XXX - Une Lueur d'Espoir


Quand il avait ouvert les yeux, Loys avait eu du mal à se rappeler où il se trouvait.

Les murs craquelés, la fenêtre aveuglée ne ressemblaient en rien au dortoir de la guilde : et la silhouette allongée dans le lit à gauche du sien n'était pas celle de son ami Dormont, mais Juvénal, un jeune Calicien de quelques années plus âgé que lui, qui avait accepté de partager sa chambre. La pièce n'était pas plus spacieuse qu'un placard et laissait à peine de place pour leur deux paillasses et un coffre de rangement, mais Loys avait grandi dans un appartement tout aussi exigu et le manque d'espace lui rappelait la chaleur de son foyer.

Il s'étira, frémissant légèrement le geste réveilla sa blessure. Il remonta la manche de sa chemise pour examiner le bandage : aucune tache de sang ne le maculait, ce qui était bon signe. Il se leva et s'habilla, en faisant attention de ne pas trop solliciter son bras droit. Il lui faudrait du temps pour s'habituer aux vêtements bruns de la Guilde des inventiers, mais au moins lui offraient-ils un sentiment d'appartenance.

Le garçon n'avait aucune idée de l'heure qu'il pouvait être ; il n'avait pas l'impression d'avoir beaucoup dormi. Il frotta ses paupières ensablées et décida de se mettre à la recherche du petit déjeuner. Prenant soin de ne pas réveiller son camarade, il enfila ses souliers, les attacha succinctement et se dirigea à pas de loup vers la porte. Il ne prit pas la peine de replacer son bras en écharpe : il n'avait pas envie d'attirer l'attention sur sa blessure ; et puis, ce n'était pas comme s'il risquait d'aggraver les choses en se livrant à des activités un peu trop violentes.

Loys regretta très vite son initiative : au bout de deux couloirs, il n'était même plus capable de retrouver la chambre. Il n'avait plus qu'à errer dans ce dédale à la recherche d'une personne qui pouvait le renseigner. Les passages étaient encore envahis d'ombre ; une lumière faiblarde aux reflets bleutés filtrait péniblement par les quelques ouvertures vitrées de carreaux crasseux, quand elles n'avaient pas été occultées par des planches clouées. Quelques lampes en sourdine évitaient au bâtiment de sombrer totalement dans l'obscurité. Il entendait la pluie dégouliner au-dehors, accentuant son sentiment de solitude.

Comment faire pour reprendre le fil d'une vie qui ne se ressemblait plus ? L'ancien apprenti tentait de se donner du courage en se disant qu'il avait eu de la chance dans son malheur. Mais dans cet isolement matinal, il ne pouvait échapper à la dure réalité : il ne reverrait sans doute jamais plus Dormont, Valencier, Cheminal, Lancel et tous ses compagnons de la Guilde. Et, plus effrayant encore, il ne pourrait plus retourner à Amarine pour retrouver sa mère et Clélie. À cette pensée, son souffle se coupa ; il s'obligea à prendre de longues respirations pour surmonter cette terrible angoisse.

Il s'arrêta devant une fenêtre qui n'avait pas été barrée : en promenant ses doigts sur le verre brouillé par la saleté, il sentit que le côté intérieur avait été parfaitement nettoyé. Il ne distinguait rien d'autre qu'un mur de brique fissuré et un entrecroisement de poutrelles rouillées. Il sourit de l'ironie qui avait mené un futur pilotier, destiné à vivre dans les airs, à se terrer comme un ratz dans les bas-fonds de la ville.

Il laissa retomber sa main et se décida à reprendre sa marche sans but, en se reprochant amèrement de ne pas avoir attendu le réveil de Juvénal au lieu de partir au hasard dans cet impitoyable labyrinthe.

« Hey ! »

Surpris d'entendre une voix humaine, il se retourna d'un bloc, pour se trouver face à l'adolescente rousse qu'il avait rencontrée la veille. Ses yeux dorés le fixaient avec curiosité, voire un certain amusement :

« Tu es perdu ? »

Il secoua la tête, gêné d'être pris en défaut :

« Non... Enfin si. Un peu, mais je viens d'arriver, concéda-t-il, sur la défensive.

— Moi aussi, répondit-elle en haussant les épaules. Et je ne me perds pas pour autant. »

Le garçon poussa un soupir : c'était bien sa chance. Même une fille plus jeune était capable de s'en tirer mieux que lui. Voyant son air déconfit, elle haussa les épaules en riant :

« Il faut dire que depuis le temps que je sillonne Silberleut dans tous les sens, j'ai appris à me repérer. Et je me suis toujours levée avec le jour. C'est bizarre, parce que même quand je ne le vois pas, c'est pareil... »

Elle hésita un peu, avant de lui dire, plus timidement :

« Veux-tu que nous allions aux cuisines ? Il doit déjà y avoir quelqu'un là-bas. »

Loys acquiesça avec enthousiasme. L'énergie et la bonne humeur de la jeune fille – il se souvint qu'elle s'appelait Framke – étaient contagieuses et lui faisait presque oublier la difficulté de sa situation et son inquiétude pour son cousin. Il s'en remit à elle pour le guider à travers le dédale : plusieurs maisons – ou plutôt leurs parties salubres entre lesquelles des communications avaient été ménagées, parfois par des portions de couloirs de maçonnerie brute, parfois par des portes percées dans leurs murs mitoyens. Il était étrange de penser que ces demeures avaient un jour été des habitations ordinaires, avant que la population de l'ilande ne devienne trop nombreuse et que la ville ne commence à pousser en hauteur. Des restes de papier peint et d'enduit coloré témoignaient d'une autre vie, d'un autre temps...

