Chapitre 11 - Episode pilote
Courant autour du fauteuil du foyer du dortoir, le grand du rez-de-chaussée, Alana tentait de rattraper un autre pensionnaire de l'institut Belforde, un garçon de seize ans, avant que la pub ne se termine et que l'émission se lance.
Après une semaine à supporter la présence de l'équipe de télé sur leurs talons où qu'ils aillent à chaque déplacement, à surveiller leurs arrières avant de parler d'un sujet personnel pour s'assurer que la caméra n'enregistrait, ayant appris de la mésaventure d'Eléa et Roxanne, Marjorie leur avait annoncé qu'elle avait suffisamment de matière pour construire son premier épisode et l'envoyer à la production qui la diffuserait bientôt.
Cette semaine avait également permis aux deux nouveaux de la classe de se rapprocher toujours plus des autres, Sylvain plus qu'Eléa, qui demeurait toujours renfermée, peinait à abaisser ses barrières et à laisser pénétrer autrui dans sa bulle, à part peut-être avec Gabriel avec qui elle ne parvenait pas à se montrer perpétuellement légèrement distante comme avec tous les autres.
Au contraire, elle n'arrivait pas à ravaler ses émotions et son trouble, les joues rougies et le cœur s'emballant dans sa poitrine,ce qui la désespérait elle-même et qui ne faisait que donner plus de matière aux boutades de Roxanne et Alana ou même Lison qui assurait qu'ils formeraient un très beau couple avec Gabriel.
Quoiqu'il en était, comme Marjorie l'avait dit, la bande annonce de l'émission n'avait pas tardé à être passée entre les programmes habituels et les chargés de diffusion avaient choisi une horaire de grand audimat : le samedi soir après le journal d'informations, ce qui réjouissait encore moins les stars de ce reportage.
Les concernés n'avaient vraiment aucune envie de se voir à l'écran sur fond de commentaires de Marjorie. Contrairement à tous leurs camarades de niveaux inférieurs, qui étaient impatients de voir leurs aînés, peut-être aussi pour les taquiner un peu, mais également pour découvrir quelle image cette émission renvoyait des magiciens.
C'était donc pour cela que Tanguy, le garçon après qui courait Alana depuis bien dix minutes, empêchait la jeune fille de s'emparer de la télécommande et de prendre ainsi le contrôle de la télé car il savait que, si cela arrivait, jamais ils ne pourraient regarder le premier épisode de ce reportage. Sportive, Alana aurait dû le rattraper en quelques minutes sans grande difficulté seulement, Tanguy maîtrisait la magie de l'air, comme le confirmaient ses yeux gris, et il le rendait plus dense devant sa poursuivante, la ralentissant.
Cependant, ne pouvant tenir ainsi bien longtemps, le garçon préféra abandonner mais pas se rendre. Prenant de l'élan, il lança la télécommande qui décrivit une courbe non loin du plafond au-dessus des crânes des autres pensionnaires sans réelle trajectoire car il comptait sur l'un de ses camarades. En effet, la chute de la télécommande freina jusqu'à stopper totalement avant de descendre lentement jusque dans la main d'un autre garçon aux yeux oranges.
Se résignant donc à subir l'émission, Alana se laissa lourdement tomber sur le large divan que la classe avait privatisé et elle fusilla Irwan, qui continuait à l'encourager, de ses yeux roses. Le jeune homme éclata de rire, accompagné dans son hilarité par Léo.
Ce dernier termina de s'esclaffer en passant nonchalamment un bras autour des épaules de Lison. La jeune fille se raidit, osant à peine à respirer, le rouge aux joues alors qu'on avait l'impression que c'était le plus beau jour de sa vie. Eléa la regarda en se demandant si elle aurait la même attitude si Gabriel l'enlaçait de la sorte.
D'ailleurs, le jeune homme était installé sur l'accoudoir à côté d'elle et elle glissait un regard sur lui à chacun de ses mouvements. Ayant lui aussi été poursuivi par Marjorie durant cette semaine qu'il le serait jusqu'à la fin du reportage, il avait eu la permission de s'installer avec la classe des plus âgés, de qui il était également le plus proche de toute manière, pour assister au massacre.
