Chapitre 29 - Heure de visite

Le haut-parleur encastré dans le plafond du train annonça en grésillant légèrement que le prochain arrêt serait plus long que prévu en raison d'une petite avarie technique qui serait rapidement réglée.
Gabriel hocha le menton alors qu'il entendait le passager installé sur le siège derrière lui grommeler contre la compagnie de transport ferroviaire. Ce retard ne dérangeait pas le jeune homme roux. Au contraire, ce temps d'arrêt supplémentaire leur permettrait de descendre tranquillement bien qu'il se doutait que décharger leurs deux sacs ne nécessitait que peu de temps mais ce serait tout de même plus confortable que d'avoir à se presser.
En attendant d'arriver à destination, Gabriel reporta son regard sur le paysage défilant de l'autre côté de l'épaisse vitre en remuant doucement son épaule gauche ankylosée par le poids de la tête d'Eléa, endormie depuis une heure.
Il glissa un regard sur elle en souriant doucement avant de venir de nouveau sur l'extérieur, fasciné. En effet, il ne s'était que rarement aventuré hors de l'enceinte de l'institut Belforde, les occasions ne se présentant guère et sa présence y étant requise, et il n'avait non plus jamais quitté Saint Théophile des Mines. Il ne connaissait rien d'autre que ces bâtiments en briques brunes.
C'était donc avec curiosité qu'il observait ce qui apparaissait de l'autre côté de la fenêtre. Pour une fois, c'était lui qui était déstabilisé et ne connaissait pas ce qui l'entourait, l'environnement où il évoluait. Certes, il connaissait évidemment toutes ces choses mais uniquement indirectement, que ce soit à travers les livres, la musique, la télévision ou Internet mais, aujourd'hui, c'était la première fois qu'il les expérimentait. Ainsi, jamais il n'avait prit le train et ne s'attendait pas à ce que ce soit comme il le ressentait actuellement, un bercement alors que le paysage défilait.
Jamais non plus il n'avait directement pu admirer les étendues des champs, les petits villages se succédant, les montagnes creusées de tunnels. Son émerveillement avait été refroidi lorsqu'il avait constaté qu'Eléa ne le partageait guère, à tel point qu'elle s'était finalement endormie contre lui. C'était simplement qu'elle avait plus l'habitude de tout cela que lui.
À cette réflexion, c'était presque à croire qu'ils venaient de deux mondes différents. Ainsi, il s'apercevait que, enfermé bien à l'abri à l'institut qui le protégeait des haines et des intolérances, il avait été coupé du monde et de sa course dont il n'avait pas la sensation de faire partie alors qu'il contemplait pour la première fois de ses propres yeux tant d'éléments banals qui n'émouvaient que lui.
Un exemple parlant était que ce serait également la première fois qu'il dormirait ailleurs que dans une chambre du dortoir et qu'il se trouverait dans un foyer ordinaire, comme ceux que tous les enfants habitaient. Lui n'avait toujours connu que l'institut Belforde, tout comme il ignorait comment pouvait fonctionner un tel endroit.
Ce qui expliquait certainement l'appréhension qui lestait son estomac de plomb actuellement, surtout alors que leur destination ne cessait de se rapprocher. C'était un peu pathétique d'être ainsi dérouté et impressionné par la normalité de l'extérieur. Après tout, il n'était pas encore trop tard pour découvrir toutes ces choses qui le fascinaient et il accordait confiance à sa faculté d'adaptation, bien qu'il ne l'ait jamais testé. Il pouvait également compter sur la présence d'Eléa.
D'ailleurs, il faudrait que la jeune fille se réveille. La gare apparaissait par la fenêtre du wagon. Avec douceur, il referma la main sur l'épaule de la jeune fille et la secoua sans violence, la tirant délicatement du sommeil. Eléa grogna en fermant les paupières avec force et remuant puis, Gabriel insistant, elle ouvrit les yeux en les posant directement sur le jeune homme face à elle.
Il put voir son aura enfler et s'affoler à cause de la proximité qu'elle avait inconsciemment instauré en dormant. S'efforçant de ne rien montrer, bien inutilement donc, elle se redressa, s'écartant de Gabriel, qui ravala une moue déçue pour privilégier son masque au sourire artificiel.
L'esprit encore quelques peu embrumé par le sommeil tout juste retiré, la jeune fille regarda autour d'elle, un peu déstabilisée, avant de se souvenir d'où ils se trouvaient et pour quelles raisons, surtout lorsqu'elle avisa la gare de sa ville approcher. N'ayant donc pas besoin d'interroger Gabriel sur les causes de ce réveil, la jeune fille ne dit rien et, après s'être étirée, sous le regard violet de Gabriel, elle se leva, suivie de Gabriel.
Ce dernier récupéra leurs deux sacs rangés en hauteur, à la fois par galanterie mais également car Eléa était trop petite pour atteindre le rangement prévu au-dessus des rangées de sièges. Remontant l'allée du wagon, ils se dirigèrent vers les portes où patientaient quelques autres passagers, agités par les secousses du train sur les rails.
Le véhicule ralentit peu à peu puis s'immobilisa en freinant assez brutalement, déséquilibrant ceux n'étant pas assis. Alors que les portes s'ouvraient dans un chuintement, Eléa rabattit la capuche de son manteau sur son crâne, masquant son regard rouge. Gabriel la regarda faire avec un sourcil arqué, remarquant que c'était bien ses yeux qu'elle cherchait à dissimuler mais, après quelques secondes de réflexions silencieuses, il jugea cette prévention logique.
