Chapitre 2 - Journée de Sang

Le son de la musique toujours élevé à une forte intensité dans ses oreilles, Eléa pénétra dans le hall carrelé de blanc et occupé par de nombreux bancs de bois inconfortables avec deux couleurs sur la gauche et la droite, un escalier face à la porte et les bureaux de l'administration alignés à côté, son enfer personnel n'avait rien de bien différent des autres bâtiments de l'éducation nationale mais c'était son enfer.
Au moins, elle ne se fit pas immédiatement repérer comme l'élève en retard qui débarquait alors que tous se trouvaient en cours dans les salles de cours car tous se trouvait en pause, envahissant le halle, la cour, qui apparaissait par les fenêtres ou encore le foyer, où Eléa n'avait jamais mit les pieds, éviter la fréquentation de ses camarades autant que possible.
La jeune fille poussa un lourd soupir de déception.
Elle qui espérait pouvoir profiter des couloirs déserts pour gagner tranquillement sa classe, les choses étant légèrement plus calmes durant les cours qu'à la récréation, c'était apparemment totalement raté, ayant finalement prit trop de retard, et il lui faudrait affronter la pause, comme tous les jours.
Le corps crispé par l'appréhension, sachant déjà parfaitement ce qui l'attendait, elle fit quelques pas pour traverser le halle et gagner les casiers, dont les blocs tapissaient les murs du couloir de gauche, les yeux allant de gauche à droite en observant attentivement son environnement, semblant craindre un piège ou une attaque, ce qui était effectivement le cas.
Sa musique ne couvrait pas le brouhaha des conversations se déroulant autour d'elle en simultané mais elle résista à l'envie d'augmenter encore le volume par égard pour ses tympans et elle se dirigea droit vers son casier, la tête haute avec une allure fière montrant qu'elle ne se laisserait pas réduire par leur avis tout en s'efforçant d'ignorer les regards et les rictus qu'on lui lançait sur son passage.
Tout comme ne prêta pas attention au mégot qu'elle reçut sur le bras, se contentant d'essuyer la manche de sa veste en restant concentrée sur son objectif : son casier ne se trouvant plus qu'à quelques mètres.
Seulement, en arrivant à l'entrée du couloir, elle ralentit en jurant mentalement en découvrant un groupe de quelques personnes qui y était réuni, à deux pas de son casier, à croire qu'ils l'attendaient, ce qui était d'ailleurs peut-être le cas.
Le réel problème, puisqu'elle aurait pu simplement les ignorer comme les autres, était qu'il y avait Eve. Eve Tournand, déléguée de sa classe, adulée par les professeurs pour sa bienveillance et meneuse des petites tortures quotidiennes que subissait Eléa.
Si il y avait une personne qu'elle haïssait et qu'elle aurait souhaité voir mourir, c'était elle, sans aucune hésitation. Elle était tout en haut de sa liste de personnes qu'elle souhaitait éviter mais c'était impossible puisqu'elles partageaient la même classe à quelques bureaux d'intervalle.
Pourtant, en la croisant sans la connaître, Eléa aurait pu croire qu'elle était une personne sympathique, en tous cas, plus que celles qu'elle fréquentait.
Après tout, il s'agissait d'une jolie jeune femme d'un mètre soixante-quinze aux courts cheveux roux et au visage délicat, sauf que cinq ans de brimades répétées avaient démontré à Eléa quelle garce elle était et de quelle cruauté elle savait faire preuve.
Espérant que sa chère camarade ne la remarquerait pas, Eléa se faufila derrière un autre terminal plus grand qu'elle, ce qui n'était guère difficile vue sa taille, pour tenter d'accéder à son casier en se dissimulant mais c'était peine perdue.
Eve l'avait avisé dès son entrée et elle lui lança un regard goguenard et un sourire mauvais faisant remonter les commissures gauches de ses lèvres.

