Chapitre 10 - Interview
L'heure de cours se déroula dans une étrange atmosphère pesante et tendue, tous étant impressionnés et rendu mal-à-l'aise par la présence de la caméra épiant tous leurs mouvements, leurs réactions et leurs paroles.Intimidé, Sylvain osa à peine participer au cours, rompant avec ses habitudes de meilleur élève de la classe.
En réunissant ses affaires, Eléa entendit Marjorie déclarée, dépitée, que cette heure de tournage ne serait certainement pas exploitable, trop calme et trop ennuyeuse, à part peut-être pour quelques plans à incruster rapidement, fondus avec d'autres, mais ils s'y attendaient. Il faudrait un peu de temps avant que les élèves ne se décontractent et se comportent plus naturellement face à la caméra. Sans compter que, sur toute une journée à enregistrer toutes les étapes de la vie de cette classe, tout ne serait pas utilisé et le tri serait impitoyable et long.
Eléa secoua la tête de gauche à droite en passant son sac sur son épaule. Pauvres manias des de la télévision et des émissions de distraction voyeuristes, ça avait l'air si difficile d'offrir du contenu intéressant à un public friands de monstres de foire et d'histoires montées de toutes pièces.
Elle cela trouvait pathétique, cela l'amusait aussi assez, tant qu'on ne lui demandait pas d'y participer, or, c'était le cas et elle risquait d'être beaucoup moins moqueuse une fois qu'on lui demanderait de raconter sa vie en versant des larmes pour que l'émotivité pousse les spectateurs à devenir fidèles au programme.
Elle trouverait bien une parade. Peut-être que si elle restait obstinément silencieuse alors que la caméra tournait pour rien, Marjorie se lasserait de la faire venir et de gaspiller son temps avec elle et, alors, elle la laisserait tranquille avec cette stupide histoire de reportage. Elle ferait bien de passer le mot aux autres bien que Shikou, Salim ou Raphaël n'aient nullement besoin de ce genre de conseils.
Alors qu'elle passait à côté du bureau du professeur pour quitter la salle de classe pendant que l'équipe de tournage repassait les images capturées en accélérée, Monsieur Moreau l'interpella en sortant une fiche d'un de ses classeurs et le tendit à la jeune fille.
Voyant qu'il se passait quelque chose, Marjorie ordonna à Ludovic de pointer la caméra dans cette direction.
Eléa s'efforça de les ignorer, les épaules contractées et elle vint se poster face à son professeur principal qui lui tendit le document en lui annonçant :
« Ton rendez-vous avec la psychologue a été fixé. Ce sera la semaine prochaine. Par contre, pour tes cours de magie, c'est un peu compliqué. Comme tu es la seule à posséder la magie du sang dans l'établissement, nous ne trouvons personne pour t'apprendre à maîtriser ta magie. Le directeur avait pensé à un autre professeur, les bases restant relativement les mêmes, mais ils ont déjà beaucoup à faire avec les autres élèves...
- C'est bon, je comprend, l'interrompit Eléa. Je suis une anomalie aux pays des anormaux. Même parmi les magiciens, je suis différente.
- Alors, ça, j'adore ! S'exclama soudainement Marjorie du fond de la classe. On sent de la souffrance, la profondeur du propos mais l'espoir n'est pas absent ! C'est vraiment parfait ! Nos spectateurs vont particulièrement s'attacher à toi !
- Super. »
Soupira Eléa, se maudissant d'avoir momentanément oublié la présence de la caméra, s'y habituant finalement plutôt rapidement, et d'avoir laissé échappé ce commentaire que Marjorie allait exploiter pour faire du mélodrame dans son émission.
Elle prit la feuille des mains de Monsieur Moreau, la lui arrachant des doigts et la pliant en deux pour la glisser dans la poche de son jeans, se disant qu'elle vérifierait l'horaire exacte plus tard à la pause, puis, sortant dans le couloir, elle quitta la salle de classe pour se diriger vers l'étage inférieur et son prochain cours.
