Chapitre 15 - Cuisson : saignante

« Allez, Eléa, debout ! (la jeune fille grogna, encore à moitié ensommeillée, aux mots de Marianne). Tu ne vas tout de même pas commencer à faire comme Roxanne !
- Eh ! S'indigna Roxanne d'une voix légèrement pâteuse.
- Regarde la et ose dire que tu n'es pas un très mauvais exemple.
- Ça, la vodka, quand on a pas l'habitude...
- C'est toi qui m'as servit. Grommela Eléa en se retournant sur le dos.
- Rien t'obligeait à l'avaler mais c'est vrai que ça nous aurait certainement fait manqué le meilleur moment de la soirée parce que l'alcool a dû t'aider !
- Je vois pas de quoi tu parles. Prétendit Eléa, la langue toujours aussi lourde dans sa bouche sèche.
- Ah oui, vraiment ?
- Je m'en souviens pas.
- Bah, on pourra t'aider à te rappeler. On a prit des photos.
- Quoi ?

S'exclama Eléa en se redressant subitement sur son matelas, projetant son oreiller au fond de son lit.
Roxanne bondit vivement en arrière malgré son état approximatif dans un éclat de rire. La jeune fille se laissa retomber en arrière en se passant une main sur le visage avec un soupir, comprenant qu'il n'y avait aucune photo mais juste une ruse de Roxanne dans laquelle elle s'était engouffré sans l'envisager une seconde, se trahissant elle-même à l'instant.
Evidemment qu'elle se souvenait de la veillée. En fait, la fin de la soirée était un peu floue, surtout alors qu'elle se réveillait à peine, mais l'événement le plus marquant, que Roxanne avait prétendu avoir immortalisé dans la puce de son téléphone, était gravé dans sa mémoire.
Elle avait encore la saveur des lèves de Gabriel sur les siennes et elle sentait toujours ses mains contre son dos et ses doigts glissant entre ses mèches courtes sous sa perruque.
C'était ce qui l'avait maintenue éveillée longtemps après s'être couché, une fois remontée des sous-sols du bâtiment principal. Après ce baiser langoureux, il lui semblait qu'elle s'était écroulé contre Gabriel et avait somnolé contre lui, plus ou moins éveillée, jusqu'à ce que tous décident d'un commun accord qu'il était temps de mettre fin à cette sympathique veillée. Gabriel n'avait rien dit et avait conservé la tête de leur groupe jusqu'au dortoir, comme lors de l'allée. Ils avaient pu constater que la veillée officielle se terminait elle aussi mais ne s'étaient pas attardé dans les couloirs, fatigués.
Sauf que c'était certainement pour une toute autre raison que Gabriel était allé directement s'enfermer dans sa chambre en souhaitant une bonne nuit aux autres dans un vague marmonnement.
Eléa ignorait vraiment ce qu'elle allait bien pouvoir lui dire ou comment se comporter face à lui lorsqu'ils allaient se croiser, car ils allaient forcément se rencontrer aujourd'hui à un moment ou un autre. La question se répétait en tournant dans son esprit sans qu'elle n'en trouve la réponse. Peut-être pourrait-elle tout simplement feindre que tout était parfaitement normal et faire comme si de rien n'était, comme Gabriel l'avait déjà fait par deux fois. Prendre exemple sur le jeune homme lui semblait une bonne solution mais elle doutait de posséder la capacité de détachement de Gabriel.
Même si elle était renfermée et peinait à s'ouvrir après plus d'un mois, elle ne portait pas de masque comme lui. Elle se sentait trop impliquée. Son corps et son esprit étaient en ébullition alors qu'elle était réveillée depuis seulement quelques minutes.
Comment allait-elle surmonter ce problème et affronter la journée ? Peut-être en se cloitrant dans sa chambre sans en sortir jusqu'au lendemain au moins.
Après tout, il n'y avait pas cours aujourd'hui en ce beau dimanche nuageux, elle pouvait se le permettre, Marianne l'avait juste réveillé pour qu'elles aillent prendre leur petit déjeuner ensemble, comme ils en avaient prit coutume. Seulement, s'enfermer en niant ce qu'il s'était produit et en évitant Gabriel n'était pas une réelle solution,juste un moyen de s'enfouir la tête dans le sable, ce qui n'arrangerait rien.
