Chapitre 3 (partie II - Humains)

Lorsque Phœbus pénétra dans la sienne, il vit – comme il s'y attendait – que son Chevalier n'avait toujours pas bougé, la tête sous les oreillers pour se cacher de la lumière du soleil. Phœbus vint au pied de son lit, bien décidé à le réveiller.

Il le secoua une première fois, mais n'obtint aucune réaction. Alors il prit l'une des cruches de vin de la veille, la remplit avec l'eau de la bassine prévue pour se nettoyer le visage, retira les coussins protecteurs et la vida sur la tête de Chilpéric.

Ce dernier hurla, réveillé d'un coup, et regarda autour de lui, complètement perdu et trempé jusqu'aux os.

— Phœbus ! Misérable ! Par les Couilles d'Artos !

— Désolé, sir, mais vous dormiez profondément et je n'arrivais pas à vous réveiller. J'ai cru que le vin avait réussi là où beaucoup de vos ennemis échouèrent naguère.

— Le vin ne me tuera jamais, jeune homme. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre !

— Je n'attends que votre enseignement, sir.

— Ouais..., bougonna l'homme de guerre. Quelle heure est-il ?

— Je l'ignore, mais le soleil est déjà bien haut dans le ciel. La soirée fut quelque peu agitée.

Chilpéric se leva et chancela dangereusement, le vin faisant encore effet. Phœbus le souleva sous le bras et l'amena jusqu'à la bassine, avant de glisser un fin filet d'eau sur son visage. Il lui donna une tenue neuve et propre et le Chevalier partit pour les Thermes afin de se décrasser comme son écuyer venait de le faire. Phœbus attendit trente minutes en lisant que son mentor revienne.

En entrant, Chilpéric le découvrit avec le Grimoire ouvert dans les mains, et dressa immédiatement l'emploi du temps de la journée. Chaque seconde serait profitable pour la formation de Phœbus, comme d'habitude. Le Chevalier se faisait un devoir de faire de son écuyer le plus grand guerrier que les terres d'Ishvard eussent jamais connu ! Et d'aucuns affirmaient que les entraînements du Chevalier Blanc étaient certes harassants, mais ô combien prolifiques !

— Nous allons travailler nos pouvoirs et notre Magie. J'ai deux trois nouveaux Mots à t'apprendre, et je pense que tu n'auras aucun mal à les assimiler. Puis, nous entraînerons nos bras à l'épée.

— Pensez-vous que je pourrai participer au Tournoi ?

— Laisse-moi encore quelques jours pour en décider, veux-tu ? Mais si cela peut te rassurer, je pense que tu le pourras.

Un fin sourire de satisfaction s'afficha sur le visage de Phœbus, qui fut plus que ravi et décidé à faire de son mieux en ce jour.

Le Chevalier-Mage et son écuyer descendirent dans la salle principale de la Tour des Chevaliers et se sustentèrent rapidement avec des fruits et de l'eau dans le Réfectoire, avant de sortir et de se diriger vers l'aire d'entraînement – un grand terrain sablonneux flanqué de cabanons de bois solides. Sir Aalongue et Carloman s'y entraînaient déjà à l'épée, ainsi que sir Cilien et un autre Garde Royal dont Phœbus ne se souvenait plus du nom. Chilpéric alla saluer les trois Chevaliers et l'écuyer en leur serrant les avant-bras et prit deux épées dans l'armurerie. Il soupesa le poids de celle de Phœbus et la lui tendit.

— Nous les utiliserons à la fin de la séance. Mets-la de côté pour le moment.

Phœbus obéit. Il avait pris avec lui le Grimoire qu'il donna à son mentor. Celui-ci l'ouvrit à une page précise, lut rapidement le contenu et referma l'ouvrage avant de le poser à côté de son épée au métal blanc.

— Bien, le premier sort est celui de la Lévitation. Je sais que tu as déjà expérimenté un pouvoir similaire avec celui de l'Attraction pour tirer quelqu'un vers toi, mais celui que tu vas apprendre consiste à soulever quelqu'un dans les airs et... à en faire ce que tu veux, pour ainsi dire. Tu pourras aussi bien le soulever que l'écraser sur le sol, ou le pousser, le tirer, l'envoyer à l'horizon aussi vivement qu'une catapulte – même si je pense que cela est irréalisable à ton niveau pour le moment. Te souviens-tu de comment tirer quelqu'un vers toi ?

— Oui, sir.

— Fort bien. Montre-moi sur ce mannequin de paille.

Il pointa l'un d'entre eux couché sur le sol, non loin de Carloman et de sir Aalongue échangeant toujours des coups d'estoc. Sir Cilien et son camarade venaient de quitter la cour pour se décrasser un peu avant de rejoindre la garnison des Portes ouest.