Elle entendit Marjorie échanger quelques mots avec Monsieur Moreau mais elle ne chercha pas épier leur conversation, s'en moquant, et s'éloignant dans le couloir.
Après quelques mètres, elle perçut une étrange odeur de quelque chose qui brûlait. Une plante de toute évidence.
Les sourcils froncés, elle continua à avancer à se demandant d'où cela provenait, se doutant que ce n'était pas du labos de physique ou de biologie.
Finalement, tournant à un angle, elle tomba sur Roxanne, accoudée à une fenêtre ouverte qui fumait, et pas du tabac si Eléa en jugeait par l'odeur.
Sentant sa présence, la jeune fille aux cheveux roses se tourna vers elle en soufflant une bouffée de fumée, pivotant le visage vers l'extérieur, les yeux luisants et dilatés.
« Qu'est-ce que tu fais ? S'enquit Eléa.
- Oh, je m'offrais une petite pause. Pourquoi tu fais cette tête ? (elle montra sa cigarette roulée). C'est pour ça ? Allons, tu vas pas faire ta Sainte Nitouche ! C'est juste...
- Je sais très bien ce que c'est, pas la peine de me le préciser.
- Alors je peux savoir pourquoi tu poses ce regard de jugement sur moi ? Ça te pose un problème ? T'as pas à me regarder de haut comme tu le fais ! Ouais, c'est pathétique et pitoyable mais c'est la seule façon que je connais pour me sentir bien, ok ? Si je ne m'aidais pas de tous ces trucs, je ne serais pas la même Roxanne alors fous-moi la paix ! C'est mon unique moyen pour oublier toute cette merde !
- Quelle merde ?
- Tout ça ! Cette école et les magiciens ! Tu crois que c'est un lieu idéal qui te permet de vivre en paix mais c'est juste une prison, on a seulement amélioré le cadre ! Les gens ne veulent pas de nous alors on nous relègue dans des endroits comme ça où on nous enferme comme des monstres ! C'est tout !
- Peut-être, oui.
- Alors ne viens pas jouer les moralisatrices !
- Roxanne, je m'en fous. Tu fais comme tu veux, ça ne me concerne pas. Moi, j'allais en cours. Sache seulement que je ne suis pas Marianne.
- Ce qui veut dire ?
- Que je ne compte pas te ramasser et te coucher alors que tu seras saoul, comme mercredi.
- Alors là, les filles, c'était puissant, oui, puissant ! (les deux jeunes filles se tournèrent simultanément vers Marjorie, qui venait de s'enjouer de la sorte, encadrée par son équipe, qui n'avait pas dû en perdre une miette et, au contraire, se délecter de chaque seconde). Il y avait de la détresse, de la colère, la dispute entre deux amies, les réglages de comptes et la livraison de fond de pensées. Je ne m'attendais pas à autant pour un premier jour ! Nous allons pouvoir faire quelque chose d'extraordinaire ! Nous avons de l'excellente matière pour débuter ! Félicitation !
- C'était une conversation privée ! S'emporta Eléa.
- Ouais ! Personne ne vous a autorisé à filmer ça ! Appuya Roxanne.
- Bien sûr que si, votre directeur, Monsieur Belforde. La contredit Marjorie. Alors les filles, vous venez débriefer cette petite discutions avec nous, nous expliquer ce que vous vouliez dire exactement et si vous pouviez nous offrir des excuses en directe, ce serait vraiment super !
- Pas question. Refusa Eléa et Roxanne acquiesça pour confirmer qu'elle partageait son opinion.
- Dommage. Contextualiser et expliquer les propos aident à les adoucir, de ne pas les laisser libres à l'interprétation mais comme vous voulez. J'espère juste que vous n'aurez pas trop d'ennuis à cause de ça. Après tout, nous sommes loin de la vision méliorative souhaité entre la drogue et les disputes...
Marjorie laissa sa phrase en suspend, s'étant de moitié tourné vers son équipe durant son petit discours tout en gardant son regard sur les deux jeunes filles, les observant et leur faisant sentir que le piège se refermait sur elles sans qu'elles puissent l'éviter.