En effet, bien qu'il n'en connaisse pas les détails, il savait, par Monsieur Belforde, qu'elle n'avait jamais été acceptée ou tolérée dans cette ville. Ce genre de protection était prévisible. Seulement, lui, il ne disposait pas de quelques chose pour cacher son regard de magicien, n'y ayant pas songé. Il connaissait pourtant le genre de réactions que la normalité pouvait avoir face à ceux comme eux mais il n'y avait pas réellement pensé en partant de l'école.
Il n'avait pas le réflexe de camoufler son regard anormal, n'ayant pas suffisamment expérimenté cette discrimination, protégé derrière les murs de l'institut, isolé du reste du monde, la seule existence qu'il connaissait. Il se traita mentalement d'idiot.
Comment avait-il pu ne pas y songer ?
Peut-être que, certes, il n'avait jamais été vraiment victime de violences liées à sa nature, à l'inverse d'Eléa, mais il était pourtant capable de prévoir les choses, de se douter des éventualités alors pourquoi ce détail lui avait-il échappé ? Était-ce la perspective de voyager seul avec Eléa et de loger chez elle qui l'avait ainsi troublé ? À moins que ce ne soit toutes ces interrogations sur le directeur et tout ce qu'il lui arrivait qui le préoccupaient trop.
Ne restait plus qu'à espérer qu'il n'ait rien omit d'emporter dans ses bagages.
À la suite d'Eléa, il descendit sur le quai goudronné en culpabilisant toujours pour son regard trop visible qui ferait repérer Eléa.
S'inquiétant de cela et des conséquences pour la jeune fille à cause des réactions des gens qu'ils pourraient croiser, sans compter qu'ils pourraient se faire identifier à cause de lui, il voulu lui proposer de se rendre chez elle séparément, chacun de son côté, mais il se ravisa à en faisant la remarque que cette idée était profondément stupide. En effet, il ne connaissait pas la ville, encore moins l'emplacement de la maison où ils étaient attendus alors il se contenta d'emboîter le pas à Eléa en portant leurs deux sacs, ayant refusé de rendre le sien à la jeune fille qui avait tendu la main pour le récupérer.
Traversant le halle désert et silencieux, la gare étant à l'échelle de la petite ville où elle se situait, ils sortirent sur le parvis. Le bâtiment se trouvait en haut d'une rue en pente, derrière un parking où étaient stationnés quelques véhicules.
S'immobilisant, Eléa promena son regard sur les alentours, étreinte par une étrange sensation. Il lui semblait qu'elle observait une image, un tableau, appartenant à une époque révolue où retourner était impossible,une aquarelle identique à ses souvenirs alors que, elle, elle était différente. Certes, elle n'avait pas quitté cet endroit depuis longtemps, trois mois environs, mais elle avait beaucoup changé durant ce laps de temps.
Aujourd'hui, alors qu'elle revenait, elle avait commencé à s'ouvrir grâce à son nouvel entourage, elle était acceptée et appréciée et elle maîtrisait sa magie, peut-être pas autant qu'elle le souhaitait. Oui, elle était plus forte qu'au moment de ce départ. Sauf qu'elle n'allait pas parader au centre-ville en provoquant tous les opposants à la magie, à son existence, car elle avait prit conscience qu'elle avait la permission d'exister telle qu'elle était autant que toute autre personne, elle n'était pas folle.
Elle savait que les tensions exacerbées par l'incident avec Eve n'étaient pas retombées et qu'elles rampaient toujours dans les rues, prêtes à ressurgir et elle était presque seule face à elles et ne pourraient donc pas les affronter. Pour sa sécurité, il valait mieux faire profile bas et gagner rapidement la maison. Elle ne souhaitait pas non plus mettre Gabriel en danger.Impossible de deviner jusqu'où une altercation à but discriminatoire pouvait dégénérer.
Prudente, elle conserva donc le regard bas, uniquement concentrée sur sa marche et le chemin à parcourir, ignorant les regards sur elle.
La reconnaissait-on ?
Dans le doute, elle préféra accélérer, entraînant Gabriel derrière elle. Le jeune homme ne se plaignit pas, augmentant également la cadence de son pas, bien qu'il aurait souhaité s'attarder un peu pour contempler les parages et les rues qu'ils traversaient, intrigué et intéressé par ce genre de lieu qu'il ne fréquentait jamais ordinairement.
Quittant le centre-ville, qu'Eléa avait au maximum évité, effectuant quelques détours, qui leur avait également fait esquiver la pollution et les véhicules, ils s'engouffrèrent dans une rue résidentielle en pente. L'endroit était calme, certainement car la plupart des résidents occupaient leurs emplois respectifs en cette heure de la journée.
En suivant Eléa vers le bas de la rue, Gabriel remarqua de très nombreuses affiches et tracts placardés ou tapissant les trottoirs et tous arboraient des slogans anti-magiciens. La plupart semblaient dater de plusieurs semaines mais de plus récents se repéraient parmi eux. Il ne s'agissait pas de la seule rue où étaient visibles ce genre de revendications mais leur concentration était plus élevée ici. Cette constatation permit à Gabriel de déterminer que c'était ici que vivait Eléa. Cette dernière se fit la remarque que les militants avaient retapissé le quartier peu après son départ.
Il ne manquait plus qu'une étincelle pour que tout enflammer et faire exploser. Il allait vraiment falloir qu'ils s'attardent au minimum et règlent cette affaire au plus vite, pas seulement car Eléa ne désirait absolument pas aider Eve.