« Framke... demanda-t-il subitement. Où vivais-tu avant d'arriver ici ? »

L'adolescente s'arrêta, légèrement tendue. Elle serra les poings et se mordit la lèvre, hésitant à lui répondre.

« Je suis désolée... Si tu n'as pas envie de le dire... »

Elle garda le silence un instant, avant de déclarer gravement :

« Avant d'être accueillie dans la guilde des inventiers, j'étais... une grau. »

Son ton était étrangement revendicatif. Elle se raidit, comme si elle s'attendait à une réaction de mépris ou de rejet de la part de Loys. Le jeune homme se sentait un peu démuni : s'il restait silencieux, il pourrait passer pour insensible ou indifférent... Mais s'il exprimait ouvertement sa compassion, elle pourrait s'offusquer en pensant qu'il la prenait en pitié.

« Ce n'est pas si terrible... reprit-elle avec désinvolture, quand elle constata son désarroi. Je parvenais à gagner ma vie en guidant les voyageurs dans la ville. Certains étaient généreux... Je ne dirai pas que je ne manquais aucun repas, mais cela nous permettait de survivre, Fridrik et moi.

— Fridrik ?

— Mon meilleur ami, précisa-t-elle avec un sourire un peu triste. Il s'est imaginé qu'il devenait un fardeau pour moi, sous prétexte qu'il était vieux et affaibli. Il est parti, mais meister Reiner va le retrouver. Tout comme il retrouvera ton cousin. »

Loys s'adossa contre le mur, les bras serrés autour de son torse. Il aurait aimé partager la confiance de Framke. Il baissa les yeux sur les dalles disjointes qui branlaient sous ses pieds.

« Cela va paraître idiot, mais il y a quelques jours, je ne connaissais même pas son existence. La première fois que je l'ai croisé, je ne savais même pas qui il était... Et je dois avouer qu'au début, je ne l'ai pas réellement apprécié. Et puis je me suis rendu compte qu'il n'avait rien du bellâtre insolent qu'il prétendait être. Mais qu'en fait... il était courageux et soucieux des autres... »

Il fronça les sourcils en réalisant ce qu'il venait de dire... Il éclata de rire en passant une main maladroite dans ses boucles sombres.

« Je crois que je préférerais mourir plutôt que de dire cela en face de lui », remarqua-t-il, d'un ton penaud.

Framke le rejoignait dans son hilarité. Soudain, le jeune homme se sentait moins seul, moins désespéré. Il y avait chez la petite rousse une énergie communicative, même s'il devinait qu'elle dissimulait bien des blessures. La main de l'adolescente se posa sur son bras valide, tandis que son visage mutin se levait vers lui :

« Je suis sûre que tu le reverras. S'il est aussi fort et courageux que tu le dis, alors il trouvera le moyen de revenir vers vous. »

Il hocha la tête, la gorge serrée :

« Merci, Framke », répondit-il, presque timidement.

Il se redressa, avec une vaillance nouvelle :

« Eh bien, tu me les montres, ces cuisines ? »

***

Quand, enfin, leurs pas les menèrent vers le havre promis, le garçon regarda avec étonnement les larges voûtes qui couvraient la pièce.

La préposée du jour, une mince brune qui s'était présentée comme Nilsa Karen, l'observa avec amusement :

« Cette partie se trouvait dans le sous-sol des plus anciennes maisons de l'ilande. C'est pour cela qu'elle a été épargnée...

« Le sous-sol ? répéta Loys, intrigué.

— À l'époque où il n'y avait pas encore tous ces différents niveaux, il arrivait qu'on creuse sous les maisons pour gagner de la place. On faisait des caves pour y entreposer les choses... ou bien, comme dans ce cas ici, y aménager des cuisines. »

Elle désigna les fourneaux qui trônaient dans l'âtre déserté. Il s'en échappait une fabuleuse odeur de pain chaud. Loys ne put s'empêcher de saliver. Prenant une large pelle de bois, Nilsa s'en servit pour sortir des miches encore brûlantes et les déposer sur la table.