Roxanne et Eléa échangèrent un regard, les mâchoires contractées et elles pensaient à la même chose : Marjorie Saintclair n'était qu'une sale manipulatrice perfide prête à tout pour obtenir son sujet.
Eléa serra les poings avec la seule envie de faire demi-tour, se moquant bien de ce pourraient penser les téléspectateurs de cette vaste plaisanterie. Elle amorça donc son mouvement, plantant là Marjorie et son équipe, mais Roxanne referma sa main autour de son poignet, la retenant.
En silence, le visage expressif, elle la supplia de rester. C'était elle qui avait merdé, Eléa n'avait rien à se reprocher. C'était elle qui s'était emporté pour rien et qui avait été prise en train de sécher les cours, la cigarette aux lèvres. Ce serait elle qui récolterait ces problèmes envisagés par Marjorie. Ce n'était pas tant pour la réputation de l'école ou pour la sienne qu'elle s'inquiétait le plus.
Dans tous les établissements, il y avait des électrons libres difficilement gérables et tout le monde se souvenait d'avoir un camarade picoleur qui testait toutes les substances possibles mais, lorsqu'ils se faisaient attraper, ils ne restaient plus très longtemps et finissaient mal. La faute n'était pas à l'institut mais à elle. C'était elle qui s'était plongé dans cette situation et la seule coupable était elle, alors, entre sa cigarette et ses propos virulents sur l'école, le directeur aurait un bon motif pour la renvoyer.
Malgré l'avis qu'elle avait formulé, elle n'avait pas d'autres endroits où aller, c'était chez elle cette prison, elle n'avait pas de foyer, pas de famille. Il ne lui resterait plus grand chose si elle se faisait ainsi chasser de l'institut Belforde, éventuellement les cartons sous lesquels elle passerait ses nuits. Au milieu de ces pensées embrumées par la drogue, elle en avait parfaitement conscience. Son unique solution était donc de se plier au petit chantage implicite de Marjorie et d'aller s'asseoir face à la caméra en commentant ce qu'il venait de se produire. Seulement, cela ne fonctionnerait qu'avec Eléa avec ses côtés, comme l'exigeait Marjorie.
Roxanne savait qu'elle n'avait pas vraiment le droit de le lui demander mais c'était sa seule chance de sauver sa place à l'institut Belforde.
Eléa la fixa.
Elle comprenait parfaitement l'angoisse de Roxanne, ses yeux parlaient pour elle, et elle trouvait qu'elle avait raison. Sans compter que, contrairement à elle, Eléa s'en faisait également pour l'établissement. Il s'agissait du seul endroit l'ayant accepté, toléré et accueilli sans chercher à la piétiner ou à l'humilier de toutes les manières possibles et imaginables. Or, le comportement que Roxanne avait manifesté, sur ce qui était à présent une vidéo prête à la diffusion sur ordre de Marjorie, servirait d'excellent argument pour tous les militants anti-magiciens et les différents extrémistes de toutes sortes pour faire pression et tenter de faire fermer l'institut Belforde. Pas question qu'elle offre à des opposants à leur existence pareille munition contre eux. Elle ne laisserait personne attenter à l'équilibre qu'elle était parvenu à se trouver ici.
Sans compter que sa conscience ne lui permettait pas d'abandonner Roxanne dans une telle situation. Certes, elle s'était énervé contre elle sans réelle raison mais malgré ses excès,dont elle venait de découvrir une nouvelle facette en plus de celles déjà connues, elle s'était toujours montré sympathique avec elle,comme la majorité des membres de la classe, et elle ne la repoussait pas à cause de ce qu'elle était, bien que son pouvoir soit rarissime et inquiétant.
Si les sorciers comme eux ne se soutenaient pas les uns les autres, qu'ils ne se protégeaient pas mutuellement, il ne leur resterait plus grand chose sur quoi compter ou à quoi se raccrocher.
