Chapitre 20 - La mort au bout du couloir

Après ce premier cours particulier de magie, Eléa était allée trouver Monsieur Moreau dans la salle des professeurs, au premier étage de l'aile centrale du bâtiment principal, pour lui présenter ses excuses pour son comportement, son insolence et son ingratitude.
Le professeur d'Histoire avait semblé être surpris mais touché par cette attention. Il lui avait assuré que ce n'était rien, qu'il comprenait sa réaction et, après qu'elle lui ait résumé le déroulement du cours en compagnie de Gabriel, il avait conclu qu'il valait certainement mieux que ce soit le jeune homme qui se charge de son apprentissage magique pour la suite puisqu'il semblait beaucoup plus efficace que lui en ce domaine et que ses résultats étaient plus probants que ceux qu'il avait réussi à obtenir. Monsieur Moreau s'était occupé de demander son autorisation à Monsieur Belforde, une simple formalité puisque le directeur accordait une grande liberté à son protégé à qui il ne refusait pas grand chose.
Cela faisait donc une semaine et demie et trois séances que les cours particuliers d'Eléa avaient été fixés. Ils s'organisaient avec Gabriel selon leurs disponibilités respectives.
Pour le moment, ces cours se déroulaient très bien, même si le trouble et la tension les accompagnaient alors qu'ils se retrouvaient en tête à tête, ce qui ne calmaient pas les taquineries de ses camarades, au contraire, et la jeune fille progressait rapidement, comme l'avait pressentit Gabriel. Elle éprouvait encore de nombreuses difficultés et surtout beaucoup de crainte mais elle était parvenue à doter le sang de la forme qu'elle souhaitait et elle commençait à se remettre de l'événement du réfectoire, même si elle portait une grande attention à ce qu'elle avait dans son assiette depuis.
Si les choses semblaient donc aller ordinairement bien et tranquillement entre les murs de l'institut, il y flottait une tension permanente, bien moins agréable que celle qu'Eléa ressentait en présence de Gabriel, qui pesait lourdement sur les épaules et le crâne de tous.
Sa première cause était évidemment les militants anti-magie qui se réunissaient tous les jours devant la grille pour crier leur opposition à l'existence de cette école et de ses pensionnaires, toujours encouragés et transportés par cette femme intolérante aux cheveux blonds décolorés.
Plus grand monde n'osait quitter la sécurité de l'établissement. Roxanne avait tenté de le faire pour se rendre à son bar favoris et elle avait dû presque en venir en mains pour que les manifestants la laissent en paix. D'après Marianne, qui avait assisté à la scène depuis leur chambre, il n'en aurait pas fallu beaucoup plus pour que l'empoignade se transforme en lynchage public mais Roxanne ne s'était pas laissé impressionner, contrairement à Sylvain qui n'osait plus s'approcher de la grille depuis une semaine.
La jeune fille avait argumenté que la meilleure manière de résister à ces personnes étaient de continuer à vivre et, même si les autres lui donnaient raison, ils ne pensaient pas que aller dans la provocation était une excellente idée. C'était surtout que la jeune fille refusait de se cloitrer dans l'institut. Elle avait besoin de sortir régulièrement pour trouver ses doses d'alcool, de petits amis et d'autres choses, essentielles à son fonctionnement, d'après elle.
Depuis l'arrivée de ce groupe, Eléa recevait tous les jours des appels de sa mère qui voulait s'assurer que tout allait bien, au courant de ces problèmes par l'intermédiaire de l'émission de Marjorie qui, elle, voyait dans la situation actuelle un sujet à exploiter pour son maudit reportage.
Malgré ces événements, qui provoquaient ces impressions de menaces permanentes flottant imperceptiblement dans l'air, tous s'efforçaient de poursuivre leur existence comme si de rien n'était, aussi normalement que possible dans ces circonstances.