« Il vous faudra attendre qu'elles refroidissent, si vous ne voulez pas vous brûler la langue. Mais en attendant, je peux vous donner autre chose ! Asseyez-vous donc ! Si vous restez debout comme ça, vous allez me donner le tournis ! »

Framke et Loys prirent place sagement sur l'un des bancs le long de la table. La cuisinière se tourna vers un placard et en tira une bouteille ainsi qu'une boîte de fer. Quand elle l'ouvrit, les deux adolescents virent qu'elle contenait des biscuits de formes variées. D'un sourire, elle les invita à piocher dedans autant qu'ils le souhaitaient. Cette vision plongea le garçon dans une douce nostalgie : les jours de paye, sa mère rapportait à la maison de la farine, des œufs et du sucre, une véritable fête pour le modeste foyer. Armince, Clélie et lui formaient une petite famille soudée qui savait profiter de la vie dès qu'elle acceptait de se montrer un peu généreuse.

Il devait reprendre espoir... Tout n'était pas perdu. Sa mère l'avait vu sombrer dans des considérations aussi négatives, elle lui aurait expliqué, en long et en large tout ce qu'elle en pensait, jusqu'à ce que ses oreilles résonnent.

Nilsa pressa entre ses mains un godet rempli d'un liquide doré :

« C'est un cidre doux, il ne vous montera pas à la tête ! »

Elle découpa ensuite deux épaisses tranches de pain qu'elle posa devant ses invités. Tandis qu'ils mordaient à pleines dents dans la mie blanche, les deux jeunes gens échangèrent un regard de connivence.

Loys se dit que le moment était bien choisi de faire un souhait : celui que Nigel soit bientôt là pour partager leurs repas et leurs instants de complicité.

***

Cornelli se frotta les yeux, avant de passer une main dans ses cheveux emmêlés.

Elle devait trouver un peigne pour de discipliner ses longues mèches blondes. Même si dans cet endroit lugubre, rien ne l'y obligeait, elle mettait un point d'honneur à rester présentable. Elle lança un regard morne vers les vêtements de toile brune posés sur le dossier de l'unique chaise de la pièce. L'idée de les enfiler dès le matin la troublait plus que de raison. Elle avait le sentiment qu'en choisissant délibérément de les porter, elle finirait de perdre toute identité.

La chambre où elle logeait était minuscule, mais elle avait la chance d'y être seule. Avec un soupir, elle s'arracha à la chaleur de son lit pour se diriger vers le meuble branlant qui supportait un broc et une vasque. Elle se livra à une rapide toilette, avant de revêtir les grossiers habits marron. En contemplant son image dans le miroir trouble et écaillé, elle esquissa une petite grimace d'amertume : ainsi apprêtée, on ne pourrait la différencier de ces... inventiers.

La jeune fille nourrissait un secret espoir : celui de pouvoir en appeler au préfet. Après tout, ce n'était pas comme si elle pouvait être suspecte à ses yeux. Brückner et ses hommes avaient dû le tenir au courant du déroulement des événements. S'il ne l'avait pas encore contactée, c'était juste parce qu'il ignorait où elle se trouvait. Mais dès qu'il le pourrait, il lui viendrait en aide... malgré le fait qu'elle n'avait rien pu faire pour assister Deepriver.

Cornelli ne s'était jamais sentie aussi confuse. Elle massa délicatement ses tempes douloureuses : même le silence lui semblait assourdissant. Le souvenir de cette scène étrange, celle où elle avait vu le cadet Deepriver arrêté par les hommes du bureau, lui revenait sans cesse en mémoire. D'où pouvait bien surgir cette vision ? De ses propres craintes ? Ou bien... Elle secoua la tête : il était inutile de se concentrer sur une question qui risquait de ne jamais recevoir de réponse.

La jeune messagière trouva un peigne de bois posé à côté de la vasque ; elle commença à démêler sa chevelure, une tâche qui avait toujours eu la vertu de la calmer.

Quelques coups frappés à la porte attirèrent son attention :

« Entrez... »

La porte pivota en grinçant, livrant passage à Anna. La fille du recteur principal la salua d'un sourire :

« Est-ce que vous avez besoin de quelque chose, manfrolen ?

— Non merci, tout va très bien, répondit-elle d'une voix morne.

— Vous êtes vraiment sûre ? »

La femme la fixait d'un œil critique, comme si elle essayait de la sonder. Cornelli releva la tête avec hauteur :

« Puisque je vous dis que je vais bien ! Si vous pensez que je vais m'effondrer pour si peu !

— Si peu ? »

Anna haussa tristement les épaules :

« Vous n'avez pas besoin de sauver les apparences, ici. Nous sommes conscients de ce que vous avez traversé, tous les deux... De ce que vous avez perdu. Mais... croyez-moi, vous avez plus gagné qu'il n'y paraît ! »

Cornelli éclata d'un rire empli de dérision :

« Oh, bien sûr ! J'ai gagné d'être exclue de ma guilde, de vivre dans un sous-sol, de ne plus avoir la possibilité de servir mon empire, de ne plus pouvoir paraître devant les miens...

— Vos parents ? Il est étonnant qu'ils arrivent ainsi en dernier dans vos priorités... »

La jeune fille blonde haussa les épaules :

« Pensez ce que vous voulez... »

En dépit de ses rebuffades, le regard d'Anna demeurait chaleureux. Elle tendit les bras comme pour réconforter la jeune fille, sans achever son geste.