Tous les membres de la classe étaient presque présents. Il manquait évidemment Shikou, enfermée dans sa chambre, Salim restait dans son coin à griffonner sur un bloc-notes, et Lavande trônait plus loin dans un fauteuil.
L'absence qui surprenait le plus, en revanche, était celle de Roxanne.
À l'approche du rendez-vous donné par l'heure de l'émission, Eléa et Marianne avaient tenté de la lever de son lit, où elle avait passé la majeur partie de l'après-midi, mais sans succès. Elles l'avaient donc laissé se reposer, l'esprit embrumé et le nez saignant légèrement.
Les autres étaient tous alignés dans le divan face à l'écran plat fixé au mur où défilaient toujours les annonces des publicitaires, excepté Raphaël. Assis au sol, appuyé contre l'assise du canapé, il pianotait sur son téléphone en se demandant comment il pourrait accéder au serveur de la chaîne à distance pour en supprimer les enregistrements de l'émission, service dont l'avait prié Irwan en plaisantant, ne s'attendant pas à ce que le garçon accepte sérieusement et s'y mette immédiatement.
En revanche de nombreuses autres classes étaient présentes et jamais le foyer n'avait été aussi plein. Tout le monde voulait voir son école à la télé, sauf les douze concernés, à part peut-être Lavande.
Alors qu'il ne restait plus que quelques secondes avant le lancement de cette émission à la fois redoutée et attendue, Eléa sentit une petite tape contre son genou. Baissant le regard, elle découvrit la petite Sophie.
Âgée de cinq ans et demie, elle était la benjamine de l'institut. Entre son visage poupin aux joues rebondies, ses tresses brunes et ses grands yeux marron clair, indiquant qu'elle influençait sur les plantes, personne ne pouvait lui résister et Eléa non plus, qui s'était découverte beaucoup moins distante avec les enfants. Alors, lorsque Sophie lui expliqua qu'elle n'avait pas de place depuis laquelle elle pouvait voir la télé, la jeune fille n'hésita pas à lui proposer ses genoux comme siège.
Elle la saisit sous les aisselles pour la soulever et la posa sur ses jambes. La fillette sourit largement à Eléa et, se hissant, elle déposa un baiser sur sa joue en lui murmurant qu'elle était gentille et aussi jolie. Une expression attendrie adoucit les traits de la jeune fille qu'elle avait habituellement plus fermés.
Se penchant vers elle en faisant accélérer son rythme cardiaque, Gabriel lui glissa que, au fond, elle était une vraie guimauve toute tendre. Paralysée, les lèvres pincées, Eléa ne sut que répondre. Alana se chargea de répliquer pour elle en tirant la langue à Gabriel, exposant la bille d'acier brillant la lui perçant. Gabriel échappa un léger rire, qui troubla encore davantage Eléa, en se redressant sur l'accoudoir.
Alors qu'elle s'efforçait de se reprendre avant qu'Alana ne lui fasse une remarque, Lison étant trop absorbée par Léo pour songer à lui faire un commentaire, plusieurs exclamations satisfaites s'élevèrent dans le foyer, annonçant le début de l'émission.
En effet, à la place des publicités diverses se succédaient à présent plusieurs plans de l'extérieur de l'école.
Le silence se fit sur l'assemblée de téléspectateurs, troublé par quelques murmures des uns et des autres alors qu'ils s'apercevaient à l'écran. Eléa se prit la tête dans la main, ne souhaitant pas voir cela mais elle releva le regard car Sophie tirait sur sa manche pour attirer son attention et lui désigna Marjorie qui venait d'apparaître sur le large écran.
La jeune fille grommela alors que la présentatrice saluait son audimat avec un sourire étudié. Cependant, elle se fit plus attentive lorsqu'elle entendit qu'elle résumait l'histoire de l'école qu'elle ne connaissait pas.
Se faisant donc davantage intéressée à cette remarque, Eléa écouta donc Marjorie qui présentait et avait donc dû bien apprendre sa leçon pour connaître pareilles informations.
