XXII



- Kingston ! lançais-je alors que je n'étais plus qu'à un mètre de Rafael.

Comme je m'y attendais, il se retourna, s'attendant à tomber nez à nez avec un de ses amis. Au lieu de ça, ma main claqua sur sa joue. Le bruit que la gifle produisit sembla faire taire toutes les conversations environnantes.

- ça, c'est pour m'avoir laissé croire que t'étais mort, murmurais-je afin qu'il n'y ai que lui et moi qui puisse entendre mes reproches.

Mes doigts frappèrent une nouvelle fois sa mâchoire mal rasée.

- ça, c'est pour avoir comploté avec mes parents et avoir fuit comme un lâche.

Son regard était plongé dans le mien mais j'étais trop en colère pour ressentir quoi que ce soit d'autre que de la haine à son égard.

Je le giflais une troisième fois sans qu'il ne bronche.

- Et celle-là, c'est parce que je te déteste, Rafael Kingston.

J'allais partir lorsque je rajoutais :

- Je ne veux même pas savoir pourquoi t'as fait ça. Tu n'existes plus, tu entends ? Je t'ai enterré Rafael.

Et sur ces derniers mots, je rejoignis mes amis qui m'emboîtèrent le pas.

Je m'asseyais sur les marches que nous avions franchies tout à l'heure, loin de cet individu qui me répugnait désormais.

- J'ai a-do-ré ! s'exclama Amy.

- J'avoue que c'était la classe, admit Corey.

- Tu veux rire ? C'est bien mieux que ça ! Quand il s'est retourné et qu'elle l'a giflé c'était... Eh Hayden, ça va ?

J'avais enfoui mon visage dans mes mains, en proie à un profond désespoir. J'étais déboussolée. Si les morts ne l'étaient plus, que pouvais-je croire dans ce monde ? Pensai-je sarcastiquement. Qu'il y avait-il de plus vrai que la mort ? Un cœur qui s'arrête, la respiration se coupe, le cerveau cesse de fonctionner. On ne pouvait pas mentir avec elle. Je lui avait reproché d'avoir comploté avec mes parents parce que c'était forcément ce qui avait dû se passer. Le Rafael que j'avais connu était un orphelin des mauvais quartiers, responsable aux yeux de mes parents de ma déchéance, malgré qu'elle ait commencée bien avant de l'avoir rencontré. Peut importe, il fallait éloigner cet énergumène de leur pauvre et malheureuse fille, bien trop pure pour ce garçon. S'ils savaient à quel point leurs mensonges m'avaient souillée.

Rafael n'avait pas pu quitter Hawaii sans l'aide financière de mes parents. J'étais intimement convaincue qu'ils étaient responsables de toute cette mascarade. C'était bien leur genre. Les mensonges à grande échelle. Je dois avouer qu'ils avaient fait fort sur ce coup-là. Une stratégie bien rôdée dont je ne les savait pas capable. Mais ils n'étaient pas les seuls à blâmer. Rafael l'Incorruptible avait finalement été corrompu. Par mes parents, qui plus est. Une traîtrise en bande organisée. J'enrageais sans savoir quoi faire de plus. Il y avait une part de moi qui rêvait de jeter Rafael au fond de la boîte dans laquelle il était sensé pourrir depuis déjà un an, tandis qu'une autre crevait d'envie de lui sauter dessus pour embrasser un amour que je croyais perdu. Puis il y avait une troisième part, indécise, qui ne savait lequel des extrêmes elle choisirait. Au fond, je savais qu'aucun n'était la solution appropriée à mon souci d'Ex-Revenant Sans Etre Mort. Je soupirai sous le regard pesant de mes deux amis. Je ne savais pas si j'aurai la force de tout leur expliquer. Je pense qu'il allait falloir, après cette scène un peu violente autant physiquement qu'émotionnellement.

- Je pense qu'on devrait pas tarder à rejoindre le groupe, m'annonça Amy.

- Allez-y, je vous rejoins, marmonais-je.

Je pouvais deviner que les deux frangins s'échangeaient un regard perplexe au-dessus de ma tête.

- Je ne vais pas me suicider en me cognant la tête sur les marches jusqu'à me vider de mon sang, lançais-je avec un humour noir qui renforça leur angoisse de me laisser seule.

- On y avait même pas pensé, fis Corey en déglutissant bruyamment, sûrement avait-il une image en tête de mon corps disloqué baignant dans son propre hémoglobine.

Je me frottais le visage avant de me redresser.

- Croyez-moi, si je le voulais, je pourrai me tuer avec votre brosse à dent pendant que vous dormez. Alors rangez votre inquiétude et allez rejoindre le groupe.

- Charmant, je vais pouvoir dormir sur mes deux oreilles maintenant, soupira Corey.

- Rappelle-moi de planquer toutes les brosses à dent de l'hôtel quand on rentrera, me sourit Amy.

Je ris doucement.

- Déguerpissez, bande d'abrutis consanguins.