La jeune fille ralentit peu à peu, signalant indirectement à Gabriel qu'ils approchaient. Un sourire discret étira les lèvres d'Eléa sous sa capuche alors qu'elle avisait la façade de la maison de son enfance. Même si sa place n'était plus ici mais à l'institut Belforde parmi ses camarades et qu'elle était possiblement en danger dans cette ville, c'était plaisant de retourner dans le foyer qui l'avait protégé et où on l'avait aimé. Alors qu'elle parcourait les derniers mètres qui les séparaient encore de la porte, elle s'aperçut que la voiture de Patrick n'était pas stationnée le long du trottoir. Sans aucun doute se trouvait-il au travail, à l'inverse d'Irina, qui, évidemment avertie de leur venue par Monsieur Belforde, avait prit sa journée.
Eléa ressentit soudainement de l'appréhension, moins élevée que celle qu'éprouvait toujours Gabriel, accompagnée d'impatience alors qu'elle montait les deux marches du perron menant à la porte. Après tout, elle n'avait pas regagné la maison familiale depuis son entrée à l'institut Belforde puisque les violences à son encontre n'avaient pas déserté la ville et qu'elle souhaitait s'en protéger, elle ainsi que ses parents. Seulement, cette violence, qu'elle avait préféré éviter semblait l'avoir accompagnée à l'institut comme en témoignaient les meurtres. Au moins, elle ne la visaient pas directement, pour l'instant.
Chassant ces pensées, la jeune fille frappa quelques coups contre la porte. Cette manière de s'annoncer pouvait paraître étrange et singulière puisque c'était pour rentrer chez elle, dans son propre foyer, mais elle désirait faire la surprise de son retour à Irina, qui, bien qu'avertie, ne connaissait pas l'horaire exacte. En attendant qu'on ouvre, la jeune fille prit une grande inspiration pour apaiser son impatience alors que Gabriel se tordait les mains derrière elle, le cœur s'affolant de plus en plus alors que seulement quelques secondes les séparaient encore de l'installation chez Eléa, certes seulement pour deux nuits.
La porte s'ouvrit sans tarder sur une Irina qui poussa un cri de joie en découvrant sa fille, dont elle n'avait pas prévu l'arrivée si tôt, et elle la prit dans ses bras en la serrant contre sa poitrine, heureuse de la revoir. C'était en effet la première fois que la mère et la fille étaient séparées, qu'Eléa prenait de l'autonomie, et cela avait été plus difficile et douloureux pour Irina dont Eléa était le point d'encrage principal, son centre autour duquel sa vie avait longtemps gravité.
Eléa sourit en rendant son étreinte à Irina, rassurée de retrouver son odeur maternelle rassurante et réconfortante, qui lui rappelait que, quelles que soient les circonstances et le contexte, elle serait toujours aimée, protégée et en sécurité auprès d'une personne au moins. Redevenir une enfant qui avait besoin de sa mère pour quelques temps, quelques heures avant de se rendre à l'hôpital, était agréable et confortable.
Après plusieurs secondes de cette puissante étreinte maternelle, Irina se détacha d'Eléa et, la tenant à bout de bras, elle l'observa avec un large sourire, le sourire d'une mère.
Un sourire que Gabriel n'avait jamais pu admirer, un sourire que jamais on ne lui avait adressé,  lui qui n'avait pas même de famille, seulement un tuteur de plus en plus distant qui agissait de plus en plus étrangement, lui qui avait été abandonné devant les portes de l'institut alors qu'il n'était qu'un nourrisson. Éventuellement, il y avait Iris mais les souvenirs qu'il conservait d'elle étaient si lointains et imprécis que cela ne comptait pas réellement à ses yeux.
Le jeune homme revint au présent lorsque Irina prit la parole en tenant le visage d'Eléa,une main sur chaque joue :

« Comment vas-tu, ma puce ? Je suis tellement contente que de te revoir ! (elle avisa Gabriel sur le trottoir). Oh, Gabriel, bonjour. C'est très gentil d'accompagner d'Eléa.
- Ce...ce n'est rien. Assura Gabriel, gêné.
- Rentrez tous les deux. Je vais faire du thé.

Eléa acquiesça en souriant en s'engouffrant dans la petite maison à la suite d'Irina. Gabriel accepta poliment en leur emboîtant le pas en portant toujours leurs deux sacs.
Pendant qu'Irina se dirigeait vers le coin cuisine, séparé du reste par le comptoir, pour préparer la collation promise, accompagnée par Eléa, qui n'avait eu besoin que de quelques secondes pour retrouver les habitudes liées à cette maison, Gabriel fit quelques pas en regardant autour de lui.
Les choses étaient comme ils se l'imaginaient, confortables, intimes et douillettes. Seulement, il y avait d'autres éléments qu'il n'avait pas prévu, comme les odeurs, celle de l'intimité et de l'affection, celle des repas faits avec attention, ou encore les traces de la vie qui se déroulait entre ces murs. Il y avait également les photos encadrées ou accrochées au-dessus du canapé. Des clichés d'instants en famille, de sorties, d'anniversaires ou de diverses fêtes, encore des choses que Gabriel ne connaissait pas et qu'il n'avait jamais expérimenté.
Il avisa une photo centrée sur une enfant d'environ huit ans qui portait un panier d'œufs en chocolat. Il reconnu Eléa à ses yeux rouges plus qu'à ses joues rondes ou ses cheveux châtains foncé, leur teinte naturelle.
Perdu dans ses réflexions, il remarqua à peine les mots échangés entre Eléa et Irina à son sujet. Irina donna un coup de coude à Eléa en le désignant du menton avec un sourire et un clin d'œil tendre et amusé auquel la jeune fille répondit en baissant le menton dans un grommellement, le rouge au visage. Décidément, où qu'elle aille, les commentaires sur Gabriel la suivaient. Eléa en était vraiment agacée, surtout qu'ils n'avaient pas lieu d'être, ou peut-être que si, justement. Il fallait reconnaître que la situation était étrange et particulière.
