Chapitre 7
Je reprends mes esprits et mon premier réflexe est d'ouvrir la bouche pour respirer à pleins poumons, pour tenter de me libérer de la panique qui rampe partout dans mes veines. Mais c'est du liquide qui passe par ma gorge et mon nez. J'ouvre les yeux, je ne vois rien, des bulles, de l'eau, une lumière bleue, je vais étouffer.
Mais je ne m'étouffe pas.
Ce n'est pas possible.
L'eau glisse dans mes narines et se déverse dans mes poumons, cette sensation est insupportable, quelque chose s'introduit à l'intérieur de moi, ça me donne envie de cracher, de le retirer avec les doigts. Je veux ramener mes bras contre moi, dans un semblant de sécurité mais ils sont attachés, mes pieds aussi, j'ai beau tirer comme un forcené, ça ne cède pas.
Je manque d'air, oui, forcément, il n'y a pas d'air, je suis sous l'eau, je vais me noyer. Pourquoi je ne me noie pas.
La terreur. Je n'entends, je ne vois, je ne sens plus rien d'autre que de la terreur. J'ai envie de vomir. Je crois que je vais m'évanouir.
Ça recommence. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, à me réveiller dans l'eau. J'essaye de rester calme mais je ne peux toujours pas respirer et je ne comprends toujours pas pourquoi je suis encore en vie. Ma vue est brouillée par les bulles qui sortent de mon nez. Je recrache donc de l'oxygène... Je veux toucher mon visage et mon cou mais... Ah oui, j'ai les mains attachées. Je ferme les yeux, en restant conscient cette fois-ci, pour essayer de me souvenir de quelque chose. Que s'est-il passé ? Une sensation désagréable dans mon bras, comme un corps étranger le long de mes os, m'empêche de continuer mon introspection. Mes doigts sont moins rigides qu'avant, je ne sais pas l'expliquer, il y a comme une articulation supplémentaire. Mais qu'est ce qu'on m'a fait ? Et puis soudain, son visage m'apparaît. Est-ce qu'elle est saine et sauve ? Je n'ai pas pensé une seule seconde qu'ils puissent l'associer à moi. Est ce qu'ils l'ont attrapée et lui font subir la même torture ? Je suis vraiment un abruti, j'aurais dû réfléchir. L'eau dans mes poumons continue à me brûler, c'est à devenir fou. Est-ce qu'ils lui font du mal à elle aussi?
Ça, je ne le permettrai jamais.
Je revois ma mère étendue dans le salon, la tête éclatée par la batte du type qui s'est introduit chez nous pour prendre notre voiture. Il y avait eu l'annonce, et puis les gens s'étaient rués vers les porteurs. Mais pour rejoindre les porteurs et quitter la terre, il fallait un moyen de transport, les porteurs nous attendaient à des endroits bien spécifiques de la côte. Par chance nous avions une voiture pour nous y rendre. Mais tout le monde n'en disposait pas. Et aussitôt qu'il s'agit de sa survie, l'être humain devient un monstre.
Je n'ai pas su la protéger, j'avais trop peur, j'étais trop faible.
Je joue sur le câble qui ronge mon poignet. C'est du solide.
Mais elle, elle ne mourra pas. Je n'ai plus de rêve, en fait je n'ai plus rien. Elle, elle en a un. Alors elle va protéger son rêve et moi, je vais la protéger elle.
Je serre les dents et contracte mes poings, aussi fort que je peux, comme si je pouvais écraser les responsables de nos souffrances et nous en libérer. Je ne sais pas ce qu'ils m'ont fait mais je crois qu'ils vont déchanter. J'exerce une traction dans le sens du câble, d'abord assez faible, pour le détendre jusqu'à réussir à enrouler mon poing autour. Rien ne m'empêchera de sortir de là. Je ne suis plus faible. J'inspire toute l'eau possible et je crie en tirant sur le câble. Elle dirait "ce câble de merde". Ou ce "putain de câble".
Je crie et je tire. Encore. J'ai une sacrée force, c'est nouveau ça aussi. Je n'arrive pas à voir au delà de la capsule parce que le liquide dans lequel je flotte trouble ma vue, mais je distingue quand même des ombres qui semblent se mettre à courir autour de moi. J'ai envie de rire. J'espère qu'ils ont peur, je ne sais pas ce que je suis, mais je le leur dois. Ne bougez pas, j'arrive pour vous remercier.
Le lien vient de céder.
🔲
J'ai les yeux grands ouverts. Ça fait une semaine qu'ils ont enfermé José. Je me retourne dans mon lit et tire les couvertures sur moi. Je n'ai pas la moindre information.
J'ai essayé pourtant.
