Chapitre 18 - Cours de magie

Appréhendant et impatiente, Eléa regarda Monsieur Moreau chercher la bonne clé sur le trousseau surchargé qu'il était allé récupérer auprès de l'administration.
À la sortie de son cours de littérature, son professeur principal était venu la chercher pour son premier cours de magie.
Durant ces deux derniers jours, son impatience s'était un peu apaisé mais toute sa fébrilité avait ressurgit alors qu'ils gagnaient ensemble l'est du bâtiment, celle réservée aux cours de magie. Elle avait hâte de débuter son apprentissage et de savoir manier ces pouvoirs qui l'effrayaient mais elle se demandait aussi comment son professeur d'Histoire allait s'improviser professeur de magie alors qu'il n'en possédait aucune. N'importe quel autre magicien lui aurait paru plus qualifié mais elle faisait confiance à Monsieur Moreau qu'elle appréciait et qui, malgré sa perpétuelle lassitude et son agacement souvent manifestés face à l'indiscipline de ses élèves, se montrait soucieux de chacun d'entre eux, de leur réussite et de leur bien-être et qui transmettait son savoir avec passion.
Pour ces raisons, Eléa pensait qu'il saurait remplir sa tâche même si elle avait quelques doutes.
Pendant qu'il cherchait la clé correspondant à la serrure de la porte, en testant plusieurs, Eléa s'approcha de la fenêtre qui donnait sur la rue, se demandant si elle pourrait apercevoir les manifestants massés devant l'école, qui étaient revenus chaque jours, toujours plus nombreux, et encouragés par une femme qui semblait se plaire à entretenir la haine et apparaissait à présent comme leur leader.
Lorsqu'Eléa s'était réveillée, elle était déjà là, à tenir un discours plein d'intolérance devant ses adeptes qui buvaient ses paroles.
Depuis ce couloir de l'aile est, Eléa ne les voyait pas. En revanche, elle remarqua la camionnette de l'équipe de télévision stationnée le long du trottoir parmi d'autres véhicules.
Personne ne savait comment s'était déroulé l'entretien entre Monsieur Belforde et Marjorie mais cette dernière avait obtenu la permission de poursuivre son reportage dans l'école mais les épisodes devaient maintenant être soumis à la validation du directeur avant d'être envoyés pour la diffusion. Cette sécurité supplémentaire n'avait guère apaisé les membres de la classe des aînés, dont la majorité était furieuse et qui aurait préféré que l'émission soit annulée et que l'équipe reparte en les laissant en paix. Sauf qu'ils devaient se soumettre à la décision de Monsieur Belforde et supporter la présence envahissante de l'équipe qu'ils méprisaient davantage après cet épisode traître.
Le seul qui avait un minimum de leur sympathie était le jeune assistant, qui paraissait désapprouver tout cela autant qu'eux, notamment par égard pour Marianne qui appréciait beaucoup le jeune homme, ce qui provoquait les taquineries des autres, partageant la place de la soit-disant amoureuse transie gentiment moquée avec Eléa.
Cette dernière fut tirée de ses pensées par l'exclamation victorieuse de Monsieur Moreau dans son dos, qui venait enfin de dénicher la bonne clé. Il la fit tourner dans la serrure, actionnant le mécanisme et ouvrant la porte.
D'un signe de tête, il invita Eléa à entrer et la suivit à l'intérieur de ce qui s'avéra être une petite salle de classe occupée par trois rangées de tables alignées, un bureau pour le professeur et une étagère blanche chargée de différents ouvrages.
Ne sachant pas vraiment que faire à présent, la jeune fille fit quelques pas puis s'écarta pour céder le passage à Monsieur Moreau qui tira l'une des tables un peu à l'écart des autres et l'encadra de deux chaises. Se mettant à l'aise, il se défit de son manteau et de son écharpe qu'il suspendit à la pater fixée au mur avant de s'installer à la table qu'il avait aménagée. L'imitant, Eléa s'assit à on tour, les mains sur ses cuisses, nerveuse, et attendit de commencer, ignorant totalement à quoi s'attendre.
Face à elle, Monsieur Moreau semblait un peu mal-à-l'aise, ne sachant pas exactement où il avançait et se trouvait malgré les conseils récoltés auprès de ses collègues magiciens et de ce qu'il avait assuré à Eléa lors de son entrevue avec Monsieur Belforde. Il souhaitait aider Eléa qu'il ne pouvait pas laisser dans cette situation avec sa magie incontrôlée mais il doutait de ses compétences dans ce domaine. Sauf qu'il était le seul à pouvoir remplir cette tâche importante.
Durant ces quelques minutes de silence, Eléa remarqua son incertitude et elle se sentit nettement moins en confiance.
Avait-il la moindre idée de ce qu'il faisait ?
Elle espérait car, sinon, elle craignait pour sa sécurité. Si sa magie lui échappait encore, les conséquences pourraient être très graves et elle ne souhaitait pas blesser son professeur préféré et principal.
Ce dernier se racla la gorge et, se répétant mentalement la marche à suivre fournie par ses collègues, qui avaient davantage l'habitude de ce genre de leçons, il déclara :