« Je suis désolée d'avoir été ainsi indiscrète... Ce n'était pas ce que je voulais. Ne m'en veuillez pas... »

— Je ne vous en veux pas. C'est juste que... »

Elle baissa la tête, trahie soudain par ses émotions :

« ... J'ignore comment ils réagiront en apprenant tout ce qui s'est passé...

— Ce sont vos parents. Votre sécurité leur importe sans doute plus que toute autre chose. »

— Sans doute, soupira la jeune fille. Mais...

— Mais quoi ? » la pressa gentiment Anna.

Cornelli haussa les épaules ; elle n'avait pas vraiment envie de se livrer à cette étrangère sans manières. Cependant, il y avait quelque chose en elle qui lui rappelait sa nourrice Peeta. Elle n'avait que sept ans à son départ et gardait d'elle une image imprécise, mais il se dégageait d'Anna la même chaleur, la même bienveillance... Sans qu'elle le veuille, les mots lui échappèrent :

« Ma mère se préoccupe beaucoup de notre position et de notre image. C'est elle qui m'a élevée ; mon père est un homme... bienveillant, mais il ne parle pas beaucoup. Il est très pris par son travail : le service de son empire représente tout à ses yeux.

— Plus que sa famille ? demanda la femme, incrédule.

— Je... je ne sais pas, balbutia Cornelli. Nous ne parlons pas beaucoup... d'autres choses. Il ne discuta pas beaucoup non plus avec ma mère. Leur mariage a été arrangé, mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose... »

Elle avait élevé la voix, comme pour s'en convaincre.

« Je ne savais pas qu'il avait... un frère. Et une sœur jumelle. Mais s'il a été séparé d'eux, il a dû se sentir très seul.

— Tout comme vous ? »

La jeune fille haussa un sourcil contrarié :

« Je ne vois pas pourquoi vous vous permettez de dire cela. J'ai eu une excellente éducation, je n'ai jamais été livrée à moi-même... »

Anna soupira :

« Peut-être, mon enfant, mais avez-vous déjà eu quelqu'un à qui parler ? Même quand vous suiviez l'enseignement de votre guilde, aviez-vous des amis ? Des personnes à qui vous pouviez vous confier ? »

Cornelli ouvrit la bouche, mais aucune parole n'en sortit : maintenant qu'elle y repensait, elle n'avait jamais eu d'ami proche. Jamais eu véritablement d'amis, en fait. Elle ne savait pas comment s'adresser aux autres... ni comment leur répondre. Sa mère avait toujours insisté sur le fait que les personnes qu'elle croiserait au cours de son existence ne s'intéresseraient pas à elle, mais seulement à la fortune de leur famille ou à la position de son père. Jusqu'à ce qu'elle entre à la guilde, des précepteurs s'étaient chargés de son éducation. Elle s'était sentie perdue quand elle avait dû évoluer au milieu d'adolescents de son âge. La jeune fille avait observé une grande réserve à leur égard, ce qui lui avait rapidement attiré des qualificatifs peu amènes : elle n'était qu'une pimbêche prétentieuse, une enfant trop gâtée... Ce qui l'avait confortée dans la méfiance profonde qu'elle éprouvait envers les autres. Elle s'était réfugiée dans l'étude, bien décidée à exceller pour faire honneur aux siens.

Tout cela lui paraissait bien loin à présent... Et horriblement vain.

Elle sentit une étrange chaleur sur ses joues : elle y porta les doigts et resta interdite en les trouvant mouillées de larmes. Comment avait-elle pu baisser sa garde à ce point ? Elle se tendit, prête à fuir... mais Anna fut plus rapide. Elle l'attira vers elle et la serra dans ses bras, lissant doucement la longue chevelure blonde. Puis, d'un geste plus ferme, elle lui ôta le peigne des mains :

« Asseyez-vous et laissez-moi faire », dit-elle gentiment.

Cornelli maudit sa propre faiblesse, mais elle ne put s'empêcher d'obtempérer, redécouvrant avec étonnement le plaisir de laisser quelqu'un s'occuper d'elle.

***

« Avez-vous assez mangé ? » demanda Nilsa.

Loys se sentait tellement repu qu'il aurait été incapable d'avaler la moindre miette supplémentaire. Framke avait l'air dans le même état . Les deux jeunes gens secouèrent la tête. Le garçon s'obligea cependant à avaler sa dernière bouchée avant de déclarer :

« Oui, merci, c'était très bon. »

La cuisinière leur adressa un large sourire :

« Alors ne restez pas là ! lança-t-elle d'un ton faussement contrarié. Je suis sûre que vous avez mieux à faire que d'encombrer les cuisines !

— C'est sûr ! répliqua Framke en époussetant les miettes sur ses habits. Je vais montrer la salle des machines à Loys !