"Nous nous trouvons en effet à l'institut Belforde au cœur de Saint-Théophile des Mines, ancienne ville minière du bassin de Saint-Etienne. Cette école a été spécialement conçue pour accueillir les magiciens. C'est en 1947, il y a tout juste soixante-dix ans, qu'elle a été inaugurée par Monsieur Georges Belforde, le premier directeur. Son but était d'offrir un lieu sûr pour sa fille née avec de la magie. Par la suite, son fils a reprit la direction de l'établissement et c'est aujourd'hui son petit fils,Aaron Belforde, qui occupe cette honorable fonction. C'est une expérience d'immersion au cœur de cet endroit exceptionnel au contact de ses élèves tout aussi exceptionnels que nous vous proposons. Nous allons suivre une classe de cette école durant plusieurs mois pour vous faire partager leur vie au plus près de manière tout à fait inédite. Bienvenus à l'institut Belforde où nous serons vos guides."
Marjorie ponctua son petit discours d'un de ses sourires télévisuels pendant que certains émettaient quelques commentaires sur l'originalité du titre de l'émission et sur cette présentation assez sobre aux allures d'exposé d'étudiant.
Sur l'écran, l'image de Marjorie s'estompa pour laisser place à un générique qui provoqua pas mal de stupéfaction et d'indignation, surtout chez ceux qui virent leurs photos s'afficher les unes après les autres.
Il s'agissait d'une présentation des membres de la classe avec leurs visages en gros plan accompagnés de motifs symbolisant leurs pouvoirs ainsi que leurs prénoms. Ainsi, des flammes entouraient le portrait souriant de Léo. Certaines illustrations étaient plus abstraites, comme pour Lison où elle était seulement accompagnée de mesures de fréquences ou Irwan qui avait des spirales autour de lui par défaut ou encore Shikou, entourée de notes de musique en référence au casque qu'elle portait en permanence sur les oreilles. Il y avait aussi Gabriel à qui on avait attribué des taches de couleurs bigarrées représentant les auras d'après les descriptions qu'il s'était efforcé d'en faire.
Le jeune homme détourna le regard lorsque son image apparu à l'écran, se dissimulant derrière ses longs cheveux roux. Eléa trouva cela dommage car il était beau sur cette photo, en fait, il était beau tout le temps, quoi qu'il fasse.
Cependant, elle comprit lorsque son propre visage s'afficha à la suite de celui de Gabriel, certainement pas par hasard d'après l'engouement de Marjorie pour leur couple purement hypothétique, entouré de volutes sanglantes faisant ressortir le rouge de ses yeux. La jeune fille se crispa alors que ses mâchoires se contractaient et qu'elle serrait les poings.
Elle détestait sa magie, relativement malsaine, et qui faisait que tous la repoussait en l'observant comme un monstre. Aux regards de certains, y compris du sien, maîtriser le sang était bien plus contre-nature que influencer sur l'eau ou guérir les gens.
Comment Marjorie osait-elle utiliser la détresse d'être ainsi marginalisée et craint de tous, y compris d'elle-même, pour la transformer en monstre de foire pour la jeter en pâture à un public avide de voyeurisme ?
Percevant sa colère à côté de lui, notamment par les mouvements de son aura, qui s'était hérissé de pointes agressives, furieuse, Gabriel se tourna vers elle. Il connaissait l'influence ds émotions sur des pouvoirs mal gérés, en particulier celle de la colère en ce qui concernait Eléa, il l'avait apprit en examinant son aura et le savait aussi d'expérience après vingt ans dans cette école. Souhaitant éviter la catastrophe, aussi bien pour la sécurité de tous que pour celle d'Eléa qui sombrerait dans les remords, Gabriel saisit sa main, s'efforçant de l'apaiser par ses faibles moyens mais, par ce geste, il rompait avec ses coutumes et sa distance habituelles en établissant un véritable contacte., une proximité, avec la jeune fille, et ce fut très efficace.
