Chapitre 3 (partie IV - Humains)
Chilpéric suivit le valet du roi jusqu'au troisième étage de la tour de Ses Majestés. Le serviteur le quitta avant qu'il ne pénétrât dans l'entrée du balcon. Chilpéric se demandait ce que son roi lui voulait, mais avait une vague idée. Sans doute pour son nouveau statut de Lord de la Garde Continentale.
Il vit le roi accoudé sur la balustrade, contemplant l'horizon. Il était vêtu d'une longue robe bouffante et large dorée, tressée de fils argent et bronze. Une épée à la poignée sertie de pierres précieuses lestait sa ceinture.
Chilpéric s'arrêta avant de poser le pied sur le balcon. Le roi fit volte-face.
— Chilpéric, mon ami, approche ! l'enjoignit-il.
Le Chevalier s'avança et baisa, comme le voulait la coutume, la bague en or du roi à son annulaire droit.
— Votre Majesté. Que me vaut le plaisir de votre demande ?
— J'ai besoin que nous discutions à propos de ton nouveau rôle et des prochaines missions que cela va impliquer.
— Comme il vous plaira.
— Viens, marchons un peu.
Le roi posa une main sur son dos et l'entraîna avec lui.
Ils cheminèrent le long du balcon qui faisait tout le tour du troisième étage du Palais. On pouvait observer, à perte de vue, les contrées sauvages et inhabitées, la chaîne de montagnes lointaine, mais également quelques villages, des champs de pâturage, ainsi que l'immense cité de la capitale. Celle-ci était entourée d'un titanesque mur ovoïde de marbre gris, dont la fondation était encore empreinte de bien des mystères. D'aucuns prétendaient qu'il avait été construit par les dieux eux-mêmes, voilà bien des siècles. Mais depuis combien de temps la capitale d'Ishvard existait ? Pas un seul n'était à même de porter éclaircissement probant sur la question. En tout état de cause, le seul moyen pour un citoyen de la cité de voir au-delà de ce mur était de monter sur le balcon du roi, qui n'était bien réservé qu'à lui seul, sa famille et ses invités de prestige – comme Chilpéric en cet instant qui ne manqua guère profiter de cette incroyable vue.
— Ashtard ne cesse de grandir et de prospérer, mon ami, commença le roi en embrassant la capitale de son bras. Nous n'avons connu de temps de guerre depuis que je suis sur le trône, le sais-tu ?
— Oui, Sire. Je me souviens que ce fut votre père, Wulfoald II, qui combattit les dernières menaces qui planaient sur l'Humanité, quelque quatre-vingts ans auparavant.
— Oui, mon père nous a offert à tous une ère de paix et de sérénité. Je ne puis qu'en être ravi. Notre cité est riche, les villages sont fleurissants, les citoyens sont heureux et ne se révoltent pas...
Chilpéric ne fut guère dupe.
— Qu'y a-t-il, Mon Seigneur ? Vous semblez inquiet.
— Je ne puis rien te cacher, mon cher Lord, n'est-ce pas ?
Celui-ci sourit amicalement. Wulfoald III poussa un soupir.
— Nous avons reçu des nouvelles peu réconfortantes des terres les plus lointaines d'Ashtard. Nous n'avions connu telles barbaries depuis fort longtemps, mais il semblerait que les forces du Mal se soient de nouveau éveillées. La dernière fois que les Chevaliers-Mages ont dû aller combattre, c'était il y a quatre-vingts ans, avec mon père en tête de l'armée, lors de la Grande Guerre. Nombre de nos soldats ont été massacrés durant la longue bataille qui forge cet événement sans nul doute le plus important de l'Histoire, mais nous avons finalement réussi à enrayer les forces ténébreuses et à repousser le laquais du grand Empereur, ce dernier et ses sbires restant invisibles depuis lors.
» Chilpéric, il a été fait cas de plusieurs villages rasés et pillés. Des milliers de corps sans vie ont été retrouvés, du sang encore frais jonchant le sol. Un coursier est arrivé voilà deux jours avec ces nouvelles. L'on me demande de ratisser les campagnes pour éliminer les menaces. Je vais devoir envoyer la Garde Continentale en patrouille, et en tant que nouveau Lord, c'est toi qui commanderas.
— Selon votre volonté, Mon Seigneur. Je ne suis ici que pour vous servir. Quand devons-nous partir ?
