VIII


Un bruit métallique retentit et j'ouvris les yeux avant de les plisser, aveuglée par la lumière du jour. Je me redressais, avant d'enfiler rapidement des vêtements et sortir de la petite tente. Rafael était déjà debout et remplissait des thermos. Il se retourna en me voyant, et sourit.

- J'ai une idée.

- Et merde, fis-je en feignant le désespoir.

Il me poussa gentiment avant d'enchaîner.

- Allez, fais-moi confiance, je te promets que tu ne vas pas le regretter.

Je fis la moue, avalais une gorgée de chocolat chaud, avant d'accepter.

Il démonta la tente, et nous rangeâmes toutes nos affaires dans les sacs, avant de prendre soin d'éteindre le feu.

- Alors on va où ? l'interrogeais-je.

- En ville. Dépêche-toi.

Nous marchâmes jusqu'à apercevoir la superette, mais Rafael continua sans s'y arrêter, et je le suivis sans poser de questions. De toutes façon, il n'y répondait jamais. Nous nous arrêtâmes près d'une laverie et il me demanda d'aller mettre les affaires sales dans une machine en me tendant de la monnaie. J'hésitais mais récupérais finalement l'argent et poussais la porte. La laverie était vide, excepté un vieil afro-américain qui faisait des mots croisés sur un banc. Il ne leva même pas les yeux vers moi et je me demandais s'il m'avait entendue rentrer. J'ouvris la fermeture éclair du sac et glissais le linge dans le tambour en métal. Je fronçais les sourcils en découvrant les dépôts de calcaire sur les bords, mais je n'avais pas le choix. Je claquais la porte de la machine, sélectionnais le programme et glissais les pièces dans la fente réservée à cet usage. Puis je grimpais sur un autre bloc de machine, et observait le vieil homme depuis là-haut. Il bloquait sur un mot, et tournait son crayon de papier entre ses doigts larges.

- Inuit, lançais-je à voix haute.

Il leva lentement la tête vers moi, et ses yeux noirs vinrent se poser tranquillement sur mon visage.

- Il n'y a pas beaucoup de mots qui correspondent à ces lettres, et vous tenez un hors série de décembre 2013. Le mot au dessus était flocon. Essayez avec inuit, m'expliquais-je.

Il plissa les yeux, accentuant les rides qui creusaient sa peau matte, avant de tracer les lettres manquantes.

INUIT (5)

Je souris et m'allongeai sur la paroi en métal, observant le faux plafond. Puis je fermai les yeux, écoutant ma respiration, avant de m'assoupir, bercée par le ronronnement des machines.

*****

Un tintement aigu me tira de mes songes. L'afro-américain était toujours là. Il avait commencé une nouvelle grille de mots croisés. Je me redressai avant de me laisser glisser du bloc et de sortir mon linge. Je mis tout dans un sèche-linge, avant de remonter sur les machines. J'observai attentivement le magazine du vieil homme, réfléchissant en même temps que lui, lorsque quelqu'un frappa sur le carreau. Je tournai vivement la tête et je vis Rafael, impatient. Je le rejoignis et il me lança :

- Prends tout, dépêche-toi !

Je fronçai les sourcils et il me fit signe de m'exécuter en vitesse. Je courus jusqu'à la machine, ouvris le hublot sans me préoccuper de l'alarme qui s'était déclenchée et attrapai tous les vêtements que je fourrais dans un sac, avant de sortir rapidement. Rafael était dans un pickup rouge brique et ouvrit la portière de mon côté pour me faire signe de monter. Au même moment, un homme barbu sortit du Diner et fronça les sourcils lorsqu'il me vit grimper dans sa voiture.

- Eh, mais qu'est-ce que vous... commença-t-il en s'approchant à grande enjambées.

- Fonce ! criais-je, cramponnée au tableau de bord.

Rafael écrasa la pédale d'accélérateur, et je fus plaquée contre mon siège. Nous sortîmes en trombe du parking. J'éclatai de rire en observant l'homme qui nous courrait derrière nous, le poing levé. Rafael explosa de rire à son tour en jetant un coup d'œil dans le rétroviseur.

Nous roulâmes une dizaine de minutes, avant que je ne comprenne où nous emmenait Rafael. Un panneau indiquait Mau'umae Beach. La ligne de l'océan se profilait à l'horizon et j'apercevai l'écume des vagues qui blanchissait la surface bleutée. Il gara la voiture sur la place qui surplombait la plage presque déserte. Il me tendit la main et nous descendîmes sur le sable. Il s'éloigna vers une cabane en bois, toqua, et la porte s'ouvrit sur un homme âgé, le visage buriné, les yeux en amande. Il ressortit quelques instants plus tard, deux combinaisons noires sur son épaule droite, deux planches de surf sous chaque bras. Je ne pus réprimer un grand sourire. J'allais souvent surfer avec Shay ; son père tenait une boutique de matériel nautique.

Des nuages gris s'amoncelaient dans le ciel, mais les déferlantes et les plongeantes nous permettraient de bien surfer. Rafael avait un longboard, ce qui ne m'étonnait pas. Il avait beaucoup de force et des bras puissants.

- Je t'ai pris une évolutive, m'annonça-t-il en posant les planches sur le sable.

Je retournai à la voiture pour me changer et Rafael me rejoignit lorsque j'avais enfilé ma combinaison.

- La fermeture s'il te plaît, lui demandais-je en dégageant mes cheveux pour qu'il puisse remonter le zip.