Les jumeaux roulèrent des yeux à l'entente de cette nouvelle insulte et s'en allèrent, penaud.

- Des vrais pots de colle, marmonais-je pour moi-même.

- On t'a entendue, miss vengeresse ! me lancèrent-ils sans se retourner.

Je ne tentai pas de réprimer un franc sourire avant de me replonger dans mes idées noires.

Une sonnerie retentit et bientôt une masse noire fourmillait dans les couloirs. Les étudiants ne se gênaient pas pour me marcher dessus alors que je préférai fuir la zone et me lancer à la poursuite de mes amis. Ils n'étaient pas difficiles à repérer. Deux têtes goguenardes qui se chamaillaient sans cesse. Le trajet pour parvenir à leur hauteur fut assez inconfortable. Tous les regards étaient braqués sur moi. En même temps, je l'avais un peu cherché. Je venais de débarquer dans cette université avec mes grosses bottes d'Alaska et j'avais déjà giflé un des étudiants. A plusieurs reprises. Et je ne pense pas que Rafael était détesté par sa promo, loin de là. Ce gars savait se faire apprécier, j'étais plutôt bien placée pour le savoir. Enfin, au diable tout ce qu'ils pouvaient bien penser, il l'avait amplement mérité. Et je n'avais pas encore dit mon dernier mot.

*****

Après avoir assisté à un cours de sociologie, que j'avais en passant détesté puisque j'avais déjà perdu foi en l'humanité, nous avions été libérés jusqu'au début des prochains cours, c'est-à-dire le lendemain matin. J'étais rentrée à l'hôtel tandis que les jumeaux en avaient profité pour faire un peu de shopping. Je n'avais pas la tête à m'amuser, encore sous le choc des récents évènements. J'avais passé plusieurs heures à tourner en rond dans la chambre que je partageais avec Amy, ressassant ma brève altercation avec Rafael. Comment avait-il pu me faire ça ? J'avais l'impression qu'après avoir été déjà broyé une fois, mon cœur venait d'être à nouveau déchiré. J'étais au bord de la crise de panique, assise sur le bord du lit, les coudes sur les genoux, tirants mes cheveux pour essayer de détourner mon attention de ce manque d'oxygène. J'étais en train de perdre le contrôle, encore. A cause de Rafael. J'étais fatiguée de me battre pour garder la tête hors de l'eau. J'avais l'impression que plus je nageais vers la surface, plus on essayait de me tirer au fond. Il y avait trop de sentiments qui m'entraînaient vers les profondeurs, trop lourds pour me permettre de remonter. Je relevai la tête et jaugeai les flacons qui contenaient mes médicaments. J'étais devenue dépendantes de ces pilules sans lesquelles j'aurai atterri une fois de plus sur un lit d'hôpital, sûrement sanglée au matelas. Je n'étais pas capable de gérer mes émotions, qui étaient beaucoup trop contradictoires pour être sensées. Je tremblais de colère devant mon incapacité à faire face à cette situation. Mes ongles s'enfonçaient dans mes paumes, mes phalanges blanchissaient. Je me détestais. Je détestais la personne que j'étais ainsi que Rafael. Je le haïssais pour tout ce qu'il m'avait fait subir, pour tout ce que j'avais dû traverser à cause de lui et toutes ces horribles choses que j'allais encore devoir affronter, parce qu'il m'avait menti. Au fond, il était comme tout le monde. Comme mes parents. Comme les médecins. Je frappais rageusement la barre métallique du lit sans prêter attention à la nouvelle douleur qui me lancinait. Une de plus, une de moins, qu'est-ce que ça pouvait bien me faire ? Je n'étais plus qu'un corps souffrant. J'attrapais les boîtes en plastique orange et versais les gélules au creux de ma paume. Je ne pris même pas la peine de me servir un verre d'eau et les avalais brutalement. Je me laissais choir sur les oreillers, attendant patiemment que les composants chimiques m'apaisent. Bientôt, mes paupières se firent lourdes et je succombais à un sommeil léger.

*****

La porte claqua. J'entrouvris un œil et aperçus la silhouette d'Amy. J'entendis le tintement des clés sur la table, le son étouffé des vêtements qui tombent sur le sol et la porte de la salle de bain qui se verrouille. Je fermais à nouveau les yeux, écoutant le bruit de l'eau qui coulait et les notes diffuses qui traversaient les murs. Amy faisait souvent ça : elle mettait de la musique pendant qu'elle prenait sa douche. Ça ne me dérangeais pas. Quelques minutes plus tard, la jeune fille sortit, une serviette autours de sa poitrine, les cheveux plaqués sur son crâne. Elle s'agenouilla près de moi et me poussa gentiment.

- Hayden.

Je grognais.

- Tu touches pas à mon après-shampooing, si c'est ça que t'es venue me demander.

Il y eut un silence. Je reniflais bruyamment pour sentir l'odeur de monoï qui m'étais familière.

- Tu t'en es déjà servie, c'est ça ?

- Ouais.

Je soupirai.

- Je voulais juste te dire que je t'ai acheté quelques trucs pour ce soir.