Je suis retournée là-bas pendant trois jours d'affilée, trois jours où je n'ai pas été en cours mais visiblement tout le monde s'en tape. À la Détention, ils m'ont bien fait comprendre que si je continuais comme ça, ils me passeraient de l'autre côté. J'ai hésité, à la dernière tentative, j'ai vraiment hésité, au moins je serais avec lui, je saurais ce qu'ils lui font, où ils le gardent. S'ils le gardaient bel et bien quelque part.Victoire m'a accompagnée à chaque fois. Je crois qu'elle a senti que j'allais faire une connerie pour me faire attraper. La vérité c'est que je ne sais même pas si j'en aurais eu le courage.
Je suis enfermée dans ce corps de trouillarde, non, pire, dans cet esprit de trouillarde. Je devrais me lever, maintenant, au beau milieu de la nuit, et aller le chercher de force.
Je projette cette image dans ma tête, moi arrivant dans le couloir des Détenus en hurlant comme une sauvage pour passer de force et me déchaîner comme une furie.
Je tremble. Je m'enfonce un peu plus dans l'oreiller.
Et si j'allais chercher Victoire ?
Je ne sais pas où est sa chambre.
Quelle heure est-il ?
Les insomnies me rendent folle, celle-ci est particulièrement difficile. Le temps semble s'écouler au ralenti, visqueux. J'ai du mal à contenir la crise d'angoisse qui me guette. Ses mains invisibles autour de mon cou resserrent leur prise, lentement, pour me priver d'air, j'ai aussi l'impression qu'on s'asseoit sur ma poitrine pour l'écraser, devenant plus lourde à soulever à chaque respiration.
Je me redresse en sursaut. Est-ce que je vais rester comme ça encore longtemps ? À avoir peur de bouger ?
À avoir peur de vivre ?
Pantelante, je jette encore un coup d'oeil au matelas de José, puis sur l'horloge digitale posée sur le rebord du lavabo. Mon coeur continue à s'emballer, je regarde les secondes qui passent, qui passent et qui passent. Encore et encore. Ça fait combien de secondes une semaine ?
Beaucoup trop.
J'ai la tête qui tourne mais j'arrive à enfiler un de mes t-shirt noir, nous n'en avons que de deux sortes de toute façon, noir ou blanc, en me disant que le noir sera plus discret et un de mes pantalons de jogging, couleur unique, gris. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je n'en ai absolument pas la moindre idée.
Si j'étais une fille intelligente, et courageuse, ça fait longtemps que j'aurais réfléchi à un plan, et longtemps que je l'aurais mis à exécution.
Mais je ne suis ni l'une ni l'autre. J'attache mes cheveux en queue de cheval haute et me jette un dernier regard dans la glace.
Un premier regard en fait, ça faisait longtemps qu'on ne s'était plus regardées de façon aussi directe, ma honte d'être en vie et moi.
Je sais que si j'attends, cet accès de témérité va s'évaporer.
Dans un monde parfait, je prendrais le temps de réfléchir mais je n'ai pas ce luxe, je dois faire avec ce que je suis.
Je m'enfonce dans mes rangers et les lasse avec toute l'énergie qu'il me reste, c'est à dire les mains moites et tremblantes. Je ferme la porte derrière moi, dans un léger clic qui me semble raisonner dans le couloir. J'ai le vertige quand je pense à ce que je suis en train de faire, alors j'essaye de ne pas y penser.
Lorsque je descends les escaliers, j'ai l'impression que l'oeil des caméras me suit, qu'on me met en joue, comme une biche sans défense au milieu d'une plaine exposée. Arrivée en bas, je pousse sur la porte et me retrouve dehors, sous les étoiles.
La zone des Détenus se trouve dans les sous-sol du bâtiment A1. Il faut juste que je traverse la place, que je descende la volée d'escaliers et que je longe les grands bâtiments du Conseil. Ensuite je n'ai plus qu'à me rendre au sous-sol. C'est simple.
J'ai froid alors que je ne devrais pas. La base est maintenue à 19°C. Pourtant, de la chaire de poule recouvre mes bras.
Je recommence : je traverse la place et je descends aux sous-sol du bâtiment A1. Ma respiration s'accélère. Je vais me faire attraper c'est évident, et ils vont me garder là-bas, ça aussi, c'est évident. Comment est ce que je vais retrouver ma soeur après ça ?
Non.
Je dois commencer par là. Si je m'efface maintenant, je ne sauverais jamais personne.
J'ai l'impression que mes poumons ne sont pas assez volumineux pour prendre tout l'air dont j'ai besoin, ma poitrine se soulève et s'abaisse beaucoup trop rapidement.
Tant pis.
Je recule la jambe gauche, prends appui sur la droite et m'élance à pleine vitesse.
Voilà le plan débile : je ne m'arrête pas avant d'avoir trouvé José.
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