Au mieux, elle repousserait, légèrement, l'inévitable, qui s'abattrait tout de même sur elle à un moment ou à un autre, et, au pire, elle donnerait l'impression de se terrer, ce qui était exactement le cas, en laissant toutes les rumeurs se déclencher et ainsi se confirmer. Elle avait conscience qu'elle devait faire taire les différents commentaires de tous genres avant qu'ils ne deviennent incontrôlables et qu'elle ne puisse plus regarder Gabriel en face, bien qu'elle doutait d'être capable de le faire de toute manière.
Sauf que, pour l'instant, elle n'avait vraiment pas le courage de se lever. Elle se sentait lourde et sa tête pesait également, notamment à cause d'une barre de plomb en travers de son front laissé par son verre d'alcool fort dont, comme l'avait deviné Roxanne, elle n'avait pas vraiment coutume. Elle voulait encore dormir. Au moins, dans le sommeil, elle ne se torturait pas l'esprit à se demander comment affronter le regard de Gabriel en cette journée, sauf si le problème l'y poursuivrait et qu'elle en rêvait, son subconscient étant en quête d'une solution qu'il n'y avait pas réellement.
Ne se sentant donc pas la force de s'extirper maintenant de ses draps pour subir les remarques de tous, y compris celles de ses propres pensées, elle plaqua l'oreiller sur son visage, manifestant clairement son intention de rester au lit en se convainquant mentalement que c'était seulement à cause de sa fatigue et non qu'elle se cloitrait de honte et de gêne.
Cependant, ne comptant apparemment lui permettre de se complaire dans cette lourdeur et dans ce malaise, comme elle l'aurait préféré, fuyant tout de même sans le reconnaître, Marianne échangea un regard avec Roxanne en secouant négativement la tête de gauche à droite. Elle savait que ce serait pire si Eléa demeurait ainsi à se cacher et elle ne souhaitait pas qu'elle soit prise dans une situation sans maîtrise, elle ne serait pas une bonne amie dans le cas contraire.
Comptant donc l'obliger à se lever, elle s'installa sur le bord du lit et arracha l'oreiller du crâne d'Eléa. Pour empêcher cette dernière de le récupérer, elle le lança à Roxanne qui, peu vaillante non plus après la presque totalité d'une bouteille de vodka à elle toute seule, le reçut en plein visage.
Marianne leva les yeux les yeux au ciel avant de revenir de nouveau vers Eléa, qui se tourna sur le côté dans un grognement, se plaquant contre le mur.
Sans violence mais tout de même ferme, elle referma la main sur l'épaule d'Eléa pour la secouer en insistant encore :

- Allez, en plus tu dois appeler ta mère aujourd'hui, elle va s'inquiéter.
- Je le ferai plus tard, j'ai le temps. Grommela Eléa, la bouche contre son matelas.
- Non, pas vraiment. En fait, on t'a réveillé pour le déjeuner.
- Sérieusement ? S'exclama la jeune fille sans y croire.
- Ouais. D'après Marianne, c'est tard pour se réveiller mais, pour moi, c'est une horaire précoce pour le week-end. »

A cette information, Eléa se redressa une nouvelle fois, forçant Marianne à se reculer un peu, et elle put constater que, effectivement, la lumière entrant par les deux fenêtres de la chambre était celle d'un milieu de journée, tout comme l'activité qu'elle captait en provenance de l'extérieur, chose qu'elle n'avait pas remarqué précédemment, persuadée qu'ils se trouvaient toujours dans la mâtinée.
En effet, elle ne pouvait pas se permettre de s'attarder encore davantage sous sa couverture. Sans le savoir, elle s'était déjà desservi en ne se montrant pas de la mâtinée.
Alors, puisant dans le peu d'énergie et de courage qu'elle avait, elle écarta ses draps et se leva lentement, ce que Marianne approuva d'un hochement satisfait du menton et Roxanne d'une exclamation de victoire, qui se termina dans une quinte de toux fatiguée.
