XXIV
Je fixai le cuir de ma veste, les mâchoires serrées. Tout était si différent de ce que nous avions connu. Nous étions désormais des étrangers l'un pour l'autre, comme si Hawaii avait été une vie antérieure que nous préférions oublier. Le monde s'était mis entre nous. Je repassais en boucle notre conversation. Bizarrement, je n'en voulais pas à mes parents de l'avoir forcé à choisir. Non, j'en voulais seulement à Rafael d'avoir fait le choix de s'éloigner de moi, même si je savais que c'était la meilleure chose qu'il pouvait faire. Pour lui. Il avait raison, je ne pensais qu'à moi. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de ressasser ces derniers mois, tout ce que j'avais traversé émotionnellement parlant. Je me disais que ça aurait pu être évité, que j'aurai pu ne pas souffrir. Mais ça c'était passé, parce qu'il avait choisi de partir. Parce qu'il avait laissé mes parents me mentir. Il avait laissé le monde me mentir et il avait disparu.
- Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? fit Amy, les yeux brillants de curiosité.
Je soupirai.
- On a parlé.
- Et ?
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ? lâchais-je, fatiguée.
Elle haussa les épaules en regardant Corey.
- Tu l'aimes non ?
Je tournais vivement la tête vers le garçon.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? répliquais-je avec agressivité.
Il fit mine de s'intéresser à la poche de liquide transparent qui se déversait dans mon bras.
- Pas mal de choses. C'est clair que vous n'avez pas été seulement des amis.
- Bravo Sherlock, raillais-je, de mauvaise humeur.
Amy roula des yeux et décida de stopper cette conversation qui devenait tendue. Elle m'embrassa le front, me disant qu'elle passerait me chercher demain matin avant les cours, puisque je devais passer la nuit en observation. Les jumeaux s'en allèrent et je commençais très vite à m'ennuyer, refusant de m'endormir. Et c'était mauvais signe. Si je ne trouvais pas une occupation très vite, j'allais me mettre à réfléchir à tout un tas de chose que je préférais laisser caché dans un coin de mon esprit.
Je n'étais pas dans une chambre à proprement parler, alors je n'avais pas de télévision. Puis soudain, je su ce que je devais faire.
Il fallait que je parle à Shay.
Nous avions décidé de ne pas fournir d'efforts inutiles pour entretenir une amitié longue distance en sachant que je ne reviendrai jamais sur l'île, mais il fallait que je lui dise. Il fallait qu'elle sache que Rafael était vivant. Je cherchais fébrilement mon portable dans la poche de ma veste mais constatais que la batterie était à plat. Je grognais que c'était quand-même incroyable que cet objet se décharge sans que je l'utilise, puis décidais de me lever à la recherche d'un téléphone en libre-service. J'emportais la couverture avec moi, peu à l'aise avec ma combi short légère que je portais toujours. Pieds nus, je titubais dans les couloirs de longues minutes avant de trouver ce que je cherchais. Le seul problème, c'est qu'il me fallait une livre pour une dizaine de minutes en ligne. Je regardais autours de moi et aperçu le dos d'un vieil homme sur l'un des fauteuils de la salle d'attente. Je me recoiffai un peu et dégageai mes épaules de la couverture. Je m'armais de mon plus beau sourire et me dirigeais vers lui. L'homme me rendit mon sourire et accepta de me donner un peu de monnaie. Satisfaite, je m'empressai de composer le numéro que je connaissais par cœur, après avoir inséré la pièce dans la fente prévue à cet effet. Une sonnerie, puis deux, trois.
- Décroche, décroche... murmurais-je.
A la dernière sonnerie, une voix féminine décrocha in extremis.
- Allo ?
- Shay ?
- C'est elle.
- C'est moi.
Il y eut un bruit bizarre avant qu'elle ne s'exclame :
- Hayden ? Pourquoi est-ce que tu m'appelles ? ça va ?
- Rafael... Il est ici.
- Hein ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?
- Il est vivant je te dis !
- Attends... Tu en es sûre ?
- Je lui ai parlé.
Elle souffla dans le combiné.
- Explique-moi.
Je lui répétais tout ce que le jeune homme m'avait déballé plus tôt, en essayant d'aller le plus vite possible puisque mon temps de communication était limité.
- Et euh... ça se passe comment entre vous ? demanda ma meilleure amie après un court silence.
- Mal.
- Tu m'étonnes... Mais écoute-moi. Je sais que tu es une tête de mule rancunière...
- Je ne suis pas rancunière ! la coupais-je.
- Ah non ? Donc tu lui as pardonné ?
- Non, grinçais-je entre mes dents.
- Voilà, donc tu vas me faire le plaisir de te taire et de m'écouter attentivement.
- Je suis toute ouïe, soupirais-je en levant les yeux au ciel.
- Il faut que tu comprennes qu'il n'est pas parti parce qu'il ne t'aimait pas et que ce que vous avez vécu ne comptait pas pour lui. Il est parti parce que c'était la seule chance qu'il avait de s'en sortir et que tes parents ont dû le convaincre que c'était mieux pour toi de t'éloigner de lui. Avec son passé, il doit être persuadé qu'il avait une mauvaise influence sur toi et qu'effectivement, mieux valait pour toi de ne jamais le revoir. Certes, les gens le regardent différemment aujourd'hui, mais lui, il continue de se voir de la même manière. Et tu peux changer ça. Si tu le pardonnes, ce sera un premier pas. Il faut que vous alliez l'un vers l'autre. Il s'est expliqué, à toi de faire quelque chose.