Les cours se déroulaient aux horaires ordinaires, les professeurs étaient présents, les cuisiniers confectionnaient les menus, les élèves faisaient leurs devoirs et passaient du temps en petits groupes, Lavande donnait toujours plus de raisons de l'étrangler, Shikou demeurait silencieuse, Salim ne s'approchait jamais et Eléa se défendait des accusations d'amour de Lison après avoir suivi Gabriel du regard mais, en passant dans les couloirs, les regards s'attardaient à travers les fenêtres pour observer ces gens à l'extérieur qui manifestaient contre leur existence même, les mâchoires contractées de colère et d'angoisse.
Cependant, il y en avait un qui ne paraissait guère préoccupé par tout cela et c'était Monsieur Belforde. Jusqu'ici, il ne s'était pas montré pour tenter de rassurer ses pensionnaires ou les membres de son personnel ni pour autre chose d'ailleurs, restant dans son bureau,comme toujours et, d'après ceux vivant à l'institut depuis plusieurs années et qui le connaissaient donc mieux, cela ne lui ressemblait pas. Normalement, il aurait dû être présent, figure protectrice et paternelle rassurante pour tous mais il n'était pas là. Cela faisait d'ailleurs déjà quelques mois qu'il ne participait plus guère à la vie de l'établissement, ce qui faisait répéter à Gabriel, le mieux placé pour juger le comportement du directeur qu'il fréquentait depuis qu'il était nourrisson, que c'était décidément fort étrange, que quelque chose n'allait pas,que cette attitude en était la preuve flagrante.
Tous espéraient que, du haut de son bastion, Monsieur Belforde faisait ce qu'il fallait, jouant de son influence, de ses relations et son talent relationnel pour règler la situation et faire partir ces manifestants.
Sauf que, pour le moment, rien ne changeait vraiment, à part le nombre des manifestants, un peu plus importants ou un peu moins selon les jours. En écoutant les conversations autour d'elle et en posant quelques questions à ses amis, Eléa avait appris que ces circonstances étaient tout à fait exceptionnelles pour l'école. Certes, il arrivait parfois que Monsieur Belforde reçoive des courriers véhéments qui condamnaient son œuvre et ses efforts mais jamais rien de plus. Il s'agissait d'un tout autre niveau aujourd'hui.
Des tractes aux propos anti-magiciens avaient été distribués dans tout le quartier pour "sensibiliser" les habitants à cette dangereuse "menace". Roxanne en avait ramené un d'une de ses sorties.
Comme bien souvent, Eléa ignorait que penser de tout cela. C'était préoccupant, c'était certain, et elle avait également la conviction que la situation ne resterait pas ainsi indéfiniment, quelques semaines encore, tout au plus. Soit elle allait s'améliorer, soit, au contraire, elle empirerait pour de quelconque raisons.
Évidemment, elle espérait que ce serait la première possibilité. Elle en avait assez de se réveiller et d'apercevoir ces personnes, qui jugeaient sans savoir et sans connaître, au pied de la fenêtre. Elle se sentait prise au piège dans ce qui était devenu son foyer et elle détestait cette sensation. Heureusement, elle pouvait compter sur ses camarades et leurs présences pour se soutenir et tenir le coup.
D'ailleurs, ils se rassuraient et se soutenaient tous mutuellement. Tout le monde se sentait éprouvé par ces faits, mais cela n'empêchait pas la vie de s'écouler en continuant et les cours dispensés, même si peu étaient dans l'état d'esprit adéquat pour travailler, que ce soit du côté des élèves ou des professeurs.
Eléa quitta la salle de biologie en soupirant, son trieur serré contre sa poitrine. Elle se doutait d'avoir raté le devoir d'aujourd'hui, ne parvenant pas à se concentrer suffisamment pour répondre correctement aux questions posées. Son esprit revenait toujours à la situation préoccupante qu'ils traversaient actuellement et, d'après les visages de ses camarades sortant derrière elle, elle n'était pas la seule. Tous peinaient à songer à autre chose.