Eléa vacilla, les muscles faibles et la tête lui tournant, cherchant à lui éviter la chute, qui la ferait retomber sur son lit et donc retourner au départ de la manœuvre, Marianne la saisit par les épaules pour l'aider à se maintenir sur ses jambes. Le premier réflexe d'Eléa fut de se dégager, n'ayant pas l'habitude qu'on l'approche et la touche de la sorte ni qu'on pénètre dans sa bulle mais, trop faible pour cela, elle n'en fit rien, surtout que Marianne souhaitait lui être serviable.
Alors, plus par automatisme et coutume imprimés dans son corps, elle se rendit à la salle de bain, dirigée par Marianne qui interdit à Roxanne de se recoucher.
La jeune fille aux cheveux roses grommela quelque chose d'inaudible, surtout pour l'esprit encore embrumé d'Eléa, et alla ouvrir le placard du côté d'Eléa au lieu de s'affaisser sur son matelas, comme elle semblait s'apprêter à le faire, pour sélectionner une tenue pour Eléa, qu'elle agrémenta de quelques unes de ses propres affaires, trouvant celles d'Eléa trop passe-partout.
Satisfaite de son choix, elle rejoignit les deux autres dans la salle de bain où Marianne avait entreprit d'aider Eléa à démêler ses cheveux. Comme ses mèches étaient courtes,ce fut rapidement terminé et elles laissèrent la jeune fille se changer. Une moue tordit ses lèvres lorsqu'elle découvrit les vêtements que Roxanne lui avait laissé à côté du lavabo. Peut-être qu'elle était effectivement fort peu vaillante à cause du contre-coup de la veille mais pas au point de ne pas remarquer la mini-jupe et les bas noirs, qui ne lui appartenaient pas. En revanche, ils étaient tout à fait dans le style de Roxanne.
D'ailleurs, cette dernière lui avait déjà plusieurs fois part de sa désapprobation sur son apparence vestimentaire qu'elle jugeait trop garçonne alors que, d'après elle, elle était canon. Remarque dont Eléa ne s'était pas préoccupé, préférant les jeans aux accessoires de femme fatale.
Sauf que, aujourd'hui, elle n'avait vraiment pas la force d'aller fouiller dans ses affaires à la recherche d'une autre tenue alors qu'elle en avait justement une à portée. À mouvements pesants, elle retira donc son pyjama pour se vêtir des habits sélectionnés par Roxanne. Un soupir de contrariété franchit ses lèvres lorsqu'elle avisa les quelques centimètres de peau nue laissés sur ses cuisses entre la jupe et les bas.
Qu'importe. Elle ne comptait pas se montrer à tout le monde toute la journée. Elle pouvait bien supporter cette tenue pour la journée,qui était, de toute manière, déjà bien entamée.
À présent relativement présentable, elle sortit de la salle de bain et fut accueillie par les claquements de paumes de Roxanne, apparemment très enthousiasmée de constater qu'elle portait cette tenue qu'elle jugeait plus féminine et avantageuse sur Eléa, mais elle cessa rapidement, ses propres applaudissements lui provoquant un mal de crâne, tout comme Eléa qui grimaça en portant deux doigts à ses tempes.
Marianne leva une nouvelle fois les yeux au ciel en songeant qu'elles avaient de la chance qu'elle soit heureusement là. Roxanne se serait auto-détruite depuis longtemps sans sa surveillance. La jeune fille à la peau d'ébène alla chercher une trousse à pharmacie dans la salle de bain où elle remplit également deux verres d'eau. Faisant coulisser la fermeture à glissière, elle extirpa deux anti-douleur qu'elle tendit respectivement à Roxanne et Eléa.
Cette dernière la remercia d'un hochement du menton, un peu formel et distant, un mouvement plus prononcé avait renforcé sa migraine et ne sachant pas vraiment comment réagir face à cette attention, n'en ayant toujours pas l'habitude malgré ce mois passé durant lequel ses camarades l'avaient entouré de sympathie et de soins amicaux. Roxanne se montra plus démonstrative en lançant que Marianne était plus sa mère que l'était sa véritable génitrice, plaisanterie qui provoqua une certaine contraction sur le visage de Marianne avant qu'elle ne se reprenne.