« Salut,X-Men ! »

Eléa ne répondit rien à cette appellation, qui, dans la bouche d'Eve, sonnait clairement plus comme une insulte que comme un compliment,bien qu'elle aurait pu passer pour tel, et se garda également de lui préciser qu'elle ne correspondait pas à ce qu'elle était, puisque les X-Men obtenaient leurs pouvoirs d'une mutation génétique or ,rien n'expliquait que certaines personnes naissaient avec des pouvoirs et que d'autres non, au niveau génétique tout du moins, la jeune fille n'ayant aucune envie de se lancer dans un débat sur la pop culture, surtout avec Eve.
À la place, elle franchit les quelques mètres qui la séparaient encore de son casier à grandes enjambées, les dents serrées, en comptant sur le solo de guitare dans ses oreilles pour camoufler les rires de ses camarades qui se moquaient de sa non-repartie.
Elle aurait pu réagir et répondre à Eve mais elle s'était abstenue, préférant conserver son énergie pour la suite de la journée.
Les laissant dans leur coin, la jeune fille composa le code de son cadenas et ouvrit la porte métallique.
Là, un ballon de baudruche en équilibre à l'intérieur de son casier bascula et éclata au sol, libérant l'encre qu'il contenait.
Eléa eut le réflexe de bondir en arrière et seul le bout de ses chaussures fut éclaboussé.
Elle regarda la tache se répandre sur les larges dalles de carrelage alors que toutes les personnes autour libéraient leur hilarité.
Fermant les yeux avec un soupir lassé, elle songea à toutes les années d'évolution que l'être humain avait parcouru pour finalement en arriver à cette puérilité.
Les jambes légèrement écartées pour éviter de marcher dans la tache d'encre bleue, elle prépara ses affaires pour les prochains cours de la mâtinée et, passant son sac sur son épaule, elle retourna vers le halle où les discutions se déroulaient toujours.
Le traversant de nouveau, mais dans le sens de la longueur cette fois, elle avait presque rejoint l'autre couloir en se félicitant d'être passé à travers les filets des surveillants lorsqu'on l'invectiva soudainement, la faisant déchanter :

« Eléanora Sergan !

Les épaules de la jeune fille s'abaissèrent alors que la plupart des regards convergeait vers elle mais elle n'était pas si surprise puisque rien ne se déroulait jamais comme elle le prévoyait et tout s'organisait pour rendre sa journée aussi longue et pénible que possible dans son enfer.
Se résignant à ne jamais pouvoir y échapper, Eléa se retourna, avec une légère grimace, n'appréciant pas que l'on utilise son prénom en étier, qu'elle trouvait d'ailleurs beaucoup trop lourd pour un format de poche comme elle, pour faire face au conseiller principal d'éducation, un homme grand et large d'épaules avec des lunettes carrée et qui donnait à sa fonction une très sérieuse estime comme en témoignait son costume anthracite parfaitement lissé.
Évitant soigneusement le regard rouge d'Eléa et les traits durs, il fit signe à cette dernière de l'accompagner dans son bureau.
En soupirant fortement par les narines, la jeune fille arracha ses écouteurs de ses oreilles pour les tasser dans sa poche avec son téléphone et le suivit dans la petite pièce qu'il nommait son bureau alors qu'il refermait la porte derrière elle.
Il s'agissait d'une pièce aux dimensions fortement réduites dont la majorité de l'espace était occupé par un large bureau en contreplaqué et plusieurs meubles classeurs noirs, entre lesquels le CPE eut besoin de se glisser pour accéder à son siège. Deux autres fauteuils aux allures faussement moelleuses y faisaient face et Eléa attendit d'en avoir l'autorisation pour prendre place sur l'un des deux. Un lino en imitation de parquet pour tenter de conférer une impression d'élégance, des murs à la peinture pistache défraichie et un tableau auquel était accrochées les listes des classes et les différents emplois du temps terminaient de composer les lieux.
Sans rien dire, Eléa attendit qu'il trouve son dossier au milieu de tous les documents éparpillés sur son bureau en écoutant le brouhaha de la récréation de l'autre côté de la porte.
Même si elle appréciait très moyennement la compagnie de son CPE, elle préférait passer la pause ici et isolée de ses camarades.