Je restais pensive quelques secondes. Je n'avais pas vu ça sous cet angle. Elle devait avoir raison. Certainement. Lorsque je voulus lui répondre, un bip sonore me perça le tympan.
- Votre crédit est épuisé. Veuillez recharger...
Je raccrochais brutalement. Ce qu'elle me demandait de faire était à l'opposé de mes plans et ça me contrariait énormément. Mais je voulais que les choses redeviennent comme avant, je voulais retrouver le garçon que j'avais connu, le premier que j'avais aimé. Existait-il encore ?
*****
- Les profs vont nous tuer mais on aura qu'à dire qu'avec le décalage horaire et tout, on ne s'est pas réveillées.
J'hochais la tête sans ajouter quoi que ce soit d'autre. J'étais exténuée. Je n'avais pas fermé l'œil de la nuit, refusant de m'abandonner à l'inconscient. Je marchais comme un robot jusqu'à l'hôtel. Tout ce que je faisais était automatique. Me doucher, m'habiller, prendre le bus, écouter les reproches des professeurs. Mon subconscient avait décidé de m'emmerder même lorsque j'étais éveillée.
- Sherwood, vous m'écoutez ?
Je levais le nez de ma feuille, prise en flagrant délit.
- Bien sûr.
- Alors vous pouvez répéter ce que je viens de dire ?
J'avalais ma salive.
- Un truc en rapport avec la sociologie je suppose ?
Il me fixa durement alors que quelques élèves pouffaient.
- Vous feriez mieux d'être plus attentive.
- Oui monsieur.
Crève.
Je tournais la tête vers Rafael qui était quelques places plus loin. Il regardait le coin de sa table, un sourire aux lèvres. Il dû sentir mon regard posé sur lui puisque ses yeux croisèrent les miens l'instant d'après et je fis mine d'être absorbée par ce qui se passait de l'autre côté de la fenêtre.
Il finit par se re-concentrer et je jurai à voix basse, contrariée de m'être fait avoir aussi facilement.
Je fus soulagée de voir la pause déjeuner arriver. Amy et Corey m'avaient suppliée de manger dehors puisqu'il y avait quelques rayons de soleil. Je ne comprenais pas vraiment leur enthousiasme avant de me rappeler qu'en Alaska, le temps était rarement aussi clément qu'ici. J'avais été habituée à la chaleur écrasante d'Hawaii alors je n'étais nullement impressionnée par les éclaircies londoniennes. Malgré tout, j'acceptais. Nous sortîmes de l'Université et marchâmes quelques minutes dans les rues anglaises avant de dénicher un restaurant à l'allure chaleureuse. Nous nous installâmes sur la terrasse tout en continuant à débattre sur la conduite gauchère des britanniques. Le repas fut agréable mais je décrochais vite de la conversation. Je me demandais ce que je pourrais faire pour lui montrer que je n'étais plus en colère contre lui. Ce qui était sûr, c'était que je n'allais le croiser dans un couloir, le retenir pour lui dire « Ah au fait, je te pardonne d'avoir disparu sans me donner de nouvelles, je comprends parfaitement ! On fait la paix ? ». Ridicule. Pathétique. Humiliant, même.
- Eh oh ! beuglait Corey en agitant sa main devant mes yeux.
Je bafouillais quelque chose d'incompréhensible et il soupira.
- Il faut qu'on règle l'addition.
Je fouillais dans mon sac quelques secondes avant de me rendre compte que j'avais laissé mon porte-monnaie dans le casier qu'on m'avait attribué pour l'échange.
- J'ai oublié mon...
- Ça va, je vais payer ta part, me rassura Amy.
- Merci, murmurai-je.
Corey me lança un regard désapprobateur. Je me levais en leur indiquant que je prenais un peu d'avance pour aller chercher ce que je devais à la rouquine. Je leur fis un signe de la main et me dirigeais à une allure soutenue vers l'Université. Les couloirs étaient presque vides ; tout le monde était en pause et profitait des jardins. Je fis la combinaison pour ouvrir mon casier, m'empressais d'attraper la pochette en daim et claquais la porte en aluminium. Un autre bruit métallique succéda au mien. Je tournais la tête vers la source de ce son et retins un énième juron en apercevant la silhouette de Rafael. Il me suivait ou quoi ?
Sans me démonter, je m'approchais de lui et m'adossais à un casier voisin au sien. Il savait que j'étais là mais ne m'adressa un regard qu'après avoir rangé ses affaires dans son sac.
- T'as des cernes, lâcha-t-il en me jetant un coup d'œil.
- Toi aussi, répliquais-je.
Il s'arrêta.
- Qu'est-ce que tu veux Hayden ? Je croyais qu'on s'était tout dit.
J'ouvris la bouche avant de la refermer. Je ne savais pas comment aborder le sujet. Il haussa un sourcil.
- Je te pardonne.
- Hein ? fit-il en plissant les yeux.
- Je te pardonne pour ce que tu as fait.
Il ricana.
- Je n'ai pas besoin que tu me pardonnes.
J'allais continuer mais il me stoppa net.
- Et puis tu sais quoi ? Je m'en fous. Tu peux me détester ou me « pardonner », fais ce que tu veux. J'en ai rien à faire.
Et il tourna les talons.
*****
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