XXI


Un coup violent dans la poitrine. Une masse dans le ventre. L'estomac se tord, le cœur s'arrête avant de s'emballer. Il frappe, tambourine, hurle. Il prend le dessus sur la conscience qui, vaincue, se tait. Le sang afflux dans les veines, réchauffe le corps qui s'embrase.

Aucun mot ne sort de ma bouche. Il me fixe, je le dévisage. Il s'approche, je reste figée. Comme dans un rêve impossible, irréalisable. Rien ne se passe, tout s'effondre. Une rédemption vaine. Souffrance de papier. Des larmes invisibles coulent sur le monde. Des semaines, des mois, une vie sans lui. Et il ressurgit. Je ne peux le croire. Je ne veux pas croire que c'est lui, que c'est Rafael, que c'est celui qui m'a tuée. Il marche lentement, je crois qu'il cherche ses mots dans mon regard vide. Je suis vide. Vide et bouillonnante à la fois. Il n'y a plus que les cendres d'une vie passée, du tabac froid et des caresses disparues. Je m'accroche désespérément à ce que je crois n'être qu'une illusion. Sa démarche est tranquille, quoiqu'un peu rapide. Il ne me quitte pas des yeux, s'avance toujours vers moi. Il semble avoir vieillit depuis la dernière fois. Depuis l'accident. Une cicatrice court de sa tempe jusqu'à sa mâchoire sans parvenir à altérer la force qu'il dégage. Mon cerveau a cessé de fonctionner, me livrant à moi-même. Je n'arrive pas à comprendre ce qui se passe, c'est impossible. Je le sais, c'est impossible. Rafael est mort, il est mort. Mort.

Mort, mort, mort.

Et pourtant. Ses yeux verts se décrochent des miens pour regarder droit devant lui. Il passe à côté de moi, me frôle, s'en va. Un froissement de vêtements, il s'engouffre dans le bâtiment, laissant flotter une odeur de minérale. Un parfum familier.

- Hayden ?

Amy touche mon bras. Je ne réponds pas, la bouche entre ouverte.

- Tu le connais ?

Je tourne la tête et fronce les sourcils.

- Le garçon que tu regardais, tu le connais ?

Alors c'est vrai. C'est lui.

- Je croyais, murmurai-je.

Rafael, avec qui je me suis enfuie. Rafael, avec qui j'ai tout partagé. Rafael, que j'ai aimé.

Rafael m'a abandonnée. Il est parti sans un regard en arrière, sans voir qu'il m'avait détruite.

- T'es sûre que ça va ? Tu fais une tête bizarre, s'inquiéta mon amie.

- Ouais... J'étais juste... Perdue dans mes souvenirs, soufflai-je.

Elle me prit la main et m'entraîna à la suite du groupe. Je n'arrivais pas à me concentrer sur les explications de nos professeurs, bouleversée par ce qui venait de se passer. Corey me fixait avec insistance mais je l'ignorai, n'ayant pas la force de sourire. Je n'étais toujours pas sûre que ça soit vraiment Rafael. Peut-être était-ce juste un garçon qui lui ressemblait beaucoup ? Il fallait que j'en aie le cœur net.

Il fallait que je lui parle.

*****

Nous fîmes tout le tour du campus sans que Rafael ne ressurgisse. J'en vins même à me demander si ce moment était réellement arrivé. Si ça n'avait pas été encore un mauvais tour de mon esprit masochiste.

- Dis-moi Amy, tu... tu te souviens du garçon que je regardais tout à l'heure ? demandais-je à la rousse qui observait avec admiration l'immense bibliothèque mise à la disposition des étudiants.

- Ouais. Ouais je m'en souviens, pourquoi ?

J'hochais silencieusement la tête, semblant approuver ce que les murs murmuraient entre les pages des livres.

- Comme ça... Je voulais être sûre que toi aussi... que toi aussi tu l'avais vu.

Elle se retourna en plissant les yeux. Je lui lançai un sourire crispé avant de continuer à errer dans les rayons chargés de bouquins. En réalité, je me cachais. Enfin, j'essayai de trouver un observatoire duquel je pourrai voir sans être vue. L'endroit parfait pour disparaître et regarder les autres exister. Tenter de comprendre ce qui les animait pour les imiter après. Découvrir le secret de l'humanité, celui qui gardait tous ces gens en heureux alors que le monde est si moche. Ayant passé pas mal d'heures à scruter des centaines de visages inconnus, j'avais émis plusieurs hypothèses dont l'une qui stipulait que le bonheur était quelque chose de moche tapit sous une couche de sucre glace. On lèche la surface, c'est exquis. On croque, c'est l'agonie. Mais les gens font semblant, ils espèrent que l'extase est un peu plus loin, qu'il suffit de manger encore un morceau pour la trouver. Ils sourient, font bonne figure, ignorent l'atrocité de ce qu'ils avalent. Ils prennent une nouvelle bouchée, encore et encore, espérant trouver un cœur caramélisé. Ils dévorent jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un goût amer sur la langue. La déception. Ils suffit qu'il y ait un con qui fasse semblant pour que les autres y croit et l'imitent, perpétuant un mensonge silencieux. Ils se disent qu'il n'y a qu'eux qui trouvent ça immonde. Ils sont terrifiés à l'idée de sortir du troupeau. Personne ne veut être l'oméga.