— C'est une excellente idée... cela dit, mon garçon... »

Elle se pencha vers le jeune homme, lui faisant les gros yeux :

« Évite de toucher à quoi que ce soit si tu ne veux pas essuyer le courroux de ces maniaques tatillons de techniciens ! »

Loys se leva et hocha gravement la tête :

« C'est promis ! »

— Très bien alors. Maintenant, filez ! »

Les deux adolescents obtempérèrent sans demander leur reste. Loys suivit une nouvelle fois Framke dans les méandres sans queue ni tête de la guilde secrète.

Quand il se trouva à la porte de l'énorme salle au plafond haut et aux piliers élancés, sur laquelle sa guide avait fait tant de mystère, Loys demeura bouche bée : même dans les locaux des pilotiers, pourtant spacieux, il n'avait jamais vu de tels espaces... sauf le hangar pour les skifs, mais c'était toute autre chose. Les mains sur les hanches, comme si elle était la maîtresse des lieux, Framke le regardait du coin de l'œil, guettant sa réaction.

À cette heure de la matinée, les machines dormaient encore sous leurs bâches, disséminées çà et là comme d'étranges animaux immobiles. Loys s'approcha cependant de l'une d'elles et souleva avec précaution la toile huilée qui la protégeait : il s'extasia devant le complexe assemblage de rouages, de poulies, de pitons et autres pièces diverses. La lumière colorée qui filtrait par les vitraux brisés les nimbait d'un doux éclat.

Il ne put s'empêcher de toucher du bout du doigt le délicat mécanisme : il n'avait aucune idée de sa finalité... ou s'il en avait même une. Les éléments avaient été réalisés dans un alliage mordoré, où passaient des reflets verts et or. Il ne s'était jamais senti attiré par les engrenages des skifs, ces grosses machineries d'acier bruyantes et nauséabondes. Mais ce qu'il voyait était totalement différent...

« Eh, vous deux, qu'est-ce que vous êtes en train de trafiquer ? » lança une voix bourrue.

Les deux jeunes gens se retournèrent d'un bloc ; Loys mit ses mains derrière son dos comme un enfant pris en faute.

« Vous n'avez rien de mieux à faire qu'à farfouiller ici ? »

Le propriétaire de la voix se dressait devant eux, le menton levé, peut-être pour tenter de faire oublier qu'il n'était pas plus grand que Framke. Ses cheveux grisonnants dépassaient dans tous les sens de sa casquette de laine brune, surmontée d'une paire de lunettes de protection relevées sur sa tête. Le tablier de cuir épais qui complétait sa tenue et ses gros gants renforcés achevaient de lui donner l'allure d'un techmestre miniature. Loys ne put s'empêcher de sourire quand cette idée traversa son esprit : une grossière erreur que l'intéressé décida de lui faire payer sur l'heure.

« Si j'étais toi, gamin, je rigolerais moins. Si tu as faussé cette machine d'une façon ou d'une autre, tu le regretteras jusqu'au jour où tu porteras une barbe jusqu'aux genoux ! » lança-t-il, d'un ton qui se voulait menaçant.

Il s'avança, poussant sans ménagement le jeune homme tandis qu'il examinait fébrilement sa machine bien aimée, cherchant la moindre trace de sabotage et de déprédation. Loys grimaça, autant parce que le mouvement avait réveillé la douleur dans son bras, qu'en raison de l'humiliation qu'il ressentait d'être considéré comme un criminel.

Framke le fixa d'un regard indigné, le menton levé et les bras croisés :

« Dites donc, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous pourriez être un peu plus poli ! Loys n'a rien fait à votre bidule ! Il s'est contenté de regarder !

— Toi, le morveux, tu n'as qu'à dire à ton copain que c'est avec les yeux qu'on regarde, pas avec les doigts... rétorqua l'inventier sans se donner la peine de la regarder.

— Je ne suis pas un garçon ! » protesta Framke.

Loys soupira : il n'avait pas envie d'avoir des ennuis avec les membres d'une guilde qui les avaient recueillis et protégés. Il posa la main sur l'épaule de la fille rousse, tentant de l'apaiser :

« Ce n'est pas grave, Framke... Je suis sûre que tu as encore plein de choses à me montrer... »

Il la tira légèrement, afin de lui intimer de le suivre, mais elle refusait de bouger. Il était bien tenté de l'imiter : il éprouvait une curiosité aussi intense qu'inattendue pour ces engins bizarres que créaient les inventiers. Même s'il était trop tard pour rentrer dans les bonnes grâces du petit homme, ce dernier ne pourrait pas les empêcher de les contempler... avec les yeux du moins !

Perché sur la pointe des pieds, le technicien déplia complètement la bâche, exposant l'ensemble de la machine. Loys la détailla avidement : comment les inventiers parvenaient-ils à s'y retrouver dans tous ces engrenages, ces pistons, ces manettes et ces cadrans qui semblaient en couvrir toute la surface ? Des câbles épais la reliaient à une sorte de générateur un peu plus loin dans la salle, que l'homme alla mettre en marche, non sans avoir lancé un sale regard aux deux adolescents qui refusaient de quitter son espace vital. L'énorme bobine commença à vibrer dangereusement, comme une créature mal réveillée.