« Bon,allons-y. Pour commencer, est-ce que tu visualises ton pouvoir d'une manière particulière ?
-Quoi ? S'étonna Eléa.
- Je suppose que c'est donc non, alors imagine le sous la forme d'un flux d'énergie rouge qui circuleraient dans ton corps.
- Vous êtes sérieux, là ?
- Évidemment, pourquoi ? Il y a un problème ?
- Je trouve juste ça ridicule et absurde mais, sinon, non, tout va bien.
- Que veux-tu que je fasse ? J'essaye de faire comme on m'a expliqué.
- Donc vous n'avez aucune idée de ce que vous faites.
- On peut dire ça mais je fais des efforts alors fais en, toi aussi, s'il te plait.
- Pas question. Refusa Eléa en croisant les bras sur sa poitrine.
- Pardon ?
- C'est beaucoup trop dangereux. Vous savez de quoi ma magie est capable alors je ne prendrais pas le risque d'en perdre le contrôle encore une fois, parce que votre truc de flux d'énergie rouge, je le sens pas.
- Pourtant, ça fonctionne.
- D'après vos collègues. Vous, vous ne savez rien.
- Et si tu commençais par essayer au lieu de t'opposer.

Suggéra Monsieur Moreau avec son ton lassé, s'agaçant qu'Eléa s'obstine à ne pas coopérer de la sorte.
Elle semblait pourtant motivée à l'annonce du directeur. En effet, elle l'avait été mais, à présent qu'elle constatait que son professeur paraissait totalement incompétent en matière de maîtrise de magie et que sa technique ne la convainquait nullement avec cette visualisation improbable, elle déchantait et éprouvait quelques réticences. Sans compter qu'elle craignait pour la sécurité et l'intégrité de Monsieur Moreau.
Cependant, elle était ici pour une raison et elle souhaitait vraiment apprendre à contrôler ses pouvoirs qui ne seraient alors plus qu'une cause d'inquiétude et d'angoisse pour elle.
La jeune fille grommela tout bas mais décida d'obéir à son professeur et elle s'exécuta malgré ses réserves. Pour davantage de concentration, elle ferma les paupières, voilant ses iris sanguines, et s'efforça d'imaginer ce fameux flux d'énergie rouge qui couleraient le long de ses veines mais, à part une vision un peu perturbante dans son esprit, cela n'eut aucun effet. Sa magie n'eut aucune réaction et resta paresseusement endormie au fond d'elle, là où elle la préférait.
D'ailleurs, peut-être qu'elle n'obtint aucun résultat justement car elle ne souhaitait pas éveiller ses pouvoirs pour éviter qu'ils ne provoquent de nouveaux dégâts et que, inconsciemment, elle s'était débrouillé pour échouer.
Pour la même raison, et car elle ne croyait guère en l'efficacité de cette méthode, elle se découragea bien vite et, après quelques minutes de tentative, elle rouvrit les yeux en soufflant par les narines, contrariée par cet échec dont elle était déjà persuadée avant de réellement la constater.
Se rejetant dans le fond de sa chaise contre son dossier en passant les bras derrière son crâne, elle annonça du ton de celle qui prouvait qu'elle avait vu juste alors que l'autre s'était fourvoyé :

- ça ne marche pas, votre truc.
- Et si tu essayais vraiment pour voir ?
- Parce que vous croyez que j'ai fait quoi, là ? Une micro-sieste ?
- Si tu n'y met pas du tiens...
- J'essaye ! C'est votre technique qui est nulle et ne sert à rien !
- Tout va bien ? (Eléa et Monsieur Moreau se tournèrent vers Gabriel se tenant à moitié dans le couloir). Je vous ai entendu vous énerver.
- Ouais, répondit Eléa. Ce cours est une mascarade.
- Désolé mais il n'y a personne d'autre pour te les dispenser alors il va falloir quelques efforts ! S'agaça Monsieur Moreau.
- Vous permettez que je vous remplace ?

