Chapitre 15_2
★Ariane
Arrivée au temple, je la trouve en compagnie d'une Lajil si je me fie à ses cheveux blonds à la limite du blanc. Cette dernière se présente comme étant Liorah, l'esprit gardien des Lajil. C'est elle qui va se charger de pénétrer mon esprit pour me permettre de l'endurcir et de le fermer. Son but est de m'apprendre à contrôler mes émotions et éviter qu'une intrusion de mon esprit soit trop facile. Le temps n'aimant pas les petits curieux, il les réduit souvent à l'état de légume, une fois leur esprit pénétré. Il me faut donc être capable de lui fermer les portes de mon esprit.
Une fois installée, je bois une drôle de potion visant à rendre mon esprit totalement perméable à la manipulation. La boisson peu appétissante avalée, je ressens une sorte de picotement s'insinuer dans mon esprit. Ce picotement se transforme alors petit à petit en coups de marteau tous plus violents les uns que les autres. Ne pouvant supporter cette douleur, je m'évanouis instantanément. En rouvrant mes yeux, je ne reconnais rien. Je ne suis plus dans le temple. Je ne suis tout simplement nulle part.
Face à ce vide, je commence à paniquer. Je n'ai jamais aimé me retrouver seule et encore moins complètement perdue, sans repère. Mon corps paralysé n'arrange rien à la situation et ne fait qu'accroître ma panique au point que des larmes commencent à ruisseler le long de mes joues. Bon sang Ariane, soit plus courageuse ! Rien n'y fait. J'ai beau vouloir me calmer, je ne fais qu'amplifier les larmes. Celles-ci roulent sur mes joues en laissant un sillon humide et mes yeux bouffis. Quand la peur prend entièrement le dessus, je me sens suffoquer. Ma respiration se fait plus difficile et ma crise de larmes plus virulente. Mes poumons se mettent à siffler et mon visage à se tordre de douleur. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, faible et apeurée.
Les yeux baignés de larmes, je ne remarque pas l'épais brouillard s'avancer dans ma direction. Ce n'est qu'une fois qu'il s'insinue en moi que je réalise sa présence. À chaque inspiration, je sens mon corps le rejeter et lutter pour l'expulser. Il essaye de se purifier de ce mal qui commence à ronger mon esprit rendant tous mes sentiments plus virulents. Mon corps se met alors à se soulever de spasmes, se contorsionnant dans tous les sens. Je ne maîtrise plus rien, mon esprit est à la dérive et mon corps sous l'emprise de cette peur exacerbée !
Au bout de ce qu'il me semble être une éternité, la crise et le brouillard s'estompent pour laisser place au silence. Recroquevillée au sol, je tente, tant bien que mal, de penser à quelque chose de positif pour essayer d'apaiser mon esprit, mais rien n'y fait. Toutes mes peurs se mettent à sortir et à prendre vie.
J'entends des voix me rabaisser avec des insultes et des propos virulents, me disant que je suis inutile, que le monde se porterait mieux sans moi ou encore que je suis seule, sans personne et que je le resterai toute ma vie. S'ensuit des insectes qui me grimpent dessus et s'insinuent en moi par chacun de mes orifices. Leurs pattes velues m'écœurent et me rendent malade. Les savoir en moi sans possibilité de me défendre ne fait qu'accroître ma peur. Pour finir, ce sont mes parents et ma meilleure amie qui m'apparaissent. Je les vois discuter, ignorant mes appels, mes cris, faisant comme si je n'existais plus, comme si je n'avais jamais existé.
C'est une vraie torture ! Je sens mon esprit et ma conscience me quitter petit à petit. Je ne suis plus moi, je ne suis plus Ariane, je ne suis plus personne. Il ne reste qu'un corps sans vie. Plus un cri ne sort de ma gorge. Plus un mouvement. Seulement une coquille vide.
Lorsque je reprends petit à petit conscience, j'entends deux voix discuter :
–Tu as été trop loin Lio... Regarde dans quel état tu l'as mise. Tu aurais dû y aller plus doucement. Je n'aurais pas dû te laisser faire. J'ai été bête de penser que tu avais dépassé ça et que tu saurais l'aider !
Dépassé quoi ? Qui sont cette Lio et cette autre femme qui conversent ?