Grommelant dans sa barbe, le technicien vérifia les cadrans et activa quelques manettes, avant de baisser un grand levier à l'arrière de la machine. Aussitôt, elle s'éveilla dans un cliquetis qui évoquait celui d'un mécanisme d'horlogerie. L'inventier en fit le tour d'un air suspicieux, sourcils froncés, les mains derrière le dos. À côté de Loys, Framke pouffa de rire. Heureusement pour eux, l'homme était trop concentré sur son œuvre pour l'entendre.

Il y avait quelque chose d'hypnotique dans la vision des engrenages qui tournaient si régulièrement, en phase les uns avec les autres, avec une impossible précision. Loys comprenait mieux la passion des mécaniciens pour leur travail : il se souvint alors que son grand-père, le mystérieux Earnest Seastrand, avait été l'un d'eux. Peut-être qu'après tout, il possédait des dispositions pour cette tâche, même s'il se sentait indéniablement attiré par le pilotage.

À la limite de son champ de vision, Framke s'impatientait : c'était elle à présent qui montrait des velléités de partir, sans doute parce que le bonhomme ne se préoccupait plus de leur présence. C'était bien une fille ! Le jeune homme se demanda comment on pouvait la prendre pour un garçon, pare qu'elle portait les cheveux courts et des habits masculins. D'accord, elle était maigre comme un clou, mais ce n'était pas une raison...

Ignorant l'agitation de sa nouvelle amie, il se replongea dans la contemplation de la machine. Étrangement, plus il se concentrait sur son fonctionnement, plus celui-ci lui semblait naturel : il avait presque l'impression de voir les rouages internes et le mouvement des pistons et de courroies, derrière les épaisses plaques de métal qui couvraient ses entrailles.

Au bout d'un moment, il fronça les sourcils : en dépit de la progression régulière du mécanisme, quelque chose ne filait pas tout à fait droit à l'intérieur du coffrage. Peut-être était-ce ce frottement lié au fait qu'une des roues dentées avait trop de jeu sur son axe et se déplaçait très légèrement à chaque tour. Même si elle était enfouie au cœur de la machine, il avait l'impression de la voir, une forme fantomatique légèrement bleutée qui grippait cette mécanique si parfaite... Loys ouvrit la bouche pour le signaler, avant de se dire que jamais l'homme ne le croirait. Il préféra se taire plutôt que se faire rabrouer une fois de plus.

Soudain, un grincement métallique suivi d'un claquement sonore résonna dans la pièce. Brutalement tiré de sa transe contemplative, Loys sursauta violemment, tandis que Framke laissait échapper un cri de surprise. L'inventier se lança dans une masse d'imprécations. Il saisit un tournevis dans la poche de son tablier et commença à démonter la paroi de la machine.

« Non, pas de ce côté-là ! » intervint le garçon, étonné de sa propre réaction.

Le petit homme se tourna vers lui, glissant la main sous sa casquette pour se grattouiller le crâne :

« Qu'est-ce que t'en sais, blanc-bec ? »

Offusqué, le jeune homme fut tenté de se taire, mais l'information était trop importante pour être retenue :

« Il faut passer par l'autre côté. Il y a une roue dentée, juste à côté du troisième piston, qui n'est pas bien fixée sur son axe. »

L'inventier s'immobilisa ; ses petits yeux gris s'élargirent d'étonnement :

« Ben gamin, fallait m'dire que t'étais un ingénier ! »

Ce fut au tour de Loys de rester interdit.

« Un... un ingénier ? Moi ? »

Il secoua la tête :

« Non, non, protesta-t-il, vous faites erreur. Je suis sunder... »

Il marqua une pause, avant d'ajouter :

« Et répulseur aussi. »

L'homme laissa retomber sa main et haussa les épaules :

« N'essaie pas de te payer ma tête. Il n'y a qu'un ingénier pour être capable de voir ça. J'ai pas cette chance, moi : je me débrouille comme je peux. Mais toi, tu ne peux pas être autre chose. Alors puisque t'es là, tu vas m'aider et arrêter de dire des âneries. Je veux bien marcher pour les deux dons, mais personne n'a trois dons. »

Personne n'a trois dons...

Loys resta les bras ballants, tentant désespérément de rappeler à sa mémoire la vision qui était si claire une minute avant :

« Je suis désolé. Je... je n'en sais rien. C'était juste un... euh... une sorte de... supposition. »

L'inventier le considéra attentivement, avant d'opiner d'un air entendu :

« Je vois. Ça arrive parfois comme ça, sans crier gare. Y'a plus de Cadran pour ces dons-là. »

Quelques jours auparavant, Loys ne l'aurait jamais cru, mais il avait découvert depuis l'existence des dons oubliés. Mais de là à supposer qu'il pouvait avoir... trois dons ? Jamais il n'avait entendu parler d'une chose pareille.

« Qu'est-ce... que je dois faire ? finit-il par demander d'une voix mal assurée.