Tout l'énervement d'Eléa s'évapora subitement lorsque les doigts de Gabriel se refermèrent sur les siens, doux et chauds, pour être remplacée par un trouble intense qui l'envahit entièrement alors qu'elle sentait sa chaleur corporelle augmenter pendant que le générique s'achevait en provoquant plusieurs commentaires, notamment des moqueries de la part des plus jeunes, épargnés par cette parodie ridicule. Les concernés grommelèrent en majorité, les bras croisés sur la poitrine, exceptée Lucille qui assurait que ce n'était pas si mal, prenant la fonction d'avocat du diable, Lison qui se moquait bien de ce qu'il se passait, serrée contre Léo, et Raphaël qui jugeait le montage assez qualitatif même si il manquait d'originalité.
S'obligeant à ignorer la main de Gabriel autour de la sienne, ce qui n'était vraiment pas évident, Eléa se concentra de nouveau sur l'écran, le cœur cognant fort contre ses côtes et la petite Sophie toujours sur ses genoux.
Succédant au générique, presque sans transition,apparu un plan large de la salle d'Histoire, montrant chacun à sa place alors que Monsieur Moreau faisait l'appel. Finalement, ils l'avaient eu leur enregistrement où chacun répondait à son nom.
Rompant le monotone de cet instant, la caméra effectua quelques zooms sur les différents élèves : Léo qui menaçait Lavande à voix basse si elle continuait à s'en prendre ainsi à Sylvain, Alana et Irwan engagés dans un duel de pierre, feuille, papier, ciseaux, Salim toujours en train de gribouiller sur une feuille, Shikou immobile, son casque sur les oreilles, puis elle s'arrêta sur la place vide de Roxanne à côté d'Eléa avant de revenir sur Monsieur Moreau qui, ayant terminé l'appel, débutait son cours en, comme toujours, inscrivant les dates de l'événement étudié au tableau comme rappel.
Cependant, il fut rapidement interrompu par la porte qui s'ouvrit pour laisser le passage à Roxanne, comme bien souvent.
L'œil de la caméra suivit la jeune fille aux cheveux roses jusqu'à sa place puis Marjorie refit son apparition, cette fois-ci en tant que voix-off, alors que le cours de Monsieur Moreau formait un arrière plan sonore.
"Fiches de présence, appels, retards et prises de notes, le quotidien de ces élèves ressemble bien à celui de tant d'autres à travers le monde. Pourtant, les pensionnaires de l'institut Belforde ne ressemblent pas à tant d'autres."
Un plan large se rapprocha d'Eléa et ses iris sanguines envahirent l'écran.
Les muscles de la jeune fille, détendus par le contact avec Gabriel, se contractèrent de nouveau alors que ses dents grinçaient mais, n'ayant pas lâché sa main, Gabriel pressa doucement ses doigts dans les siens, la calmant comme précédemment en la troublant. Sophie contribua à faire refouler sa colère avec sa candeur en pointant l'écran pour signaler avec enthousiasme à Eléa que c'était elle.
La jeune fille sourit, attendrie, en acquiesçant silencieusement. Du haut de ses cinq ans, elle ne s'apercevait pas de ce que cette émission impliquait pour ceux forcés d'y participer.
« Je suis Miss Periggrin et je vais vous présenter mes enfants extraordinaires !
Lança Lison, parodiant la voix de Marjorie avec un accent pincé, déclenchant plusieurs rires autour d'eux.
Eléa pencha la tête sur le côté, plutôt d'accord. Alors que l'objectif de ce reportage était de prouver au monde que les magiciens n'étaient pas un danger et qu'ils étaient comme toute autre personne malgré leur particularité, Marjorie diffusait actuellement un tout autre message en signalant qu'ils étaient très différents. Peut-être que cela ne plairait pas à Monsieur Belforde et qu'il annulerait donc cette émission. Cette idée plut à Eléa qui se mit à espérer que ce soit effectivement le cas.