Phœbus se concentra, puisa en ses pouvoirs et se remémora le Mot. Au début de sa formation, l'écuyer, pour absorber le pouvoir d'une formulation, était dans l'obligation de la prononcer à voix haute ; mais avec le temps, il avait appris à ne plus en avoir besoin. Pourtant, il le fit afin de montrer à Chilpéric qu'il le maîtrisait parfaitement.

Il tendit un bras devant lui, regarda fixement le mannequin et dit d'une voix parfaitement audible :

Hélkô !

Une lueur entoura le mannequin et une force le souleva du sol avant de le tirer violemment. Il atterrit avec fracas aux pieds de Phœbus qui regarda, satisfait, son mentor. Ce dernier hocha la tête, également fier de son écuyer.

— Fort bien. La nouveauté que tu vas apprendre est un peu plus compliquée, mais repose sur le même principe que celui que tu viens d'exécuter. Le Mot est « kínêma », en ancien langage, qui signifie...

— « Mouvement », le coupa Phœbus.

Chilpéric acquiesça.

— Laisse le pouvoir du Mouvement devenir tien.

Évidemment, Phœbus le ferait.

Le Chevalier Blanc fixa le mannequin aux pieds de celui-ci et le transporta à sa place initiale à l'aide de ses dons, sans un seul geste ou son.

— Tu peux commencer par le dire à voix haute, si tu veux. Comme toutes les autres formules, avec le temps, cette formalité n'aura plus lieu d'être.

Pourtant, une flamme de défi brûla dans les yeux de Phœbus. Il savait, au plus profond de lui, qu'il n'avait pas besoin de divulguer la formule à voix haute. Comme son mentor, il fixa sans sourciller le mannequin et ne fit que penser au Mot, à son pouvoir, à ce qu'il voulait accomplir.

Kínêma.

Le mannequin luisit d'une aura orange, de la même couleur envoûtante que les iris de l'écuyer, et fut soulevé de terre, comme une plume par une tempête. Phœbus le fit bouger à sa guise, comme si le nouveau sortilège n'avait aucun secret pour lui. Il l'éleva plus haut dans les airs, le fit se mouvoir de droite à gauche, puis redescendre. Il s'offrit même le luxe de bouger les membres de paille, comme si le mannequin était devenu une marionnette tirée par des fils invisibles. Puis il le reposa délicatement.

Chilpéric applaudit, hautement satisfait de son écuyer.

— Formidable ! Et n'oublie pas : « La seule limite de la Magie est...

— ... notre imagination », compléta l'écuyer. « Soyez inventif, comme un enfant, et la Magie n'aura d'autres limites que l'impossible, bien que cela n'existe point », répéta Phœbus.

Il avait compris cet adage depuis qu'il avait commencé à pratiquer la Magie, peu de temps après sa rencontre avec Chilpéric et la première manifestation de ses pouvoirs, voilà deux ans maintenant. C'était l'une des philosophies de vie des Chevaliers-Mages.

— Entraîne-toi encore quelques minutes sur le mannequin, puis nous passerons à un autre exercice. J'ai une idée qui pourrait probablement te faire plaisir.

Phœbus obtempéra et pratiqua ce nouveau Mot pendant une dizaine de minutes. Chilpéric le regardait silencieusement. Il ne pouvait que contempler la puissance grandissante de son écuyer. Tu seras un grand Chevalier-Mage, Phœbus le Radieux. Le meilleur de tous, même plus que moi.

À son âge, Chilpéric ignorait même que la Magie existait. Il l'avait découverte la première fois lorsqu'il chassait dans la forêt un petit lapin. Cette activité était son nouveau passe-temps auquel il aimait s'adonner au moins trois fois par semaine. Peu de jours après que la belle Aline eut à jamais quitté sa vie, il ne trouvait plus de complaisance que dans le travail la journée durant, son cheval, Leukós, qui grandissait de jour en jour, et la chasse, qui lui permettait de demeurer seul, et d'oublier un tant soit peu la douleur de son cœur qui refusait de cicatriser. Bien sûr, il aimait la compagnie de sa mère et de son père, qui lui procurait du bonheur au quotidien, mais par moments, le futur Chevalier Blanc préférait la solitude, perdu dans le silence de la forêt, avec son arc et ses quelques flèches.

Très rarement, ceci dit.

Fin archer, aucune cible ne lui échappait. Pourtant, ce soir-là, il n'arrivait à rien. Il avait même raté une biche alors qu'il s'en était approché à moins de dix coudées. D'ordinaire, il réussissait à faucher un oiseau en plein vol dans l'orbite à plus de onze pas. Ses yeux étaient vifs comme ceux des veneurs aguerris, ses sens toujours aiguisés. Or, aucun de ses traits n'atteignait sa proie. Il avait laissé la frustration grandir et avait hurlé lorsqu'il avait une nouvelle fois raté son lapin. Puis, il avait senti quelque chose s'éveiller en lui et un éclair avait jailli du bout de ses doigts avant de frapper de plein fouet le lagomorphe, le grillant sur place. Chilpéric en était tombé à la renverse, le corps tremblant du flux de pouvoir le traversant. Il s'était senti plus vivant que jamais. Il n'avait pas compris ce qui lui arrivait et était alors parti trouver l'un des érudits non loin de sa ferme familiale. Le vieil homme, d'un âge que nul ne connaissait, l'avait fait entrer, lui avait servi un bouillon chaud et avait touché son front. Immédiatement, l'ancien, que l'on disait sorcier, avait tout saisi.