Proposa Gabriel au professeur d'Histoire, surprenant Eléa qui ne s'attendait pas à une pareille initiative du jeune homme qui semblait prêt à s'improviser professeur pour elle.
Monsieur Moreau soupira, se sentant quelque peu évincé, mais il haussa finalement les épaules en signe d'acceptation.
Après tout, Gabriel ne pourrait pas faire pire que lui et certainement que le jeune homme serait un peu plus qualifié que lui pour éduquer Eléa en matière de magie, étant lui-même magicien. Sans compter que les chances qu'Eléa l'écoute étaient plus élevées avec la relation assez particulière qu'il y avait entre eux. Si il pouvait obtenir davantage de résultat et aider Eléa, réussir là où lui échouait visiblement, il serait stupide et égoïste de refuser pour une affaire d'orgueil. Monsieur Moreau savait qu'il pouvait faire confiance au protégé du directeur, qu'il ait ou non l'autorisation de ce dernier pour le faire, il serait de son côté de toute manière.
Alors, écartant sa chaise de la table pour se lever, le professeur fit signe à Gabriel qu'il pouvait essayer si cela l'amusait. Le jeune homme le remercia d'un hochement du menton, comprenant que ce n'était pas forcément très présent d'être ainsi chassé de sa classe.
Monsieur Moreau récupéra ses affaires accrochées à la pater et s'en fut, laissant les deux jeunes gens en espérant que Gabriel serait plus efficace que lui.
Eléa le regarda sortir, un peu gênée d'avoir réagit de la sorte alors qu'il s'était exposé à des risques dans le seul but de l'aider. Elle n'avait même pas songé à le remercier pour ses efforts, chose que, elle, n'avait guère fourni par contre. Sans compter qu'elle avait dû le vexer et le blesser. Il faudrait qu'elle pense à lui présenter ses excuses lorsqu'ils se croiseraient la prochaine fois, sûrement à l'occasion d'un cours.
Se le promettant à elle-même, elle se concentra à Gabriel qu'elle fixa, les bras croisés sur la poitrine avec un sourcil arqué, se demandant comment, lui, allait pouvoir lui enseigner à contrôler ses pouvoirs. Certes, il maîtrisait parfaitement les siens mais ils étaient totalement passifs, à l'inverse de ceux d'Eléa, qui étaient plutôt du genre agressifs.
La simple idée qu'ils puissent lui échapper et blesser Gabriel lui était insupportable, encore plus que lorsque la victime potentielle était Monsieur Moreau. Elle n'avait toujours pas retrouvé le sommeil à cause de l'accident du réfectoire, hantée par les images des nez saignant de ses amis et des taches sur leurs vêtements.
Cependant, le jeune homme ne semblait pas s'inquiéter et affichait son habituelle apparence décontractée.
Aurait-il déjà dispensé ce genre de leçons ?
Eléa en doutait. Il y avait un professeur pour toutes les autres catégories de magies alors il n'y avait aucune raison pour que Gabriel se soit chargé d'un quelconque de ces cours particuliers mais pourquoi s'était-il proposé de s'occuper des siens si ses compétences se rapprochaient de Monsieur Moreau plutôt que de celles des professeurs de magie ? Se sentait-il capable de savoir comment s'y prendre avec elle ? De comprendre comment fonctionnaient ses pouvoirs et de, par conséquent, de trouver comment les maîtriser ? Qu'est-ce qui lui permettait de croire cela ? Quelles qualifications pensait-il avoir en plus par rapport à Monsieur Moreau ?
Eléa était curieuse de le découvrir. Soudainement, ce cours particulier semblait prendre un tout autre enjeux car Eléa avait hâte de connaître un peu plus les capacités de Gabriel, qui paraissait toujours savoir que faire quelle que soit la situation, et elle se questionnait également beaucoup sur les raisons qui le poussaient à remplacer Monsieur Moreau pour se charger de son éducation magique.
L'idée de la réponse lui vint mais elle préféra la chasser de son esprit avant de rougir. Il était pourtant vrai qu'il fallait reconnaître que le jeune homme semblait réserver un traitement de faveur à Eléa à qui il accordait bien souvent des privilèges dont ne bénéficiaient pas les autres pensionnaires de l'école, comme l'accompagner, l'aider dans ses révisions ou bien venir s'occuper de ses cours particuliers en jouant les professeurs.
La jeune fille secoua imperceptiblement la tête pour se défaire de ces réflexions avant d'être incapable de se concentrer sur autre chose, ce qui s'avérerait très compliqué pour la suite de l'heure qui avait déjà été fort entamée par sa faute, elle l'avouait honteusement.
Inconscient des pensées qui s'enchaînaient dans l'esprit d'Eléa sans qu'elle le veuille réellement, Gabriel s'installa à la table en face d'elle.
Laissant le silence s'étendre, il l'examina durant plusieurs secondes avant qu'Eléa ne comprenne que c'était son aura qu'il observait, évaluant son état d'esprit grâce à ses mouvements. Elle s'agita sur sa chaise,un peu mal-à-l'aise de cet examen, comme toujours lorsqu'elle se trouvait longuement sous le regard de Gabriel mais surtout car, si elle avait correctement saisit le concept, son aura dévoilait tout sans qu'elle puisse rien y faire ou dissimuler quelque chose, ce qui la gênait énormément.
Pour ne pas prolonger davantage cette observation et également pour recentrer ses pensées, qui continuaient malgré elle à dangereusement s'égarer, elle prit la parole en interrogeant Gabriel sur le fait qui lui posait question :