Cette fois-ci, j'ouvris complètement les yeux, totalement réveillée.

- Alors premièrement, je ne t'ai rien demandé de m'acheter et deuxièmement : Comment ça « pour ce soir » ?

Elle se mit à rire en se relevant.

- Après la journée que tu as passé, je me suis dit qu'une belle tenue te remonterait le moral.

- J'ai pas besoin qu'on me remonte le moral, les pilules s'en chargent toutes seules.

Elle disparu dans la salle de bain, ignorant ma réponse qui se voulait être décourageante.

- Peut importe. Ce soir, on sort.

- Même pas en rêve.

- Je ne te demande pas ton avis.

- Tu vas me traîner dehors ? C'est ça ton plan pour me faire sortir ? Parce que j'ai pas du tout l'intention de quitter ce lit.

Elle ressortit habillée. La jeune fille traversa la pièce, fouilla dans les sacs avant de me lancer des vêtements au visage.

- Allez, va prendre ta douche et met ça. On part dans trois quarts d'heure.

- Si tu crois que je...

Elle attrapa mes flacons, me coupant dans mon argumentaire.

- Eh, tu fais quoi ? m'exclamais-je.

- Tu les veux ? Alors va falloir sortir.

- T'as pas le droit de faire ça, je suis malade je te rappelle, lançais-je, de mauvais humeur.

- Ça t'arrange hein ? De te cacher derrière ta « maladie » et d'accuser tes médocs dès que tu fais quelque chose de travers ? Je pense que t'es plus forte que ça. Alors lève-toi ou je te jure que je les vide dans la cuvette.

Nous échangeâmes un long regard avant que je me décide finalement à obéir. Quelque chose me disait qu'elle n'avait peut-être pas tort, même si je redoutais très sincèrement cette soirée.

Je me déshabillais et entrais dans la cabine de douche. Je frictionnais lentement mon corps, me délectant de la chaleur de l'eau qui coulait sur ma peau. Au bout d'une quinzaine de minutes, Amy tambourina à la porte.

- Hayden ! Ce n'est pas en essayant de nous mettre en retard que tu y échapperas ! Sors de là !

La rouquine avait vu clair dans mon jeu et c'est à contre cœur que je tournais le robinet. Après m'être séchée, je commençais à enfiler les vêtements qu'Amy m'avait achetés. Elle avait deviné que je ne supportais pas les robes et avait opté pour une combi short fluide vert foncé. Je criais à travers la porte.

- Amy, je vais mes les cailler là-dedans !

- Tais-toi et enfile ça !

Bon, je n'avais pas vraiment le choix. Je me dandinais en passant le vêtement et constatais que le résultat n'était finalement pas trop mal. Le tissu était agréable à porter et s'accordait avec la couleur de mes yeux. L'encolure dévoilait mes épaules sans que ça soit provocant. Je sortis de la salle de bain et mon amie jubila en me découvrant. Elle sautillait tout autours de moi.

- C'est exactement comme je l'avais imaginé ! Tu sais, c'est Corey qui a choisi la couleur.

Je regardais à nouveau mon reflet.

- Il a plutôt bon goût, répondis-je seulement.

- Allez va te maquiller, on part bientôt.

Je m'exécutais sans broncher et quelques minutes plus tard, nous quittâmes la chambre. Corey nous attendait dehors et le jeune homme s'empressa de me complimenter en me voyant arriver.

- Merci, tu n'es pas mal non plus, le remerciais-je avec un sourire, frissonant néanmoins dans ma veste en cuir. Il rougis un peu avant de passer de passer son bras autours de nos épaules.

Il faisait doux, mais le vent frais qui caressait mes jambes nues suffisait à me refroidir. Heureusement, la fête n'était pas très loin. Nous empruntâmes le bus et je parvins à me détendre au cours du trajet. A vrai dire, le duo me faisait mourir de rire. Une fois arrivés, nous nous engouffrâmes dans le club où l'ambiance était déjà à son plus haut niveau. Il y avait beaucoup d'élèves de l'Université de Londres ainsi que des membres de notre promo d'Anchorage. Il y avait également d'autres étudiants qui venaient d'un peu partout. Je plongeais la main dans ma poche pour en ressortir les tubes orange qu'Amy m'avait rendu. J'avalais de nouveaux comprimés avant de me mêler à la foule. Corey nous apporta de quoi boire et nous savourâmes pleinement notre droit aux boissons alcoolisées que nous offrait la Grande-Bretagne. Je me surpris à réellement apprécier la soirée et dansa avec les jumeaux ainsi qu'avec des inconnus. Alors que je trempais mes lèvres dans un liquide à l'odeur très forte, je reconnus des yeux verts qui me fixaient, de l'autre côté du bar. Sans sourciller, je soutins le regard du jeune homme tout en avalant le reste de mon verre. Je rompis le contact visuel en plongeant au milieu des corps qui ondulaient dans la pénombre.

Non, Rafael ne réussira pas à gâcher cette soirée.

*****


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