III
- T'es doué en mécanique ?
J'étais plantée devant une petite maison d'un quartier populaire, les doigts entortillés. Dans l'entrée se tenait Rafael, le garçon de philo. Il portait un bas de jogging gris chiné et venait d'enfiler un tee-shirt. Les cheveux ébouriffés, il m'observait en silence.
- Comment t'as su où j'habitais ? finit-il par dire d'une voix ensommeillée.
Je ris nerveusement.
- Tu veux vraiment le savoir ?
Il fronça les sourcils, me fit signe d'expliquer avant de croiser ses bras devant sa poitrine.
- Je suis allée jusqu'au lycée, j'ai forcé la porte du principal, j'ai trouvé ton dossier grâce à ton nom sur le papier, j'ai noté ton adresse et je suis venue jusqu'ici.
Il tenta de réprimer un sourire, avant de rire :
- Tout ça... En pleine nuit ?
Je baissais la tête, un peu honteuse face à ma démence.
- Entre, soupira-t-il.
La maison était vieille et étroite, mais bien tenue. Il alluma une lampe dans une petite cuisine des années 90, à droite d'un escalier recouvert d'une moquette usée. Je m'approchai et il fronça une nouvelle fois les sourcils en fixant mon visage sous l'éclairage pâle et grésillant du luminaire. Je compris très vite ce qui n'allait pas et couvrais ma joue avec ma manche trop longue. Mais il avait déjà remarqué ma lèvre fendue et l'hématome qui avait dû s'étaler sur ma joue.
- Hayden, qu'est-ce que c'est ?
- Oh... Rien, c'est quand j'ai voulu forcer la porte, elle m'a un peu résisté.
- Ne me mens pas, articula-t-il durement.
Je baissai la tête.
- Je me suis disputée avec mes parents, mon père m'a frappée alors je suis partie.
Il expira bruyamment.
- Pourquoi es-tu venue ? Pourquoi ici ?
- Je ne savais pas quoi faire... Shay allait paniquer et j'avais besoin d'aller loin, elle habite trop près de chez moi. Ma voiture est au garage, mais j'en ai besoin maintenant pour partir d'ici, alors je voulais savoir si... Si tu pouvais la réparer.
- Maintenant ? Soupira-t-il.
- Oui.
Il se pinça l'arrête du nez.
- Et pourquoi je t'aiderai ?
Un point pour lui.
Je réfléchis un moment, avant de murmurer :
- Tu m'as foutu la trouille à l'opéra. Tu me dois une faveur rien que pour ça.
Ses yeux brillèrent.
- Je vais me changer. Reste ici.
J'émis un petit rire, soulagée qu'il me suive, ici, à 3h30 du matin, à la veille de cette odyssée dans laquelle je me suis lancée.
A la recherche du bonheur.
*****
- Passe-moi la clé de 12 derrière-toi s'il te plait.
Je me retournais vers le vieux plan de travail en bois clair, sur lequel s'étalait une dizaine d'outils.
Je laissai ma main en suspend, au-dessus des morceaux de métal.
Il essaya son front d'une main pleine de cambouis, y laissant une traînée noire tout à fait charmante.
Il attrapa lui-même l'objet qu'il désirait, et je répondis à son regard exaspéré par un sourire désolé. Il acheva son travail en silence.
- J'ai fini, faut juste que je change de tee-shirt, marmonna-t-il en ouvrant son sac.
Il passa celui qu'il portait par-dessus sa tête et j'haussais un sourcil en découvrant sa musculature très bien développée.
- Arrête de baver, lâcha-t-il en enfilant un tee-shirt en coton noir.
- Pardon ?
- Tu m'as très bien compris. Monte.
Je ricanais.
- Monte ? T'as quand-même pas cru que t'allais conduire ?
- Sans moi, tu serais encore en train de te morfondre dans la rue, alors si, c'est moi qui conduis.
- Mais c'est ma voiture ! m'exaspérais-je en levant les bras.
Il s'installa à la place du conducteur, et tendit sa paume ouverte vers le ciel au-dessus du siège passager, dans ma direction. Je soupirai, m'installai à mon tour et lui donnai les clefs non sans lui avoir lancé un regard noir. Il mit le contact et quitta le garage dans lequel nous étions entrés par effraction.
Nous laissâmes la ville d'Hilo derrière nous et je sombrai dans un sommeil sans rêve.
*****
Le ronronnement familier du moteur s'estompa et j'ouvris les yeux. Rafael sortit de la voiture, son portefeuille dans les mains. Je m'étirais, tout en regardant sa silhouette s'éloigner vers une petite boutique d'aire de repos aux vitres sales. Je remontai le plaid sur mes épaules et regardai autours de moi. Le ciel était dégagé, mais il faisait encore sombre dehors. Je jetai un coup d'œil à mon portable. Sept heures trois. J'écrasais un bâillement, et sortis de la voiture. Je frissonnai lorsqu'une brise fraîche vint me caresser la nuque. Je sortis une cigarette de mon sac. Je ne fumais qu'occasionnellement. A vrai dire, je ne fumais pas par besoin. J'aimais seulement le bruit presque imperceptible du papier se consumant et la brûlure que je ressentais en avalant la fumée.
- Ecrase-moi ça, tu veux ?
Rafael était revenu, deux gobelets de chocolats chauds calés entre les doigts de sa main gauche, un sac en papier tâché d'huile dans l'autre.
Je pris une nouvelle bouffée, par pure provocation.
- Pourquoi ?
Il posa notre petit déjeuner sur les sièges arrière, avant de déclarer durement.
- Y'a que les cons qui fument.
J'haussais un sourcil.