Alors Eléa acquiesça à l'adresse de Roxanne, lui assurant qu'elle allait l'accompagner à l'entretiens de Marjorie et s'efforcer de changer l'aspect de ce petit différent qu'elles avaient eu, de faire passer cette cigarette pour du tabac, remanier l'apparence de cette dispute, modifier les choses, en résumé : manipuler les faits et l'image pour faire croire à tout le monde ce qu'elles souhaitaient. Il allait falloir qu'elles se montrent habiles dans le discours et les paroles qu'elles allaient tenir face à la caméra.
Roxanne lui sourit timidement, la remerciant et sachant qu'elle n'était pas obligée de se soumettre au chantage de Marjorie. Elle ignorait ce que l'institut Belforde représentait déjà pour Eléa et qu'elle cherchait également à protéger cet endroit, tout comme elle ne se doutait pas de la solidarité nécessaire entre les magiciens qu'elle avait invoqué en espérant qu'on lui rendrait la pareille en cas de besoin.
Se tournant vers l'équipe de télévision, qui avait filmé leur réflexion et leur échange silencieux, les deux jeunes filles acquiescèrent à la proposition de Marjorie. Cette dernière eut un sourire victorieux, même si elle savait déjà d'avance qu'elles se plieraient à son exigence, les yeux brillants, pensant déjà à la séquence qu'elle allait enregistrer. Ce serait fantastique pour un premier épisode.
D'un signe, elle les invita à la suivre, ce qu'elles firent en serrant les dents. Elle les guida jusqu'au foyer se trouvant dans le halle du bâtiment principal, déserté par les élèves, comme tous étaient en cours, comme elles auraient dû normalement l'être.
Toujours sur indication de Marjorie, qui contrôlait tout en tant que réalisatrice, Eléa et Roxanne prirent place dans deux fauteuils côte à côte pendant que Ludovic plaçait la caméra face à elles et que Franck effectuait les réglages de sons.
Sur ordre de Marjorie, toujours, son assistant, Damien si Eléa se souvenait bien, traina un fauteuil en face des deux autres pour que sa patronne puisse s'y installer en croisant les jambes. Dirigeant toujours son assistant sans un mot, par des gestes secs des mains, elle lui ordonna d'aller récupérer le sac noir qu'il transportait avec eux d'après leur arrivée. Obéissant sans dire un mot, le jeune homme fit coulisser la fermeture à glissière pour sortir deux micros cravates qu'il fixa aux cols des deux jeunes filles et Roxanne en profita pour lui faire de l'œil, toujours à la recherche d'un nouvel exutoire.
Se tournant vers son équipe, Marjorie vérifia que tout était en ordre puis elle revint sur ses deux interlocutrices avec son sourire éclatant de télévision, semblant oublier que c'était uniquement car elles se pliaient à son chantage qu'elles se tenaient là.
Avant de prendre la parole sous l'œil électronique de la caméra, Marjorie sortit une tablette dernier cris d'une pochette et, lançant une vidéo, elle montra l'enregistrement de leur dispute aux filles, uniquement pour le montage de l'émission car elles s'en souvenaient parfaitement. Ça ne remontait qu'à quelques minutes.
Eléa se repoussa contre le dossier du fauteuil en soupirant d'agacement, n'ayant aucune envie de se trouver ici ou de s'exprimer sur cet incident, ne sachant même pas ce qu'elle pourrait dire dessus.
Marjorie referma le lecteur de vidéos lorsque ce fut terminé et, se penchant vers les filles, qui croisaient les bras de manière à dresser une barrière, et s'enquit :
- Alors, les filles, pouvez-vous nous expliquer ce qu'il s'est passé ?
- J'allais en cours, marmonna Eléa, c'est foutu pour la bio maintenant.
- C'est moi, je me suis énervé. Déclara Roxanne. Je deviens nerveuse et agressive lorsqu'on veut me faire la morale, j'ai cru que c'était le cas d'Eléa. Je préfère qu'on me laisse tranquille avec...mes problèmes.
Tu es addict. Précisa Marjorie.
- Ouais, j'adore me défoncer, me bourrer la gueule et m'envoyer en l'air pour nier la réalité. Grogna Roxanne.