Les cachets avalés et Eléa ayant catégoriquement refusé que Roxanne la maquille malgré son insistance, la mini-jupe était déjà amplement suffisante sans en rajouter, préférant garder ses traits fatigués spéciaux gueule de bois, elles quittèrent toutes trois la chambre pour descendre vers le réfectoire pour partager le déjeuner avec le reste du groupe, ce qui serait donc le premier repas de la journée pour Eléa et certainement aussi pour Roxanne, d'après ce qu'elle avait pu déterminer.
En passant devant le foyer, elle constata que tous les restes de la soirée n'avaient pas encore été nettoyés. Ainsi, plusieurs guirlandes pendaient toujours du plafond et le matériel de sono se trouvaient encore en place. Même si ils n'y avaient participé que rapidement, s'étant empressé de se réfugier loin de la caméra indiscrète, il était aisé de deviner que la veillée avait été appréciée. Tout comme celle qu'ils avaient secrètement organisé en comité réduit au sous-sol, ils s'agissait même d'un des meilleurs moments qu'Eléa avait connu dans son existence où elle n'avait pas coutume des relations humaines, bien qu'à présent elle croulait sous la honte et avait mal au crâne.
La salle de restauration était bondée, remplie de presque tous les élèves en plein repas, et un brouhaha de conversation y flottait mais, heureusement, les autres avaient réservé des places aux trois retardataires à leur table habituelle.
Eléa s'assit avec la tête basse et les lèvres pincées sans oser regarder personne alors que Irwan lui demandait comment elle se portait aujourd'hui et son sourire goguenard en coin indiquait qu'il faisait référence au baiser échangé avec Gabriel, qui n'était d'ailleurs pas parmi eux. La jeune fille se concentra exagérément sur son assiette et son steak en serrant les doigts, hésitant entre faire comme si elle n'avait pas saisi l'insinuation ou bien répliquer, non sans une certaine agressivité, et ainsi le faire taire. Alana s'en chargea pour elle en lui assénant une claque à l'arrière du crâne du jeune homme, comme il avait coutume d'en recevoir pour ses taquineries espiègles sans méchanceté, et Lison appuya en signalant que toute cette histoire ne concernait qu'Eléa et éventuellement Gabriel, ce qui fit s'accentuer le grincement de dents de la jeune fille aux yeux rouges.
Pourquoi avait-il fallut qu'elle accepte ce stupide jeu des défis ?
C'était Alana qui l'avait proposé alors, après tout, tout était de sa faute. Eléa secoua imperceptiblement la tête de gauche à droite. Chercher un coupable ne changerait rien, surtout qu'elle était la seule responsable de cette situation terriblement gênante. Le seul côté positif était le goût des lèvres de Gabriel qu'elle continuait à sentir sur les siennes malgré la salade qu'elle mâchait.
Elle fut tirée de ses pensées par le retour de Lucille, qu'elle n'avait pas remarqué s'absenter, qui lui tendit une grande tasse fumante, comme à Roxanne. La forte odeur qui s'en dégageait ne laissait pas de doute sur la boisson qu'elles contenaient. Il était vrai que, dans son état, un bonne dose de caféine ne serait pas de trop.
Tout en remerciant Lucille d'un hochement du menton, elle prit une première gorgée et grimaça alors que l'arôme amer englobait sa bouche. Moins retenue qu'elle, Roxanne ingurgita son café d'une traite sans se soucier de se brûler l'œsophage, habituée à ce genre de journées.
Sirotant lentement sa boisson, trop forte pour elle, en laissant les autres converser autour d'elle, Eléa promena son regard sur le réfectoire.
L'équipe de Marjorie se trouvait dans un coin, comme toujours et un sourire ironique s'afficha sur les lèvres d'Eléa alors qu'elle songeait que son visage fatigué apparaîtrait sur des centaines d'écrans lors du prochain épisode, le cinquième ou le sixième, elle ne le savait plus très bien avec exactitude.
Ses pensées se firent soudainement beaucoup moins sarcastiques lorsqu'elle avisa Gabriel, assis parmi un groupe de pensionnaires de seize ans, majoritaires à l'institut. Il ne semblait pas du tout troublé ni même se souvenir de ce qu'il s'était passé la veille. Visiblement, Eléa n'aurait pas à faire comme si de rien n'était,il s'en chargeait déjà pour elle.