Les membres de la classe échangèrent des regards et des soupirs consternés, agacés et lassés. Seul Sylvain paraissait s'être bien débrouillé, comme toujours et sans surprise. En véritable surdoué, il n'avait pas besoin de beaucoup de concentration, tout lui venait naturellement avec simplicité mais il était soucieux au même titre que les autres, peut-être même davantage avec sa fragilité et sa sensibilité.
Sachant parfaitement comment l'exercice s'était déroulé pour les autres à leur seule attitude, personne ne fit de commentaire ou s'enquit de la réussite de ses camarades et, d'un commun accord, ils se rendirent à l'une des salles de permanence dans le hall du bâtiment principal, ayant une heure de libre.
Avec l'hiver qui approchait et les températures qui chutaient, les cours étaient désertées au profit des intérieurs chauffés et il y avait donc déjà plusieurs autres élèves installés dans la salle, mais il restait encore assez de place pour qu'ils s'assoient autour d'une table. Comme toujours, Shikou et Lavande ne les accompagnèrent pas, Salim se tira une chaise au fond de la salle, loin de tous, et Raphaël se trouvait là sans tellement participer à la conversation, qui n'existait pas vraiment de toute manière.
Tous étaient plongés dans leurs pensées moroses et soucieuses. L'ambiance à la table était plutôt pesante. Même l'énergie et la perpétuellement bonne humeur de Lison semblaient amoindries par les circonstances actuelles et l'habituel sourire d'Alana n'était davantage qu'un rictus amer.
Après plusieurs minutes dans cette atmosphère lourde et désagréable, préoccupée, Lucille rompit le silence en déclarant, ayant besoin de se changer les idées et d'un peu de légèreté malgré la situation et son contrôle raté, ou justement à cause de cela :

« Allez, ne restons pas comme ça ! Je vais aller chercher mes cartes, ça nous distraira !

Les cartes, dont parlait Lucille étaient en réalité un jeu de tarot qu'elle avait appris à utiliser pour "prédire l'avenir" lors d'un camp d'été il y avait déjà quelques années.
Lorsqu'elle les tirait, c'était le plus souvent pour s'amuser avec ses amis, qui y croyaient plus ou moins, et ils ne le faisaient jamais sérieusement en accordant un grand crédit aux signes qui apparaissaient et ce qu'ils impliquaient. D'ailleurs, les prophéties ainsi produites étaient plus sujet de plaisanteries que d'inquiétude dans le petit groupe de camarades.
Eléa l'avait déjà vu faire à quelques reprises mais elle ne s'était jamais faite personnellement tirer les cartes. Elle savait que ce n'était que des superstitions et des assemblages inconscients de l'esprit mais, elle l'avouait seulement à moitié, elle craignait de découvrir ce qu'elles pourraient lui révéler.
Quoi qu'il en était, c'était effectivement ce qu'il fallait pour leur faire penser à autre chose et se détendre un peu, ils en avaient besoin, et tous acquiescèrent à la proposition de Lucille, qui se réjouit que son idée enthousiasme ses amis et allège quelque peu la tension autour d'eux. Lison précisa qu'elle comptait demander aux cartes si Eléa allait conclure avec Gabriel, ce qui fit grommeler la jeune fille qui commençait à trouver cette insistance sur son hypothétique couple assez exaspérante et lassante, contrairement aux autres apparemment puisque les remarques continuaient sans cesse.
Roxanne rebondit sur le commentaire de la blondinette en déclarant que, elle, elle allait plutôt interroger sur Marianne et Damien. L'intéressée releva ses yeux bordeaux sans perdre son expression neutre et posée, feignant de ne pas saisir l'insinuation de Roxanne dont elle ne faisait pas grand cas. Elle prenait beaucoup mieux ce genre de taquineries qu'Eléa, qui rougissait et s'agaçait, les laissant glisser sur elle sans avoir d'impact. Eléa l'admirait pour ce flegme que, elle, elle ne parvenait pas à avoir.
Irwan répliqua à Roxanne, piquant sans être blessant comme il savait le faire avec son sourire canaille, que, pour elle, personne ne pourrait poser de question car il y avait trop de monde avec le statu d'amoureux dans son cas.