Mettant visiblement la main sur ce qui l'intéressait, le CPE ouvrit un lourd classeur et tourna les fiches sous pochettes plastiques jusqu'à celle qui portait la photo d'Eléa ainsi que son nom et différents renseignements personnels.
Il la parcourut rapidement avant de prendre la parole :

- Beau retard. J'espère que tu as une justification (Eléa haussa les épaules en gardant les yeux bas comme toute explication). Évidemment, comme toujours. Le fait d'être une anomalie ambulante ne te dispense pas des règles alors tu vas rapidement apprendre à respecter les horaires. Trois heures de retenue devraient t'y aider. Oh, et tu nettoieras la tache d'encre devant ton casier. Les agents d'entretiens ne sont pas à ton service. »

Eléa ne dit rien, ne cherchant pas à s'opposer à cette décision ni à expliquer qu'elle n'avait pas salit le sol avec cette stupide bombe d'encre, qu'il s'agissait d'un mauvais coup supplémentaire dont elle était la cible, comme bien trop souvent, qu'elle n'y était absolument pour rien mais qu'elle se doutait du nom des responsables.
Depuis le temps, elle savait que c'était parfaitement inutile. Le CPE lui répondrait qu'elle n'avait pas la moindre preuve de ce qu'elle affirmait mais que, ce qui était certain en revanche, était que la tache se trouvait au pied de son casier, des deux au-dessus et de celui en bas aussi mais, ça, elle supposait que personne ne l'avait remarqué. Hurler à l'injustice ne ferait que la fatiguer pour rien et la rendre ridicule alors, elle ne dit rien, ne s'opposa pas, le visage fermé en se signalant mentalement qu'il faudrait qu'elle se rappelle d'aller trouver les agents de surface pour récupérer de quoi nettoyer le sol, et prit son billet de retenue qu'elle enfouit au fond de sa poche, obtenant un bon pour allonger sa journée en enfer, ce qui ne la dérangeait que moyennement.
Elle travaillait presque mieux en retenue puisque, le nombre d'élèves étant fortement réduit à cette horaire, elle était bien plus tranquille.
L'entrevue étant à présent terminée, Eléa sortit du bureau après que le CPE lui ait fait signe de disposer.
Elle quitta le bureau sans le saluer ni prononcer un mot, emportant avec elle un peu de rébellion même si elle avait semblé bien prendre la sanction et l'accepter.
Elle n'était pas d'accord avec le traitement tout personnel qu'on lui resservait, bien au contraire, et l'insulte à peine voilée l'avait fait serrer les poings mais elle savait que résister ou contredire la desservirait plus qu'autre chose en empirant la situation. Sans compter que, en s'opposant, elle risquerait de s'énerver et les protections qui gardaient ses pouvoirs enfermés au fond d'elle s'affaibliraient, laissant sa magie jaillir et se déchaîner.
Comme toujours, elle restait donc impassible et subissait en silence.
La colère battait tout de même à ses tempes alors qu'elle sortait du bureau. Tentant de la refouler pour éviter tout incident, elle s'adossa contre le mur le plus proche en remettant ses écouteurs dans ses oreilles et prit de longues inspirations pour s'apaiser, s'isolant dans sa bulle et renforçant sa coquille autour d'elle.
Après quelques minutes, elle parvint à se calmer et se sentait prête à affronter la suite de la journée, coïncidant avec la sonnerie de fin de pause qui lui agressa les tympans, même à travers le son des percutions.
Le corps contracté et ayant pour seule envie de retourner chez elle, où elle savait que personne ne lui ferait subir toutes sortes de harcèlements par pure cruauté, elle suivit le flot des élèves dans les escaliers menant au premier étage.
La moitié des marches était derrière elle lorsqu'elle trébucha. Par réflexe, elle se rattrapa à la rampe à côté d'elle et baissa le regard à la recherche de ce qui lui avait ainsi fait perdre l'équilibre pour voir une jambe s'esquiver pour reprendre son chemin avec les autres.
