CHAPITRE VII.

« Comment tu m'as retrouvé ? ». Le sentiment de culpabilité qu'éprouvait Barett s'éteint peu à peu pour laisser place à une fureur sans nom. Depuis combien d'années ne l'avait-il pas vue ? Chassée par sa mère Velonda, elle était toutefois revenue comme une fleur prétendant vouloir renouer les liens avec ses fils. Et du jour au lendemain, elle avait disparu. Une fois de plus. Une fois de trop. Ornella esquisse un sourire nerveux. Soutirer des informations à sa mère n'a pas été chose facile car bien qu'aujourd'hui elle a affaire  à trois jeunes hommes, Velonda n'a eu de cesse de protéger ses petits-fils. Elle a agit par pur instinct maternel bien qu'elle soit non pas leur mère mais  plutôt leur grand-mère. « Ta grand-mère. J'ai dû la cuisiner pour qu'elle crache le morceau »  avoue Ornella.

 Barett dresse un sourcil. Il se demande bien ce que sa mère a pu dire pour persuader quelqu'un comme grand-mère Velonda de tout dévoiler. Son corps est raide comme un piquet. Cette retrouvaille, loin de l'enchanter, ne fait que resurgir une haine corrosive qu'il avait finie par enterrer. Il lui en avait fallu du temps. Beaucoup de temps. « Qu'est-ce que ton cul noir fait à Garden District ? » demande Ornella, plus encline à la conversation. L'aîné des Palmer serre la mâchoire. Il se doute que les gens de couleur ne courent pas les rues dans ce quartier bourgeois. Il doit certainement être le seul noir dans cet océan de blancs. Certains  voisins ne se gênent pas pour le lui rappeler dans la vie de tous les jours en lançant des regards méfiants ou accusateurs dans sa direction. A croire qu'être noir et être riche relèvent de l'absurdité. 

« C'est ici que je vis. Maintenant si tu pouvais débarrasser le plancher » lance le jeune afro-américain avec froideur à l'adresse de sa mère. Le sourire nerveux d'Ornella s'efface. Une ombre traverse son visage. Une lueur de dégoût passe dans ses yeux verts. « Comment oses-tu ? Ta propre mère ? Barett ! Je ne t'ai pas élevé comme ça » rétorque Ornella d'un ton offusqué, une main tremblante sur sa poitrine. Un petit rire amer s'échappe des lèvres de Barett. « C'est drôle que tu parles d'éducation. T'étais où quand j'avais besoin d'aide parce que je ne comprenais pas un devoir ?  Mieux encore, t'étais où quand j'ai eu ma crise d'appendicite et qu'il fallait m'emmener en urgence à l'hôpital ? » lance d'un ton cinglant le Palmer. Ces dernières paroles désarment complètement la mère du jeune homme qui fixe son fils d'un air interdit. Ses lèvres entrouvertes frémissent. Elle resserre son poncho contre son corps et fronce les sourcils.

 « Je sais que je n'ai pas été une bonne mère mais j'ai cherché à me racheter » proteste la jeune femme d'une voix cassée. Le Palmer éclate à nouveau d'un rire amer, un rire qui en dit long sur la haine qui le ronge depuis maintenant un bout de temps. Il n'est pas franchement ravi de la revoir. Il espérait ne plus la revoir. Et pourtant, voir qu'elle ose se pointer après tout ce temps lui procure un bien fou. Il va pouvoir recracher sa haine une bonne fois pour toute. Après ça, il fera définitivement une croix sur elle. Il a voulu y croire. Il a voulu lui donner une nouvelle chance, lui offrir une opportunité de se racheter. Il a voulu la sauver. Mais la vérité, c'est qu'elle ne veut pas être sauvée.

 « Tu fais sûrement référence à la fois où tu m'as promis que tu m'aiderais à financer mes études pour rentrer à l'Université de Tulane ? Grâce à toi, je suis endetté pour encore de très nombreuses années. Félicitations, tu t'es sacrément bien rattrapée ». Ces paroles sont de trop. Elle l'étourdit d'une claque laissant ainsi une marque rouge sur la joue de son fils aîné. Il est allé trop loin. Elle écume de rage. Les traits de son visage sont déformés par un mélange de colère et d'indignation. La fureur anime ses yeux globuleux. « Je ne te permet pas de me parler sur ce ton. J'ignore si c'est ce quartier qui t'a donné l'illusion de croire que tu pouvais t'adresser à ta mère de cette façon mais je préfère remettre les pendules à l'heure et te rappeler qui tu es. Tu es mon fils et tu me dois le respect  » lance d'une voix tranchante Ornella.

