V
Rafael ouvrit une boîte de conserve, tandis que je frottais mes mains près du feu.
- Légumes du soleil... lus-je sur la boîte en plissant les yeux.
Il me lança un regard et j'enchaînai.
- Tu te fous de moi ?
- Quoi ?
- On est à Hawaii et clairement je me les gèle, et tu nous sors une boîte de « légumes du soleil » !
- Va voir ailleurs si t'es pas contente, grogna-t-il, apparemment vexé.
- Non non, ça me va... Je trouve ça juste un peu... Ironique.
Il haussa les épaules, pendant que je me perdis une nouvelle fois dans mes pensées.
- On fait comment s'il pleut ? Demandais-je soudainement.
- Tais-toi et passe-moi ton assiette.
Je lui tendis une assiette en plastique qu'il avait déniché par hasard dans la boutique sur l'autoroute.
- Non mais sérieux, on n'a pas de tente et il risque de pleuvoir, on est en pleine saison... Continuais-je.
Il poussa un long soupir avant de se lever.
- Qu'est-ce que tu fais ? l'interrogeais-je la bouche pleine.
Il ne répondit pas et attrapa l'une des couvertures que l'on avait prise. Il fit le tri parmi le bois qu'il avait ramené, et choisit plusieurs branches mi-longues, et moyennement épaisses. Il les planta dans la terre humide stratégiquement, et posa la couverture par-dessus. Il s'assura que l'abri de fortune était suffisamment solide, avant de revenir s'asseoir en silence pour terminer son assiette. J'avais laissé la mienne de côté et l'observais sans un mot. Ses mâchoires se contractaient et se décontractaient à un rythme régulier. C'était apaisant de le regarder. Il était calme, fort, tranquille. Il était son propre univers, une galaxie lointaine, éloignée de toute forme d'injustice. Je savais qu'il avait souffert. Mais sa douleur s'était révélée être constructive pour lui. Il s'était forgé un monde à part, seul. Une solitude paisible, qui avait séché ses larmes et bâti un bonheur particulier. Mais ce soir-là, en le regardant, j'ai été heureuse un instant. Ce n'était pas un bonheur explosif, non, c'était quelque chose de doux, agréable, comme une tasse de thé brûlante et un bon roman au coin du feu, lorsque la nuit tombe et que l'on abandonne notre vie pour découvrir celle d'une personne qui n'existe pas, mais qui nous apprend des choses sur la nôtre qui est réelle. Oui, ce soir-là, un feu crépitait au milieu d'une forêt d'Hawaii, une boîte de conserve avait été ouverte et avait rempli deux assiettes en plastique d'une superette minable, une tente avait été improvisée par Rafael et j'étais heureuse.
J'étais heureuse.
*****
Un cri d'oiseau me réveilla. Il faisait encore sombre, mais le jour se levait doucement. Je m'extirpais de mes couvertures, mais réalisais ainsi que je ne me rappelais pas m'y être installée la veille.
Je tournais la tête vers la forme qui s'étendait sur ma droite. Rafael dormait encore. Je m'étais sûrement endormie près du feu et dans un élan de bonté mon compagnon m'avait donc couchée sous l'abri de fortune. Je soupirais. Je détestais l'idée qu'il m'ait touchée sans mon accord, mais je savais qu'il avait eu raison : j'aurais hurlé si je m'étais réveillée sous la pluie.
- Bonjour, marmonna une voix ensommeillée.
Je me retournai et vit Rafael qui s'était redressé sur ses avant-bras. Je le fixai et il rejeta sa tête en arrière en s'exclamant :
- Oh non je connais ce regard... J'ai pas eu le choix figure-toi, j'allais pas te laisser dormir dehors !
- T'avais qu'à me réveiller.
- Pour que tu me cries dessus ? Non merci, je t'entends jacasser toute la journée, j'étais bien content que tu te sois enfin endormie... me taquina-t-il.
Je lui tirai la langue et sortie de la tente. Je m'étirais, j'avais mal partout. Rafael me suivit dehors et imita mes étirements avant de demander :
- Cool, on fait quoi maintenant ?
Je tournai la tête vers lui sans comprendre.
- On s'est barrés d'Hilo, un avis de recherche a été lancé pour nous retrouver, à cause des flics qui ont repéré notre trace, on a perdu la voiture, on a fait du stop puis on a atterri ici. Alors maintenant, je me demande ce qu'on fait, parce qu'après toutes ces péripéties fort intéressantes, on est comme des cons au beau milieu d'une forêt.
- Embrasse-moi.
Rafael tourna brusquement la tête vers moi en écarquillant les yeux.
- Tu veux que je... commença-t-il, totalement déstabilisé.
Je me jetai sur ses lèvres et il fut incapable de terminer sa phrase. Il se figea quelques secondes, avant de répondre à mon baiser. J'enfonçai mes mains dans ses cheveux et il me plaqua contre son torse. Nos langues s'entremêlaient, son souffle devint plus saccadé, mon cœur était au bord de l'explosion.