- Je suis pas sûre que t'arranges ton cas, là. Lui signala Eléa.
- Non, la contredit Marjorie. La franchise c'est fantastique. Tu peux te confier à moi, Roxanne.
- C'est tout ce que j'ai à dire. J'avais pas envie qu'Eléa se pose en donneuse de leçons alors je me suis emportée.
- Par contre, toi, Eléanora, tu es restée très calme.
- L'habitude. Répondit simplement la jeune fille en haussant les épaules.
- Oui, car sinon, ton pouvoir se réveille, c'est bien cela ? (Eléa contracta les mâchoires en serrant les poings). D'ailleurs, c'est bien à la suite d'une dispute semblable avec une camarade que tu es rentrée à l'institut Belforde, il y a...une semaine. Peux-tu nous parler de cet incident ? L'autre jeune fille a été hospitalisée, je crois bien.
- Ça suffit. »
Décréta Eléa en se levant vivement du fauteuil.
Elle arracha son micro de son col et le jeta au sol, se moquant bien de l'endommager, au contraire, et elle se retint de l'écraser sous son talon pour le réduire en miettes. À la place, elle quitta le foyer à pas furieux. Franck grimaça, craignant pour son matériel.
Marjorie fit un geste signifiant que cela n'avait pas grande importance puis, se levant,elle rejoignit Ludovic pour qu'il lui repasse l'enregistrement. C'était un peu court mais il y avait tout de même de la matière pour faire quelque chose d'intéressant. Roxanne la vit hocher la tête avec satisfaction.
Sans cesser de grommeler, la jeune fille aux cheveux roses suivit Eléa hors du foyer après plusieurs secondes de retard sur elle. Elle la trouva dans le halle, adossée contre le mur non loin des escaliers et respirant profondément, sa poitrine s'abaissant et se soulevant au rythme de ses inspirations, tentant de se calmer.
Le comportement de Marjorie l'avait déjà contrarié mais, à présent, rajoutant l'évocation à Eve et le fameux incident, elle était furieuse et percevait sa magie s'agiter, bouillonner dans ses veines et n'attendant qu'une occasion, une baisse d'attention pour jaillir et provoquer une nouvelle catastrophe.
Le menton sur la poitrine et se concentrant sur la musique se déversant dans son crâne, ayant vissé ses écouteurs dans ses oreilles comme à son habitude, elle s'efforçait donc de chasser cette colère, de se détendre et, donc, de reprendre le contrôle sur ses pouvoirs qu'elle s'efforçait de remettre dans sa cage au fond d'elle pour l'y renfermer de nouveau et l'y oublier,jusqu'à la prochaine contrariété de toute origine. Ses cours de maîtrise de la magie devenaient primordiaux mais, sans personne pour les lui dispenser, ils étaient également impossibles.
Roxanne vint s'installer à côté d'elle, le pied droit remonté contre le mur et se mordillant la lèvre inférieure. Eléa tourna le regard vers elle sans redresser la tête.
Elle soupira longuement par les narines et s'excusa, sa voix couvrant légèrement le son de sa musique dans ses écouteurs :
« Je suis désolée... Je n'ai pas contribué à arranger la situation.
- Pas grave. Je me suis desservie toute seule et puis c'était débile comme idée, de toute manière. Je ne vois pas comment on aurait pu régler la situation en discutant seulement du sujet devant la caméra. Mais je suis grave dans la merde.
- Alors on passe au plan B.
- On a un plan B ? s'étonna Roxanne.
- Non mais peut-être que les autres pourront nous éclairer. Enfin, si ça ne te dérange pas d'aborder le sujet avec eux.
- Non c'est bon. Tout le monde sait que je ne tourne pas rond.
Roxanne annonça cela d'un ton désinvolte en haussant les épaules et rejetant l'une de ses longues couettes roses en arrière.