Préférant détourner le regard, elle revint sur ses camarades alors que Lison faisait remarquer à Sylvain que lui aussi paraissait épuisé. En effet, le garçon avait de larges cernes sombres et les paupières gonflées par le manque de sommeil sauf que, lui, n'avait pas l'explication de la gueule de bois, contrairement à deux jeunes filles installées à la même table.
Sylvain baissa la tête sur son assiette et avoue, comme si il s'agissait d'une honte ou qu'il s'en sentait stupide :

« C'est que... J'ai mal dormi... Je...j'ai fait des cauchemars...
- C'est de ta faute ! Accusa Alana en se tournant vers Irwan.
- Je crois que c'était dans les sous-sols, continua Sylvain, et il y avait une fille et...et aussi un type avec un œil bandé.
- Tu vois, avec tes histoires stupides tu lui as fait peur, Irwan ! Tu savais qu'il est sensible pourtant !
- Je suis désolé ! Je ne pensais pas que...
- Ce n'est pas grave. Assura Sylvain avec un sourire timide et incertain.
- Bah alors, mon biquet, on a peur du noir ?

Sylvain se raidit soudainement en crispant les mains sur les bords de la table, le regard soudainement affolé.
Il y avait quelque chose qu'il craignait bien plus que les sous-sols de son cauchemars et c'était Lavande, qui venait justement de l'invectiver et de poser une main bien trop doucereuse pour être rassurante sur son épaule en se penchant vers son oreille avec son sourire torve. En effet, il y avait de quoi s'inquiéter.
Depuis son arrivée, le garçon subissait la cruauté  de Lavande quotidiennement. Certes, la jeune fille s'en prenait à tous de toutes les façons possibles, par des remarques cruelles qui, contrairement aux plaisanteries de Léo, Irwan ou Alana, avaient pour unique but de blesser en pressant sur un point sensible, mais Sylvain était sa cible favorite.
Sans compter qu'il était souvent placé à côté d'elle en cours mais, heureusement, également de Léo, qui tâchait toujours de le défendre de son mieux, et que, avec son extrême sensibilité et sa fragilité, il peinait à se détacher et prenait les commentaires de Lavande trop à cœur, en souffrant énormément. C'était justement pour cela qu'elle s'acharnait sur lui en le désignant comme sa victime préférée.
Il était contracté à la table, les yeux écarquillés et quêtant de l'aide du regard. Les autres ne tardèrent pas à la lui fournir.
En tant que protecteur attitré de Sylvain, Léo écarta sèchement le bras de Lavande des épaules de Sylvain, se moquant bien de la blesser, au contraire, et il se leva de façon à s'interposer entre lui et elle, en sifflant d'un ton menaçant et Eléa crut apercevoir des étincelles grésiller sur ses phalanges :

- Qu'est-ce que tu veux, Lavande ?
- Elle est peut-être mécontente qu'on l'ait pas invité hier car on voulait passer un bon moment mais elle devrait pas s'étonner. Lorsqu'on est une sale garce, c'est normal de se faire détester de tous.

Suggéra Alana comme si Lavande ne se trouvait pas là et sans la regarder, tournée vers son plateau, en rejetant les mèches de sa longues queue de cheval dans son dos.
Lavande lui adressa un sourire sarcastique, lui indiquant qu'elle se moquait bien de ses avis, ou peut-être pas tant que ça, à en juger par les légers tremblements de ses poings serrés dont personne ne s'aperçut. Le regard dur. Léo lui fit également signe du menton de dégager pour retourner à sa table où elle était évidemment seule à y manger.
La jeune fille ne bougea pas, un sourire supérieur sur ses lèvres parfaites, le défiant et le provoquant.
Soudainement, elle se plia, comme brusquement écrasée par un fort poids invisible s'abattant surelle. Parvenant à se redresser après quelques secondes, elle riva des yeux pourpres furieux sur Marianne, dont les traits s'étaient durcit, et Eléa comprit qu'elle venait d'assister aux effets des pouvoirs de la jeune fille à la peau d'ébène sur la gravité. Elle n'avait dû en user qu'à un très faible niveau et Eléa la soupçonnait d'être capable de bien plus.