- Bon, tu ne veux vraiment pas me dire ce qui se passe ? Lâcha-t-elle en refermant d'un coup sec le livre qu'elle était en train de feuilleter.

Je me grattai la nuque, mal à l'aise.

- C'est compliqué, je n'en suis pas sûre moi-même, murmurai-je.

- C'est qui ce mec ? demanda-t-elle brusquement.

Mes yeux s'écarquillèrent. J'étais désarçonnée par une Amy franche et directe que je n'avais jamais croisée auparavant.

- C'est un mec qui t'a fait des misères au lycée ? Un ex ?

Je penchai la tête sur le côté.

- Un peu des deux.

- Merci Hayden, reine des réponses qui n'en sont pas vraiment ! soupira mon amie.

Je souris faiblement. Un sentiment étrange naissait en moi, quelque chose qui ne présageait rien de bon.

- Vous venez les filles ? nous appela Corey.

Amy replaça le bouquin sur l'étagère, me lança un regard complice avant de marcher rapidement vers son frère. Je ne tardai pas à la rejoindre, les méninges fonctionnant à plein régime. Si c'était réellement Rafael, je ne pouvais pas le laisser s'en tirer comme ça. Mais d'abord, il fallait que je m'assure de l'identité du garçon qui m'avait frôlée.

*****

- Bien, à présent, vous avez quartier libre jusqu'à...

La suite de la phrase de notre professeur fut noyée par les cris d'excitation du groupe. Tout le monde commençait sérieusement à en avoir marre d'être traîné d'un bout à l'autre du campus en écoutant des explications bien trop ennuyeuses comparées à la coolitude du lieu. Quant à moi, je savourais l'instant comme étant le début de mon nouveau plan machiavélique et vengeur.

- Bon, vous voulez faire un truc en particulier ? demanda Corey, un peu perdu.

Amy me fixait avec un sourire en coin.

- Je crois qu'Hayden a une idée derrière la tête.

En effet, je me mordais nerveusement la lèvre inférieure sans lâcher des yeux le bâtiment dans lequel le sosie de Rafael s'était engouffré tout à l'heure.

Sans prêter attention au regard rempli d'incompréhension de Corey, je me dirigeai vers l'entrée où se pressai les étudiants. Mes semelles frappaient avec détermination les dalles de pierre grise et j'entendais mes deux amis trottiner derrière moi. Corey n'arrêtait pas de poser des questions auxquelles Amy prenait un malin plaisir à ne pas répondre. Sûrement pour se venger du réveil brutal que son frère lui avait fait subir dans le bus un peu plus tôt. Je pénétrais dans le bâtiment, les jumeaux sur les talons. La voix d'Amy me susurra quelque chose à l'oreille, encore pour agacer Corey.

- Alors, il est où ce brun ténébreux ?

- Plus très loin, répondis-je après avoir examiné tous les chemins qui s'offraient à nous.

Je décidais d'emprunter les escaliers. Il fallait bien commencer quelque part. Je scrutais comme je pouvais l'intérieur de chaque salle, croyant apercevoir son visage sur tous les autres. Mais jusqu'ici, aucune trace de Rafael. Après avoir tourné en rond une dizaine de minutes et passé maintes fois en revue chaque élève, nous rejoignîmes le rez-de-chaussée.

- Tu veux qu'on aille faire un tour à l'extérieur ? Il a peut-être simplement traversé le bâtiment pour rejoindre d'autres jardins, hasarda Amy.

Je grognais quelque chose qui approuvait la proposition de mon amie. Nous sortîmes donc de l'autre côté et mes yeux fous dévisageait chaque personne qui passait devant nous.

- Elle me fait flipper, murmura Corey dans mon dos.

Je me retournais et lui lançai un sourire sadique qui acheva de terroriser le jeune homme. Amy explosa de rire, non sans vexer son frère.

Je perdis mon sourire lorsque je reconnus les épaules larges de Rafael. Je murmurai son nom entre mes dents et stoppai. Les deux jeunes gens qui me suivaient cessèrent leurs chamailleries au moment même où je me figeais. Bientôt, les jumeaux m'encadrèrent comme deux gardes du corps.

- C'est celui-là ? fis Amy en désignant le jeune homme de dos.

J'hochai la tête en silence.

- Tu ne vas pas le voir ? se risqua Corey.

Un autre sourire sadique étira mes lèvres.

- Si.

A ces mots, je plantais mes amis et marchais d'un pas décidé vers ma cible.

- On devrait peut-être l'arrêter, tu ne crois pas ? entendis-je Corey gémir au moment même où je m'avançais vers ma future victime.

- Tu rigoles ? J'ai hâte de voir ce qui va se passer ! avait aussitôt répliqué sa sœur.

Oui, moi aussi.

*****

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