En général, lorsqu'une fille amenait un garçon chez ses parents, c'était pour présenter son amoureux, pas car le directeur d'une école pour magiciens avait préféré qu'il l'accompagne pour régler les conséquences de sa désastreuse magie. À cette réflexion, Eléa put presque entendre le ton goguenard de Roxanne lui signaler qu'ils ne tenaient qu'à elle de faire exister la première raison. La jeune fille soupira longuement en posant les trois tasses sur un plateau.
Serviable et galant comme à son habitude, Gabriel vint le prendre pour l'amener sur la table. Irina le rejoignit avec la théière et des biscuits puis Eléa vint s'installer la dernière entre sa mère et Gabriel.
Alors que ce dernier avait eu l'air étrangement absent, perdu dans ses pensées, depuis leur arrivée, il reprit son masque de sympathie dès que la conversation s'engagea avec Irina. La discussion se déroula majoritairement entre deux, Eléa se montrant peu loquace, comme elle l'était souvent, son caractère silencieux renforcé par la présence de Gabriel qui, lui, semblait répondre avec plaisir aux questions d'Irina en rebondissant sur ses propos.
Les sujets se concentrèrent essentiellement autour des cours à l'institut, leurs camarades et la vie là-bas en général. Irina parut enchantée d'apprendre, davantage de la bouche de Gabriel que de celle d'Eléa, que cette dernière était à ce point acceptée et appréciée des membres de sa classe, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant.
Enthousiasmée par cette perspective, Irina voulu connaître au maximum les détails sur ses amis – elle employa ce terme avec un large sourire – forçant Eléa à faire défiler les quelques photos enregistrées sur son téléphone. Il y en avait d'ailleurs quelques unes de la fameuse soirée d'Halloween. Eléa s'empressa de les passer, les joues empourprées, et Gabriel feignit de ne s'apercevoir de rien, fidèle à son habitude.
Quoi qu'il en était, ils n'évoquèrent que le positif qu'avait apporté cette scolarité à l'institut Belforde, en évitant soigneusement le sujet des meurtres et de l'enquête en cours, bien que Gabriel vit, au mouvement de son aura, qu'Irina y songeait et en était très inquiète. Quoi de plus normal pour une mère qui percevait le danger autour de sa fille.
Du moins, c'était ce que supposait Gabriel puisque, encore une fois, il s'agissait d'une chose qu'il n'avait jamais vraiment connu. Ici, dans ce foyer familial, conforme à l'image parfaite qu'on pouvait s'en faire, les vides, les manques et les questions qui rongeaient son existence ainsi que la colère qui en résultait semblaient plus profonds, comme si ils l'encerclaient. Il parvenait moins bien à faire semblant, comme c'était souvent le cas avec Eléa.
Son masque paraissait fragilisé depuis l'arrivée de la jeune fille et son aura si forte.
Ils terminèrent leur collation avec toujours cette apparente bonne humeur puis, après avoir aidé Irina à débarrasser la table, Eléa alla s'installer en reprenant possession de sa chambre. Elle entraîna Gabriel à sa suite, bien qu'elle soit gênée de l'introduire dans la chambre de son enfance mais elle pensait que le laisser seul avec sa mère était peut-être plus gênant. À moins que ce ne soit qu'elle souhaitait rester avec le jeune homme sans se l'avouer.
Certainement était-ce que sa présence la rassurait alors qu'elle songeait à ce qui l'attendait demain. En effet, le rendez-vous à l'hôpital pour soigner Eve avait été fixé à la mâtinée suivante et cette idée l'angoissait autant qu'elle la révoltait pour la pression qu'on avait fait peser sur elle pour qu'elle accepte. Sa seule consolation était qu'elle pouvait se raccrocher à la présence de Gabriel à ses côtés.
Son sac, qu'elle s'était pressé de récupérer avant que Gabriel ne le fasse, sur l'épaule,elle se dirigea au fond du court couloir, le jeune homme à sa suite. Elle fronça les sourcils en découvrant sa porte entrouverte car elle était certaine de l'avoir fermé en sortant et elle doutait que ses parents s'y rendent régulièrement pour un pèlerinage nostalgique vers le temps de son enfance qu'elle avait quitté.
Alors pourquoi sa chambre n'était-elle pas fermée comme elle l'avait laissé à son départ ?
Entre les meurtres et le directeur qui jouait les marionnettes sans fils, elle se méfiait des portes entrouvertes sans raison et de ce qu'elles dissimulaient.
Appréhendant et les paumes moites d'une angoisse irrationnelle puisqu'il n'y avait certainement pas de chose dangereuse ou effrayante dans cette maison, elle poussa doucement la porte qui pivota sur ses charnières, dévoilant la pièce.
Dès qu'elle avisa son lit, Eléa écarquilla les yeux de stupéfaction. Là, sur sa couverture, dans un creux où les draps étaient tassés, dormait paisiblement un gros matou blanc roulé en boule.

« Mais qu'est-ce que ça veut dire ? S'exclama Eléa en laissant son sac tomber à terre, le regard rivé sur le chat qui redressa la tête pour dévisager les deux importuns avant de bailler et de reposer le menton sur ses pattes croisés.
- Ce n'est pas ton chat ? S'étonna Gabriel.
- Non ! On n'a jamais eu d'animal.
- À mon avis, tes parents devaient se sentir seuls sans toi alors ils ont essayé de combler le manque.