En tous cas, cette action contribua à chasser Lavande qui, après un regard hautain prononcé sur chacun d'eux, alla pour partir avant de se raviser pour revenir vers Sylvain, qui semblait sur le point de défaillir lorsqu'elle s'approcha de lui, courbée vers son oreille, pour lui glisser quelque chose à voix base, qui fit se remplir ses yeux blancs de larmes. Léo la repoussa sans aucune douceur et, cette fois, Lavande abandonna pour aller tourmenter d'autres pensionnaires plus loin dans le réfectoire, ce que voyant, Gabriel intervint.
Sylvain soupira de soulagement en essuyant les commissures de son regard. Se levant de sa chaise pour venir à sa hauteur, Lison l'enlaça pour le consoler alors que tous allaient de leurs paroles réconfortantes, le rassurant et condamnant Lavande.
Seuls Eléa et Raphaël demeurèrent silencieux et la jeune fille remarqua que le garçon paraissait encore moins à l'aise qu'elle, s'agitant sur place. Visiblement, il ignorait comment se comporter face à une manifestation d'émotions. Pas surprenant alors qu'il préfère le contact des machines, qu'il comprenait certainement mieux.
Quant à Eléa, elle aurait aimé pouvoir réconforter Sylvain, sensible à sa détresse, mais elle non plus ne savait pas comment faire et sa protection toujours en place lui conseillait de se tenir en retrait. Elle baissa donc la tête et laissa faire les autres qui s'en chargeaient bien mieux qu'elle.
Finalement, Sylvain s'apaisa après quelques minutes et chacun reprit le cours de son repas. Cependant, le jeune homme semblait fortement préoccupé par quelque chose. Il jouait nerveusement avec ses haricots du bout de sa fourchette en se mordillant la lèvre inférieure. Eléa ignorait si elle devait lui demander ce qu'il lui arrivait. Ce n'était pas qu'elle n'osait pas par timidité mais car elle ne savait pas comment s'y prendre, tassée derrière ses barrières, alors, elle se contentait de fixer Sylvain sans rien faire.
Suivant son regard, Lucille remarqua à son tour l'attitude de leur petit camarade et, elle, elle s'enquit du problème de sa voix douce. Pour toute réponse, Sylvain haussa les épaules en conservant ses yeux bas sans rien préciser, au bord des larmes. Les autres échangèrent des regards, se questionnant mutuellement et se demandant si ils devaient insister ou seulement partir du postulat qu'il était encore secoué par le passage de Lavande et qu'il n'y avait donc rien d'autre à faire que d'attendre qu'il s'en remette. Après tout, c'était possible avec sa sensibilité et sa fragilité.
Avant qu'ils ne choisissent entre ces deux possibilités, Eléa eut un vertige. Une sensation étrange la saisit. La tête lui tourna et il lui sembla qu'elle avait eu comme une micro-inconscience inexpliquée mais pas plus d'une seconde c'était écoulé alors que, en face d'elle, Sylvain sanglotait en silence sans regarder personne,ce qui fit que tous s'efforcèrent de nouveau de le réconforter en le questionnant sur l'origine de ces larmes qu'il s'obstina à taire.
Toujours incapable de savoir comment s'y prendre pour consoler quelqu'un, Eléa se détourna et reprit le cours de son repas,mal-à-l'aise, et le regard sans cesse attiré par Gabriel à quelques tables.
Son attention donc concentrée ailleurs, elle porta un morceau de steak à sa bouche mais, dès qu'elle referma les dents dessus, elle remarqua que le goût et la texture étaient anormaux. Un doute qui éveillait une nausée au fond d'elle, elle regarda son assiette et écarquilla les yeux en découvrant la pièce de viande crue parmi ses haricots.
De surprise et de dégoût, elle s'écarta d'un bond en arrière en recrachant sa bouche, repoussant violemment sa chaise alors que ses camarades s'exclamèrent, stupéfaits et horrifiés comme elle. Le rire perfide de Lavande indiqua à qui Eléa devait cette plaisanterie de très mauvais goût.