- Alors, comment comptes-tu m'aider ? Sans vouloir te blesser, je ne crois pas que tu sois plus qualifié que Moreau.
- Je devrais pouvoir me débrouiller grâce à ton aura. Ton pouvoir aussi influence son état, comme tes humeurs. Je peux ainsi m'y guider et trouver le moyen le plus adéquat.
- Vraiment ? Je ne savais pas que tant de choses passaient par l'aura. Et à quoi ça ressemble, une aura ? J'ai du mal à me le représenter.
- C'est un genre de halo légèrement luminescent de forme et de couleurs différentes selon les gens, leurs personnalités et leurs caractères. Les mouvements sont plus représentatifs de l'humeur et, lorsqu'il s'agit de magiciens, il y a une couche supplémentaire sur le dessus de la couleur de leurs yeux, donc de leur magie.
- Donc, je suis entourée de rouge ?
- Oui. Léo de jaune, Marianne de bordeaux, Shikou d'indigo, Lison de turquoise, Raphaël de noir...
- Et à part ça, elle est comment, mon aura ?
- Elle est belle. Répondit Gabriel sans réfléchir à ce qu'il disait, ce qui fit rougir Eléa, et il fut également gêné lorsqu'il s'aperçut de ses paroles.
- Mais...encore ?
- Et bien... Elle est grande, beaucoup plus que toi.
- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
- Qu'elle est grande et toi non (Eléa croisa les bras sur sa poitrine avec une moue vexée et boudeuse, n'aimant pas qu'on fasse des remarques sur sa petite taille). Ne te fâche pas, ce n'est pas un défaut d'être petite. Au contraire, c'est mignon et puis, c'est pratique un modèle de poche. Sourit Gabriel.
- Modèle de poche ? S'offusqua Eléa en reprenant le terme.
- Oui, on peut te garder dans sa poche ou te poser sur son épaule et t'emmener partout avec soi.

Le sourire de Gabriel contamina Eléa qui s'efforça de le retenir, le visage baissé, dissimulant aussi le rouge sur ses joues, que les mots du jeune lui faisaient monter une fois de plus.
C'était la première fois qu'elle appréciait un commentaire sur son court mètre cinquante-deux.
Était-ce car il était bien fait et charmant ou uniquement car il était de Gabriel et qu'elle semblait prête à tout accepter de lui ?
Impossible de le deviner pour elle mais l'idée lui plaisait assez. Elle s'imaginait assise sur l'épaule de Gabriel en s'accrochant à ses longues mèches rousses pour ne pas tomber. Elle secoua la tête pour chasser cette image et éviter décéder à ces émotions qu'elle tentait de maîtriser sans que les paroles de Gabriel ne l'aident en ce sens.
Pour ce faire, elle revint au sujet de leur conversation, se focalisant sur autre chose alors que Gabriel souriait toujours :