- En prenant un chat ? Super (elle saisit le félin sous les pattes avant et le souleva. Il la regarda de ses yeux blancs fendus sans paraître comprendre et elle déchiffra le nom inscrit sur la médaille : Silvio). Au moins, ils n'ont pas prit un lapin albinos parce que ses yeux leur auraient rappelé les miens (Gabriel sourit, amusé par la remarque). Bon, alors...voilà ma chambre.

Présenta Eléa en reposant Silvio sur le lit, la gêne la gagnant alors qu'elle s'apercevait qu'elle avait effectivement fait entrer Gabriel dans son intimité, d'autant plus qu'elle ne partageait cette chambre avec aucune autre personne.
Ne sachant plus vraiment comment se comporter, elle croisa les mains devant elle en se mordillant les lèvres pendant que Gabriel regardait la décoration de la pièce, notamment les pochettes d'albums éparpillées sur le bureau avec toujours son sourire plastique. Il ne fit aucun commentaire et Eléa ne sut si elle préférait ou non mais elle aurait aimé savoir ce qu'il pensait, sauf que c'était impossible, surtout avec Gabriel caché sous son masque.
Eléa prépara sa chambre pour la nuit, ouvrant la fenêtre, secouant les draps d'où se souleva un nuage de poils blancs, qui désignait son lit comme territoire de sieste favori de Silvio, et vérifia qu'elle avait toutes ses affaires dans son sac pendant que, aidée de Gabriel, qui, même invité, ne manquait pas une occasion de se rendre serviable, que ce soit sous le toit qu'il considérait comme le sien ou un autre, Irina installa le canapé pour que le jeune homme puisse y dormir, le dépliant en lit et le recouvrant de couverture.
Le temps d'organiser la nuit des deux jeunes gens, la soirée fut là et Patrick rentra.
Lui aussi sembla ravi de revoir Eléa, qu'il gratifia d'une étreinte amical et d'une caresse paternelle dans les cheveux. La crainte qu'il avait des pouvoirs de sa fille adoptive était dépassée par la joie de son retour, certes temporaire, et Eléa se demandait comment un homme dont elle n'était pas du sang pouvait manifester tant d'affection à son égard alors que son propre géniteur l'avait abandonné avant même de la connaître.
En revanche, Patrick se montra moins démonstratif, plus réservé que son épouse, envers Gabriel, qui lui rendit poliment son salut en souriant, comme toujours.
N'ayant plus grand chose à se dire mais le repas à préparer, Irina et Patrick suggérèrent à Eléa et Gabriel d'en profiter pour s'isoler un peu et parler tranquillement avant le lendemain. Ne pouvant pas refuser au motif qu'elle était extrêmement gênée de se retrouver seule à seul dans sa chambre avec le jeune homme et que la tension risquerait de l'étouffer, pas devant le principal intéressé en tous cas, Eléa acquiesça, raidie et la gorge sèche.
Sans rien montrer, espérant que son aura ne refléterait pas trop les émotions qui l'agitaient, elle fit signe à Gabriel de la suivre dans le petit couloir, ignorant si il éprouvait les mêmes sentiments qu'elle en cet instant.
La jeune fille s'assit en tailleur sur son lit, et Silvio vint se lover entre ses jambes en ronronnant, guère farouche apparemment, pendant que Gabriel demeurait debout, ne faisant pas comme chez lui, contrairement à l'habitude d'aise qu'il avait à l'institut malgré la permission d'Irina.
Eléa étouffa un soupir.
Pas plus de quelques secondes et elle se sentait déjà écrasée, oppressée. Lorsqu'ils se retrouvaient seuls, Gabriel et elle, c'était pour ses cours de magie et elle parvenait à se concentrer sur ses pouvoirs or, là, le contexte était totalement différent et elle ne pouvait faire autrement que de se focaliser sur Gabriel. Elle n'osait pas lui parler, ne sachant que lui dire, et n'osait pas non plus le regarder. Lui non plus ne paraissait guère à l'aise mais Eléa ne pouvait en être absolument certaine comme elle se sentait incapable de le fixer directement.
Tentant de se donner une contenance, elle prit son portable dont elle déverrouilla l'écran pour vérifier si elle avait des messages. En effet, elle découvrit qu'elle en avait plusieurs, tous de la part de ses camarades de l'institut qui l'encourageaient pour le lendemain, lui souhaitaient bonne chance et lui adressaient leur soutiens. Il y avait également celui de Roxanne, évidemment, qui sortait du lot en lui demandant : Alors, où est-ce que Gabriel va dormir ? Vous allez partager ton lit ? ;)
Eléa leva les yeux au ciel en secouant la tête de gauche à droite, s'abstenant de répondre à ce message plein de sous-entendu, comme Roxanne les aimait tant.
Soudainement, Gabriel, qui s'était permis de s'appuyer contre le mur face au lit, prit la parole, rompant le silence pesant et tendu, en faisant sursauter Eléa, qui ne s'attendait pas à l'entendre, et en demandant :

« En as-tu parlé aux autres ?
- Quoi donc ?
- Du directeur. Parce qu'on a vu la même chose dans le bureau, n'est-ce pas ?
- Oui, je pense que oui. Moi, je n'ai rien dit pour la simple raison que je ne sais pas exactement ce que j'ai vu. Qu'est-ce que c'était, qu'est-ce que ça veut dire ?
- Je n'en sais rien.
- Quoi ? Toi, Gabriel qui sait tout, tu ne sais pas ?
- Contrairement à ce que tu as l'air de croire, je ne sais pas tout.
- Mais c'était magique, non ?
