Chapitre 4 (partie III - Humains)

Deux jours se succédèrent dans mon errance au cœur des plaines, vallées et forêts d'Ishvard. Je ne m'arrêtai que pour dormir, car peut-être était-on à ma recherche. Mais le troisième jour, sans nourriture et sans eau, les pages de mon livre déjà consumées pour les feux des veilles, seulement muni du petit couteau que j'avais pris dans la rigide main de Guillaume, j'étais incapable de chasser. Je tombai alors de fatigue, sentis la boue coller mon visage. Le monde m'échappa.

Lorsque j'émergeai de mon profond sommeil, je ne sus dire où je me trouvais. J'étais couché sous deux couvertures chaudes, le front brûlant. Je transpirais à grosses gouttes, j'étouffais ; mais dans cette chaleur, je me sentis protégé, comme une abeille dans sa ruche auprès de ses consœurs et de sa reine. Je voulus bouger, mais je n'en fus pas capable, et je constatai alors que j'étais entièrement nu. Je tournai la tête, pour voir mes vêtements pliés sur une chaise, mon couteau posé dessus. Des pas résonnèrent alors, firent grincer les lattes de bois, de plus en plus forts, de plus en plus proches. Une vieille dame apparut dans l'encablure de la porte de la chambre.

Elle afficha un beau sourire sur un visage ridé mais rayonnant de par ses yeux bleus embrassés des rayons du soleil qui filtraient pas la fenêtre. De longs cheveux blancs cascadaient dans son dos. Vêtue d'une tunique en laine blanche, elle s'approcha de moi avec un plateau chargé d'un bol fumant et d'une cuiller, qu'elle posa sur la commode à côté du lit que j'occupais. Sans plus de cérémonie, elle me toucha le front, grimaça en le constatant si chaud. Je ne tentai pas de me dégager de cette marque d'affection, affection que je n'avais pas reçue depuis longtemps et qui me manquait plus que je ne souhaitais l'admettre.

— Tu es enfin réveillée ! Grâce en soit rendue aux Lumineux ! me dit-elle en étirant un grand sourire.

— Oui suis-je ? demandai-je d'une faible voix, plus faible encore que celle de ma bienfaitrice.

— Dans mon humble demeure, depuis trois jours maintenant, endormi, incapable de bouger, tremblant de froid comme une feuille, alors que ton corps est bouillant comme le feu d'un volcan. Tu souffres une vilaine fièvre que je peine à baisser. J'en suis désolée. Je ne sais de quelle maladie il s'agit...

Bien que je ne la connusse pas, cela me faisait également de la peine de la savoir si navrée pour moi. Je ne répondis pas, eus un semblant de regard vide, tandis que je grimaçais de douleur et d'exténuation.

— Tu devrais manger, m'invita ma dame. Je t'ai préparé un bouillon fait de légumes, d'herbes et de porc. Je priais que tu te réveilles. Il faut que tu reprennes des forces. Je peux t'aider si tu le souhaites.

Je me redressai difficilement, avec l'assistance de mon hôtesse. Dieux, j'étais bien incapable de faire le moindre geste. Je n'eus jamais aimé que l'on me soutînt ainsi, mais je conclus alors que je devais passer outre mes principes, juste cette fois.

Elle attrapa le bol, s'assit sur le lit, le posa sur ses genoux, trempa la cuiller dans la soupe et la porta à ma bouche, avec douceur, presque délicatesse. J'avalai doucement. Le goût était exquis, parfaitement chaud, ce qui me fit le plus grand bien. Je finis goulûment le repas et remerciai ma bienfaitrice comme tout homme se devait.

— Où m'avez-vous trouvé ? m'enquis-je, ne me souvenant pas où je m'étais sûrement évanoui.

— Autour d'un feu de camp étouffé dans la forêt voisine. Je venais y cueillir des champignons et des herbes aromatiques pour accompagner mes soupes, quand j'ai vu de la fumée. Je m'y suis dirigée et t'ai trouvé évanoui, grelottant et affreusement malade. Que faisais-tu ici ? Ton vêtement, que j'ai nettoyé, était maculé de sang, et les plaies sur ton visage...

Je préférai ne rien dire.

— Si tu ne veux pas rassasier ma curiosité, je le conçois. Cela ne regarde que toi, après tout. Il doit y avoir une bonne raison, et je le respecte. Je me nomme Catharina.

— Carloman, me présentai-je à mon tour.

— Enchantée de te connaître. Que la Lumière d'Héméros éclaire ton âme.

— Et que Sa Compassion vous accompagne.

— Reste ici le temps que la fièvre diminue. Je prendrai soin de toi jusqu'à ce que tu puisses marcher et manger seul.

— C'est trop vous demander, ma dame.

Catharina secoua la tête en riant.

— Que serais-je au regard des Lumineux si je rejetais un jeune homme valétudinaire dans la nature ? Cela me fait plaisir.

— Je vous remercie. Je suis votre obligé, désormais. Dès que je le pourrai, je vous rendrai la pareille, ma lady.

Catharina me remercia et me laissa dormir.

Les jours qui suivirent furent étranges et peuplés de ténèbres. Catharina m'expliqua tout une fois que j'eus repris conscience de la réalité.