— M'aider à dévisser ce machin et me montrer où ça cloche, répliqua le petit technicien.

— Non, je veux dire, pour... pour ce que j'ai vu... »

Son interlocuteur releva le nez de ses outils et dévisagea Loys avec incrédulité :

« L'employer. Sinon, ça te sert à rien. Et si ça t'empêche de dormir, va voir les recteurs de la Guilde. »

Le jeune homme hocha la tête gravement :

« Merci, c'est que je vais faire, je crois... »

Encore déstabilisé par cette découverte, suivi d'une Framke aussi éberluée que lui, il pivota sur ses talons et se dirigea vers le couloir par lequel ils étaient arrivés, malgré les protestations de l'homme resté en plan avec sa machine en panne.

***

Cornelli se laissait calmer par les gestes d'Anna et sa voix douce qui lui racontait des histoires sans importance, auxquelles elle n'aurait pas accordé le moindre intérêt en temps normal.

Elle ferma les yeux, savourant le passage régulier de la brosse dans ses longues mèches.

« Vous avez de beaux cheveux, commenta Anna. Une belle couleur dorée. Et surtout, ils sont faciles à coiffer. Pas comme les miens... Je crois que sur ce point, j'ai hérité de mon père... Plus que de ma mère », ajouta-t-elle en riant.

L'image de mestre Lars s'imposa dans l'esprit de Cornelli... Mais un Lars plus jeune, aux cheveux blonds et non blancs, mais tout aussi désordonnés. À côté de lui, se tenait une femme : mince, nerveuse, le nez piqué de taches de rousseur et l'allure décidée. Mais le plus étrange, c'est qu'elle avait l'impression de lever les yeux vers eux, comme une enfant regardant ses parents. Elle cligna lentement des paupières : était-elle fatiguée au point que son imagination lui jouait des tours ?

Elle sentit ses mains se crisper sur ses genoux en rependant à l'image qu'elle avait entrevue lors de leur fuite. Elle pouvait à présent définitivement écarter la prémonition.

Cornelli s'obligea à penser à autre chose, mais rien ne lui venait à l'esprit. Elle décida de recourir à son expérience de messagière en s'absentant d'elle-même, comme lorsqu'elle rappelait les paroles qui étaient enfermées dans sa mémoire et qu'elle pouvait restituer sans en prendre connaissance. Dans cet état, elle n'était plus consciente du monde extérieur, ni même de ses sensations. Son esprit était parfaitement clair, mais confiné dans son propre espace. Elle se sentait libérée d'un univers chargé de tourments.

La jeune fille respira profondément et ferma les yeux, prête à prendre cette nécessaire distance, mais les choses ne se passèrent pas comme elle l'avait escompté. Alors qu'elle était en train de se retirer de la réalité, elle eut l'étrange impression qu'une porte s'ouvrait dans son inconscient.

Au lieu de se couper du monde, elle venait, au contraire, de le laisser entrer tout entier en elle ; un essaim de couleurs, d'odeurs, de sons, de fragments de paroles et de pensées envahit son esprit, comme portée par un tourbillon de lumière bleutée.

La jeune fille n'avait même pas la possibilité de fermer les yeux ; elle se sentit frissonner violemment. Plus rien n'avait de sens : elle s'était perdue dans un chaos total, sans rien pour s'y raccrocher...

Quand un hurlement retentit à ses oreilles, une part encore lucide d'elle-même réalisa qu'il venait d'elle. Puis, progressivement, quelque chose prit le dessus... Une émotion plus forte. Un mélange de peur, d'inquiétude, d'affection qui se déversa sur elle, noyant peu à peu tout le reste. Cornelli reprit enfin conscience d'elle-même : une étreinte chaleureuse s'était refermée autour d'elle ; quelqu'un lui murmurait des paroles réconfortantes.

Elle rouvrit les yeux pour rencontrer le regard grave d'Anna. La femme la prit par les épaules, l'obligeant à se lever :

« Venez, dit-elle doucement, mais fermement. Il faut que nous allions voir mon père. »

***

L'ancien exploreur passa les deux mains dans ses cheveux en bataille, le regard perdu dans le lointain.

Il avait beau réfléchir à la meilleure façon d'aborder la situation, rien ne lui venait à l'esprit.

Trois jeunes gens.

Possédant chacun trois des dons d'Handesel.

C'était juste inconcevable, et cependant...

Augustus, les bras derrière le dos, observait les flammes qui brûlaient dans le poêle, son visage étroit tout aussi pensif.