- C'est ce qu'il me semble aussi mais je n'ai jamais une telle influence de la magie.
- Super. Comme si on avait besoin de ça en plus.
- Tu t'en fais pour demain mais ça va aller.
- Comment peux-tu le savoir ?
- Parce que je t'en fais la promesse. »


Eléa peina à trouver le sommeil, aussi bien à cause de l'appréhension à propos du rendez-vous à l'hôpital dans quelques heures maintenant mais également de savoir qu'elle trouverait Gabriel dans son salon en se levant mais elle chercha à se convaincre que cette dernière raison n'avait rien à voir avec son agaçante insomnie et qu'elle venait plutôt du fait qu'elle avait dormit dans le train en venant.
La jeune fille parvint tout de même à glaner quelques heures de repos et elle se leva d'assez mauvaise humeur en songeant à l'épreuve qu'elle devrait surmonter aujourd'hui même.
Par un réflexe lié à l'endroit, elle tâtonna sur sa table de chevet à la recherche de son téléphone et de ses écouteurs pour les enfoncer dans ses oreilles, comme elle en avait coutume pour créer sa bulle et se couper du monde pour se protéger. Un sourire se traça sur ses traits fatigués alors qu'elle remarquait qu'elle n'avait pas une seule fois eu besoin de cette bulle à l'institut. Satisfaite de cette pensée, elle quitta sa chambre et son sourire s'élargit alors qu'une odeur d'œufs brouillés parvenait à ses narines.
Peut-être qu'elle y était à sa place mais il n'y avait pas un tel parfums à l'institut.
Repoussant sa douche, elle se rendit directement dans le salon où la scène qu'elle découvrit contribua à chasser sa forte contrariété du levée, temporairement du moins.
Gabriel dormait encore, allongé sur le dos sur le divan installé en lit, le visage tourné sur le côté et Silvio roulé en boule sur son crâne parmi ses longues mèches rousses. Eléa étouffa un rire pour ne pas le déranger et, jugeant dommage de ne pas immortaliser cet instant, elle le photographia avec son téléphone puis elle rejoignit Irina qui s'affairait dans la cuisine.
Bien rodées à l'exercice, elles se placèrent chacune d'un côté et entreprirent de préparer un petit déjeuner consistant à titre d'encouragement pour la journée qui les attendait, en discutant par murmures.
Après plusieurs minutes, l'odorat titillé par les odeurs de la nourriture et percevant les deux présences, en particulier celle d'Eléa, Gabriel remua, importunant Silvio qui choisit de changer de place et sauta un peu brutalement sur le ventre du jeune homme. Sous ce poids soudain qui lui fit presque comme un coup, Gabriel se réveilla totalement alors que tout l'air était expulsé de ses poumons.
Déstabilisé – c'était la première fois qu'il se réveillait ailleurs que dans sa chambre du dortoir – il regarda autour de lui puis, avisant Eléa et Irina dans la cuisine, il se souvint et les salua, visiblement intimidé. Apparemment, le sommeil fragilisait son masque. Irina lui sourit largement alors qu'Eléa se contentait d'un hochement du menton, plus réservée.
Le jeune homme baissa son regard sur Silvio qui enfonçait ses pattes dans son ventre. Il écarta l'animal en le déposant à côté de lui sur le canapé et se leva en s'étirant.
Eléa détourna le regard, se concentrant sur les tomates qu'elle faisait cuire, refusant d'admettre son trouble et elle se raidit lorsqu'il les rejoignit dans la cuisine pour leur proposer son aide. Sauf qu'il fut obligé de reconnaître qu'il ne savait pas cuisiner, n'en ayant jamais eu besoin puisque les cuisiniers du réfectoire se chargeaient de préparer tous les repas alors il les laissa faire, ne souhaitant pas les déranger, avec une moue désolée.
Sans s'en rendre pleinement compte, n'en ayant presque pas conscience, Eléa lui offrit de lui apprendre les bases de la cuisine, ce qui la fit rougir alors que les yeux de Gabriel s'arrondissaient de surprise, non pas qu'elle lui propose ainsi quelque chose mais par l'idée qu'elle puisse lui enseigner quelque chose car, habituellement, et d'autant plus dans le cas d'Eléa,c'était lui qui jouait les professeurs. Sauf que, ici, hors de l'institut Belforde, dans le monde des personnes "normales", il ne semblait plus rien savoir ni comprendre aussi bien.
Patrick étant déjà parti, ils mangèrent tous les trois mais l'ambiance fut nettement moins détendue que la veille car Eléa songeait à Eve qu'elle devait soigner, ce dont elle ne se savait même pas capable de faire. Irina s'inquiétait donc pour elle et, le ressentant dans leurs auras, Gabriel s'en sentit mal-à-l'aise.
Ils avalèrent donc rapidement leur petit déjeuner puis Eléa et Gabriel se relayèrent à la salle de bain et il fut déjà l'heure de se rendre à l'hôpital qui arriva bien trop vite au goût d'Eléa.
Bien qu'elle aurait préféré s'y rendre à pied, malgré le fait que l'établissement soit loin, Irina les y déposa en voiture dans laquelle le trajet fut pesant et oppressant, étouffant comme le silence.
Debout devant les portes vitrées, Eléa fixa la voiture qui s'éloignait avec la très forte envie de la rattraper pour partir. Les mots lui manquaient pour exprimer à quel point elle ne désirait pas entrer, même pour le dire mentalement, mais elle n'avait guère le choix.
La main de Gabriel se referma autour de la sienne, la ramenant à la réalité. Elle se tourna vers le jeune homme qui lui adressa un sourire d'encouragement. Eléa se sentit rassurée. Il était là et il s'efforçait de la soutenir.