– Si elle n'est pas foutue de résister à cela, que veux-tu qu'elle fasse lorsque le temps s'opposera à elle ou que les autres l'empêcheront de connaître la vérité ! J'ai fait ça pour elle Théa. Tout n'est pas toujours question de ton précieux disciple.
– Ne fais pas comme si tu te préoccupais d'elle ! Je sais très bien que tu ne t'es jamais remise du fait que Gus t'aie dupé pour récupérer une partie de ton pouvoir. Or je te rappelle que si je t'ai fait venir c'est pour l'aider justement à réparer ses erreurs non pour que tu te venges bêtement !
Gus ? Une vengeance ? De quoi parlent-elles ?
– Si telle était mon intention, ce ne serait que justice !
– Justice tu dis ? Cela n'a rien avoir avec la justice Lio ! Ce n'est que de la vengeance. Je n'attendais pas grand-chose de toi vis-à-vis d'elle, mais même avec si peu d'estime tu arrives encore à me décevoir.
– Sans moi tu ne peux pénétrer son esprit ! Tu maîtrises le temps ma chère, pas l'esprit. Tu ne peux rien faire sans moi, voilà pourquoi tu as besoin de mon aide !
– Si c'est pour que tu fasses souffrir cet enfant, rentre chez toi je ferai sans !
– Bien ! Ce n'est pas comme si je voulais vraiment l'aider.
Lasse et toujours à bout de force, je replonge dans l'inconscient. Cette fois je ne suis plus dans le vide mais de retour dans la clairière où j'avais rencontré Gus la première fois. En inspectant les lieux, je le remarque assis sur un tronc d'arbre à m'observer de ses yeux verts perçant.
– Tu as l'air dans un salle état ! Théa ne t'a clairement pas épargné.
– Si seulement ce n'était que la faute de Théamina... C'est Liorah, c'est elle qui m'a mise dans cet état !
– Ce n'est qu'une sale mégère, ne te préoccupe pas d'elle. Mieux vaut l'éviter si tu veux mon avis, surtout sachant que tu es de ma descendance. J'ai comme qui dirait volé quelque chose qui lui appartenait et depuis c'est disons... tendu ?
Alors c'est donc bien de sa faute si elle m'a mise dans cet état. On m'a torturé pour se venger d'un de mes ancêtres que je ne connais même pas ! Mais dans quoi me suis-je encore fourré... Et puis qu'est-ce que je fais encore ici moi ?
– Et sinon mise à part le fait que je me fais torturer à cause de tes bêtises tu veux bien me dire ce que je fais ici cette fois ?
– Du calme ! Tu es bien hargneuse pour une fille qui il y a encore deux minutes était au bord du gouffre. Mais soit, je vais tout t'expliquer, je te dois bien ça après tout !
– C'est peu de le dire...
– Enfin bref, la dernière fois je n'avais eu que peu de temps, je me suis donc dit que j'allais te faire revenir ici.
L'interrompant, je demande :
– Et on est où ?
– Je vois que tu ne perds pas de temps. Je te présente donc le Väliala.
– Le valila quoi ?
– Väliala ! C'est une sorte d'endroit intemporel me permettant de te contacter. Bientôt tu pourras y accéder par toi-même, mais pour le moment tu ne peux y venir que lorsque je te somme vu que je suis le seul de nous deux à avoir prêté allégeance au temps.
– Pourquoi tout le monde parle du temps comme si c'était une entité physique ?
– Tout simplement, parce que c'est en quelque sorte le cas. Après on ne peut pas non plus dire que c'est une personne dans le sens où tu l'entends mais il possède une volonté propre et peut devenir ce qu'il veut, incarner aussi bien de grandes joies comme d'immenses peurs. C'est lui qui t'a octroyé ce pouvoir de courber le temps mais il faut savoir qu'il peut très bien te le reprendre s'il ne t'en juge pas digne. Il peut te laisser voyager, comme te bloquer dans le Väliala à jamais. Il est capricieux, impétueux mais peut tout aussi bien être ton plus grand allié. Cependant, il faut que tu saches, si Théa ne te l'a pas encore dit, qu'il exige un sacrifice. Tu vas devoir lui laisser une part de toi en échange d'une part de lui.
