Chapitre 3
TW : scène de suicide à la fin. Malgré cela, je vous souhaite une bonne lecture. ♡
Depuis deux semaines je fais des cauchemars chaque nuit et je les vois dans la journée. Je n'en peux plus, mes parents ont décidé de m'ammener aujourd'hui chez une psychologue mais je sais qu'elle ne pourra rien faire. Nous arrivons devant son cabinet et nous toquons à la porte. Une grande femme souriante nous ouvre :
- Arwen ! Bienvenue, entre, me dit-elle en se reculant.
- Bonjour, merci beaucoup d'avoir pu prendre notre fille si rapidement, la remercie ma mère.
Nous entrons dans un salon avec un canapé et une table basse qui menace de crouler sous le poids de tous les magasines posés sur elle. Les murs tapissés et la lumière tamisée détendent un peu l'atmosphère. Les adultes discutent un peu pendant que j'observe la pièce en détail. Contre l'un des murs il y a une cheminée éteinte surmontée d'un grand miroir. J'observe mon reflet. J'observe cette fille aux cheveux châtains parsemés de mèches d'or, aux yeux ocres qui semble seulement habités par de la douleur. La douleur des esprits qui la hantent. Cette fille a un visage fin et ovale, une peau très pâle, de fines lèvres rosées et un petit nez en trompette. Cette fille a besoin d'aide mais ne sait comment appeler au secours.
La psychologue m'appelle pour aller dans une pièce plus tranquille, où nous pourrons parler sans avoir à soutenir le regard de mes parents. Je la suis sans un mot et m'installe sur un fauteuil en face d'elle.
- Alors Arwen, comment te sens-tu ?
- Mal, je chuchote sans oser la regarder dans les yeux.
Elle a un petit mouvement de tête et prend quelques notes.
- Serais-tu capable de m'expliquer pourquoi tu te sens mal ? me questionne-t-elle avec douceur.
- Non... enfin oui, mais vous ne me croiriez pas. Vous me prendriez pour une folle, j'explique en retenant un sanglot qui remonte dans ma gorge.
- Bien sûr que si, je suis là pour t'écouter et t'aider, pas pour te juger, me rassure-t-elle.
Je lève enfin mes yeux sur elle. Son regard, empli de bienveillance, me pousse à tout lui révéler mais je ne craquerai pas - sauf si je souhaite aller en hôpital psychiatrique.
- Vous me jugerez quand même, je le sais.
- Je te promets que non Arwen, fais moi confiance. Beaucoup d'enfants sont venus ici avant toi et j'ai réussi à les aider.
Elle n'a pas dit tous. Elle ne réussira pas à m'aider.
- Vous ne pouvez pas m'aider, personne ne peut m'aider.
- Ne dis pas ça enfin. C'est mon travail de t'aider. J'ai fait des années d'études pour ça et j'ai eu de nombreux diplômes pour ça.
Très bien, on va voir si elle a étudié pour ça.
- Vous avez étudié le paranormal ?
La psychologue semble décontenancée un instant mais se ressaisit vite.
- Euh... non j'ai étudié la psychologie, répond-elle avec un petit rire mi-amusé mi-nerveux. Pourquoi me demandes-tu ça ?
- Parce que je la vois.
- Tu vois quoi ? me demande-t-elle en préparant ses notes.
- La Mort, je souffle.
Je la regarde froncer les sourcils et écrire tout un tas de choses dans tous les sens.
- C'est-à-dire ?
- Je vois la Mort emporter les gens.
- Sous quel forme la vois-tu ? Dans des rêves ?
Je réfléchis quelques instants. Suis-je prête à tout lui révéler maintenant, à cette inconnue ?
- Oui mais pas que. Parfois je vois des gens, n'importe où et soudain un accident se produit sous mes yeux et je les vois mourir. Par réflexe je ferme toujours les yeux mais ça ne suffit pas, j'ai l'impression que mes paupières deviennent transparentes. Je suis obligée de les voir mourir. Après cela je parviens enfin à fermer les yeux et quand je les rouvre, la personne qui était censée être morte est en pleine forme. Mais quelques jours plus tard, j'apprends qu'elle est bien morte de la manière dont je l'ai vue... C'est horrible, je vous en supplie aidez-moi ! j'ajoute ça en laissant couler quelques larmes sur mes joues pâles.
Tout au long de mon discours, elle prenait des notes rapidement en plissant de temps à autres les yeux. Elle ne me jugeait pas, en effet, elle réfléchissait juste intensément à mon état.
- Depuis quand vois-tu... tout ça ?
- Depuis mon accident, il y a environ trois semaines.
Elle hoche la tête pensivement et écris quelque chose en gros et en rouge en haut de la feuille.