Il était vrai qu'elle ne semblait jamais rien prendre au sérieux mais, après ces dernières minutes, Eléa savait qu'elle faisait tout cela pour que rien ne l'affecte réellement, pour fuir cette réalité qui la torturait et ne lui convenait pas. Peut-être que cette souffrance qu'elle soignait à coups d'excès divers et variés puisait sa source dans son passé car, à l'école, Eléa ne voyait pas ce qui aurait pu la plonger dans une pareille détresse.
Quoi qu'il en était, elles ne pouvaient plus compter que sur le soutien et les idées de leurs camarades pour sauver la place de Roxanne ainsi que la réputation de l'établissement, alors, elles prirent l'escalier le plus proche pour rejoindre la salle de classe où elles étaient censées se trouver en train d'écouter le professeur de biologie, non pas pour attraper le cours en cours de route, c'était trop tard et la sonnerie marquant la fin de l'heure résonnerait bientôt, mais pour retrouver leurs camarades et leur demander conseil.
Alors qu'elles passaient non loin d'un coin où le couloir formait un renfoncement dissimulé, on appela le prénom d'Eléa à voix basse.
Stoppant, même si une seule était concernée par cet appel, les deux jeunes filles se tournèrent vers le renfoncement d'où dépassait la tête de Gabriel. Il était installé au sol, les genoux repliés et un livre à côté de lui, cherchant visiblement à se cacher.
- Que fais-tu là ? Demanda Eléa, surprise.
- J'essaye d'éviter Marjorie et toute sa bande. Elle veut à tout prix m'interviewer. Elle m'adore, on dirait, elle dit que je suis incroyablement charismatique avec une sympathie qui dissimule quelque chose de plus profond, exactement ce que les gens apprécient ! Gabriel imita le ton de Marjorie sur la fin de sa tirade, apparemment fortement agacé.
- T'as de la chance. Nous, elle nous a eu et maintenant, on est coincé. Grinça Roxanne.
- Comment ça ? S'enquit Gabriel en se relevant et Eléa lui résuma en quelques mots comment elles étaient tombées dans le piège de Marjorie pendant que la sonnerie retentissait. Le jeune homme demeura pensif durant quelques instants puis proposa, je crois qu'on peut récupérer la vidéo comme ça, Marjorie n'aura plus rien à diffuser.
- Comment faire ? Demanda Eléa.
- Eléa, tu es au milieu d'une école de magiciens, l'endroit qui concentre le plus de magie au moins du pays ! Je pense que les autres seraient d'accord pour vous aider.
- On sait mais comment ?
- Voilà, ce que j'imagine, exposa Gabriel. Lison et Alana devraient être capables de faire diversion auprès de Marjorie durant des heures juste en discutant toutes les deux, ils nous suffira donc d'accéder aux enregistrements que Raphaël est parfaitement capable d'effacer, pendant qu'Irwan fera la guet avec ses sens augmentés et, au cas où, Sylvain pourra être en renfort et il pourra bloquer le temps pour nous permettre de filer.
- Gabriel, tu es un génie ! Le remercia Eléa.
- Ah, vous êtes là ! On peut savoir où vous étiez pour sécher les cours, lâcheuses ? Les aborda Léo en arrivant à leur hauteur, suivi des autres.
- Les gars, j'ai un énorme service à vous demander. »
Les pria Roxanne, les yeux agrandis de supplication, consciente que toute son existence à l'institut Belforde était menacée et que l'entraide était sa seule chance.
Tous se firent intrigués en découvrant la gravité dont était empreint le visage de Roxanne, ce qui ne lui ressemblait guère, et même le sourire de Léo se fana sur ses lèvres pour laisser la place à une expression inquiète.
Roxanne prit une grande inspiration pour se donner le courage de leur rapporter les faits s'étant passé alors que leur classe était en biologie, se sentant stupide de s'être ainsi faite piéger en ayant entrainé Eléa avec elle et craignant le jugement de leurs camarades, qu'ils pensent qu'elle l'avait cherché et ce que lui arrivait était mérité. Voyant qu'elle peinait à expliquer, se reprochant son idiotie, Eléa résuma l'incident à sa place.