Sous le coup de différentes émotions : surprise, dégoût, colère, horreur, ses pouvoirs jaillirent avant qu'elle ne s'en aperçoive ou que qui que ce soit ne puisse réagir ou seulement formuler une syllabe à propos de cet incident. Le sang s'écoulant de la viande s'éleva en formant des sphères avant d'éclater brusquement alors que les personnes les plus proches se mettaient à saigner du nez et des oreilles.
Toute la fureur d'Eléa reflua lorsqu'elle vit le sang goutter sur les vêtements de ses camarades, éclaboussés par celui de la viande.
Non, pas encore, pas ici ! 
Comme la première fois, l'unique réaction qu'elle parvint à avoir fut de s'enfuir hors du réfectoire, soustrayant les autres à sa magie nuisible, le tout sous l'œil de la caméra qui n'en avait pas perdu une seconde.
Alors qu'elle franchissait la porte en courant, elle entendit la voix de Gabriel l'appeler par-dessus la vive agitation secouant le self, mais elle ne l'écouta pas et força même davantage sur ses jambes. Sans ralentir, elle sortit dans la cour et, là, elle s'arrêta quelques instants pour réfléchir à un endroit où se réfugier.
Son premier réflexe était de monter dans sa chambre mais c'était trop évident, les autres viendraient immédiatement l'y chercher or, elle ne voulait pas qu'ils l'approchent, elle ne voulait pas blesser les seules personnes extérieures à sa famille l'ayant accueillit et apprécié sans aucun jugement. Il fallait qu'elle reste seule pour ne pas nuire à autrui, elle était dangereuse, et, pour ce faire, elle avait besoin d'un lieu isolé où personne n'irait la trouver, ni où personne ne passerait.
L'image du sous-sols s'imposa alors à son esprit. Il s'agissait effectivement du lieu idéal pour fuir tout contact.
Sans plus attendre, elle s'engouffra dans le halle du bâtiment principal et se dirigea vers la porte dissimulée par la peinture des escaliers. Comme il le lui semblait, Gabriel avait omit de verrouiller de nouveau la serrure et Eléa n'eut donc aucune difficulté à pénétrer vers cet étage sous-terrain de l'institut. Ne s'éclairant pas, fuyant les autres pour leur propre sécurité,elle tâta le mur à la recherche d'une porte au hasard qu'elle poussa pour s'écrouler au sol dans la pièce. Se traînant, elle se tassa contre un appareil de chaufferie, qui ronronnait doucement contre son dos, en se prenant la tête entre les bras et elle pleura longuement, enragée contre elle-même et ses pouvoirs.
Elle ignora combien de temps qu'elle demeura ainsi, plongée dans toute cette détresse, mais elle revint au présent, dans l'obscurité du sous-sols, lorsqu'elle sentit son téléphone vibrer dans ma poche arrière de sa jupe en jouant une chanson de Fall Out Boy.
Par habitude, elle le sortit et le visage de Marianne affiché sur son écran lui apprit qui tentait de la joindre.
Cela faisait déjà plusieurs semaines qu'elle avait les numéros de ses camarades associés à leurs photos dans la mémoire de son téléphone. L'initiative n'était pas la sienne mais celle des autres. Elle soupçonnait Léo d'avoir subtilisé son portable et Raphaël d'avoir contourné son code pour accéder à ses contactes. Elle avait eu la surprise de découvrir ces nouveaux numéros ainsi que toutes ces photos, individuelles ou de groupes, et, visiblement, chacun avait également noté le sien.
En reniflant, elle refusa l'appel, faisant taire la sonnerie, et elle posa son téléphone dans la poussière à côté d'elle pour enfouir de nouveau son visage entre ses bras. Quelques secondes plus tard, la musique résonna de nouveau dans la petite salle mais, cette fois, elle ne prit la peine de couper la musique, la laissant s'élever alors qu'elle pleurait.
Seule dans le noir, le temps ne paraissait pas passer dans ce sous-sols mais elle entendit des voix et des pas à quelques mètres de sa cachette. Apparemment, les sous-sols n'était finalement pas un refuge aussi parfait qu'il le lui avait semblé, à moins qu'il ne soit trop évident par rapport à ce qu'elle croyait.