- Alors selon toi, le simple fait de fumer rend les gens cons ?
- Non. Les gens cons fument. Mais le fait de fumer ne les rend pas cons.
- Je ne suis pas sûre de te suivre.
Il soupira.
- Les actes ne nous rendent pas idiots, mais nous sommes idiots de faire certains actes. Les choses en elles-mêmes sont neutres.
Je plissais les yeux.
- Et donc, sur quelle théorie scientifiquement démontrée te bases-tu pour affirmer que 100% des fumeurs sont stupides ?
- Ai-je dis que 100% des fumeurs étaient stupides ?
J'étais définitivement perdue.
- J'ai dit qu'il n'y avait que les cons qui fumaient. On peut voir le mot « con » de différentes façons. Pour moi, les cons peuvent être intelligents ou stupides. Ça n'a pas de rapport avec leur QI. Ce sont des gens qui agissent de manière stupide. Ils ne sont pas stupides, mais agissent en tant que tel, expliqua-t-il.
- Hum, je vois. Et en quoi l'action de fumer est quelque chose de stupide alors ?
- Parce que ça n'a rien de productif.
- Lire n'a rien de productif, répliquais-je du tac au tac.
- Si ! Parce que ce tu lis, ton cerveau le retient, crée un savoir avec ces informations et un jour où l'autre, ce savoir sera utile.
- Fumer détend les gens.
- Fumer tue. Depuis quand la mort est-elle quelque chose de relaxant ?
- Depuis que les gens souffrent plus de vivre plutôt que de mourir.
Il me dévisagea. Son regard me mettait toujours autant mal à l'aise. J'écrasai ma cigarette sur le bitume, signe que j'abandonnais le débat.
- Je vais me rafraîchir, marmonais-je avant de m'éloigner vers la boutique.
Je sentis son regard peser sur moi, avant de l'entendre mettre de l'essence dans le réservoir de la voiture. J'ouvris la porte du magasin et une forte odeur de cigarette me fouetta le visage. Je fronçais le nez, avant de rire. C'était pour ça que Rafael avait râlé en me voyant fumer. Un homme gras était assis sur une vieille chaise, les pieds sur un comptoir en PVC, les yeux fixés sur l'écran d'un petit téléviseur posé sur une étagère. Je vis un panneau qui annonçait des toilettes, et m'y dirigeait ainsi. Après y être allée, non sans avoir eu un haut-le-cœur en découvrant l'état de la cuvette, je me rinçai le visage dans le petit lavabo, avant de fixer mon reflet. Mes cheveux commençaient à graisser, des cernes se creusaient sous mes yeux et mon teint était plutôt verdâtre. Je soupirais, et renonçais à toute tentative de me rendre potable. Je sortis du petit local, et repassais devant le comptoir avant de quitter avec soulagement la boutique. L'air frais me fit un bien fou et je fermais les yeux quelques secondes en inspirant profondément. Puis je me mis à tousser, parce qu'en fait, ça puait l'essence et les pots d'échappement. Je rejoignis rapidement la voiture, dans laquelle Rafael avait déjà entamé son petit déjeuner. En me voyant, il remit le contact, avant de démarrer après que je me sois installée.
- On va où ? demandais-je au bout de quelques minutes.
- Je ne sais pas. On roule, c'est tout. Tu voulais aller loin n'est-ce pas ?
J'hochais la tête, le fixai, avant de murmurer :
- Pourquoi t'es là Rafael ?
Il fronça les sourcils mais ne détacha pas son regard de la route. J'attendis quelques instants, mais il ne répondait toujours pas.
- Rafa...
- Je ne sais pas, me coupa-t-il alors que je le relançais.
C'était à mon tour de froncer les sourcils.
- Tu veux dire que... tu n'as aucune raison de m'avoir suivie ?
- Si, je dois en avoir une. Voire même plusieurs. Des raisons qui m'ont poussé à accepter la nuit où t'es venue me trouver. Mais j'ai l'impression qu'elles ne sont plus vraiment valables ce matin. C'est différent.
Je ne comprenais pas vraiment où il voulait en venir, mais je préférais ne pas accentuer son trouble, alors je me tus et allumai la radio. Je tombai sur une station d'informations. Je m'apprêtais à changer, lorsque Rafael posa sa main sur la mienne pour m'empêcher de le faire. Je fixai ses doigts qui s'enroulaient autour de ma main, lorsqu'une présentatrice annonça :
- Il semblerait que deux adolescents aient disparu cette nuit, dans la ville d'Hilo. Une jeune fille, Hayden Sherwood et un jeune homme, Rafael Kingston. Les enquêteurs supposent qu'ils ont disparu ensemble, puisqu'ils fréquentaient le même lycée. Pour l'instant, il n'y a pas eu de demande de rançon, et la police est à la recherche des parents du jeune homme. La famille Sherwood est quant à elle, dans l'inquiétude la plus profonde. Je laisse la parole à notre envoyé spécial, Ky O'Lee.
- Oui, je suis actuellement en présence des parents de la jeune fille qui a disparue. M. Sherwood, avez-vous un message à faire passer à ses éventuels ravisseurs ?
La voix de mon père résonna dans l'habitacle de la voiture.
- Oui... Sachez que nous sommes prêts à tout pour revoir notre fille, nous avons de quoi payer une rançon, à condition qu'elle soit saine et sauve...
- Un message pour votre fille ? continua le journaliste.
- Hayden, si tu entends ce message, s'il te plaît, fais-nous signe. Nous sommes morts d'inquiétude ta mère et moi... Je suis désolé, je t'aime fort. Nous t'aimons Hayden.
*****
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