Chapitre 3
Je me lève à la manière d'un automate. Il y a comme deux moi, celle qui est terrorisée et qui refuse d'avancer et l'autre qui hurle à la première de se bouger, qui la secoue dans tous les sens en espérant une réaction.
- Tout va bien, ça ne vient pas d'ici.
Ben tend la main vers moi et son contact me fait l'effet d'une gifle. Non ça ne va pas, ça vient de péter quelque part, quel gros abruti. Je slalome entre les fauteuils de consultation et présente mon badge devant la porte du bloc qui s'ouvre sur des médecins en train de courir, enfin des apprentis médecins pour la plupart. Ils ne font pas attention à moi et je sens la panique me gagner, j'ai peur, très peur des mouvements de foule.
Je me jette pourtant dans la masse, mes mains transpirent dans mes gants. J'identifie Victoire à ses cheveux blonds bouclés, quelques pas devant moi avec un sac à dos d'urgence dans lequel on range le matériel de première nécessité. Je ne la connais pas bien, nous travaillons juste ensemble mais je m'arrange pour la bousculer d'un coup d'épaule. Elle me reconnaît et m'attrape le poignet pour me tirer à sa suite.
- Où est-ce que ça a pété ?
Mais dans la cohue, elle ne m'entends pas, elle fonce tête baissée alors je serre sa main.
- Victoire ! D'où ça vient ?
- J'en sais rien, je suis le mouvement ! J'ai juste entendu l'alerte !
Un mauvais pressentiment me noue la gorge. Je me sens étouffée, avec le coeur au bord des lèvres. Ce qui est cruellement comique, c'est que je passe mes journées à me plaindre, à pleurer sur mon sort, à me répéter que j'ai tout perdu alors que c'est faux.
Parce que maintenant, j'ai peut être tout perdu.
La vie est douée pour ça, nous remettre en place.
- Ça vient du hangar ! Hurle un type sur la balustrade en verre au-dessus du Grand Hall.
Non, s'il vous plaît.
Pas le hangar.
Nous arrivons au niveau des couloirs vitrés et effectivement, d'épais nuages de fumée s'échappent du bâtiment central. Je ne sais pas ce qu'il s'y passe, José non plus d'ailleurs, il s'occupe seulement des chaudières qui alimentent Dieu sait quoi. C'est impressionnant de voir cette cheminée noire s'élever et venir s'écraser contre la bulle. À ce rythme là, une bonne partie de notre oxygène va y passer. Je ne vois personne sortir du bâtiment en feu et ça me noue l'estomac. Un médecin me bouscule en criant.
-Écartez-vous !
Les gens affluent de toute part à présent, je vais bientôt me retrouver bloquée dans la foule si je ne réagis pas. Alors je lâche Victoire et emboîte le pas de l'inconnu pour rester dans son sillage.
Des types commencent à sortir, ils sont couverts de débris et crachent leurs poumons. J'accélère pour me rapprocher. Il y a déjà les pompiers sur place, ils ne sont pas beaucoup, je ne sais même pas si on peut appeler ça des pompiers, ils font plutôt le sale boulot dès qu'il y a un problème. J'ai une blouse alors ils me laissent passer sans broncher. L'un d'eux me crie quelque chose. Ça me donne une sensation de déjà vu, quand l'humanité toute entière se massait aux quatre coins du monde pour rejoindre les embarcations censées sauver ceux qui n'étaient pas déjà morts, avec moi au milieu, aussi insignifiante qu'un grain de poussière, perdue, seule, ballottée.
Il faut que je reste calme, je ne suis plus là-bas, c'est derrière moi.
Je ne comprends pas, le hangar est immense, il devrait y avoir beaucoup plus de gens qui en sortent. Quelque chose ne va pas.
Un type par terre est en train d'être mis sur une civière, mais il a les cheveux noirs. L'autre là-bas est beaucoup trop petit pour être José. Je continue à avancer vers le bâtiment, je crois qu'on m'interpelle mais je ne m'arrête pas. Où est ce crétin.
Je ne peux pas aller plus loin, la chaleur des flammes me brûle la peau. Je me protège le visage d'une main et recule pour continuer à longer la zone sinistrée. En fait, il n'y a que le couloir de maintenance qui est en feu, le reste n'a pas l'air d'avoir bougé. Un homme m'agrippe le bras, sa main est carbonisée et son ventre a l'air de saigner sous sa combinaison.
- Aidez-moi.
Et merde. Il se laisse glisser contre moi à bout de force mais je suis trop menue pour le soutenir, il s'écroule par terre, manquant de m'entraîner à sa suite. Je ne sais pas quoi faire. Est-ce que je suis censée faire quelque chose ? Il faut que je trouve José, ce type doit attendre. Je regarde son abdomen, je ne sais même pas dire à quel point c'est grave. Il pleure en appuyant sur son flanc. Je suis désolée, je ne peux pas vous aider, je dois retrouver José, vous comprenez ? J'ai envie de lui dire ça. J'ai envie de m'excuser mais rien ne sort. Les colonnes d'eau commencent à lécher les flammes.
- Comprime la plaie ! Allez appuie !
Victoire a du me suivre, elle s'accroupit à côté de moi.
- Il y a ton pote là-bas. Il va bien.
Je me relève instinctivement.
- Reste ici pour m'aider ! T'es médecin ! Bec, reste avec moi !
Je ne suis rien du tout et je l'emmerde. Une part de moi me dégoûte instantanément, et je suis sûre que ça va me hanter d'avoir laissé ce mec dans son sang. Pourtant, je cours vers l'attroupement. Un grand blond, un grand blond, un grand blond.
Un grand blond.
José.
Je ne sais pas combien de personnes je bouscule sur mon passage, je m'en fiche.
Je me jette sur lui et m'écrase contre sa poitrine. Et je serre. De toute mes forces.
- Bec !
Il passe ses bras autour de moi et appuie son menton sur le haut de mon crâne. Je crois que je pourrais rester comme ça indéfiniment, parce que j'aimerais que le temps s'arrête, pour ne plus jamais avoir peur, ou mal, et parce que j'ai honte de ce que je suis en train de faire. Quel crétin.
Je finis quand même par reculer pour vérifier qu'il n'a rien. Il est salement arrangé, maintenant je pourrais dire "voilà comment José s'est cramé la moitié de la gueule". Ça va lui laisser une vilaine cicatrice. Je m'apprête à lui sortir une connerie, qu'il faut le soigner histoire qu'il ne devienne pas plus moche qu'il ne l'est déjà mais il se penche près de mon oreille avant que j'ai pu dire quoi que ce soit.
- J'ai vu ce qu'ils font dans le hangar.
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