Eléa ne dit toujours rien et se contenta de réajuster la bretelle de son sac sur son épaule en terminant de gravir les marches. Les choses démarraient plutôt en douceur aujourd'hui.
Cette fois, elle n'avait pas manqué de se briser une jambe car on l'avait violemment poussé du haut des escaliers.
Quelques mètres dans le couloir au lino jaunâtre et elle arriva à sa classe. Elle allait y entrer lorsqu'on la bouscula de l'épaule. S'accrochant au chambranle, elle se retourna pour voir cette chère Eve Tournand, qui lui adressa un regard innocent en papillonnant des cils, comme si Eléa allait croire qu'elle ne l'avait pas fait volontairement et qu'il ne s'agissait que d'un accident.
La jeune fille aux cheveux cassis grommela intérieurement en gagnant sa table au fond de la salle, poussée contre le mur, aussi éloignée que possible des autres, sur laquelle elle posa lourdement son sac.
Elle en extirpa sa trousse et quelques feuilles pour donner un semblant d'illusion puis elle s'assit en jetant son sac plus qu'elle ne le posa à côté d'elle, ses écouteurs toujours vissés dans ses oreilles.
D'expérience, elle savait que le professeur ne lui ferait aucune remarque et la laisserait dans son coin. Tous préféraient qu'elle y reste sagement plutôt que d'être un membre actif de la classe, ce qui conférait une impression de proximité.
Pour la même raison, ils ne lui distribuaient jamais d'heures de retenue, préférant qu'elle s'attarde un minimum dans l'établissement, seul le CPE lui en donnait, comme il l'avait démontré il y avait quelques minutes à son arrivée.
Son unique participation au cours fut le grognement qu'elle émit lorsque le professeur prononça son nom pour faire l'appel, en ignorant le commentaire d'Eve qui, de toute manière, fut étouffé par la musique dont elle haussa à nouveau le son, attendant que la leçon passe, se réfugiant dans son monde où plus rien n'existait à part la musique, s'apercevant à peine des boules de papier qu'elle reçut durant toute l'heure jusqu'à la libération de la sonnerie.
Là, elle enfourna ses affaires dans son sac qu'elle chargea sur son dos avant de se diriger vers la salle du prochain cours et, cette fois, elle esquiva le croche-pied qu'on tenta de lui faire.
Avec le temps et l'habitude, elle devenait toujours plus attentive à ce genre de choses contrariante. Satisfaite d'avoir éviter au moins l'une de ces méchanceté, le savourant comme une victoire qui illuminait sa journée avant qu'elle n'empire à la rendre folle, elle passa une main dans ses cheveux ébouriffés. Elle y rencontra quelque chose de gluant qui collait plusieurs de ses mèches ensemble et qui n'était clairement pas du gel.
Les sourcils froncés, elle tenta de le retirer, sans succès. Plusieurs de ses camarades de classe passèrent devant elle en échangeant des rires moqueurs.
Pinçant les lèvres avec la très forte envie de s'énerver, qu'elle ravala évidemment, Eléa comprit qu'elle aurait dû se méfier de ces boules humides de papier dont elle ne s'était pas préoccupé car, visiblement, l'une d'entre elles était en réalité un chewing-gum mâché. Charmant. Ou plutôt, répugnant.Une grimace de dégout déforma le visage de la jeune fille.
Refusant de rester avec ça dans les cheveux en attendant qu'il durcisse, elle abandonna l'idée de se rendre en cours pour ce qui était sa deuxième heure de la journée, ne risquant pas grand chose de plus qu'une heure de retenue supplémentaire, elle fit volte-face pour gagner les toilettes les plus proches.
Elle poussa la porte peinte en bleu foncé marquée de l'idéogramme féminin.
Laissant son sac glisser de son épaule à côté de l'entrée, elle alla directement au long miroir suspendu au-dessus des lavabos qui faisaient face aux cinq cabines alignées assorties à la porte. Tirant sur les muscles de son cou, elle s'efforça d'apercevoir le chewing-gum pris dans ses cheveux et fini par distinguer un paquet que formaient ses mèches raidies par le gel.