- Elle est grande, et ensuite ?
- Elle est aussi puissante et irradie, elle envahit une pièce lorsque tu y entres. On dirait un phare qui illumine les environs. Sa forme fait un peu penser à une auréole en beaucoup plus imposante qui t'enveloppe toute entière. Comme sur tes vêtements, c'est le rouge qui domine (Eléa baissa le regard sur son pantalon rouge et son pull côtelé au col en V). Surtout le rouge profond avec une petite touche de rouge foncé et un peu plus de rouge clair. Il y a aussi du vert foncé par endroit avec des paillettes or et le cœur est clair.
- Tu as l'air de l'avoir étudié longuement.
- Je te l'ai dit, je la trouve belle. Se justifia Gabriel, assez gêné, comme Eléa. Et elle est aussi timide, comme toi.
- Timide ?
- Oui. Elle se tend vers les autres pour aller à leur contact mais elle n'ose pas aller bien loin et se rétracte, comme maintenant. Elle se dirigeait vers moi mais elle vient de se rétracter vers toi. Tu as peur d'abaisser tes barrières et de vraiment te laisser aller.

Eléa baissa la tête en détournant le regard, se frottant le bras gauche de la main droite, fortement gênée de s'entendre confirmer quelque chose qu'elle savait déjà plus ou moins inconsciemment et qu'elle n'avait jamais exprimé à haute voix devant d'autres personnes mais aussi constater que, en fait, son aura dévoilait tout sans peu d'exception, de ses sentiments, de ses humeur, de son comportement et de ses attitudes, ce qui signifiaient donc que Gabriel le savait,qu'il avait sous les yeux dès qu'il se tournait vers elle.
Y avait-il quelque chose qu'il ignorait, dont il ne se doutait pas ?
De toute évidence, la seule chose que l'aura ne pouvait pas exprimer était le passé de son propriétaire.
Alors, toutes les émotions qu'elle s'efforçait de refouler, les sentiments qu'elle niait et les rougissements qu'elle dissimulait, tout cela était inutile ?
Gabriel en connaissait l'existence. Pourtant, jamais il n'avait paru le remarquer. L'idée provoquait un profond trouble plus intense que tous les précédents et son malaise s'intensifia fortement.
Durant un instant, elle ressentit le besoin de sortir, de s'éloigner de Gabriel, de respirer un peu d'air frais, de quelque chose, sauf de rester en place sous le regard de Gabriel qui continuait à l'examiner mais elle n'en eut pas l'occasion car le jeune homme reprit la parole, la retenant, sans paraître rien remarquer de sa violente gêne, ce qui semblait à présent impossible à Eléa :

- Bon, si nous nous occupions de cette magie ? C'est ce pourquoi on est là, non ? (Eléa acquiesça sans beaucoup de convictions, toujours extrêmement troublée). Alors, tu vas imaginer ton pouvoir comme un flux d'énergie rouge. Je plaisante, rassure toi. Y a t-il une façon dont tu vois ta magie ?
- Une menace enfermée au fond de moi.
- Tu crois que tu saurais la libérer ? Ne t'inquiète pas, il n'y a pas de danger.

