L3G tome 2 - Prologue (partie 2)
Au sommet de la dune, Darius observait le village en contre-bas. Il maugréa : pourquoi l'avait-on dépêché d'éliminer la résistance grandissante de ce pauvre bourg de maures ? Il n'y avait aucune trace d'armée, aucune richesse. Les hommes qui constituaient le village troglodytique étaient bien trop rachitiques, assoiffés et affamés pour porter quelque arme que ce fût. Les femmes étaient trop maigres pour allaiter leurs enfants, si elles ne succombaient pas à la parturition. Les petits, eux, subissaient aisément la morsure redoutable des reptiles et des arachnides venimeux qui se camouflaient dans le sable, ou finissaient dévorés par les félins anthropophages qui sévissaient partout dans le désert. Pourtant, Milien avait exigé que toute l'armée de Massalia se rassemblât afin de détruire intégralement les maures éparpillés parmi les dunes de sable.
Que craignait-il donc ? Tous les villages que l'armée de Darius avait incendiés depuis plus d'une semaine maintenant ne représentaient aucune menace et étaient éloignés des grandes villes, reclus loin au cœur de la satrapie du Désert des Pèlerins ou sur la frontière avec la satrapie de Massalia. Ce village-ci était encore plus petit et éloigné de tout. La plus proche source d'eau potable était à plus de deux lieues à l'ouest. Oasis et autres sources de végétation avaient totalement déserté cet endroit et ses environs. Pour Darius, cela relevait du miracle que ce village-ci fût encore debout et peuplé. Si ce n'étaient la faim, la soif ou la maladie qui les décimaient, alors la faune s'en chargeait assurément en se repaissant de toutes ces chairs malingres.
« Sois prudent, là-bas ! avait dit Milien. Au cœur des dunes, des dangers qui dépassent la conscience de l'homme règnent. Ne fais rien d'inconsidéré et détruis sans attendre tous ces maures et leurs habitations, sans exception. Qu'il ne subsiste d'eux pas la moindre trace. Je ne veux aucun survivant ! Les oracles d'Héméros nous ouvrent la voie vers la paix éternelle. »
Darius s'y tiendrait, assurément, non seulement par fidélité à son rang et à son satrape, mais surtout par amour pour ce dernier.
— Attaquons-nous dès lors, commandant, ou attendons-nous l'aube ? fit son bras droit en arrivant à ses côtés.
Le karana observa attentivement les multiples torches qui éclairaient le village. Quelques maures étaient encore dehors et s'affairaient à plusieurs tâches sans importance aucune. Les enfants étaient sûrement couchés tandis que les femmes s'occupaient de débarrasser leurs abris de roche sédimentaire du sable, des araignées et des serpents à coups de balai en roseau.
Darius réfléchit : les ténèbres avaient pris possession du jour voilà deux heures. Les nuits se faisaient plus longues en cette période et le froid assassin menaçait de se soulever à chaque instant.
— Nul besoin de plus de lumière, décida-t-il. Préparez les troupes. Tuez-les tous. Vous pouvez violer les femmes et piller les demeures si le cœur vous en dit, mais n'oubliez pas de tout brûler et de tout annihiler, autant les corps que les habitats. Plus vite nous en aurons fini ici, plus vite nous pourrons rentrer à la ville la plus proche. Je ne veux pas passer la nuit entière en plein cœur du désert.
— Merci, karana ! Les hommes vous en sauront gré. Et pour le temple ?
Darius plissa les yeux et observa plus attentivement cet édifice en pierre, en bois et en paille. C'était le plus grand et le plus richement bâti, la seule marque d'intérêt dans ce village, à l'image des temples anciens, à ceci près que les métopes comme les triglyphes et la frise n'étaient pas figurés et que le fronton triangulaire archaïquement taillé ne portait aucune représentation. Darius ne voyait donc guère à quelle déité le temple était dédié.
— Ce n'est sûrement que le sanctuaire d'un dieu indigène et païen qui doit également servir d'abri. Si c'est avéré, détruisons-le en dernier : ils se rassembleront tous en un même lieu, il nous suffira alors de les brûler vif à l'intérieur avant que les fondations ne s'écroulent sur leurs cadavres.
— Oui, karana !
Le soldat partit avec entrain enhardir les troupes.
— Rassemblement ! cria-t-il.
Les guerriers délaissèrent leurs vivres et gourdes d'eau, passèrent leurs armures et lestèrent leurs ceintures de leurs épées.
— Nulle pitié ! Violez les femmes, tuez les hommes et les enfants ! Pillez les demeures ! Tuez-les tous et brûlez tout ! Pour la gloire de Darius !
— Pour la gloire de Darius !
Descendant de la dune à pied, les soldats hurlèrent et pénétrèrent dans le village. Les premiers corps tombèrent aussitôt dans des giclées de sang. Déjà les demeures furent incendiées par les torches disséminées dans le village – une aubaine pour les conquérants.
Darius observa calmement, le sourire aux lèvres, le carnage qui se théâtralisait. Il entendait les cris de terreur des hommes qui tombaient, les hurlements des femmes qui fuyaient, les enfants terrorisés et en larmes sous leurs bras. Nul ne survivrait, c'était évident : l'armée de Darius était composée d'un nombre d'hommes sans aucune pitié au moins quarante fois plus important que la population totale du village.
Désireux de participer lui aussi à ce carnage, il dégaina son épée et descendit. Pénétrant dans le village, il plongea sa lame dans la poitrine du premier homme qu'il vit, se délectant de cette nouvelle vie qu'il arrachait. Plusieurs étaient encore vivants, à terre, tenant entre leurs mains leurs boyaux, le sang pissant abondamment entre leurs doigts.