Profitant de l'occasion pour taquiner son meilleur ami, Léo lui demanda si il était jaloux de toutes ces personnes qu'il évoquait. Irwan lui répondit d'une grimace, vexé de s'être fait prendre à sa propre plaisanterie, alors que Roxanne, se penchant vers lui en mettant son décolleté en valeur, lui disait que, si il était intéressé, elle n'était pas contre comme il était plutôt mignon. Étrangement, cela ne fit pas rire Alana, qui cédait pourtant facilement à l'hilarité et son visage perpétuellement fendu d'un sourire, était actuellement fermé et contrarié sans que personne ne comprenne pourquoi.
La conversation s'orienta ensuite sur les possibilités pour que Irwan et Roxanne forment un couple, commentant à quel point ils seraient mal assortis et les imaginant même aller jusqu'au mariage et l'apparence de leurs futurs enfants. Si Roxanne y participa, s'en amusant, ce ne fut pas le cas d'Irwan, qui demeura silencieux, les bras croisés sur la poitrine et les yeux baissés derrière les verres de ses lunettes, gêné.
Ils continuèrent à converser et débattre sur différents sujets, plaisantant et se taquinant, certains plus actifs dans le débat, Lison, Léo, Roxanne, et d'autres davantage en observateurs, Eléa moins que Raphaël, puis ils échangèrent par groupes plus restreints avec des discutions différentes.
À côté de Lison, qui avait retrouvé son entrain et son énergie après la proposition de Lucille, Eléa l'écoutait parler des animés qu'elle regardait, ne comprenant pas les références mais transportée par la passion que manifestait la jeune fille. En revanche, elle se fit plus attentive lorsque la blondinette évoqua Deadman Wonderland, dont elle lui avait déjà parlé, puisque les capacités des personnages se rapprochaient grandement de ses propres pouvoirs sur le sang. Comme elle apprenait à les maîtriser, avec succès au vu des derniers résultats et de l'enthousiasme de Gabriel, elle s'y intéressa en se demandant quelles techniques les personnages de cette histoire pourraient lui inspirer.
Il s'agissait d'un bon moyen pour tester les limites de sa magie. Alors, tapotant l'épaule de Lison pour attirer son attention, elle l'interrogea dessus, curieuse.
Sa camarade sembla ravie qu'on la questionne à ce sujet alors que, habituellement, les autres l'écoutaient pour lui faire plaisir sans vraiment saisir ce qu'elle racontait. Elle s'exécuta donc avec plaisir en lui détaillant les capacités présentées dans la série. Eléa les nota sur un morceau de papier, comptant tenter de les reproduire lorsqu'elle serait plus habile de ses pouvoirs. Elle retint surtout les balles de sang aussi puissantes que celles d'une arme à feux, les fouets de sang, la carapace de sang aussi solide que du métal et, sa préférée, les lames de sang.
Ces techniques étaient du genre offensif mais néanmoins intéressantes, surtout que, dans la situation actuelle, avec toute cette tension, Eléa n'était pas contre le fait de savoir se défendre.
Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir en danger et être capable de se défendre grâce à sa magie, même si ce serait certainement inutile, les choses ne pouvant tout de même pas dégénérer à ce point, la rassurait. Elle confia cette idée à Lison qui parut la trouver bonne, ajoutant que ce serait vraiment classe si elle parvenait à le faire, et qu'elle n'aurait plus qu'à se vêtir comme Crow, le personnage aux lames de sang mais, constatant qu'il ne portait qu'un manteau sur son torse nu, Eléa refusa, amusée.
Alors qu'ils riaient encore légèrement, Raphaël releva les yeux de l'écran de son téléphone, depuis lequel il n'avait pas perdu un mot de la discutions, en regardant autour de lui, et il constata que Lucille n'était toujours pas revenue. Pourtant, elle aurait dû les rejoindre depuis longtemps déjà. Il ne fallait que quelques minutes pour faire l'aller et retour entre le dortoir et le halle du bâtiment principal.