La jeune fille inspira profondément et pénétra dans le large halle desservant deux couloirs, un à gauche et à droite, ainsi qu'un escalier au centre à côté du bureau d'accueil, le tout en blanc qui renforçait le côté froid. L'air sembla se bloquer dans les poumons d'Eléa mais, entraînée par Gabriel et l'obligation, elle traversa le halle pour aller s'accouder face à la secrétaire qui ouvrit la bouche pour lui demander ce qu'elle pouvait faire pour elle mais, dès qu'elle avisa son regard couleur de sang, elle la referma et se contenta d'un hochement grave du menton. Visiblement, le personnel médical était au courant des "dispositions" prises par la famille d'Eve pour guérir cette dernière.
La femme ne dit rien. Sans regarder Eléa ou Gabriel, elle pianota quelques mots sur son clavier puis tendit un formulaire à la jeune fille qu'elle comprit devoir remplir. D'une écriture tremblante, elle inscrivit les renseignements exigés et termina en apposant sa signature. En récupérant le document, la secrétaire lui indiqua d'une voix froide où elle devait se rendre. Eléa ne prit pas la peine de la remercier, estimant que ses services ne le méritaient pas et, ne se défaisant pas de sa bonne éducation, Gabriel le fit mais d'un ton piquant et sarcastique puis ils s'engagèrent dans les escaliers.
Ayant entendu les indications de la secrétaire comme Eléa et, voyant que cette dernière n'avait pas l'esprit à s'orienter dans tous ces couloirs, ce qu'il comprenait parfaitement, Gabriel passa devant elle sans lui lâcher la main, sentant que ce contact la rassurait et aimant le tourbillon coloré que créaient leurs auras là où leurs peaux se touchaient.
Gabriel guidant donc, ils montèrent au troisième étage, là où se trouvaient les chambres des patients hospitalisés. Encore une fois, ils durent se signaler et le regard de l'infirmer fut le même que celui de la secrétaire à l'accueil alors qu'il les priait d'attendre. Ils s'adossèrent donc contre le mur et patientèrent.
Anxieuse, Eléa tapotait du pied et se mordillait les lèvres.
Pour ne pas alléger sa nervosité, tous ceux qui les croisaient, personnel médical ou malades, leur lançaient des regards méprisants d'animosités. Gabriel comprenait de mieux en mieux pourquoi Eléa s'efforçait d'être aussi distante pour se protéger de toute atteinte extérieure et également pourquoi il préférait demeurer dans l'enceinte de l'institut.
Vers environ le dixième regard de la sorte, le jeune homme en eut assez. Se détachant du mur, il saisit le coupable de cette expression pour le bras en le serrant fermement pour le tourner vers lui.
Les yeux luisants d'un glacial éclat de rage, il siffla :

« Vous avez un problème avec mon amie ? »

Gabriel impressionnant à la fois par sa taille et surtout par la colère qu'il dégageait, l'autre ne souhaita donc pas prendre le risque de le provoquer et il baissa les yeux en secouant piteusement la tête.
Gabriel le libéra et retourna attendre à côté d'Eléa qui le fixait avec de grands yeux écarquillés. Elle, jamais elle ne s'était opposé. À la place, elle avait toujours encaissé, les dents serrées, car elle savait que ce serait pire sinon, mais Gabriel avait prit sa défense. Elle ignorait si elle devait le remercier ou non, alors elle garda le silence.
En revanche, le jeune homme avait un large sourire, non pas qu'il se satisfaisait de s'en être pris à quelqu'un mais car il jubilait d'avoir enfin pu manifester ce qu'il ressentait, notamment les émotions négatives. En effet, ce devait être une des premières fois qu'il ne se comportait pas comme un grand frère bienveillant et compréhensif avec tout le monde. Certes, il venait de défendre Eléa mais c'était pour une toute autre raison et ce n'était pas en jouant les médiateurs. Cependant, il n'eut guère le temps de savourer ce sentiment car une aide soignante les appela.
Le cœur d'Eléa s'emballa subitement alors que ses paumes se couvraient de sueur.
Elle se tourna vers Gabriel, en quête de son soutiens. Le lui offrant, le jeune homme lui sourit doucement en pressant davantage ses doigts autour de sa main. La jeune fille inspira profondément et se dirigea vers la porte que leur ouvrait l'infirmière et chacun de ses pas fut d'une incroyable difficulté, comme si ses semelles étaient lestées de plomb.
La chambre était minuscule, tout l'espace était presque intégralement occupé par le lit où reposait Eve. La jeune fille était pâle et ses traits tirés, sans parler des trois perfusions auxquelles elle était reliée et qui ne paraissaient pas faire une grande différence au vu de son état. Il y avait également un peu de sang qui coulait de sous ses paupières closes.
L'oxygène se bloqua dans les poumons d'Eléa alors qu'elle étouffait un cri en se détournant, se plaquant contre Gabriel, qui referma ses bras autour d'elle. C'était elle qui avait fait ça, c'était sa magie.
Comment ne pas se considérer comme un monstre ? Comment ne pas détester ce qu'elle était ? Qu'est-ce qui lui avait prit d'accepter de venir ici ? Comment avait-elle pu penser qu'elle le supporterait ?
Elle luttait farouchement contre son envie de quitter cette chambre pour ne jamais revenir. Heureusement, Gabriel était là.
Il la serra contre lui comme pour lui transmettre de la force et du courage. Ce qui semblait étrangement fonctionner auprès d'Eléa car elle parvint à se détacher du jeune homme pour se tourner de nouveau vers Eve, la gorge nouée. Plus vite elle réglerait son problème, plus vite elle pourrait partir et ne plus jamais se préoccuper de cela. Seulement, elle ignorait comment faire.