« Je n'avais jamais entendu parler de triple don, murmura-t-il. Mais ces jeunes gens sont tous exceptionnels. La révélation de la nature d'invocant du jeune Deepriver a éclipsé le fait qu'il est aussi un perceveur et un sunder. »

Lars acquiesça :

« Tu as raison. C'est une coïncidence étrange... Je suppose que les événements de ces derniers jours ont dû faire émerger ces capacités jusque-là dormantes en eux... Mais après tout, étant donné que le Cadran ne détecte que les dons officiels, rien ne prouve qu'il n'y a pas d'autres individus comme eux à Handesel... »

Lars acquiesça en silence. Quand la nouvelle leur était parvenue, de sources différentes, les deux hommes s'étaient retrouvés dans son petit bureau au cœur du dédale. Le lieu ne payait pas de mine : une pièce aveugle comme tant d'autres à la Guilde, éclairée par des rampes électriques un peu trop vives ; la surface de chaque mur accueillait une succession dépareillée de vieilles armoires, de placards et d'étagères. Sur la table qui occupait une bonne partie de l'espace, s'empilaient des plans hâtivement griffonnés, des cartes, des notes éparses sur des feuilles volantes. Des outils colonisaient l'endroit, oubliés même dans les coins les plus inattendus. Augustus semblait déplacé en ces lieux, dans son élégante redingote rouge. Mais Lars était heureux de pouvoir partager avec lui ses réflexions et ses inquiétudes ; le Calicien ne manquait pas de ressources et, en l'absence de Marnie retenue au Détachement saxe, il était le seul qui pouvait écouter ses doutes et ses suppositions.

La jeune Framke était venue directement le trouver, pour lui annoncer l'émergence du talent d'ingénier du Loys. Lars avait été surpris et un peu chagriné : le garçon n'avait pas besoin d'une autre source de trouble et d'incertitude. Cependant, il avait vite changé d'opinion : ce don était maîtrisé par un grand nombre de membres de la guilde et il n'avait rien de dangereux comme le pouvoir d'invoquant de Nigel Deepriver, bien au contraire. Il suffirait de rassurer l'adolescent et de lui apprendre, avec douceur et patience, quelles étaient les possibilités de ce talent inattendu. Si le Calicien venait à rester avec eux dans les profondeurs de la ville, il pourrait rapidement se rendre utile au sein des équipes d'inventiers.

Pour la petite Erdane, les choses étaient plus délicates. Le don de lecturier était rare et mal connu, presque aussi légendaire que celui des invoquants. Son déclenchement subit avait laissé la pauvre enfant dans un état de confusion absolue, d'autant plus douloureux qu'elle avait passé une bonne partie de sa vie à faire taire ses émotions. La jeune fille était tout bonnement terrorisée. Même si elle avait retrouvé sa lucidité, elle se raccrochait désespérément à Anna, dont seule la présence semblait la rassurer. L'expérience d'Augustus avait été particulièrement précieuse : il avait pu identifier sans trop de mal ce qui affectait Cornelli, à partir de ses explications balbutiantes. Il avait demandé qu'Alon Fairweather soit prévenu au plus vite : en tant que messagier, il pouvait, mieux que quiconque, aider Cornelli à récupérer un peu de son équilibre.

« Nous aurions pu nous charger du garçon, mais sans toi, je me demanderais encore ce qui affecte la petite, remarqua Lars, songeur.

— Le bureau des Affaires tripartites emploie des lecturiers, expliqua l'ancien pilote d'un ton grave. Ils se servent d'eux à des fins peu honorables, pour sonder l'esprit des suspects... »

Lars posa un regard surpris sur son ami :

« Mais... Ils n'ont jamais soumis aucun d'entre nous à ce traitement, à l'époque où Earnest est parti... »

Un fin sourire se dessina sur les traits du Calicien :

« Il y a moyen de les contrer, quand on sait à quoi s'attendre. »

Le techmestre se sentit pâlir à cette révélation.

« N'y pensons plus, reprit Augustus. C'est la jeune fille qui compte. Il est d'autant plus heureux qu'elle n'ait jamais été repérée, ni par son empire ni par la Guilde des messagiers, encore moins par le bureau des Affaires tripartites. Espérons qu'Alon saura l'aider. »

Lars hocha lentement la tête :

« Tu as raison. Mais autant le jeune Loys saura s'adapter parmi nous, autant elle me fait l'effet d'un fech hors de l'eau. Les jours qui viennent risquent d'être difficiles pour elle. »

Soudain, des coups retentirent à la porte :

« Entrez », lança Lars d'un ton dans lequel sa préoccupation se manifestait encore.

Le battant pivota, révélant la silhouette grave de Juvénal :

« Mestre Lars ? Nous avons reçu ce message de la part de mestress Longstride... »

L'ancien exploreur le regarda un moment sans mot dire, en proie à des sentiments contradictoires : s'agissait-il de bonnes nouvelles ou, au contraire, de funestes informations ? Il s'obligea à prendre l'enveloppe et l'ouvrit d'une main tremblante. Il déchiffra les quelques lignes hâtivement griffonnées :

« Nous avons besoin de vos services à l'hospice. Nous vous y attendons dans les meilleurs délais. Nous avons enfin des indications sur l'état du patient pour lequel vous vous inquiétiez. À très bientôt. »

Sa main se resserra sur le papier, le froissant involontairement, tandis qu'un espoir fou gonflait son cœur. Il se tourna vers son ami, le regard brillant :

« Nous avons retrouvé le jeune Nigel ! »

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