Le silence retomba sur la table à cette remarque.
Emportés par l'échange, personne ne s'était aperçu de son retard ni que le temps avait autant passé. S'assurant de son retard, même si ce n'était pas réellement utile, Marianne vérifia la position des aiguilles sur le cadran de sa montre dorée et, en effet, l'heure était presque écoulée et Lucille restait absente. Inquiets, ils émirent quelques hypothèses sur ce qui aurait pu la retenir mais aucune ne s'avéra réellement convaincante. Lucille n'était, certes, pas aussi déterminée que Marianne mais elle n'était nullement du genre à changer d'avis ou à partir quelque part sans prévenir personne ou seule. Elle avertissait toujours quelqu'un sur ce qu'elle faisait. Alana le confirma, partageant sa chambre, elle était bien placée pour le savoir.
S'inquiétant de plus en plus après ces réflexions sur le caractère de la douce jeune fille, ils échangèrent des regards angoissés.
Ne restant pas ainsi, Léo prit les choses en main, jouant de son âme de chef. Sous ses directives, ils décidèrent que certains iraient à la recherche de Lucille en parcourant le trajet qu'elle était censée avoir emprunté pendant que d'autres iraient demander à un surveillant si quelqu'un l'avait vu, le prévenant de sa disparition par la même occasion, et que les derniers se rendaient à leur prochaine salle de cours pour avertir le professeur.
En compagnie d'Alana, Eléa sortit dans la cour tout en remontant la fermeture éclaire de son manteau pour se protéger du froid, que sa camarade ne paraissait pas ressentir, uniquement vêtue d'une veste en jeans. S'arrêtant sur le pallier extérieur, les deux jeunes filles promenèrent leurs regards autour d'elles mais elles ne repérèrent aucune trace de Lucille. Les seules personnes présentes dans la cour était un groupe de fumeurs qui exhalaient de petits nuages de fumée grisâtre.
Sans s'attarder, elles franchirent la distance qui les séparait du dortoir dans lequel elles pénétrèrent. Étant en pleine journée, et donc en plein déroulement des cours, il n'y avait pas grand monde à l'intérieur et elles ne croisèrent personnes, que ce soit dans le vestibule ou le foyer principal où elles vérifièrent.
Eléa jeta un regard à la porte de la chambre de Gabriel, songeant à lui demander de l'aide pour rechercher Lucille. Après tout, il répétait sans cesse qu'il était là pour cela, que c'était son rôle au sein de l'institut, mais Alana n'en laissa pas le temps à Eléa et elle s'engagea dans les escaliers. La rattrapant, Eléa les monta à sa suite en regardant autour d'elle dans l'espoir d'apercevoir Lucille ou une trace de son passage, sans succès.
En premier, les deux jeunes filles se rendirent à la chambre de Lucille, qui était également celle d'Alana, ce qui expliquait que cette dernière se soit proposée pour la rechercher. Il suffit d'un rapide examen pour constater que Lucille n'était pas là non plus. Alana prit tout de même la peine d'inspecter la salle de bain tout aussi vide, puis, s'approchant du lit à la parure bleu ciel, ce qui faisait de celui couvert de feuilles de cours et de vêtements celui d'Alana, cette dernière ouvrit le tiroir du bureau installé à côté, là où Lucille rangeait son jeu de tarot, qui ne se trouvait plus à sa place. Elles en déduisirent que Lucille était passée dans la chambre.
C'était donc sur le chemin du retour qu'un quelconque problème avait dû se poser, sauf qu'elles ne l'avaient pas vu.
D'un commun accord, elles choisirent d'inspecter le reste du dortoir, même si Lucille n'avait aucune raison d'y être, quitte à arriver en retard à leur cours de littérature. Leur amie était plus importante.
Se chargeant chacune d'une portion du couloir, elles arrivèrent bientôt à la porte de la chambre qu'Eléa partageait avec Marianne et Roxanne, où l'étiquette comportant son nom complet avait été remplacée par une autre avec son diminutif, qu'elle préférait, inscrit en rouge.