Alana ponctua ses explications par un juron à l'adresse de Marjorie en ajoutant qu'elle aurait bien souhaité avoir le pouvoir de la faire exploser et elle demanda à Raphaël si il en était capable avec une forte claque amicale dans le dos. Ne répondant rien, le garçon baissa le regard en s'éloignant de la jeune fille un peu brusque de quelques pas.
Avant que les choses ne dégénèrent et que les passions s'embrasent à propos de télévision, Gabriel intervint en expliquant son plan et quels rôles certains devraient y tenir. Ils laissèrent le jeune homme parler puis ils réfléchirent quelques minutes avant d'acquiescer, tous sans exception, trouvant que ce serait une petite vengeance contre cette émission qui les agaçait et jugeant, comme Eléa, que le soutien entre les sorciers était primordial pour leur survie dans ce monde qui les rejetait.
Ne pouvant les accompagner, ayant des obligations ailleurs dans l'école, Gabriel les laissa gérer et se retira pendant qu'Alana et Lison allaient trouver Marjorie en prétendant vouloir raconter leurs vies à l'institut Belforde et ainsi détourner l'attention de l'équipe. Loquaces comme elles l'étaient, elles pourraient tenir des jours en papotant. Comme ils s'y attendaient après l'interview d'Eléa et Roxanne, Marjorie les conduisit au foyer.
Dès que la porte se fut refermée sur eux, ceux concernés par le plan se précipitèrent vers le dortoir, où les membres de l'équipe de Marjorie s'était installée le temps du reportage pendant que les autres, y compris Roxanne et Eléa, qui ne pourraient être d'aucune utilité, se chargeaient de leur garder une place au réfectoire. En revanche, Léo se joignit à cette opération car, avec raison, Sylvain avait fait remarqué que les portes seraient certainement fermées à clé or, le jeune homme aux dread locks blondes savait forcer les serrures.
Sachant donc parfaitement où ils se rendaient, ils tournèrent dans le couloir du rez-de-chaussée pour s'arrêter face à quatre portes.
S'aidant d'épingles à cheveux prêtées par Lucille, Léo entreprit donc de forcer le mécanisme pendant que Irwan, adossé contre le mur à côté et les yeux clos sous ses lunettes, rendait son ouï surhumaine, paré à signaler tous pas se rapprochant de leur position. Derrière, Raphaël et Sylvain attendaient. Le premier sans paraître réellement se soucier de ce qu'il se passait autour d'eux, pianotant sur son téléphone comme de coutume.
Quant au second, il se tordait les mains en jetant régulièrement des regards par-dessus son épaule, angoissé et redoutant de se faire surprendre. Il était celui qui avait le plus hésité, trouvant cela malhonnête et risqué mais il n'avait pas osé être le seul à refuser, surtout que Roxanne avait besoin de son aide et que sa participation ne serait peut-être même pas nécessaire.
Soudainement, Léo poussa un petit cri de victoire, indiquant qu'il avait réussi et faisant grimacer Irwan. À cause de ses tympans rendus hypersensibles par son pouvoir, l'exclamation de son ami avait été douloureuse pour lui. Faisant le guet comme prévu, le jeune homme demeura à l'extérieur, concentré sur son ouï et ce qu'elle lui apprenait, alors que les autres pénétraient dans la chambre, Sylvain en dernier, trainant car mal-à-l'aise d'entrer ainsi sans permission.
À en juger par le tailleur crème posé sur l'un des lits, il s'agissait du logement de Marjorie alors que le reste de son équipe partageait la chambre voisine. Un ordinateur portable était posé sur le bureau le plus proche avec une pochette noire à côté.
Sachant ce qu'il avait à faire, Raphaël s'installa sur la chaise devant et alluma l'appareil. Il ne se démonta nullement lorsqu'une demande de mot de passe s'afficha. Au lieu de cela, il sortit un câble de la poche de sa veste pour relier son téléphone à l'ordinateur. Sur son écran, il ouvrit un logiciel assez personnel puis pianota quelques commandes.
