Chapitre 2 (partie III - Humains)

Las de la soirée, la fatigue prenant le dessus, Chilpéric quitta à son tour l'assemblée. Nombre des festoyeurs étaient complètement soûls, d'autres avaient disparu afin de s'adonner aux plaisirs de la chair. Chilpéric, lui, n'en avait guère envie ce soir. Il ne voulait que rentrer et se reposer, prendre soin de son écuyer comme s'il s'était agi de son propre enfant. Par ailleurs, son mal de crâne déjà carabiné ne faisait que s'intensifier. La potion des mestres n'avait pas eu l'effet escompté, sans nul doute à cause de tout l'alcool que Chilpéric avait bu. Non qu'il en abusât particulièrement lors des festivités, la noblesse entière d'Ashtard, le roi lui-même, l'avait félicité toute la soirée durant en lui offrant chaque fois un nouveau verre de vin, qu'il n'avait évidemment pu refuser, à l'instar de Laknol qui pourtant ne buvait strictement jamais !

Il traversa l'allée extérieure en direction de ses quartiers d'un pas décidé et entra dans l'immense chambre en silence. Il fut surpris de ne voir aucune chandelle allumée, ni de découvrir son écuyer endormi dans son lit.

— Où es-tu ? se demanda-t-il à voix haute.

Une idée germa dans son esprit, et il espéra qu'il se trompait, même s'il en douta absolument.

Il repensa à ce gage inestimable de la part du roi. Lord de la Garde Continentale ! Il y était enfin parvenu. Il n'y croyait toujours pas. Et pourtant, son rêve était devenu réalité. Dix ans de bons et loyaux services auprès de Sa Majesté aussi bien au sein du Palais, de la capitale que des terres du royaume d'Ishvard, conclus d'une immense récompense ! Qui plus est, Phœbus ne pouvait être plus fier de lui. Il comptait fêter dignement cela avec lui, comme il se devait. Il fit demander du vin à une servante dans un couloir et vida le pichet, bien que déjà étourdi, avant de se coucher. Il s'endormit tout aussi vite qu'il eut asséché le broc, sa migraine étourdie pour un temps.

Cette nuit, ses rêves se confondirent avec ses plus anciens souvenirs, d'un temps nettement plus reculé que ce jour-ci. Il se réveilla une première fois en sursaut, jeta un œil vers le lit de son écuyer, mais ne l'y vit pas. Il se retourna et s'endormit à nouveau.


Le ciel est ébloui d'un beau soleil d'automne, mais la petite brise soufflante oblige à porter une fine laine sur les épaules. Cependant Chilpéric s'en défait très vite, la sueur prenant déjà son corps après un ultime effort.

Le travail à la ferme n'est pas facile, mais observer le visage émerveillé de son père devant l'excellente production qu'elle représente comble Chilpéric au plus haut point. Ils travaillent durement : sa mère s'occupe de la traite des animaux tandis que lui et son père s'engagent à la culture. Chaque jour, ils labourent les terres, emmènent paître les bêtes dans les champs voisins.

Au commencement, la production est relativement minime, mais très vite, cette terre étant la plus fertile de la région, ils s'enrichissent. Auparavant seuls, ils peuvent désormais s'offrir les services primordiaux de plusieurs ouvriers, des hommes robustes pour les champs et de jolies filles pour la traite des chèvres, des vaches, et plus généralement le soin des animaux.

Chilpéric soulève un énième tas de paille sur une charrue et son père vient à sa rencontre. Il lui ordonne de s'occuper des chevaux le plus rapidement possible, désireux de cavaler en fin de journée. Le futur Chevalier qu'est ce beau fermier de quinze ans est déjà costaud pour son âge. Le travail a affiné et forgé ses muscles, l'a aguerri d'une force supérieure aux jeunes de son âge. Une vie paisible : il aime simplement la compagnie de ses parents, des jeunes dames de la ferme – surtout d'une ! –, la singularité des hommes qui sont devenus ses amis de travail et de beuverie, et galoper avec les chevaux dans les plaines et forêts voisines.

Écoutant les ordres de son père, un fier gaillard robuste et bronzé à la barbe taillée et la moustache imposante, Chilpéric s'élance vers l'écurie. Il s'occupe en premier lieu des autres chevaux, de différentes robes, tous puissants, capables de tirer les chariots pour de longs trajets sans flancher. Puis, il prend une attention toute particulière pour son propre cheval, qu'il a nommé Leukós, de par sa robe de lait en ancien langage, dialecte qui le passionne depuis son plus jeune âge. La mère de Leukós n'a pas survécu à sa mise à bas, mais le poulain est déjà devenu un grand et beau cheval, alors âgé de quatre ans – néanmoins Chilpéric sait qu'il peut devenir bien plus robuste encore.

En entrant dans l'enclos, Leukós s'approche de lui et vient coller ses naseaux rosâtres contre la paume de son propriétaire. Chilpéric tient à cajoler et caresser son cheval au moins une demi-heure par jour. Il passe sa main sur toutes les parcelles supérieures de son corps, lui donne de la paille, remplit l'abreuvoir en pierre et attrape une brosse. Il passe vingt minutes à le chouchouter, à rendre son poil gracieux. Lorsqu'il est satisfait, il lui donne la meilleure avoine et sort du box.

— Pourrais-tu prodiguer autant d'amour à une femme qu'à ton cheval ? chantonne une jolie voix féminine derrière lui.

Chilpéric se retourne et affiche un beau sourire en découvrant la voluptueuse Aline. Il adore ses longs cheveux bruns et ses yeux bleus brillants. Son visage est fin et gracieux, tout comme ses lèvres. Et son corps ! un trésor qu'il aime contempler et toucher. Elle est arrivée deux ans plus tôt, a le même âge que lui. Les deux adolescents ont goûté au fruit défendu pour la première fois ensemble et y ont vite pris goût, engageant une relation amoureuse secrète.

La jouvencelle s'approche de lui et caresse ses biceps déjà saillants. Chilpéric penche sa tête vers elle et embrasse ses lèvres, avant de mélanger sa langue à la sienne. La belle rit un bref moment, tandis qu'il lui chatouille les côtes avec douceur. Guère pressés par le temps, laissant le plaisir prendre le dessus, ils font l'amour dans la paille, à côté des chevaux, une heure durant. Chilpéric aime cette femme et se promet de l'épouser lorsque les convenances l'autoriseront. Sa mère est au courant, les a pris en flagrant délit il n'y a guère si longtemps, mais elle ne s'est pas fâchée. Elle semblait même ravie pour eux. « Aline est belle, tout comme mon fils Chilpéric, et ils feront de beaux enfants ensemble. » Mais pour ne guère courroucer son père, il vaut mieux pour Chilpéric d'entretenir le secret et de continuer cette relation à l'abri de tout regard, le temps qu'il se forge une petite richesse et demande cérémonieusement aux parents d'Aline sa main.

Mais les choses, rapidement, s'amenuisent. Un prétendant vient quérir la belle Aline et cette dernière ne peut refuser, car ses parents l'ont offerte à ce sieur... Chilpéric ne connaît pas son nom, ne se souvient plus de son visage. Il voit sa belle être emportée et disparaître dans la calèche. Un dernier regard de supplication de sa part et la douleur le transperce. Il ne la reverra jamais. Il se laisse aller à la tristesse, sans que son père en comprenne la raison. Sa mère le console comme elle le peut, et il faudra un certain pour que la douleur s'estompe enfin.

Puis les flammes l'enveloppent...    


(suite du chapitre en suivant...)

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