- Bien, ça suffira pour la première scéance, je te laisse aller dans la salle d'attente ou dehors, si tu préfères, le temps que je parle à tes parents, m'explique-t-elle avec un grand sourire qui se veut encourageant.
Sans un mot, je sors de la pièce et fais signe à mes parents que je vais dehors. J'entends la psychologue qui les apelle et une porte se fermer. Je ferme à mon tour la porte qui mène à la rue et m'assoie sur les marches du perron. Le vent balait mes cheveux qui se placent devant mon visage, obstruant un peu ma vue. Les rues sont désertes en cette période de l'année, quand l'hiver s'approche et que le froid commence à arriver. Je n'aime pas l'hiver, c'est synonyme de deuil. Presque tout meurt en hiver mais certaines choses ne reviennent pas au printemps. Seules les feuilles mortes et sèches qui se déplacent sur le sol, poussées par les bourrasques, prouvent que la vie est encore présente ici.
Un bruit de pas me fait tourner la tête. Les pas sont rapides et s'approchent dans ma direction. Je remarque une mère et son fils. Le petit me dit quelque chose, je plisse les yeux pour mieux voire quand il crit :
- Arwen !
Je le reconnais soudainement.
- Ezio ! Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je viens chez la dame pour parler depuis la mort de papa, me répond-il avec un moue ennuyée.
Mais je parviens à voire derrière cette fausse indifférence la peine qu'il éprouve à l'énonciation de ce drame.
- Que c'est triste, je soupire. Ça... ça fait longtemps ?
- Non, presque trois semaine.
Quasiment en même temps que mon accident. Je sens un sanglot monter dans sa gorge et ses yeux s'embuent. Sa petite main potelée vient essuyer son nez puis il se gratte les yeux.
- Ezio ! Je t'appelle depuis trois minutes ! Je t'interdis de partir comme ça pour aller déranger des inconnus - elle se tourne vers moi : excusez le dérangement mademoiselle.
- Mais maman, c'est Arwen ! Tu sais, ma copine de l'autre jour.
Elle semble en pleine réflexion pendant plusieurs secondes puis son visage s'éclaire.
- Ah oui ! Je me rapelle ! Ça alors, c'est amusant que vous vous croisiez ici aussi.
- Effectivement, je confirme, j'allais chez la psychologue.
- Oh, je comprends mieux.
Ezio me regarde de ses grands yeux pétillants de vie puis s'exclame :
- Arwen ! Essaie de m'attraper, t'avais pas réussi la dernière fois.
Je fais une fausse mine choquée.
- Vilain petit menteur. J'arrive ! je m'écris avec entrain.
Nous commençons donc à nous poursuivre lorsque mes parents sortent à leur tour et que la psychologue appelle Ezio. Bien évidemment, le petit ne veut pas arrêter de jouer si vite et continue de courir dans tous les sens. Sa mère finit par l'attraper puis ils me font tous les deux un petit signe de main avant de rentrer dans le cabinet. Un long silence avec mes parents s'en suit. Je ne veux pas leur parler de mes visions et eux n'osent pas m'énerver. Nous rentrons donc sans parler jusqu'à la maison où je vais dans ma chambre.
J'allume mon téléphone, regarde les différents messages que j'ai reçu, y répond puis ferme les yeux. Je redoute cette action mais mes courtes nuits ne me permettent pas de tenir une journée entière. Je m'endors.
Un grand flash.
Une voiture qui me percutte.
Une douleur infinie.
Un froid glacial.
Je suis face à une femme étrange. Elle ne semble ni heureuse ni triste. Ni vivante ni morte. Sa peau est si pâle qu'elle paraît translucide. Elle demeure devant moi sans bouger, sans parler. Sa robe est d'une couleur indescriptible, à la fois sombre et lumineuse. Repoussante et attirante. Je ne sens plus mon corps, comme si mon esprit flottait seul dans ce monde étrange, étincelant d'obscurité. Où suis-je ?
- Arwen.
Sa voix résonne quelques instants.
Un froid glacial.
Une douleur infinie.
Une voiture qui me percutte.
Un grand flash.
Je me réveille en sueur alors qu'un grand frisson me traverse. Je suis frigorifiée et brûlante à la fois. Tant de contradictions en moi ces derniers jours... je suis perdue. Me sentant plus seule que jamais. Quand ce cauchemar s'arrêtera-t-il ? Impossible de répondre à cette question. Peut-être jamais, peut-être bientôt. Mais une idée me trotte dans la tête depuis deux ou trois jours. Si je me refaisait écraser, tout cela pourrait s'arrêter comme ça a commencé. Ou bien je pourrais mourir pour de bon, solution un peu plus négative.