– Une part de moi ? C'est-à-dire ?
– Je ne peux pas vraiment répondre à cette question car c'est différent pour chaque poH-wanHa' .
– Qu'elle a été le tiens ? Et que veut dire poH-wanHa' ?
– PoH-wanHa' veut dire courbeur de temps et pour ce qui est de mon sacrifice, j'ai dû sacrifier mon passé au profit de mon futur.
– Mais c'est horrible ! Tu ne te rappelles donc plus de ton enfance et de tout ce qu'il s'était passé avant de le rencontrer ?!
– Non, lorsque je l'ai quitté, je ne me rappelais ni de mon nom, ni de ma famille, ni de mes amis. La seule chose que je savais, c'était qu'il vivait maintenant en moi. Je n'avais conscience que de ma capacité à courber l'espace-temps et donc de la responsabilité que j'avais vis-à-vis de celui-ci.
– Tu aurais très bien pu voyager dans le temps pour découvrir ton passé !
– Malheureusement, cela ne se passe pas comme ça... J'y ai pensé, mais j'ai vite compris que sans support physique de mon existence, ni même connaissance de qui j'étais, je ne pouvais pas voyager pour récupérer mes souvenirs. Lorsqu'il m'a pris mon passé, il a effacé par la même occasion mon existence entière. Personne ne me connaissait. Mon ancienne vie n'existait tout simplement plus. C'était lui qui la possédait.
– C'est injuste ! Comment peut-il exiger cela alors que c'est lui qui nous fait cadeau de ce don ?
– Disons que c'est un petit prix à payer comparé à toutes les choses incroyables que tu vas pouvoir faire. Comprends bien que grâce à lui, tu deviens à ton tour un poH-wanHa'.
– Et à quoi bon ? Je n'ai jamais demandé à devenir une poH-wanHa' !
– Il ne faut pas voir cela comme ça. C'est un véritable don que de pouvoir courber le temps à ta guise. Tu pourras aider de nombreuses personnes.
– Ah oui ? Et en quoi pouvoir voyager dans le temps aiderait à sauver des gens ? Ce n'est pas en utilisant un livre que je vais pouvoir sauver l'amie de Jules par exemple !
– L'égoïsme n'a pas ça place ici Ariane. Avec ce don, tu pourras aider les autres porteurs à comprendre ce qu'il s'est passé il y a cent ans et sauver les deux mondes.
– Pourquoi tu ne l'as pas fait il y a cent ans ? Que je sache c'est à cause de toi si aujourd'hui Amoni est sous l'emprise d'une malédiction !
Ma dernière phrase semble le percuter mais il ne se décontenance pas.
– Tout n'est pas si simple Ariane. Il y a cent ans, j'ai commis une erreur, je te l'accorde mais comme toi, je me suis retrouvé mêlé à tout ça de force. J'ai été entraîné dans une guerre que je ne voulais pas mener. J'ai perdu des êtres qui me sont chers et par-dessus tout, j'ai perdu l'amour de ma vie ! Mais vois tu Ariane, je n'ai pas abandonné pour autant. Je me suis battu jusqu'à ne plus en pouvoir. Je me suis battu pour le droit de tous les peuples et pour mes convictions ! Et maintenant c'est à ton tour de te battre.
– Mais me battre pour quoi ? Je ne connais rien de ce monde !
– Tu comprendras quand le temps viendra, mais sache que tu n'es pas seule, d'autres seront là à tes côtés.
– Et comment est-ce que je vais les trouver ces autres ?
– Ils viendront à toi comme tu viendras à eux. Il te faudra juste être patiente.
– Je vois...
– Ne t'inquiète pas, tu as largement de quoi faire en attendant ! Après tout, il te faut maîtriser ce don.
– C'est pas faux...
– Bon, je vais devoir te laisser !
– Déjà ? Mais j'ai encore pleins de questions !
– Et tu auras tout le temps de me les poser un autre jour. On se reverra, je te le promets.
Sur ces mots, il se volatilise me laissant alors une nouvelle fois bloquée ici à attendre bêtement que je reprenne conscience. Il faudra bien qu'un jour il m'apprenne à repartir d'ici par ma propre volonté !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top