Ma fièvre n'avait cessé d'augmenter, et Catharina ne parvenait toujours pas à l'altérer, malgré le nombre de fois où elle mouillait mon front et me faisait boire. À son grand damne, mon état ne s'améliorait pas. Elle me fit part qu'elle me croyait mourant, car je ne mangeais même plus. Malgré toute sa volonté, Catharina avait peur. Alors n'ayant d'autres solutions, elle fit appel à un guérisseur du village qu'elle connaissait de réputation.

Une heure plus tard, le vieil homme s'était présenté chez elle, dans une longue tunique blanche dissimulant son visage – dans mon état second, il m'avait fait l'effet de la Mort en personne. Catharina le conduisit à mon chevet. Il posa une main sur mon front ; il était plus brûlant que jamais ! Sans piper mot, il prit des plantes et un pilon dans son sac, puis un bol. Il écrasa les herbes et me les fit avaler de force. Si mes jours d'intense fièvre sont opaques, je me souviens précisément de l'atroce goût amer, de la texture que j'avalai à grand-peine, manquant m'étouffer. On me laissa de nouveau dormir, Catharina se morfondant dans le mutisme en m'observant.

— Je reviendrai demain, dit le guérisseur d'une voix inexpressive.

— De quel mal souffre-t-il ? lui demanda Catharina en quête de compréhension.

— Nous verrons demain. Au revoir.

Je le vis disparaître sans se retourner, alors que le dieu des Songes me rappelait à lui.

Effectivement, le lendemain, le guérisseur revint et toucha de nouveau mon front. Il constata que la fièvre avait disparu et me fit une nouvelle fois avaler des herbes pour prévenir toute rechute. Je me sentais bien mieux.

Je pris enfin la peine de m'adresser à lui de vive-voix.

— Qui êtes-vous ? Un chaman ?

J'en avais déjà croisé un par le passé, qui soignait les gens avec des herbes que personne ne connaissait, sous forme de mixture comestible, de pommade ou d'effluve.

— Je ne suis qu'un herboriste venu t'aider, me dit-il simplement.

— Où est dame Catharina ?

— Ici.

Elle vint s'asseoir à côté de moi sur le lit et me prit la main, qui n'était enfin plus moite.

— Sais-tu ce qui t'est arrivé, Carloman ? s'enquit l'herboriste.

— Comment connaissez-vous son nom ? le coupa aussitôt Catharina. Je ne vous l'ai pas dit !

— Peu importe, femme. (Il se focalisa entièrement sur moi, les yeux soudainement brillant de curiosité.) Tu t'es récemment découvert de nouvelles facultés, n'est-ce pas, mon garçon ?

— Comment le savez-vous ? répliquai-je surpris.

Personne ne savait, et ne devait savoir !

Le vieil homme soupira, presque de lassitude.

— La fièvre qui fut tienne provient de la naissance d'une nouvelle puissance ancienne que l'on nomme « Magie ». Un cadeau des dieux offert à une poignée d'humains dignes de la posséder. Tu es l'un d'entre eux, Carloman. Un incommensurable pouvoir grandit en toi. Tu dois apprendre à le maîtriser, ou il tuera. Toi ! mais également les autres.

— Comment ?

— Tu dois rejoindre Ashtard, la capitale. Là-bas vivent des hommes et des femmes capables de mêmes prodiges. Va sans tarder, et apprends à maîtriser ton pouvoir, Carloman, à leurs côtés.

— Je...

Le vieil homme se leva.

— Sois bien prudent, Carloman. La Magie peut devenir ta meilleure amie, comme ta pire ennemie. Méfie-toi toujours de sa dualité et ne la sous-estime jamais !

Et il partit, sans que je pusse le retenir.

Je restai un jour de plus alité, à me triturer l'esprit sur ce qu'était la « Magie ». Les paroles de l'herboriste résonnaient sans cesse en moi. Je me levai alors, complètement rétabli, et me vêtis de ma tunique que Catharina avait une nouvelle fois nettoyée.

— Je dois y aller, lui dis-je simplement.

— Et si ce n'étaient que des calembredaines ?

— Ce n'en sont pas.

Les deux rayons de lumière qui avaient jailli de mes paumes, tuant mes frères sur le coup, me furent aussi distinctifs que s'ils explosaient en cet instant. Je frissonnai de terreur et en convins d'une chose : je devais apprendre à maîtriser cette force, avant qu'elle ne tue de nouveau, indépendamment de ma volonté. Une telle tragédie ne devait jamais se reproduire !

— Je reviendrai vous voir, ma dame. Je vous le promets.

— Alors, prends des provisions. Le voyage jusqu'à la capitale est long et dangereux. Tu auras sûrement besoin d'un cheval. (Elle sortit un médaillon, une sorte de pièce en bronze, large comme sa paume, d'un pli de sa robe.) Avec cette pièce, tu pourras en acquérir un dans le village à proximité.

Je pris le médaillon, l'émotion me serrant la gorge. Elle avait été si amicale avec moi !

Nous fîmes mon sac et je sortis. Sur le pas de la porte, je serrai Catharina dans mes bras, manifestant mon affection de toutes mes forces.

— Merci pour tout.

— Sois prudent !

Je le promis et partis.

Catharina devait sûrement me regarder m'éloigner : elle savait pertinemment, tout comme moi, que jamais nous ne nous reverrions.


(suite du chapitre 4 en suivant...)

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