Eléa secoua la tête de gauche à droite en réponse à la question silencieuse d'Alana qui lui demandait si elle avait repéré quelque chose. Alana eut un sourire déçu, chargé d'inquiétude et de frustration. Les deux jeunes filles stoppèrent un instant en réfléchissant, se questionnant sur l'endroit où chercher.
Alana se tendit soudainement, les sens aux aguets. Eléa ouvrit la bouche pour s'enquérir de ce qu'il lui arrivait mais elle lui intima le silence d'un geste vif et la jeune fille remarqua à son tour ce qui avait ainsi fait réagir sa camarade : un genre de plainte, de gémissement provenant du fond du couloir, là où il formait un coude conduisant à un placard d'entretien.
Les sourcils froncés, espérant et redoutant à la fois qu'il puisse s'agir de Lucille, elles s'y dirigèrent et rien n'aurait pu les préparer à ce qu'elles découvrirent en tournant à l'angle du couloir.
Sous la stupéfaction et l'horreur, la magie d'Eléa s'échappa et le sang rependu au sol s'éleva en quelques volutes légères alors qu'Alana retenait un cri en se plaquant les mains sur la bouche.
Devant elles, un corps ensanglanté, la gorge ouverte, gisait, les yeux fixes et voilés. Elles reconnurent Ludovic, le caméraman de l'équipe de Marjorie et c'était son sang qui s'était rependu autour de lui et que la magie d'Eléa faisait actuellement involontairement flotter autour du cadavre.
Lucille était là, agenouillée à côté de lui. Ses vêtements, un pull bleu marine à col roulé avec des petits motifs de pommes rouges sur les manches et un jeans, étaient maculés de sang, tout comme sa joue gauche. Les mains sur le torse de Ludovic, elle invoquait ses pouvoirs pour tenter de le guérir, renouvelant l'opération malgré son évidente inutilité. Il devait déjà être trop tard lorsqu'elle l'avait trouvé, car elle n'avait forcément fait que le trouver, elle ne pouvait pas être responsable de cela.
D'épuisement et sous le choc, elle tremblait de tous ses membres alors que ses yeux étaient écarquillés et étrangement vides, comme si son esprit était absent et qu'elle agissait uniquement par réflexe. Pas besoin de réfléchir bien longtemps pour deviner qu'elle était en état de choc. Et elle continuait à insuffler son pouvoir guérisseur dans le corps mort avec acharnement et désespoir.
Se reprenant, car elles ne pouvaient pas laisser Lucille et Ludovic, même si il n'y avait plus grand chose à faire pour ce dernier à part l'évacuer, ainsi, Alana s'asséna une gifle mentale pour quitter sa torpeur horrifiée. Elle ignorait ce qu'il fallait faire exactement mais elle se doutait qu'elle devait avertir quelqu'un qui saurait quoi faire, qui appellerait la police, alors, elle s'élança dans le couloir en sens inverse, criant à Eléa qu'elle allait chercher de l'aide. La jeune fille acquiesça avec un temps de retard, elle aussi choquée et peinant à réaliser ce qu'elle voyait.
Prenant de longues inspirations, elle reprit lentement la maîtrise d'elle-même et de ses réactions, même si sa gorge demeurait nouée et que son cœur tambourinait follement dans sa poitrine.
Ce n'était pas de la peur, il n'y avait aucun danger à redouter d'un cadavre – il ne pouvait plus rien faire – mais de l'horreur et de l'incompréhension. Jamais encore elle n'avait vu quelqu'un de mort et la scène était d'une grande violence, ce qui renforçait l'épouvante ressentie. Cependant, il fallait qu'elle s'occupe de Lucille. Elle en avait besoin. D'ailleurs, Alana avait bien fait de la laisser là car, elle, elle n'était pas gênée par le sang. Elle était plus à l'aise avec par son pouvoir.