Ses mâchoires se contractèrent sous l'énervement et elle entendit son cœur frapper plus fort dans sa poitrine.
S'obligeant à ne pas y céder, elle se concentra plutôt sur le chewing-gum qu'elle entreprit d'arracher à sa courte chevelure cassis, ce qu'elle ne pourrait certainement pas faire sans sacrifier quelques mèches, ce qu'elle souhaitait éviter au maximum car, sinon, un coup des ciseaux qu'elle avait dans sa trousse réglerait le problème.
Sauf qu'elle refusait de faire à ses camarades le plaisir de revenir avec un trou dans sa coiffure.
Alors, réunissant sa patience, qu'elle était capable d'avoir en abondance ou absolument pas selon les circonstances, elle commença à retirer cette pâte visqueuse morceau par morceau qu'elle jeta dans le lavabo.
S'étant débarrassé du maximum, elle se rinça les mains en espérant qu'un bon shampoing ce soir suffirait.
Alors qu'elle se détournait du miroir, qui reflétait l'image d'une fille lassée et agacée qui n'en pouvait déjà plus de cette journée débutée il n'y avait pas si longtemps pour elle, la porte s'ouvrit pour livrer le passage à Eve.
Eléa recula de quelques pas, se méfiant d'elle,en grommelant.
Évidemment. Cette garce ne pouvait pas se contenter de lui empoisonner l'existence, il fallait qu'elle vienne admirer son œuvre.

« Qu'est-ce que tu veux, Eve ?
- T'aider un peu. Tu as l'air de galérer avec tes cheveux. Peut-être qu'un peu de lavage arrangerait les choses.

Répondit Eve avec son insupportable regard innocemment mauvais qui donnait envie de lui rompre le cou.
Grinçant des dents, Eléa jeta un regard vers l'une des cabines à la porte entrouverte, comprenant ce qu'elle insinuait et ce qu'elle s'apprêtait à lui faire.
Pas question, pas aujourd'hui. Elle en avait assez.
Peut-être qui si elle s'opposait réellement une bonne fois pour toute, ils arrêteraient enfin et la laisseraient en paix comme elle l'espérait tant et rien n'affirmait que son pouvoir se libéreraient. Certes, c'était une mauvaise idée, elle le pressentait mais elle s'en moquait, elle en avait assez, et elle n'écouta pas cette partie sensée d'elle-même qui lui conseillait de faire comme d'habitude et d'attendre que ça passe.
Alors, lorsque que Eve tendit la main pour la saisir au bras et la trainer derrière elle, sachant qu'elle était plus forte que la trop petite Eléa, cette dernière se déporta sur le côté, l'esquivant et se rapprochant de la rangée de lavabos, le regard déterminé.
Apparemment, Eve n'apprécia pas que son exutoire favoris se dérobe et lui résiste ainsi alors elle se jeta sur elle pour l'attraper. Eléa tenta de l'éviter une nouvelle fois mais, moins véloce que la première fois, elle ne s'esquiva pas suffisamment rapidement et la main d'Eve se referma sur sa veste.
Eléa essaya de se débattre sans parvenir à lui faire lâcher prise alors, passant à une défense plus offensive, refusant de rejouer les mêmes scènes que tous les jours, se servant de la proximité qu'Eve avait elle-même instauré entre elles, elle remonta subitement son genou dans l'abdomen d'Eve, juste sous le sternum.
La jeune fille se plia en deux en poussa un cri étouffé, ravalé, alors que tout l'air était expulsé de ses poumons mais cette action eut l'effet inverse de celui escompté par Eléa et les doigts de son adversaire se resserrèrent davantage sur la toile de sa veste alors qu'elle cherchait à se maintenir debout en refusant de la libérer.
Se remettant bien trop rapidement pour qu'Eléa puisse lui échapper, elle changea de prise en attrapant la jeune fille par ses courts cheveux et, furieuse qu'elle lutte, elle lui frappa brutalement le front contre le rebord du lavabo.