Priant elle ne savait pas qui exactement pour que cela se réalise, elle écouta de nouveau Marjorie qui détaillait un peu plus le système éducatif de l'institut Belforde, poursuivant son exposé de présentation :
"Ici, les classes ne se découpent pas par dates de naissances ou filières mais par tranche d'âges qui délimitent ainsi les différents niveaux. En effet, il n'y a pas suffisamment d'élèves pour former des classes ordinaires, bien que les pensionnaires n'aient jamais été aussi nombreux qu'aujourd'hui. Ainsi, la classe que nous suivons va de dix-sept à vingt ans, les deux plus jeunes étant Shikou et Raphaël et Léo le plus âgé. "
Le jeune homme aux dread locks décolorées grommela que Marjorie le faisait passer pour un vieux alors qu'il allait seulement sur ses vingt ans et que, après ça, les gens lui attribueraient un rôle d'aîné alors que cette tâche n'était vraiment pas pour lui, il la laissant à Gabriel puisque, de toute manière, il avait le même âge.
Alana lui décocha un coup de coude en lui signalant qu'il ferait mieux de prendre exemple sur Raphaël qui, lui, ne se plaignait pas, pianotant toujours sur son téléphone en silence.
"Même si il y a une exception dans cette classe, Sylvain, qui a seulement quinze ans mais, véritable surdoué, il suit les cours des plus âgés. Ces cours, d'ailleurs, ne sont pas organisés en filières qui débouchent sur un diplôme spécifique comme on voit ailleurs dans tous les établissements puisque, comme pour l'organisation des classes, il n'y a pas suffisamment d'élèves pour le faire. À la place, les cours offrent de solides bases dans toutes les matières aux pensionnaires pour leur permettre d'être capables de se débrouiller dans le monde en de nombreuses circonstances, ou bien de pouvoir s'orienter vers n'importe quelles études plus spécialisées et particulières. Mais, en attendant de savoir ce qu'ils vont faire de cet enseignement, nous allons suivre leur vie entre leurs cours,le dortoir, les heures de repas, les haines et les amitiés, comme chez tous jeunes adultes."
Marjorie se tut, laissant se succéder plusieurs membres de la classe, en salle de cours, dans le foyer, arpentant les couloirs ou encore dans les deux cours, issus de différents jours, les suivant dans leurs déplacements et laissant les paroles qu'ils échangeaient, morceaux de conversations saisis sans contexte, comme unique commentaire.
Quelques minutes s'écoulèrent ainsi, dans les grincements de dents de ceux qu'on voyait à l'écran, sauf Lucille et Marianne, la première étant trop douce et la deuxième trop calme pour le faire, n'appréciant pas d'imaginer les instants de leur vie décortiqués et commentés par des inconnus qui ignoraient la lutte que c'était que de naître avec de la magie. Le sentant et le comprenant, les autres pensionnaires installés autour d'eux ne firent aucune remarque, devinant que ce devait pas être quelque chose de très plaisant.
Après ces plusieurs minutes gênantes et malaisantes pour beaucoup, l'image de Marjorie revint à l'écran sur fond du bâtiment principale.
La jeune femme prit quelques secondes pour effectuer son parfait sourire pour la télévision avant de reprendre la parole en signalant, comme si elle pouvait deviner les pensées de ses téléspectateurs :
"Cependant,je pense que vous avez remarqué l'absent parmi ces images de la vie quotidienne de ces jeunes gens. Tout le monde a évidemment repéré Gabriel dans le générique, un jeune homme si charismatique, mais également qu'il n'accompagnait pas nos autres amis. Ce pour la bonne et simple raison qu'il ne fait pas partie de la classe. Certes, tous les pensionnaires de cette école particulière ont une histoire unique mais la sienne reste vraiment incroyable. En effet, ce garçon a été trouvé devant les grilles de l'institut Belforde un douze décembre alors qu'il n'était qu'un nourrisson, certainement abandonné à la naissance à cause de ses pouvoirs, ce qui n'est malheureusement pas un cas isolé, même si celui de ce pauvre Gabriel est plus extrême."
Les exclamations enthousiastes, proches d'encouragements ou même d'acclamations, s'étant élevé chez les pensionnaires à la mention de Gabriel, forcément très populaire chez ses camarades avec sa sympathie et son attitude de grand frère envers tous, bien qu'il ne s'agisse que d'un masque, s'éteignirent lorsque Marjorie aborda le passé du jeune homme.
Cette histoire était connue à l'école mais elle demeurait relativement taboue, du moins, personne n'en parlait face au principal concerné.