— N'aie crainte, fils Abzal, tu n'es pas malade, lui avait-il dit. Tu as expérimenté l'art très ancien et puissant de la Magie.

— La Magie ?

— C'est une force ancestrale, que d'aucuns interprètent comme cadeau des dieux offert aux hommes. Peu d'humains sont capables de pratiquer tel art ; c'est un présent inestimable qui t'est fait, fils Abzal.

— Est-ce dangereux ?

— Si les Mages, aussi bien en devenir qu'accomplis, n'apprennent pas à en maîtriser chaque subtilité, alors oui, c'est la chose la plus dangereuse en ce monde. Elle blessera les êtres à ta proximité, puis finira par te tuer. Si tu n'y fais pas attention, tu tueras des êtres qui te sont chers, fils Abzal. La folie d'un homme n'est rien comparée à la puissance de la Magie. Il est des choses en ce monde qu'on ne comprend pas, des choses que seuls les dieux sont à même de nous expliquer. Sois très prudent avec ces nouveaux dons, fils Abzal, où tu souffriras bien plus que tous.

Le jeune homme avait dégluti de peur.

— Comment puis-je apprendre à la maîtriser ? Je ne connais nul autre capable de l'utiliser. Pas même une heure avant, je ne connaissais son existence.

— Je t'apprendrai, fils Abzal. Mais les leçons seront difficiles, et tu devras t'entraîner souvent. Je crains que le seul travail à la ferme pour toi ne soit que passé, désormais. Viens me retrouver au crépuscule. Nous commencerons ta formation.

Le cri de Phœbus, alors qu'il envoyait le mannequin aussi haut qu'il le pouvait dans le ciel, le ramena brusquement à la réalité.

— Bien, Phœbus. Voyons un nouveau sort. J'ai eu l'idée de cet apprentissage voilà quelques jours. Ce n'est pas un sort qui, au premier abord, peut sembler puissant. Mais avec de l'imagination, il peut se révéler très lucratif et amusant !

La curiosité de Phœbus fut évidemment titillée. Il adorait la Magie plus que tout, n'avait jamais rien connu de plus fantastique que cette force divine.

— En un seul Mot : Leukós.

— « Blanc » ?

Chilpéric hocha la tête.

— Oui, un Mot simple, j'en conviens, nom de mon cheval, je le conçois, mais aux capacités infinies si l'on sait faire preuve d'inventivité. Lorsque je l'ai pratiqué la première fois, je ne faisais que changer la couleur d'un objet, d'un végétal, même d'un animal. Maintenant, je peux aveugler un homme, éblouir une grotte. La Magie offre des capacités infinies, comme tu le sais. Dans un premier temps, tu vas t'imaginer le Mot et le pouvoir qu'il peut contenir. L'ancien langage est puissant mais dangereux, ne l'oublie jamais !

Phœbus ferma les yeux, comme il en avait l'habitude lorsqu'il découvrait un nouveau Mot. Cette formule, deux syllabes, tourna en boucle dans sa tête, résonna à ses oreilles. Au début, il avait du mal à concevoir le pouvoir d'une simple formulation, d'une modeste interjection, mais l'ancien langage renfermait une puissance inimaginable et incontestable, et celle des Mots était titanesque. Dorénavant, il savait comment s'y prendre, sentait chaque lettre en lui, chaque aura que chaque consonne et chaque voyelle dégageaient. Une blancheur immaculée éblouit son esprit. Il le vit.

Leukós !

Le pouvoir le traversa et il sentit la blancheur éclatante du Mot couler le long de son bras, comme le sang dans ses veines. Lorsqu'il ouvrit les yeux, le bout de ses doigts étaient illuminés d'une lueur aussi blanche que la neige, par moments crème comme la robe du destrier de son mentor. Il leva des yeux fiers vers Chilpéric.

— Bravo, jeune écuyer. Tu apprends vite.

Chilpéric était toujours impressionné par la rapidité avec laquelle Phœbus maîtrisait les choses. Lui avait eu plus de mal. Comme si la Magie avait toujours été le seul but de la naissance de Phœbus. Il ne connaissait nul autre écuyer capable d'utiliser la Magie avec autant d'aisance, comme si le jeune garçon vivait pour elle, la respirait, littéralement.


(suite du chapitre en suivant...)

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