Sous le regards stupéfaits de ses deux camarades, les caractères du mot de passe apparurent les uns après les autres et le bureau s'ouvrit en quelques secondes, exhibant le logo de la chaine pour laquelle travaillait Marjorie en fond d'écran. Léo fixa le garçon, ses yeux jaunes ronds d'étonnement.
Comme tous ceux de la classe, et même ceux des autres niveaux, il savait que Raphaël était du genre geek, bien plus à l'aise avec les machines qu'avec les gens, mais il ne lui avait jamais imaginé de tels talents de pirate informatique.
Ne remarquant pas la stupéfaction des deux autres, dans son élément, Raphaël fouilla dans quelques dossiers à la recherche de la fameuse vidéo et, lorsqu'il l'eût déniché parmi d'autres enregistrements,il effectua quelques manipulations, simples pour lui mais ni Léo ni Sylvain ne comprit ce qu'il faisait, pour l'effacer définitivement du disque dur et qu'elle ne soit plus récupérable d'une quelconque manière. Cela fait, il ouvrit la pochette qui, comme il le pensait, recelait plusieurs cartes mémoire pour caméra. Les insérant dans l'ordinateur les unes après les autres, il chercha sur laquelle était enregistrée l'incident à qui il fit subir le même sort que sur l'ordinateur. Consciencieux, il s'assura qu'il n'existait aucune autre copie puis il débrancha son portable et éteignit l'ordinateur en remettant la pochette à sa place, ne laissant aucune trace de son passage.
Il se tourna vers Léo, qu'il prenait naturellement comme chef des opérations, et hocha le menton pour lui annoncer que c'était réglé.
Le jeune homme sourit largement en donnant une forte tape fraternelle dans le dos de Raphaël, la deuxième de la journée et même de l'heure, pour le féliciter et lui tendit son poing serré en une invitation à un cheek de congratulation mutuelle mais Raphaël baissa le regard sur les doigts de Léo, la bouche pincée en une expression gênée, avant de venir timidement et doucement cogner le poing de son camarade du sien, puis ils sortirent.
Sylvain soupira, soulagé que ce soit terminé et que tout ce soit déroulé sans accroc.
Y allant doucement pour ne pas le surprendre avec son ouï améliorée, Léo alla pour poser une main sur l'épaule d'Irwan mais ce dernier le prit de vitesse en rouvrant les yeux. Il avait perçut le soupir de soulagement de Sylvain et en avait déduis que c'était réglé.
Ce fut donc victorieux, Sylvain plus intimidé et Raphaël plus renfermé, qu'ils rejoignirent les autres au réfectoire où ils les attendaient.
En s'approchant de la table où ils étaient installés, Irwan commença à chantonner le thème de Mission Impossible alors que Léo déclarait en s'asseyant à côté de Roxanne, qui avait relevé des yeux pleins d'interrogation et d'espoir sur eux :
« On est venu, on a vu et la vidéo a disparu !
- Oh merci, vous êtes géniaux ! S'exclama Roxanne en s'accrochant au cou de Léo.
- Remercie plutôt Raphaël, lui conseilla ce dernier. Il a été impressionnant et il a fait presque tout le boulot !
- C'était facile... Murmura Raphaël en gardant les yeux bas, gêné et ne s'attribuant pas tout le mérite alors que tous l'examinaient d'un regard impressionné.
- Facile pour toi ! Bon, en tous cas c'est réglé et on a joué un sale tour à cette pimbêche !
- Ah, Gabriel est là ! Signala Eléa avant de faire signe au jeune homme qui se dirigea vers eux.
- Ouais, appelle Gaby ! La taquina Roxanne, ayant retrouvé son attitude ordinaire.
- C'est juste pour l'informer que tout s'est bien passé. Se justifia Eléa alors que Gabriel s'asseyait à côté d'elle.
- Vous avez réussi ? S'enquit-il.
- Et haut la main, capitaine ! Annonça Irwan.
- Super. Sourit Gabriel. Ça fera au moins ça que Marjorie ne pourra pas diffuser. »
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