 Les joues du jeune Palmer frémissent. Les traits de son visage se durcissent. Il fusille du regard celle qui l'a mis au monde. Une lueur folle anime ses yeux émeraudes. Pendant plusieurs minutes, ils se dévisagent soutenant leurs regards sans ciller. Puis, soudain, le jeune métis se rapproche dangereusement de sa mère. Son visage n'est plus qu'à quelques centimètres du sien. Il songe aux multiples reproches auxquels il va avoir droit une fois qu'il sera rentré. Il imagine Adelaide se défouler sur lui. Peut-être même qu'elle ne parlera pas.  Il évite de songer à l'ambiance glaciale qui doit régner à l'intérieur de sa maison. Elle n'était déjà pas très conviviale au moment où il l'a quittée.  Mr et Mme Lachaynais doivent être outrés. La présence de sa mère n'a jamais été aussi indésirable qu'aujourd'hui. « Tu n'es plus ma mère. Sache que depuis un bout de temps, tu es morte à mes yeux. J'ai des invités qui m'attendent à l'intérieur donc tu m'excuseras » finit par répliquer Barett avec lenteur avant de pivoter sur ses talons.

 Sa main se referme lentement sur la poignée de la porte d'entrée. « Barett ! » s'écrie Ornella. Le jeune homme s'arrête un instant.  Gardant sa main sur la poignée, il refuse catégoriquement de faire face à sa mère. Il ne veut plus l'entendre. Il ne veut plus la voir. Plus jamais. Il n'est même pas sûr de regretter ce choix. Après toutes ces années, il s'est habitué à son absence. Elle appartient au passé. Il ne doit pas faiblir. S'il faiblit, s'il cède et la laisse entrer de nouveau dans sa vie, elle le détruira comme toutes les autres fois. Sa vie est déjà assez compliquée. Il n'a plus la patience et probablement plus la force pour endurer ça.  Une larme qui a la consistance d'une perle vient couler sur le visage d'Ornella. « Sauve-moi » ajoute-elle d'un ton implorant. 

Barett serre les dents. La rancune l'empêche d'éprouver la moindre compassion à l'égard de l'âme torturée de celle qui l'a mis au monde. Il demeure imperméable face à cet appel au secours. Ce n'est pas la première fois que le bateau fait naufrage. Malgré tout, lorsqu'elle est revenue, il a accepté de l'aider à remonter la pente, à retrouver une vie normale, à vaincre ses anciens démons. Mais à chaque fois, elle a plongé la tête la première, préférant de toute évidence vivre dans les ténèbres. Des larmes brûlantes serpentent le long des joues d'Ornella. Malgré cette colère justifiée qui palpite en lui, elle sait qu'il ne lui claquera pas la porte au nez car après tout, il est la chair de sa chair. « Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Adieu Ornella » 

Ces paroles ont l'effet d'une épée tranchante qui transperce violemment la poitrine de la Palmer. La porte s'ouvre puis elle voit son fils rentrer sans lui accorder un seul regard. Les yeux baignés de larmes, elle étouffe un sanglot puis tourne lentement les talons, resserrant son poncho contre elle, le dos voûté, son âme assassinée par son fils aîné. Elle avance dans les rues d'une démarche vacillante, telle une âme en peine. Elle savait que Barett allait être le moins indulgent. Elle savait qu'il était celui qu'elle avait fait le plus souffrir. Et pourtant, elle n'avait pu s'empêcher d'espérer qu'il trouve la force de lui pardonner ses erreurs passées. Elle sentait que son lourd passé allait l'empêcher d'avancer tel un boulet accroché à la jambe d'un prisonnier. Le chemin vers le pardon était peut-être plus long qu'elle ne le pensait.

 Refermant la porte derrière lui, Barett Palmer s'apprête à retourner au salon lorsqu'il s'aperçoit que devant lui se tient sa petite-amie. Son corps se raidit de nouveau. Une sensation glacée se répand dans sa pitrine. Son estomac chavire. A en juger le regard glacial qu'elle lui jette, il en déduit qu'il est fort probable qu'elle ait surpris la conversation entre sa mère et lui. Une terreur sacrée anime son regard émeraude. « Je...je peux tout t'expliquer » dit-il à voix basse pour ne pas être entendu par ses beaux-parents. Elle déglutit. Jamais son regard n'avait été aussi peu chaleureux, aussi sombre. « Nous en discuterons plus tard car comme tu l'as dis, nous avons des invités » tranche-t-elle, le regard flamboyant. 

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