La gêne se fit encore plus pesante alors que, raidis et les lèvres pincées, personne n'osait regarder Gabriel. Seule Eléa se tourna vers lui, s'inquiétant de sa réaction alors que Sophie sur ses genoux ne percevait pas le problème. Le jeune homme restait immobile, très droit, et seuls quelques éléments traduisaient ce qu'il ressentait véritablement : ses mâchoires contractées et ses mains, dont il avait retiré la gauche de celle d'Eléa, tremblantes, mélange de rage et de détresse ainsi qu'un goût de trahison sur sa langue.
Pourtant, il restait assis sur l'accoudoir à écouter Marjorie résumer ce récit de vie qu'il connaissait déjà plus que parfaitement et Eléa ne pouvait s'empêcher de s'y intéresser énormément car elle souhaitait en apprendre davantage sur le jeune homme qui la troublait tant, même si elle ne cautionnait absolument pas le moyen par lequel elle recevait ces informations et qu'elle aurait préféré ne pas écouter par égard et respect pour Gabriel mais elle brûlait trop d'en savoir plus sur lui.
Alors, elle se concentrait sur les paroles de Marjorie qui continuait :
"Ne pouvant pas le laisser ainsi ou le confier à un orphelinat où il serait considéré comme un anormal, surtout vingt ans en arrière,le directeur actuel, Monsieur Aaron Belforde, l'a recueilli, le prenant sous son aile en se faisant ainsi son tuteur. Il l'a plus ou moins élevé à la manière d'un père et il a pu bénéficier très tôt de l'enseignement dispensé par l'établissement et il a depuis longtemps apprit tous ce dont il avait besoin. Cependant, n'ayant nul part ailleurs où aller, il est toujours à l'institut Belforde pour dispenser son aide à tous ceux qui en ont besoin. Il est le grand frère de tous les pensionnaires, celui présents en toutes circonstances sûr qui l'on peut toujours compter, ce qui en rassure beaucoup et n'est pas pour déplaire à certains, ou plutôt à certaines."
Marjorie émit un petit rire plein de sous-entendus en se plaquant le dos de la main sur la bouche à la manière d'une diva comme pour chercher à le retenir, action purement feinte.
Eléa écarquilla les yeux en enfonçant ses ongles dans le canapé où elle était assise, pressentant la suite de l'émission, qui ne lui plairait absolument pas. Marjorie allait parler d'elle, de son attirance pour Gabriel, puisque c'était de cela dont il s'agissait, en insistant encore sur le fait qu'ils formerait un beau couple. Lorsqu'il s'agissait des boutades de ses camarades, elle le supportait, même si elle s'en agaçait assez, mais Marjorie allait s'en servir pour garantir un fort taux d'audimat à cette purge.
Alors qu'elle-même peinait à qualifier ce qu'elle ressentait exactement sur Gabriel, ou qu'elle refusait simplement de le reconnaître, des milliers de spectateurs allaient commenter dessus et porter un jugement.
Eléa détourna le regard de l'écran, ne souhaitant pas voir le visage perfide de Marjorie lorsqu'elle prononcerait son nom mais elle ne dit rien. À la place, l'image passa à un nouveau plan de la classe. Eléa fixa la télé, surprise, mais elle comprit rapidement pourquoi cette chère Marjorie n'avait apporté aucune précision. Il fallait un peu de suspens pour provoquer de l'engouement pour cette foutue émission.
La jeune fille soupira de soulagement. Elle y avait échappé pour cette fois, au moins jusqu'au prochain épisode, contrairement à Gabriel qui n'avait pas été épargné, avec son existence déballée au grand jour devant tous les spectateurs et l'accent tout particulièrement mis sur son abandon.
D'ailleurs, il n'appréciait absolument pas. Tellement pas qu'il préféra partir pour ne pas assister à la suite. Le dos raidi, il se leva et traversa le foyer pour sortir et regagner sa chambre. La plupart des élèves le suivit du regard mais sans oser l'observer directement, seulement en coin, sans rien dire, se mordillant les lèvres.