Je me lève de mon lit et regarde ma chambre. Cette pièce qui me représente, qui est mon lieu de vie - avec la forêt -, celle où je passe le plus de temps. Dois-je continuer à vivre ici dans la terreur ou mourir si jeune pour être paisible ? Je n'ai pas beaucoup d'attaches ici. Pas de famille ou d'amis qui tiennent à moi, mis à part mes parents mais avec eux, le lien a été coupé il a bien longtemps. Depuis ce jour fatidique... c'est peut-être ma punition, de voir ces morts. Des larmes de culpabilité roulent sur mes joues pendant que je me remémore ces souvenirs :
Nous marchons toutes les deux dans la forêt, c'est notre passe-temps favori. J'ai douze ans, elle en a huit. C'est l'hiver et les arbres sont recouverts de neige, la vie de la forêt semble s'être arrêtée pour quelques temps. Les animaux sont rares et les petites plantes sont ensevelies sous cette couche d'une blancheur éclatante. Soudain, elle accélère devant moi et je la poursuis, faisant mine de ne pas pouvoir la rattraper. Nous nous enfonçons loin dans la forêt. Je ne reconnais pas cet endroit. C'est une belle découverte. Je m'arrête une seconde pour prendre une photo d'un magnifique saule pleureur aux branches gelées, créant un décors digne d'un monde merveilleux. Tout à coup, j'entends un cri perçant :
- Arwen ! Hurle-t-elle.
Je me précipite vers elle. Mon cœur bat à fond pendant que je me demande pourquoi elle a crié comme ça. C'était un cri de détresse. J'arrive devant un lac gelé. Je la cherche mais ne vois rien. Sa tête sort vivement d'un trou dans la glace que je n'avais pas vu.
- Arwen, aide-moi ! J'ai froid ! S'époumone-t-elle en pleurant. Arwen !
Sa tête disparaît sous l'eau.
Mais je suis figée. Par la peur, par la panique, par le danger. Ça risque de craquer aussi sous mon poids. Non, je dois la sauver ! Je ne parviens à bouger aucun de mes membres. Est-ce la frayeur ou le froid ? Sûrement les deux. Sa tête remonte un peu, je croise son regard qui me brise le cœur. Elle a si peur. Ses lèvres s'entrouvrent mais seule l'eau y pénètre, et elle sombre de nouveau, laissant quelques secondes sa main tendue vers moi.
Comme un navire brisé, plus jamais elle n'est remontée.
Elle espérait que j'allais la sauver mais je n'ai rien fait. J'étais pétrifiée. Durant des heures je suis restée dans le silence devant ce lac gelé, en espérant vainement qu'elle allait remonter avec un grand sourire en me disant qu'elle faisait semblant de se noyer. Mais ça ne s'est pas produit. Mes parents ont fini par me retrouver à la nuit tombée. Je ne sais plus combien de fois ils m'ont demandé où était ma sœur. Je n'ai pas parlé pendant quasiment deux semaines. Eux non plus. À partir de ce jour là, plus jamais il n'y a eu de lien d'affection entre nous. Pour eux, la mort de ma sœur est en partie de ma faute. Je devais la surveiller, j'aurais du la sauver et je n'ai fait aucune de ces deux choses.
À la remémoration de ce souvenir, mon choix final se confirme : je vais me refaire écraser pour arrêter de voir ces morts. Au fond de moi, je sais que ce ne sont pas eux qui me font peur. Je redoute que l'un d'eux soit ma sœur. Je redoute de revoir ces yeux qui implorent mon aide. Mon cœur se serre violemment.
Je prends un papier et écris une lettre d'au revoir à mes parents. Je m'excuse je ne sais pas combien de fois mais ça ne fait pas diminuer ma culpabilité. La lettre est fermée, un peu humidifiée par mes larmes et posée sur mon bureau parfaitement rangé pour l'occasion.
Je marche vers la porte de ma chambre, descend discrètement les escaliers et ouvre la porte. Il est encore temps de faire demi-tour, me souffle ma conscience. Mais je ne peux pas l'écouter, c'est trop dur.
- Adieu, je soupire doucement.
La porte se ferme derrière moi et je commence à marcher dans les rues en attendant que la nuit tombe complètement. Quelle triste journée. Quelle triste vie. Je soupire et continue ma route.
Après deux heures à errer dans les rues, la nuit est enfin tombée et mon plan peut passer à exécution. Avec la nuit, un petit brouillard hivernal s'est installé dans les rues. J'ai choisi une rue sombre. Je me place au milieu de la route lorsque j'entends une voiture arriver. Face à elle, mes tripes se retournent. Je regrette instantanément mon acte, je voudrais bondir sur le côté pour me protéger mais encore une fois, la terreur me paralyse.
Le conducteur me voit enfin, il essaie de freiner mais c'est trop tard : il me percute. Ma dernière pensée va à ma sœur. Lui dire que je m'excuse aussi et que je ne l'oublierai jamais.
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