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«L'inconnu, qui s'avérait finalement être le docteur Mortimer, j'avais bien eu raison pour sa profession, un vieil ami de Sherlock. Cela m'intrigua. A ma connaissance, et de ce que ses proches m'avaient dit, c'est à dire sa logeuse, son frère et son médecin, il n'avait pas d'amis.
Le docteur Mortimer venait en effet de loin, du Dartmoor plus précisément. Lorsque je demandais à mes locuteurs où se situait ce lieu, n'ayant jamais entendu son nom, les deux me répondèrent d'un air tout à fait évasif "au Sud". Bien, cela m'avançait beaucoup. Et puis au Sud par rapport à quoi, hein? A Londres? Au pays?
Après une brève discussion des deux comparses sur la vie de chacun depuis leur dernière entrevue, il y a quelques années de ça, le docteur Mortimer s'installa sur la chaise dédiée aux clients en quête de réponses.
"Il y a deux jours, j'ai dû faire face à la mort soudaine d'un proche ami et patient, Sir Charles de Baskerville. Il a succombé à une attaque cardiaque, chose tout à fait banale pour un homme de son âge. Mais j'ai eu l'occasion de l'autopsier, et le fait est que je n'ai trouvé aucune raison à cet attaque.
-Pas d'antécédents cardiaques? Chez lui ou sa famille?" questionna le détective.
Le docteur répondit par la négative d'un mouvement de tête bref.
"Il faisait quelle tête, quand il est mort?"
Je pensais alors que je n'aurais jamais dû poser cette question. J'avais vu quelque part que lors d'une attaque cardiaque, notre visage restait figé sur la dernière expression que l'on avait eu.
Cependant, et contre toute attente, malgré le regard loufoque de Sherlock, j'eu droit à une réponse.
"Il est mort de peur, littéralement.
-Mais qu'est-ce qui l'a effrayé au point qu'il en meure?" demanda le second homme.
"Ça, je l'ignore mon ami, c'est pour ça que je suis ici! De plus, son seul et unique descendant doit arriver demain du Canada, il est son filleul et neveu, c'est le Sir Henry Knight. Et l'on dit chez nous qu'une malédiction pèse depuis des siècles sur cette famille, destinée à mourir rien qu'à la vue d'un chien énorme. Un sortilège aurait été lancé sur le nom par une sorcière qui travaillait pour les ennemis jurés des Baskerville. La malédiction ne prendra fin que lorsque tous les membres de la famille ne soient décimés.
-Sir Henry est le dernier de la patrie?" osais-je.
Il hocha la tête positivement.
Un silence s'installa tandis que Holmes pianotait sur son téléphone, l'air guilleret. Moi, je cherchais encore à comprendre le but de la manoeuvre. À quoi bon s'acharner à créer une malédiction si un peu de poison aurait suffit pour l'époque? Mais au bout de quelques longues secondes, mon acolyte s'exclama:
"Noah, prend des affaires chaudes pour une semaine, nous allons dans le Dartmoor!"
Je n'ai jamais eu l'occasion de savoir ce qui avait plus intrigué le grand brun dans cette histoire, la frayeur inexpliquée ou la malédiction. Toujours fût-il que je me retrouvais le jour même dans le dernier train pour le Sud, accompagnée par le plus grand détective anglophone ainsi que par le docteur Mortimer, affectueusement renommé "Morty".
D'après ma montre, il était près de minuit quand nous arrivâmes devant un immense manoir aux allures fantastiques. Le manoir était entouré de verdure, sur son devant, seule la lande régnait en maîtresse des lieux, mais dès que l'on contournait la bâtisse, on pouvait s'aventurer dans une forêt dense et sombre, de jour comme de nuit. Nous n'eûmes pas le temps de sonner la grosse cloche que la porte s'ouvrit sur un homme d'une trentaine d'années, tout juste sorti du bain, à en juger par ses cheveux dégoulinants d'eau. Après une brève conversation dont le sujet unique était qu'il était trop tard pour commencer à enquêter, au plus grand damn de Sherlock, un majordome nous montra nos chambres respectives. Sur le chemin, en traversant les longs couloirs, Holmes me faisait part de ses réflexions internes.
"Tu vois les légères traces sur les tapis en face de chaque porte? C'est de la poussière, les pièces n'ont pas été visitées depuis longtemps... Et les tableaux ne sont guère entretenus, peu de domestiques sont présents, sinon ils s'affaireraient à tout garder en bon état. Il doit y en avoir une poignée, pas plus. Et si tu écoute bien, tu perçois le bois grincer et le vent au travers des fenêtres et des portes. Le bâtiment est vieux et mal entretenu. Le propriétaire ne doit pas être aussi riche qu'avant."
Le majordome s'arrêta devant deux portes entrouvertes, côte à côte. Elles avaient l'air plutôt lourdes et s'ouvraient sur des chambres peu illuminées, aux allures de chambres de châteaux du siècle passé. Quand j'entrais dans la mienne, suivie par Sherlock, je ne pus que constater la taille immense du lit à baldaquin dans les doux tons pourpres. Mon ami s'avança de la fenêtre et l'observa, me faisant signe de le rejoindre. Il me pointa l'extérieur d'un doigt. La vue s'étentait sur la forêt de laquelle s'échappait une épaisse fumée blanche, mais si l'on penchait légèrement la tête pour se coller à la vitre, nous pouvions voir la limite avec la lande. Un frisson me parcouru, au contact glacial de ma joue avec le verre.
"Tu vois, c'est là bas, que le Sir est mort. Juste à la lisière entre plaines et bois, après quelques centaines de pas, tu as comme un ravin, profond de quelques mètres.
-Comment tu sais ça, Sherlock?
-Je suis déjà venu, il y a des années de ça, avec mon frère et mes parents. J'avais encore mon chien, à cette époque... Bref! Dès demain, à la première heure, je t'y emmène!"
Sur ces paroles, il s'en alla, me laissant seule avec l'obscurité de ma chambre froide.
Le lendemain, le soleil n'avait pas encore montré ses couleurs que ma porte s'ouvrit dans un grand fracas devant un Londonien parfaitement frais et disposé à parcourir le plus sombre des paysages du coin. Ce fut donc dès six heures du matin que je me retrouvais de la boue sur les chaussures et emmitouflée dans ma grosse écharpe, à éclairer les jambes du détective qui me précédait, pour être sûre de ne pas le perdre de vue dans ce brouillard épais. Après plusieurs minutes, mes pas s'arrêtèrent devant un trou béant dans le sol, entouré d'arbres et de racines, plus gigantesques les unes que les autres. Je réalisais soudain qu'ici, absolument tout me semblait plus grand que nature.
Sherlock disparu derrière un arbre et réapparu quelques instants plus tard, sous mes yeux ébahis, en plein milieu du ravin. Après quelques essais, je trouvais le chemin qu'il avait emprunté et le rejoignis.
"Il est mort là. Un chien l'aurait tué.
-Pas exactement, il est mort de peur.
-A cause du chien. Le chien l'a tué.
-C'est un peu court, comme conclusion, hein?
-C'est les faits. Pourquoi un chien rôderait ici? Un chien géant qui plus est, grand comme un cheval...
-Attends, comment tu sais ça, toi?
-Ah, parce que tu crois que j'ai dormi, cette nuit? J'ai fais des recherches bien sûr!
-Mouais. Et t'arrive à rester frais et dispo quand même?
-Il n'y a rien ici. Allons en ville, voir si les Baskerville sont les seuls à pouvoir rencontrer l'animal."
Il avait totalement ignoré ma question.»
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