Eléa s'affaissa, à moitié assommée et le crâne résonnant, la vision brouillée, plus que sonnée. Cherchant à se remettre, elle tâtonna à la recherche d'un appuis et posa la main sur le lavabo qu'elle découvrit recouvert d'une fine pédicule d'une substance légèrement poisseuse et encore chaude.
Peinant à comprendre, les pensées totalement perturbées par le choc, elle ne comprit pas immédiatement et ne saisit que lorsqu'elle porta les doigts à la petite plaie à la base de son cuir chevelu.
Ne la laissant pas retrouver davantage ses esprits, Eve l'attrapa par la chevilles pour la trainer sur le sol dans l'une des cabines qu'elle ouvrit d'un coup d'épaule et la jeta contre le siège contre lequel son crâne rebondit, ne l'aidant pas à s'extirper de sa semi-inconscience, mais elle la quitta bien vite lorsque Eve la retourna et appuya sur sa tête pour lui plonger le visage dans la cuvette.
S'arquant en arrière en tendant les bras au maximum, tirant sur ses muscles, Eléa résista en s'efforçant de repousser Eve de coups de pieds mais, dans la position qu'elle avait actuellement, impossible de viser et elle la manquait plus qu'elle ne la touchait, sans compter qu'elle était bien plus forte qu'elle qui n'était nullement en position de force.
Peu à peu, elle commença à craquer, cédant centimètre par centimètre, et l'eau se rapprochait inexorablement alors qu'Eve forçait sur son crâne, bien décidée à  lui faire payer son opposition, cette véritable rébellion alors qu'elle était censée se soumettre, elle l'anomalie de la nature.
Sauf que Eléa refusait de subir encore pareille humiliation sans rien dire.
Elle ne voulait pas, pas question que cela lui arrive encore à une nouvelle reprise, mais elle perdait lentement face à Eve qui accentuait sans cesse la pression, la forçant à plier malgré tous ses efforts.
Alors qu'elle déployait toute sa résistance, son pouvoir échappa à sa prison au fond d'elle sans qu'elle ne s'en aperçoive réellement, focalisée sur l'eau qui se rapprochait toujours plus de son visage et avec laquelle elle refusait d'entrer en contacte, pas aujourd'hui, pas encore.
Échappant donc à son contrôle, sa magie alla directement à la rencontre de son propre sang laissé sur le lavabo.
Sans qu'aucune des deux jeunes filles ne le remarque, luttant l'une contre l'autre avec acharnement, le sang se mouva, comme soudainement contrôlé par une étrange volonté, pour se détacher de la surface du lavabo en formant un fin filet à l'épaisseur minuscule en raison de la maigre quantité de sang.
Avec une incroyable vitesse, ce mince lien rouge se noua autour du poignet d'Eve pour lui tirer le bras en arrière.
Surprise et effrayée, la jeune fille tenta de s'en défaire, sentant le sang sur sa peau et libérant Eléa, qui se réfugia dans un coin.
Il lui fallu quelques secondes avant d'aviser le bracelet de sang au poignet d'Eve et comprendre que c'était elle qui l'avait involontairement animé de la sorte.
Sa prise de conscience fit se relâcher son pouvoir et le sang coula le long du bras d'Eve qui s'essuya avec empressement sur son T-shirt avec un gémissement de peur et de dégoût puis elle se tourna vers Eléa, tassée au fond de la cabine, le souffle court, et lui cracha avec haine :

- Sale monstre ! »

Sur ces mots cinglants pleins de haine et d'une condamnation sans appelle, Eve sortit des toilettes à grands pas, laissant Eléa essoufflée, perturbée et sonnée, blessée et recroquevillée contre la faïence froide de la cuvette.
Sa tête était horriblement lourde à cause du violent coup reçu et il lui fallu plusieurs minutes avant de parvenir à réfléchir de nouveau correctement.
Ainsi, elle se fit la réflexion que ses pouvoirs profitaient de la moindre faille émotionnelle pour jaillir hors de toute maîtrise, et encore moins de la sienne. Rien que la détermination à lutter suffisait pour qu'il lui échappe.
Cependant, elle avait eu de la chance.
