Chapitre premier (partie III)
Chaque fois que Chilpéric regardait Phœbus, il ne pouvait s'empêcher de repenser à leur première rencontre, leur toute première péripétie.
— Êtes-vous prêt, sir Chilpéric ? s'enquit Phœbus.
Il lui tendit un pendentif – un aigle accroché à une branche en or –, symbole de la famille Abzal, dont le Chevalier Blanc se saisit. Celui-ci traça un cercle au niveau de son cœur avec son index, puis écarta les doigts comme pour tracer les rayons du soleil – sa prière aux dieux – et posa finalement un baiser sur le pendentif.
— Souhaite-moi bonne chance, Phœbus.
— Vous n'en avez pas besoin. Vous êtes le meilleur épéiste de tout le royaume que je connaisse. Bon, vous n'avez guère le droit d'user de la Magie, mais votre expertise à la lame suffira amplement. Faites juste attention à son coup droit : il est puissant. J'ai vu sir Laknol briser plus d'une mâchoire !
— Je te remercie. (Il souffla.) Bien, le temps de ma victoire est venu !
Phœbus, tout sourire, lui mit son casque et laissa son Chevalier s'élancer au combat. Il pria aussi les dieux du même geste de dévotion.
Chilpéric fut le premier à donner un coup d'épée. Laknol le contra de son bouclier et assena sa lame sur son adversaire. Chilpéric se protégea de l'attaque et passa aussi à l'offensive.
Les coups plurent durant de longues minutes. Aucun des deux Chevaliers n'était prêt à abandonner. Plusieurs fois, Chilpéric faillit succomber à la suite d'un coup monstrueux, mais il en fut de même pour sir Laknol.
Un estoc, plus puissant que les autres, frappa sous le heaume de Chilpéric, le décrocha d'un coup et le traîna dans le sable. Chilpéric cracha le sang formé dans sa bouche. Laknol s'approcha, s'apprêta à l'étourdir du pommeau de son épée, mais Chilpéric roula sur le côté au dernier moment et frappa de toutes ses forces, avec le plat de la lame, le genou du Chevalier adverse. Un horrible craquement se fit entendre et le cri de douleur de Laknol se propagea. Dans le public, placé tout autour de l'aire, on scanda de bonheur devant le retournement de situation. Chilpéric s'était déjà pleinement redressé, tandis que Laknol était tombé à terre, incapable d'appuyer sur sa jambe. Le Chevalier Blanc s'apprêta à l'assommer également pour que le corniste, d'un long souffle, lui allouât le triomphe, mais Laknol fut plus vif que prévu, ramassa une pierre à portée de main et la cogna brutalement sur la tempe de Chilpéric en se redressant furtivement. Ce dernier ne comprit guère immédiatement ce qui s'était passé, mais sa vision se brouilla et il se perdit dans le noir.
Le corps inerte de Chilpéric, la tête ensanglantée, tomba dans le sable, et on sonna la fin du combat !
Phœbus courut à toutes jambes vers son mentor. La foule s'était tue, inquiète pour la vie de l'un de ses Chevaliers préférés. L'écuyer se pencha et sentit le doux souffle de Chilpéric contre son oreille.
— Il est vivant ! s'écria Phœbus en levant les bras, poings fermés.
Le public acclama alors l'heureux vainqueur du Tournoi des Chevaliers. La finale avait été intense, entre les deux meilleurs épéistes du royaume, mais le soldat de la Garde Royale en était sorti victorieux. Bientôt, les chants de son triomphe résonneraient dans la capitale et un festin serait organisé en son honneur.
Phœbus ne prêta guère attention au tohu-bohu, accaparé par le cas de son Chevalier. Il appela deux brancardiers pour le porter. Chilpéric fut placé sur une civière de toile et porté jusque dans ses appartements. Phœbus ne quitta pas le cortège et s'occupa personnellement de son Chevalier, expulsant gentiment les mestres venus le soigner.
Toujours évanoui, Chilpéric ne faisait aucun bruit. Phœbus le défit de son armure, le dénuda et le lava, puis le vêtit d'un simple sous-vêtement en laine blanche, le banda au niveau du crâne, mouilla son front et le couvrit dans son lit. Il porta un tabouret près du chevet de son Chevalier et prit son Grimoire – un gros ouvrage en cuir sur la commode contenant des formules de Magie en ancien langage. C'était le fruit du labeur d'un colloque des plus grands Mages des six continents, recopiés mot pour mot, sans modification, à de nombreuses reprises. Il était adressé aux maîtres et élèves de l'Académie, et d'autre part aux Chevaliers-Mages de la dynastie des rois Wulfoald d'Ishvard et leurs écuyers.
Il dut attendre pas moins de deux heures que Chilpéric revînt à lui. Le soleil était tombé et la fête allait battre à tout rompre ce soir.
Chilpéric ouvrit les yeux et mit quelque temps à comprendre où il se trouvait. Il tourna la tête vers Phœbus qui l'observait en silence.
— Phœbus...
Ce dernier mit une main sur son front et guetta une quelconque fièvre due au violent coup qu'il avait reçu à la tempe par-dessus le bandage. Le Chevalier grogna de douleur. Phœbus lui fit lentement boire la gourde qu'un mestre avait laissée, remplie d'une solution verdâtre et parfumée à l'eucalyptus. Chilpéric la vida d'une traite.
— Vous irez mieux dans quelques heures, affirma l'écuyer.
— Ai-je gagné ?
Phœbus rit, entraînant Chilpéric.
— C'était un beau combat, sir.
— J'ai connu mieux.
Chilpéric se redressa sur son lit et souffla en grimaçant. Sa tête résonnait comme un tambour.
— J'aurais dû faire plus attention... Si j'avais vu la pierre au niveau de sa main, je ne me serais pas fait avoir si facilement.
— Personnellement, je trouve que c'était un peu déloyal.
— Il n'y a aucune règle qui interdit de s'aider de ce qui nous tombe sous la main. Il est juste prohibé de tuer et d'user de la Magie. D'ailleurs, où en es-tu ?
— J'étudie, mais il y a certaines formules que je ne comprends pas. Je saisis le sens du Mot, mais je ne sais pas comment en tirer son pouvoir.
— Tu es l'un des futurs Chevaliers-Mages les plus puissants que je connaisse. Je suis sûr que tu trouveras. (Il s'étira, grimaça une fois encore lorsqu'un éclair de douleur lui vrilla le crâne.) Mais pour le moment, allons faire la fête ! J'ai besoin de vin, et toi de t'amuser avec les autres écuyers. Tu as très bien travaillé, aujourd'hui. Je suis fier de toi.
— Et moi de vous. Allez, il est temps de nous préparer.
Les deux hommes se regardèrent dans le fond des yeux un premier instant, fusionnels par un sentiment plus puissant qu'une simple relation mentor-élève.
Puis, Phœbus leva Chilpéric et apporta une tunique propre que le Chevalier vêtit. Il mit ensuite une armure grise, comme le voulait la tradition, mais plus légère afin de le laisser profiter pleinement de la soirée et de ses mouvements. Phœbus, lui, mit une tunique plus bourgeoise d'un bleu céruléen, décorée de fils dorés.
Puis, ils descendirent et rejoignirent le banquet.
(suite du chapitre en suivant...)
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