— Hérétiques ! Traîtres à Cambyse ! Vous ne méritez pas de vivre !
Il ne dénombra très vite plus le nombre de têtes et de cous qu'il trancha ou de cœurs qu'il transperça.
Une à une, les demeures s'écroulèrent. Les cendres mêlées au sable volèrent au gré du vent désertique qui s'était mis à souffler. Darius aimait l'exhalaison du sang et du brûlé : elle lui rappelait ses nombreux exploits contre les pirates et autres scélérats.
— Laissez-moi une femme, les gars ! héla-t-il en gloussant perversement.
Il remarqua alors que les survivants – hommes, femmes comme enfants – se précipitaient effectivement à l'intérieur du temple pour s'y réfugier, les portes grandes ouvertes. Plusieurs n'y réussirent pas, fauchés par les flèches des archers de Darius.
Alors le silence s'imposa.
— Au temple, les gars ! gloussa le karana.
C'est trop facile !
Darius s'en approcha à son tour, se mêlant aux hommes, et se retrouva devant les portes qui venaient de se refermer lourdement.
Le karana chercha les signes ostentatoires d'une déité sur la surface du temple qu'il pouvait connaître et qui faisait partie du panthéon qu'il adorait ; mais il n'y avait que cet étrange symbole ovoïde, semblable à un œuf, gravé dans la pierre taillée juste au-dessus des portes.
— Vous n'avez aucune chance de sortir de tout ceci vivants, païens ! éructa-t-il. Je ne ferai montre d'aucune clémence à votre égard. Vous n'êtes que des traîtres !
— Pour la gloire du Grand Roi !poussèrent à l'unisson les soldats.
Darius s'apprêta à ordonner à ses hommes de détruire le temple, lorsque les portes s'ouvrirent derechef. Une étrange froideur se libéra de l'ouverture et glaça le sang des hommes les plus proches, dont Darius. Ce ne fut qu'un vieillard valétudinaire qui en émergea, simplement vêtu d'une tunique qui ne couvrait que son ventre et ses jambes fripées, tenue à l'épaule par une fibule rouillée. Sa longue barbe grise et ses yeux blancs, dépourvus de pupille, ne firent aucun secret de son identité : Darius devina qu'il s'agissait du prêtre, sans nul doute aveugle, de ce temple.
Il s'avança vers l'armée à l'aide de sa canne.
— Vieil homme, voici l'heure de ta mort. Bientôt, tu rejoindras ton dieu, quel qu'il soit ! cracha Darius.
Les hommes ricanèrent derrière lui.
L'ancien étira un sourire, dévoilant ses gencives édentées.
— Ce n'est là que l'húbris de l'homme qui s'exprime dans ta bouche, petit. Tu ne peux tuer ceux qui sont innocents ! Car notre dieu, Samaël, nous protège en sa demeure.
— Samaël ?
Darius haussa les sourcils. S'il se souvenait bien, c'était le nom du créateur de l'Érèbe selon la légende, l'antique puissance néfaste qui dévorait les âmes des hommes et qui régissait les Démons vaincus huit décennies jadis. Un mortel, certainement pas un dieu exalté.
— Ton « dieu » ne pourra te protéger, vieillard ! répondit Darius en serrant la fusée de son épée poisseuse de sang. Bientôt, tu pourras lui baisoter les pieds.
— Non, petit mortel. Bientôt, toi et les tiens succomberont au baiser de l'Érèbe.
— Tuez ce chien galeux et tous ceux qui sont dans ce putain de temple !
Avant que les hommes pussent s'avancer, l'ancien dévoila une relique noire ovoïde, aussi grosse qu'un cœur humain, qu'il tenait dans son autre main. Les vapeurs éthérées et noirâtres commencèrent à s'en échapper. Un frisson douloureux parcourut chaque soldat qui s'était porté en avant, ainsi que Darius. Puis ce fut un cri d'effroi qui vint de la gorge de ce dernier lorsque la cécité le frappa.
Darius entendit ses hommes hurler de douleur. Il lâcha son épée et chut sur les genoux, les mains à ses tempes battantes.
Lorsque les ténèbres serpentines se dissipèrent, lorsque la vue lui revint, il regarda derrière lui et hoqueta aussitôt de terreur : tous ses hommes avaient été tués, leurs chairs rabougries tel de vieux fruits secs incapables de remplir leurs armures.
Et le sang, partout...
Le vieillard s'avança vers Darius et lui présenta la relique.
— Voici l'instrument qui scellera dans les ténèbres les hérétiques qui cherchent à nous annihiler. Bientôt, le Temps de l'Érèbe viendra, et avec lui le nouveau règne de Notre Père Samaël.
Darius voulut parler, mais ses cordes vocales furent paralysées par la Magie noire à l'œuvre.
— Je te laisse en vie, karana d'une armée qui n'est plus, afin que tu relates les événements qui se sont déroulés ici, fit l'ancien. Dis à ton roi et ses satrapes que bientôt Arkemn'ul sera libéré du fléau qu'ils représentent. Dis-leur que leurs croyances subiront la vindicte de ceux qui furent injustement bannis.
» Dis-leur qu'ils succomberont, tous autant qu'ils sont, au pouvoir du Cœur de la Bête désenchaînée.
» Dis-leur que les Héritiers de Samaël reprendront dans un avenir proche leur dû.
» Dis-leur que bientôt s'achèvera l'Avènement du Seigneur Noir !
Fin du prologue
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