Il s'approcha, posa une main au creux de ma taille et effleura ma peau en fermant la combinaison. Je frissonnai en fermant les yeux, me rappelant la nuit dernière. Il embrassa mes cheveux avant de lancer d'un air de défi :

- T'es prête ?

Je me penchai pour attraper ma planche et lui répondit :

- Plus que jamais !

Nous fîmes la course jusqu'à ce que l'eau nous arrive à la taille, avant de nous allonger sur les planches et de nager pour atteindre la ligne des vagues. Rafael fut le premier à se redresser : il avait repéré une plongeante, c'est-à-dire une vague creuse. Il rama plus vite avant de pousser sur ses bras pour se relever. Il écarta légèrement les bras pour se stabiliser alors qu'il entamait son take-off. Il remonta vers le haut de celle-ci, avant de perdre la vague et de plonger dans l'océan. Il ressortit la tête de l'eau quelques secondes plus tard, le sourire aux lèvres.

- Vas-y Hayden, elles sont géniales ! me cria-t-il.

J'émis un rire léger et observai les vagues qui grossissaient à l'horizon. J'en repérais une et ramais de toutes mes forces vers cette dernière. Quand le moment fut venu, je me redressais sur la planche en fléchissant les genoux, jouant avec les ondulations de l'eau. La vague ne tarda pas à m'ensevelir, m'entraînant avec elle. Je nageai jusqu'à la surface et vis Rafael un peu plus loin qui m'observait. Un goût de sel sur les lèvres, je le rejoignis et nous prîmes encore quelques vagues avant de rejoindre la plage. Epuisés, nous nous laissâmes tomber sur le sable.

- Alors ? lança-t-il au bout de quelques minutes.

Je tournais la tête vers lui.

- Extra.

Il sourit.

- Je trouve aussi. Tu as de la chance d'avoir pu surfer aux côtés d'un professionnel comme moi, se moqua-t-il.

Je lui donnai un coup dans l'épaule et il feignit une douleur extrême avant d'éclater de rire.

- Je te signale que t'en as raté une belle tout à l'heure, t'aurai dû voir la tête que t'as fait ! répliquais-je.

Il me regarda et sourit, comme si la simple raison de son sourire était ma présence à ses côtés sur le sable humide. Et je crois que ça l'était. Nous vivions l'un pour l'autre et ça nous suffisait. La pression, l'anxiété, les insomnies ; tout ça me paraissait désormais à des années lumières de cette plage. Il était mon bonheur, j'étais le sien.

*****

Nous rejoignîmes le pick up, nous débarrassant des combinaisons trempées qui collaient nos corps. Rafael alluma le chauffage de la voiture et je soufflais sur mes mains fripées par l'eau salée, frigorifiée. Nous roulâmes en silence de longues minutes, avant que Rafael n'ouvre la bouche.

- On devrait peut-être rentrer, tu ne crois pas ?

- Rentrer ? répétais-je sans vraiment comprendre ce qu'il voulait dire par là.

Rentrer dans notre « camp », ou rentrer « chez nous » ?

- Rentrer chez nous, continua-t-il.

Il détourna son regard de la route quelques secondes pour m'observer.

- Je t'en prit, ne fais pas cette tête-là Hayden, tu sais aussi bien que moi que nous n'avons pas le choix. Que ce soit, aujourd'hui, demain ou dans deux semaines, ils finiront par nous retrouver. Et notre argent n'est pas illimité...continua-t-il.

- Mais on peut toujours se cacher comme nous l'avons fait jusqu'ici, et puis on peut voler des trucs comme à la superette ou comme ce pick up ! tentais-je.

- Non Hayden. Tu sais que je veux devenir avocat, pour défendre les gens comme moi. Ce serait lâche de rester là, les bras croisés, en fermant les yeux sur cette réalité. Je ne veux pas me planquer toute ma vie, je l'ai déjà suffisamment fait jusqu'ici.

- Tu penses à moi ? Qu'est-ce que je vais dire à mes parents ? « Oh salut papa, désolée j'me suis barrée parce que j'en pouvais plus de tes exigences de bourge et puis toi maman, j'en avais marre de te voir pleurnicher à longueur de temps parce que je n'ai pas touché à ta blanquette ! Bref, sinon y'a quoi à la télé ce soir ? », m'énervais-je.

Ses mâchoires se contractèrent.

- Tu es égoïste Hayden.

Je tournais vivement la tête.

- Pardon ?

- Tu m'as très bien entendu. Tu es égoïste. Tu ne te préoccupes seulement de ton propre malheur. J'ai vécu l'enfer et quand je te dis que je souhaite vivre autre chose, tu te braques parce que TU ne veux pas rentrer. Mais putain Hayden, dans quelques années tu quitteras ta maison pour aller où tu voudras, ça ne sert à rien de bousculer le temps comme ça. J'ai une vie à commencer.

Je restai muette sous l'effet de ses mots. Au fond de moi, je savais qu'il avait raison, mais je ne pouvais l'admettre.

La voiture s'arrêta à un feu rouge et j'attrapai mon sac avant d'ouvrir la portière et de descendre.

- Hayden qu'est-ce que tu... Hayden reviens ! me cria-t-il alors que je m'éloignais vers un pâté de maisons.

Des voitures klaxonnèrent et il fut obligé de redémarrer et de s'éloigner, pendant que je marchais rageusement sur le bitume, les larmes aux yeux.

*****


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