Demanda Eléa, légèrement cassante et se doutant qu'il n'y avait guère de solution et qu'ils ne pouvaient que serrer les dents en espérant que ça passe un jour.
- Je me suis renseigné toute à l'heure. Regarde.

Répondit Patrick sans rien préciser et, se tournant pour atteindre la fermeture à glissière, il ouvrit son sac à dos pour en tirer une feuille qu'il tendit à Eléa.
Intriguée et circonspecte, la jeune fille la prit pour l'examiner, un sourcil arqué et la tête penchée sur le côté.
Il s'agissait de la photocopie de la page d'accueil du site d'une école.
En haut, il y avait une photo d'un bâtiment de trois étages, le dernier plus petit que les autres, en briques bistres avec une fontaine en bassin carré et une belle pelouse devant. Le titre déclamait qu'il s'agissait de l'institut Belforde dans la ville de Saint-Théophile des Mines et quelques lignes sous la photo précisaient que c'était un établissement conçu et spécialisé pour l'accueil de magiciens, en particulier les plus jeunes, pour les aider à maîtriser leurs pouvoirs en plus de leur permettre de suivre un cursus scolaire plus ordinaire.
Eléa lu rapidement la présentation en diagonale puis, abaissant la feuille, elle lança, visiblement opposée :

- Alors c'est ça que vous proposez ? Que j'aille m'enfermer comme une lépreuse ? Je croyais que je n'avais pas à changer, que c'était aux autres de s'adapter !
- C'est toujours le cas mais regarde la situation, ce c'est pas sûr pour toi et tu ne penses pas que ce serait mieux si tu pouvais contrôler ta magie en étant entourée de personnes qui te comprendraient ?
- Si, sûrement. Reconnu Eléa alors qu'elle acceptait lentement l'idée.
- Tu y seras plus en sécurité qu'ici, appuya Irina. J'ai peur que ça ne dégénère.
- Vous pensez que je pourrai y aller ?
- Appartement, ils accueillent des pensionnaires tout au long de l'année et puis ce n'est que le début de l'année scolaire. Il suffit de les contacter. Répondit Patrick.
- Nous allons nous occuper de tout, ma puce, ne t'en fais pas. »











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