- Hayden... murmura-t-il lorsque ses lèvres effleurèrent ma mâchoire.
J'étais incapable d'articuler quoi que ce soit, je n'étais qu'un corps brûlant de désir.
- Hayden... soupira-t-il en enfouissant sa tête dans mes cheveux.
Je fermais les yeux et frissonnais lorsque son souffle caressa ma peau.
- Hayden bordel réveille-toi !
J'ouvris brusquement les yeux, tremblante. Rafael était penché au-dessus de moi, les cheveux ébouriffés. Il soupira.
- T'as le sommeil lourd, putain. Lève-toi, j'ai fait du chocolat chaud, il reste du pain.
Il se redressa et sortit de la tente. Je me frottai les yeux. Je n'avais donc jamais embrassé Rafael, tout ceci n'était qu'un simple produit de mon imagination. Mais pourquoi m'étais-je inventé cette scène ? Ce rêve m'avait complètement perturbée, je ne savais plus quoi penser. J'étais honteuse, mais je me rappelais à quel point ces sensations, certes fictives, avaient été agréables. J'étais intriguée. Rafael était quelqu'un de très attirant, mais notre relation n'était que purement amicale. Je secouai la tête et chassai les derniers souvenirs de ce rêve, avant de rejoindre Rafael dehors. Il était debout, la main gauche dans la poche de son pantalon, un thermos dans l'autre, les yeux rivés sur un horizon invisible.
Cette vision me rappelait fortement mon rêve, alors je tâchais de l'ignorer et de me concentrer sur la casserole qui était encore sur le feu. Je versai le lait dans mon thermos et Rafael rompit le silence.
- Bon, on fait quoi maintenant ?
Ses mots me glacèrent et je renversais un peu de ma boisson sur le feu.
- Qu...Quoi ? balbutiais-je, déstabilisée.
Il s'avança vers moi. Je reculai, afin de laisser de la distance entre nous et il fronça les sourcils. C'était exactement ce qui s'était passé dans mon rêve. Et quelques minutes après, je m'étais jetée sur lui comme une sauvage, animée par je ne sais quelle pulsion hormonale.
- - On s'est barrés d'Hilo, du coup un avis de recherche a été lancé pour nous retrouver. A cause des flics, on a perdu une voiture hors de prix, alors on a fait du stop puis on a atterri ici. Donc maintenant, je me demande ce qu'on fait, parce qu'après toutes ces péripéties fort palpitantes, on est comme des cons au beau milieu d'une forêt.
Je pâlis. J'étais désormais paralysée, incapable de faire le moindre geste ou d'ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit. Mais finalement, ce n'était pas plus mal que je reste muette. Ça m'évitait de faire une gaffe.
- Hayden, t'es sûre que ça va ? Tu fais une tête bizarre.
J'étais en apnée, alors oui, mon visage était peut-être un peu déformé par le manque d'oxygène, pensais-je.
Il s'approcha dangereusement de moi et je m'exclamais totalement paniquée :
- Reste où tu es !
Il se figea, sans comprendre.
- Merde Hayden, qu'est-ce qu'il se passe ?! s'impatienta-t-il.
Je passais nerveusement une main dans mes cheveux.
- Je... je suis désolée, je sais pas... murmurais-je, avant de m'enfuir.
Je courus aussi vite que mes jambes me le permirent. Les branches griffaient mon visage, mais l'adrénaline était si forte que je ne ressentais aucune douleur. Des larmes fugitives dégoulinaient sur mes joues et je m'en voulus d'être si faible. J'étais faible. Les émotions régissaient mes actions, comme un pantin agité par des ficelles. J'étais irrationnelle et instable.
A bout de souffle, je m'arrêtais au bord d'une falaise qui surplombait l'océan. Les vagues s'échouaient avec force contre les parois rocheuses, s'écrasant les unes après les autres dans un fracas assourdissant. Le bruit fit taire instantanément les voix qui hurlaient dans ma tête et pour la première fois depuis que j'avais croisé le regard de Rafael en me levant, je pris une grande bouffée d'air. Les effluves marins m'apaisèrent et je me laissais tomber à genoux sur le sol. Je rampais jusqu'au bord de la falaise en reniflant, et laissais mes jambes pendre au dessus du vide. Je me perdis dans la contemplation du déchaînement maritime qui s'agitait sous mes pieds. Pourquoi réagissais-je ainsi ? J'avais fait un rêve plutôt gênant vu notre situation, mais ce n'était pas la peine d'en faire un drame. Mais la chose était que je ne comprenais plus mes sentiments à l'égard de Rafael. Je ne comprenais plus rien et les émotions que j'avais ressenties en le regardant avaient déclenché une crise d'angoisse, parce que je ne contrôlais plus la situation. Je ne me contrôlais plus, mes pensées ne m'obéissaient plus. Et j'avais eu peur. Peur de ce que je pouvais ressentir pour Rafael, peur de ces sentiments inconnus, peur de lui. J'étais terrifiée.
Parce que j'étais en train de tomber amoureuse de Rafael.
*****
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