Elle reconnu le timbre clair de Lison qui signalait qu'elle n'obtenait toujours aucune réponse à ses appels et celui d'Alana lui conseillant de recommencer encore. Il y avait aussi Sylvain qui répétait qu'il était désolé d'un ton larmoyant. Irwan les interrompit soudainement en annonçant qu'il captait quelque chose, certainement grâce à son ouï développée par son pouvoir.
Le suivant, le groupe se dirigea vers la porte entrebâillée qu'ils éclairèrent de leurs téléphones et les faisceaux balayèrent Eléa recroquevillée dans un coin. La jeune fille se tassa davantage sur elle-même en les percevant s'approcher, souhaitant s'écarter et éviter de les blesser encore mais, eux, ne parurent pas s'en soucier et l'entourèrent.
Elle se contracta lorsqu'un bras se passa sur ses épaules à gauche, rejoint par un deuxième à droite. Une main chaude se posa également sur les siennes serrées.
Se redressant à ces contacts, pour ordonner à ses camarades de s'éloigner d'elle, la sorcière si dangereuse à la magie incontrôlée, et tomba face au visage de Gabriel agenouillé à sa hauteur et qui la couvait d'un regard inquiet. Comme pour les autres, le haut de sa chemise était taché de plusieurs cercles rouges, vision qui renforçait le désarroi d'Eléa.
À côté d'elle, Roxanne et Lison l'avaient enlacé pour la rassurer alors que les autres étaient resserrés autour d'elle pour la soutenir et la consoler.
Seuls Raphaël et Sylvain demeuraient légèrement à l'écart. Il n'y avait rien de surprenant à cela de la part du premier mais beaucoup plus pour le deuxième qui sanglotait toujours.

« Allez, arrête de pleurer. Ce n'est pas grave, ça arrive à tout le monde d'échapper ses pouvoirs. La rassura Alana.  À nous aussi d'ailleurs.
- Mais oui, ce n'est rien ! Appuya Marianne en lui caressant les cheveux en un geste presque maternel.
- Sauf que, moi, je suis dangereuse ! S'écria Eléa. Vous avez eu de la chance mais ça aurait pu être bien pire ! Vous savez tous suite à quoi je suis venue ici !
- Tous ceux qui se trouvent ici sont susceptibles d'être un danger, tu sais.
- Je doute que tu puisses tuer quelqu'un avec des auras, Gabriel !
- Tout ça, c'est de ma faute ! Sanglota Sylvain. Je...je ne voulais pas mais Lavande m'a...m'a forcé à stopper le temps pour...pour te faire ça... Je suis tellement désolé !
- Je t'en veux pas à toi, assura Eléa, mais à moi. Il vaut mieux que je reste ici...
- Mais bien sûr. Ironisa Roxanne en levant les yeux au ciel.
- Je comprend ce que tu ressens, intervint soudainement Raphaël en surprenant tout le monde, moi aussi j'ai peur de mes pouvoirs, ils sont effrayants, mais c'est pire si je m'enferme. Les autres m'aident à les oublier, à les canaliser.
- Parce que tu crois que ça va suffire ? Grogna Eléa.
- Essaye au moins ! Suggéra Irwan.
- Nous sommes là pour te soutenir. Lui sourit doucement Lucille.
- Allez viens, s'il te plait. Ne reste pas seule ici.

La pria Gabriel, se sentant visiblement fortement concerné par tout cet incident, avec un regard suppliant, bien loin de son habituel masque, et tous les autres appuyèrent la demande du jeune homme de paroles réconfortantes et encourageantes.
Se pliant finalement à l'insistance de ses camarades et au regard de Gabriel, et puisque, malgré ce qu'elle avait dit, elle ne pouvait pas demeurer ici indéfiniment dans le noir et la poussière et lui faudrait bien affronter les choses – la situation avec Gabriel paraissait beaucoup moins problématique à présent – Eléa acquiesça et se leva, aidée par les autres qui l'entrainèrent vers les escaliers pour les remonter vers le rez-de-chaussée.
Alors qu'ils s'engageaient sur les marches, Léo lança, pour tenter de faire sourire la jeune fille et détendre l'atmosphère :

- Si tu veux, j'irais mettre le feu à un bâtiment. »















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