Eléa haussa les épaules, ne partageant pas vraiment l'avis de Gabriel, son expérience récente lui ayant prouvé le contraire il y avait seulement quatre jours de cela, mais le sourire assuré de Gabriel la rassura et la mit un peu plus en confiance. Il devrait être capable de prévenir toute perte de contrôle grâce aux mouvements de son aura et puis, il allait bien falloir qu'elle accepte d'user de ses pouvoirs à un moment ou un autre, il n'y avait guère que la pratique pour apprendre à contrôler ce genre de choses.
Cependant, elle demeurait craintive et incertaine. Elle craignait tellement que l'incident avec Eve ne se reproduise, d'autant plus qu'il s'agissait de Gabriel qui serait blessé. Elle n'avait pas grande confiance, si ce n'était aucune, en ses capacités à maîtriser sa magie qu'elle n'avait jamais su contrôler ou soumettre à sa volonté.
Sans compter que sa concentration se trouvait grandement compromise après les paroles de Gabriel et surtout sa prise de conscience qu'il lisait à travers elle mieux que dans un livre ouvert par l'intermédiaire de son aura qui dénonçait la moindre de ses émotions.
Ne se pensant donc guère capable d'effectuer cet exercice sans risque, elle releva un regard incertain sur Gabriel qui l'encouragea d'un hochement du menton. Il savait qu'elle avait peur et pas besoin des mouvements de son aura pour cela, c'était évident, et après les deux accidents avec sa magie, il était logique qu'elle fasse un blocage dessus mais, si elle se contentait d'enfouir ses pouvoirs au fond d'elle en les y oubliant en espérant que cela suffise, les choses empireraient toujours jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à faire.
Cherchant donc à la rassurer, le jeune homme saisit sa main dans la sienne. La jeune fille se raidit à ce contact alors que son trouble revenait vivement à la charge. Cherchant à le fuir, elle ferma les yeux pour se focaliser sur sa magie, comme Gabriel le lui avait conseillé.
Régulant sa respiration, elle inspira et expira profondément, se simplifiant la descente en elle-même.
Il lui fallu plusieurs longues minutes avant de parvenir à se détacher de leur discutions et des doigts de Gabriel refermés autour des siens. Lorsque ce fut fait, elle s'approcha prudemment et avec grande incertitude de la solide cage où sa magie croupissait pour la sécurité de tous. Elle demeura plusieurs instants sans rien faire et la peur mêlée à l'appréhension cognant dans son crâne au rythme de son cœur angoissé, puis, toujours encouragée par Gabriel, qui pressa doucement son pouce sur le dos de sa main, elle déverrouilla lentement la cage.
Son rythme cardiaque augmenta encore et tous ses muscles se contractèrent, prête à voir sa magie surgir et tout ravager autour d'elle, mais il ne se produisit rien de semblable. Ses pouvoirs restèrent à leur place, dans la cage pourtant ouverte. Apparemment, lorsqu'elle les libérait de sa propre initiative, ils étaient beaucoup moins volatiles que lorsqu'une montée d'émotions explosait les barreaux.
Un peu rassurée par cette constatation, elle saisit sa magie, qu'elle sentit remonter depuis le fond fond pour se rependre dans son corps, à la manière d'un flux d'énergie qu'elle imagina rouge.
Face à elle, Gabriel se raidit alors que la première couche de son aura, celle correspondant à sa magie, gagnait en intensité, signe qu'elle l'utilisait. Pour le moment, elle ne paraissait pas lui échapper mais il fallait qu'elle puisse réellement en user pour lui permettre de s'exercer véritablement et, dans le cas présent, il fallait donc un peu de sang à manipuler, l'éclatement des veines n'étant que dû à l'explosion incontrôlée des pouvoirs d'Eléa qui présentaient d'autres facettes.
Lâchant la main de la jeune fille, qui parut à peine s'en apercevoir, uniquement focalisée sur sa magie qui s'écoulait à présent librement en elle, Gabriel s'empara d'un canif qu'il avait dans la poche et, sortant la courte lame rétractable, il s'entailla la paume.
Eléa rouvrit les paupières juste pour voir la lame mordre la peau en y traçant un sillon sanglant. Elle poussa une exclamation de stupeur et d'inquiétude et, sous cette soudaine émotion, sa magie réagit. Le sang de Gabriel, qui affluait aux lèvres de sa plaie, s'éleva vers son visage. Les deux jeunes gens l'observèrent, fascinés.
Percevant toujours ses pouvoirs dans ses membres, qui restaient parfaitement contrôlables, Eléa tenta de façonner cette bulle de sang selon sa volonté mais le résultat ne fut pas des plus concluant. Elle n'abandonna pas pour autant et poursuivit ses essaies jusqu'à ce que sa magie reflue d'elle-même pour retourner à sa place habituelle.
Le sang retomba en éclaboussant la table. Une lourde fatigue s'abattit sur Eléa –comme elle n'avait pas coutume d'utiliser ses pouvoirs, les manipulations étaient éprouvantes– mais elle s'empressa de sortir un mouchoir de son blouson posé sur le dossier de sa chaise pour en compresser la blessure de Gabriel.
Le jeune homme grimaça légèrement mais se laissa faire, plus touché par ce geste qu'il ne le laissait paraître. En effet, il avait l'habitude de s'occuper des autres mais pas celle qu'on prenne soin de lui de la sorte et seule Eléa le faisait.
Cachant son trouble à son tour, il déclara, commentant la séance qui s'achevait :

- C'était bien pour une première fois. À mon avis, tu progresseras rapidement. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top