— Là n'est pas encore la question, mon ami. La Garde Continentale restera à la capitale le temps d'une autre requête. Je veux que tu partes pour Grand-Port, à l'ouest d'ici, comme je te l'ai déjà demandé auparavant. Nous avons reçu de nouvelles plaintes de cette ville. Plusieurs corps ont été retrouvés sans vie, des maisons ont été brûlées. Nous ignorons s'il s'agit de l'acte d'un fou ou, dans la mesure d'une hypothèse la moins plaisante, d'un... Démon. J'en doute fortement, mais la missive de mon vavassal de Grand-Port demeurait incertaine quant à l'identité de la menace. Celui-ci s'est réfugié chez son suzerain. Je veux que tu partes d'ici deux jours pour cette ville portuaire et que tu y fasses ton enquête. Reviens le plus vite possible me faire ton rapport, et j'agirai en conséquence. Je refuse de prodiguer la force incontestable de mes précieux Chevaliers-Mages pour une barbare fumisterie. S'il ne s'agit que d'une rixe, de simples hommes venus des îles voisines en quête de richesse, avares du pillage et du viol, les armées de mes vassaux suffiront pour les éliminer, comme jadis.
— Ne pouvez-vous pas envoyer un autre soldat, Votre Majesté ? De nombreuses tâches m'attendent ici. Pardonnez-moi, mais je...
— Non, je veux que ce soit toi ! Tu es celui en qui j'ai le plus confiance. C'est une mission très importante, que je ne souhaite confier qu'au Lord de la Seconde Garde.
— Comme il vous plaira, Seigneur, fit Chilpéric en courbant le dos, poing sur le cœur.
Le roi le fit se redresser.
— Mais auparavant, demain sera la journée des célébrations. Sir Laknol et toi recevrez vos reliques en tant que Lord. Ensuite, tu partiras.
— Soit, Seigneur. Puis-je emmener mon écuyer ?
— Évidemment. Que serait un Chevalier-Mage sans son écuyer ? Comment se nomme-t-il, déjà, ce garçon ?
— Phœbus, Sire.
— Phœbus. Un nom pour le moins rare. « Radieux » en ancien langage, si je ne m'abuse ? (Le Chevalier opina du chef.) Cette fois-ci, Chilpéric, ne ramène pas un autre garçon de ferme de ton escapade, je te prie, le taquina amicalement Wulfoald III.
— Il n'en sera rien, Majesté. Phœbus est le meilleur écuyer que je puisse avoir, et je n'en désire aucun autre jusqu'à son adoubement. Il sera mon digne successeur.
Le roi vit dans les yeux de Chilpéric se refléter un amour incommensurable pour le garçon.
— Tu l'aimes comme un fils, n'est-ce pas ?
— Oui, Mon Seigneur. Cet enfant, je l'ai recueilli alors qu'il se mourrait dans le froid et la faim, seul et orphelin de famille et de patrie. Mais j'ai senti en lui un grand pouvoir qui dépasse l'entendement.
— N'as-tu jamais pensé à fonder une famille ? Tu pourrais adopter ce garçon. Et je sais que de forts sentiments portent ton cœur vers l'une de tes sœurs d'armes. Rien ne m'échappe !
La remarque arracha un sourire à Chilpéric.
— Bon nombre de mes frères et de mes sœurs d'armes pensent qu'il est inutile de fonder une famille tant que toute trace du Mal n'aura pas été effacée de ce monde. Nous savons tous que nous avons encore un long chemin à parcourir. Mais nous considérons que mourir à la guerre et ne pas prendre soin de notre famille, de ne pouvoir aimer et satisfaire notre époux ou notre épouse, de ne pas pouvoir chérir nos enfants, est faire outrage au sentiment si puissant qu'est l'amour, présent des dieux.
— Voilà de biens belles paroles, empreintes d'une philosophie inconnue des gens de ce royaume. Seuls les Chevaliers-Mages pensent ainsi, à n'en pas douter. Et bien que cela m'attriste, je vous comprends. Mais peut-être peux-tu au moins chérir ton écuyer, et pourquoi pas l'identifier comme ton fils légitime aux yeux de cet État ? Cette adoption n'est qu'une formalité que je serai ravi à consentir.
— J'y songerai, Majesté.
Wulfoald sembla satisfait.
— Bien, mon ami. Alors prépare-toi pour ta célébration et ta quête, et profite comme tu le peux de la vie qui t'est offerte.
— Je n'y manquerai pas, Mon Seigneur et Roi.
Chilpéric baisa une fois encore la bague du roi et s'en fut, sans remarquer le tendre sourire de Wulfoald le Serein. Tu réfléchiras bien évidemment à cette question, et tu adopteras Phœbus, j'en suis persuadé, mon brave Chevalier.
Celui-ci rejoignit son écuyer qui combattait toujours Carloman. Il observa sa grâce à l'épée et sentit son flux magique grandissant. Mais sous ce soleil, il vit également le fils qu'il n'aurait jamais. Le roi n'avait peut-être pas tort. Phœbus pourrait devenir son fils.
Mon fils... Cette pensée le fit rire et l'emplit malgré lui de bonheur. Je ne pourrais espérer meilleur fils que toi, Phœbus le Radieux.
Il mit fin au combat et appela Phœbus. Il ramassa sa lame à côté du Grimoire et lui proposa d'échanger des coups, duel que son écuyer accepta avec joie.
(suite du chapitre en suivant...)
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