Sa magie avait seulement dressé une légère défense autour d'elle, l'incident avait été relativement inoffensif et sans gravité.
D'expérience, elle savait que les choses auraient pu être pu être bien pires. Elle avait eu de la chance mais s'opposer était donc totalement exclus.
C'était trop dangereux.
Il fallait qu'elle limite les risques et empêcher son pouvoir de nuire, ce serait leur donner raison à tous si il devenait dangereux après qu'elle en ait perdu le contrôle en insistant sur ses émotions. Subir semblait être la seule option.
Serait-ce donc ainsi toute sa vie ? Si c'était le cas, elle n'en voulait pas. À quoi bon une existence d'humiliation à ramper par crainte d'une partie de soi-même ?
Toujours tassée dans son coin comme pour disparaître et se faire oublier ou comme un animal effrayé, peut-être les deux à la fois, Eléa sortit de sa poche son téléphone et ses écouteurs, qui ne s'étaient heureusement pas endommagés durant la violente empoignade, et lança sa musique, cherchant à apaiser les battements effrénés de son cœur, à refermer solidement la cage autour de sa magie mais aussi et surtout à chasser ces pensées qu'elle refusait d'avoir.
Après quelques minutes de grunge dans les oreilles, elle commença à se calmer et le choc à passer.
Ses pensées gagnaient en cohérences et sa brutale rencontre avec le rebord du lavabo ne lui laissa qu'une sourde migraine comme séquelle.
Se sentant donc plus vaillante qu'à la sortie d'Eve, elle se releva en vacillant légèrement et prenant appuis contre la parois à sa gauche.
Titubant, elle s'extirpa de la cabine pour aller s'accrocher au lavabo.
Elle ne put éviter son reflet dans le miroir qui lui montra le filet de sang séchant doucement sur le côté de son visage.
Du sang rouge, comme son regard.
Ce sang qui lui obéissait et l'avait défendu sans même qu'elle n'en formule la volonté, qu'elle le commande, uniquement par réflexe sans qu'elle en ait la moindre conscience.
Elle porta la main à sa blessure, grimaçant en émettant un sifflement de douleur à cause de la légère onde de souffrance qui s'en dégagea, et observa sa peau légèrement rougie.
Elle ne pouvait nier qu'elle était fascinée et attirée par ce liquide.
Il ne s'agissait pas d'une attirance morbide mais plus d'un attrait pour la puissance qu'il pouvait lui conférait. C'était instinctif, comme un appel qu'elle s'efforçait toujours d'ignorer.
Elle s'aperçut que cela faisait déjà trop longtemps qu'elle contemplait ce sang sur ses doigts.
Secouant la tête de gauche à droite, elle se défit de ces pensées, de cette fascination, qu'elle jugeait malsaine, et elle ouvrit le robinet à fond pour nettoyer sa peau puis elle se débarrassa du sang sur son visage.
Elle regarda l'eau légèrement teintée de rouge tournoyer dans l'évacuation, les dents mordillant sa lèvre inférieure.
Elle ne se sentait pas très bien après ces plusieurs minutes, celles de l'affrontement et de sa contemplation du sang. Sans compter qu'elle ne parvenait pas à chasser ces images rougies de son esprit.
Parfois, elle se demandait si c'était seulement son pouvoir ou si elle avait un problème, en plus de celui de sa magie.
Contrariée de ne pouvoir s'en défaire,elle frappa du plat de la main contre le miroir, contre lequel, elle s'appuya, le souffle court et le cœur frappant contre ses côtes.
C'était par exemple dans ce genre de cas qu'elle souhaitait arracher cette partie de magie d'elle.
N'ayant qu'une unique solution pour se débarrasser de telles idées et s'apaiser, elle augmenta le volume dans ses oreilles et alla s'asseoir sous les lavabos, les genoux remontés contre sa poitrine, en trainant son sac derrière elle, excluant la possibilité de retourner en cours pour le reste de la journée et entièrement focalisée sur l'abandon de toutes ces pensées et ces sensations.









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