Les muscles raidis et la tête lui tournant sous l'horreur et le choc, Eléa contourna le cadavre pour se rapprocher de Lucille, en évitant de marcher dans le sang, qui était retombé lorsqu'elle s'était reprise. Marcher dedans ne l'aurait pas particulièrement dérangé mais elle se doutait qu'il serait plus pratique pour l'enquête, puisqu'il y en aurait forcément une comme il était évident que le pauvre Ludovic avait été assassiné, si des traces ne contaminaient pas la scène.
S'accroupissant à la hauteur de Lucille, qui ne semblait pas l'avoir remarqué, avec une nausée coincée dans son œsophage à cause de la proximité du mort, Eléa tendit la main vers Lucille mais elle suspendit son geste à quelques centimètres de son épaule, hésitant.
Elle n'était pas douée pour conseiller et les relations humaines lui restaient assez opaques, ses premières en-dehors de sa famille étant celles qu'elle entretenaient et resserrait avec ses camarades, alors elle ne se sentait guère à l'aise et ne se jugeant pas la personne la plus indiquée pour cette tâche mais il n'y avait personne d'autre et Lucille ne pouvait pas rester ainsi, Eléa ne pouvait pas la laisser ainsi. Si il y avait un instant pour apprendre à réconforter, c'était maintenant.
Comptant donc faire de son mieux, Eléa referma ses doigts autour de l'épaule de Lucille, qui ne réagit toujours pas, s'épuisant en usant inutilement de ses pouvoirs. Posant sa main sur sa seconde épaule, Eléa la força à pivoter vers elle.
Mollement, légèrement amorphe, la jeune fille n'opposa pas la moindre résistance, laissant ses mains glisser du torse de Ludovic. Elles étaient couvertes de sang. Ce qui n'empêcha pas Eléa de les prendre dans les siennes en les serrans avec affection en l'appelant doucement, tentant d'obtenir une réponse ou quelque chose.
Au bout de plusieurs secondes, la jeune fille parut enfin s'apercevoir de la présence d'Eléa à ses côtés et elle posa son regard bleu surelle. Ses yeux reprirent un peu l'éclat qu'elle leur connaissait, rassurant quelque peu Eléa qui trouva cela encourageant.
Cependant, Lucille se dégagea en se tournant de nouveau vers le corps où elle apposa de nouveau ses paumes guérisseuses en balbutiant :

« Il...il faut le soigner...je dois le soigner...
- Lucille... Lucille, l'appela Eléa en reprenant ses mains pour les retirer du cadavre. C'est trop tard. Il est déjà froid. C'est fini depuis longtemps. »

Les yeux de Lucille se remplirent se larmes, navrée et désolée de ne rien avoir pu faire, d'avoir échoué à le sauver alors qu'aider les gens grâce à sa magie ou d'autres moyens plus conventionnels était presque sa raison d'être.
Elle secoua la tête de gauche à droite, refusant cette possibilité, d'avoir découvert un cadavre, niant la mort. Dans le dénis, encouragée par son état de choc et de bouleversement émotionnel et psychologique, elle s'arracha de nouveau à la prise d'Eléa et, se jetant presque sur Lodovic, elle entreprit encore de le guérir par ses pouvoirs, se maculant encore davantage de sang.
Cette fois, Eléa fit preuve d'un peu moins de douceur,consciente qu'elle devait absolument détacher et éloigner Lucille du cadavre, son état ne pourrait pas s'améliorer sinon. Avec fermeté, elle redressa Lucille et la tourna vers elle en lui tenant le visage, la forçant à la regarder elle plutôt que le corps de Ludovic.
La jeune fille la fixa quelques instants, immobiles, puis elle recommença à trembler violemment alors qu'elle éclatait en sanglots en se laissant tomber contre Eléa. Cette dernière demeura déconcertée quelques secondes avant de refermer ses bras autour de Lucille en lui frottant doucement le dos alors qu'elle tremblait toujours davantage.
La jeune fille releva son regard rouge sur le couloir alors que des pas précipités se rapprochaient.


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