- Qu'est-ce qu'il y a, Gabriel, tu n'apprécies pas que tout le monde sache que tes parents t'ont balancé à la poubelle comme un vulgaire déchet sans importance ? »
Gabriel stoppa avant de franchir l'arche, les muscles encore davantage contractés, les dents grinçant.
Évidemment, il y avait quelqu'un qui ne ressentait pas gêne, compassion et malaise par rapport à l'histoire de Gabriel exposée dans cette émission et c'était Lavande, forcément, retournant le couteau dans la plaie du jeune homme pour oublier que sa mère à elle aussi avait tenté de se débarrasser d'elle mais tous ne virent que la cruauté gratuite dans ses propos visant le jeune homme, l'enfonçant davantage.
L'ignorant finalement, Gabriel reprit son chemin et disparut dans le couloir obscure. Lavande le regarda s'éloigner, un sourire en coin moqueur sur son visage de petite princesse, visiblement fière et satisfaite de son effet, alors que la grande majorité de ses camarades l'assassinaient de leurs regards colorés.
Se chargeant de venger Gabriel pour ce dernier, un garçon aux yeux oranges et donc aux pouvoirs de télékinésie effectua un vif mouvement du poignet et le fauteuil sur lequel trônait Lavande se retira subitement. La jeune fille chuta rudement au sol sans réellement comprendre ce qu'il venait de se passer pour qu'elle se retrouve ainsi à terre. De nombreux rires dénués de la moindre pitié s'élevèrent.
Lavande se releva, apparemment furieuse, comme le confirmaient ses maxillaires contractées et ses poings serrés. Voulant leur faire payer à tous cette humiliation, pourtant méritée, elle dressa le bras en refermant davantage ses doigts. Pliant sous la force de sa magie, les néons explosèrent avec de forts bruits et en projetant des éclats un peu partout, faisant crier les plus jeunes de peur.
Eléa n'attendit pas de voir comment le reste de la soirée allait tourner et comment l'incident allait se terminer. Au lieu de cela, elle confia Sophie à Lucille et elle quitta le foyer pour rejoindre Gabriel.
Comme tous l'avaient supposé, le jeune homme s'était enfermé dans sa chambre. Hésitant et appréhendant également pour une raison qu'elle refusait d'avouer, elle frappa timidement. Aucune réponse ne lui parvint alors elle insista en précisant de qui il s'agissait, même si elle ignorait si cela allait réellement changer quelque chose dans la situation actuelle mais il fallait croire que c'était pourtant le cas car Gabriel vint lui ouvrir.
Il semblait bouleversé et remué, bien qu'il s'efforçait de conserver son masque, complètement fissuré après le reportage et le commentaire de Lavande, sans compter qu'Eléa savait déjà légèrement voir à travers.
La jeune fille pinça les lèvres en se dandinant d'un pied sur l'autre, gênée. Finalement, elle dit la première chose lui passant par l'esprit même si la réponse était déjà évidente :
« ça va ? (le jeune homme haussa les épaules). Écoute, tu ne devrais pas te formaliser pour Lavande et je suis désol...
- C'est gentil de faire l'effort mais il n'y a rien à dire et j'ai envie d'être seul. »
Gabriel sourit faiblement puis referma la porte, laissant Eléa dans le couloir.
La jeune fille croisa les bras sur sa poitrine, plutôt vexée. Pour une fois qu'elle franchissait ses barrières en osant aller vers quelqu'un, avec toute la difficulté que cela représentait, c'était lui qui la repoussait. C'était cruellement ironique et injuste.
En grommelant, elle regagna le foyer que Lavande avec déserté et qui n'était plus éclairé que par la lueur de l'écran de télévision sur lequel la coupure pub défilait.
Elle se laissa retomber sur le divan en grommelant toujours.
Profitant de l'interruption des annonces, Léo commenta en rejetant sa tête en arrière dans un soupir consterné :
« C'est pas une vision méliorative des magiciens, c'est le Psychostar Show.
- Soyons lucides, intervint soudainement Raphaël, faisant sursauter tous les autres qui l'avaient oublié, comme toujours, aujourd'hui, c'est Gabriel, mais la prochaine fois, ce sera quelqu'un d'autre jusqu'à ce qu'on y passe tous. »
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