Grace aux cours de Gabriel, elle savait comment faire remonter sa magie et en user plus ou moins comme elle le souhaitait mais certainement pas annuler ses effet ou quelque chose s'en rapprochant. Elle avait beau réfléchir, elle ne trouvait pas comment faire, sans compter que ses connaissances en magie se limitaient à ce qu'elle avait apprit durant ses cours avec Gabriel.
Elle se tourna vers lui en quête de conseils ou d'une solution, de quelque chose à faire, mais il ne lui dit rien, gardant le visage pensif, lui aussi plongé dans ses réflexions. Eléa le fixa en se tordant les mains, attendant qu'il lui livre l'explication dont elle avait besoin, ce qu'il fit après encore quelques secondes de silence :

« Bon, lorsque tu fais de la magie, tes pouvoirs affluent lorsque tu fais une action avec puis ils refluent et les effets de la magie s'annulent.
- Mais toute la magie s'est retiré depuis un moment, Gabriel. J'étais à des kilomètres pendant près de trois mois !
- Évidemment, mais il faut croire que l'effet est resté actif parce qu'il est puissant.
- Ouais, j'étais furieuse...
- Peut-être que si tu fais affluer ta magie, elle captera ce sort, ce morceau de pouvoir qui persiste et il refluera avec elle.
- Tu crois ?
- Ça me paraît possible et puis, tu ne risques pas d'empirer les choses comme maintenant tu sais comment faire pour que ta magie ne soit pas offensive mais seulement présente. Ne t'inquiète pas, je vais te guider, comme pendant les cours.

Eléa acquiesça avec un sourire tiré, rassurée par les paroles et l'assurance de Gabriel mais néanmoins angoissée et l'appréhension battant à ses tempes.
Elle ne savait que trop bien ce qu'il s'était produit la dernière fois qu'elle avait échappé à sa magie à proximité d'Eve, elle en avait justement les conséquences sous les yeux, mais Gabriel avait raison.
Aujourd'hui, elle contrôlait ses pouvoirs et savait ce qu'elle en faisait. Il y avait également le fait qu'elle pouvait compter sur l'appuie de Gabriel. C'était certainement ce dernier élément qui l'encourageait le plus à ne pas avoir peur de ce qu'elle pourrait faire. Elle se demandait ce qu'elle aurait fait sans son soutien et pas seulement pour aujourd'hui et cette épreuve qu'elle avait à surmonter mais pour tous les jours depuis son arrivée à l'institut.
Eléa tira la chais pliable poussée contre le mur pour s'asseoir à côté du lit d'Eve. Cette dernière, toujours inconsciente, ne semblait absolument pas avoir conscience de ce qu'il se passait dans la chambre autour d'elle.
Eléa prit une profonde inspiration alors que sa gorge s'obstruait d'une boule et elle étudia Eve durant plusieurs secondes sans rien faire d'autre que de se tordre les mains. Elle grommela quelque chose d'incompréhensible, même pour elle, s'agaçant de faire ainsi trainer les choses.
Dans un soupir, elle ferma les yeux pour se concentrer sur sa magie qu'elle entreprit de faire remonter à ses mains. Il était temps d'en finir et de tourner la page de ce sombre événement qui la hantait mais, après tout, peut-être n'était-il pas si sombre après tout puisqu'il lui avait permit d'intégrer l'institut et de trouver une place.
Dans tous les cas, elle devait en terminer, non pas pour Eve ou sa famille, ne considérant pas qu'elle leur devait quelque chose, bien au contraire, ou par obéissance à cette pression qu'ils avaient fait peser surelle, mais pour elle-même, pour oublier et ainsi être en paix avec elle-même et sa magie. Avec ce point de vue, l'obligation de soigner Eve devenait moins contraignante et révoltante.
La magie d'Eléa serpenta hors de son corps en se rependant dans la pièce.
Posté en retrait à côté de la porte, Gabriel sentit le pouvoir saturer la chambre et le rouge entourant l'aura d'Eléa, couleur de ses yeux et de sa magie, augmenta en gonflant. Son pouvoir se cibla immédiatement sur le sang contenu dans les perfusion reliées à Eve. Les poches de plastique éclatèrent et le sang s'éleva en volutes rouges tout autour du lit.
Gabriel les observa alors qu'elles dansaient à plus d'un mètre au-dessus du sol, fasciné, puis, reprenant brusquement conscience du temps qui s'écoulait, il indiqua à Eléa qu'elle avait certainement produit suffisamment de magie.
Se fiant donc à son jugement, la jeune fille relâcha ses pouvoirs qui regagnèrent le fond de son être. Le sang cessa de léviter et retomba en flaques sur le sol.
Eléa se releva en vacillant légèrement, n'ayant que rarement autant usé de ses pouvoirs, manquant encore d'entraînement. Gabriel s'empressa de venir la soutenir, courbé en deux pour être à sa hauteur alors qu'elle s'appuyait contre lui.
Se demandant si l'idée de Gabriel avait fonctionné, elle se tourna vers le lit où elle découvrit Eve qui regardait autour d'elle, l'air perdu et déboussolé.
Eléa n'avait plus aucune raison de s'attarder visiblement alors elle se dirigea vers la sortie et Gabriel la suivit en la soutenant, la conduisant hors de l'hôpital.
Alors qu'il quittait la chambre, Eléa murmura :

- J'ai fait ce que je pouvais. »






















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