XXIII - L'Invocation
Augustus Valdor entraîna les jeunes gens hors de l'immeuble, leur enjoignant à mi-voix de se faire les plus discrets possible.
L'ancien exploreur avait vu juste : si les quatre hommes à la large carrure qui flânaient devant la façade étaient bien des agents des Affaires tripartites, ils n'avaient pas de signalement correspondant à un vieux Calicien distingué, une messagière blonde et un apprenti pilotier aux cheveux bruns, ni au notaire rondouillard qui les suivait avec une surprenante célérité.
Après avoir pris un peu de distance, Augustus se pencha vers les deux jeunes gens :
« Aloysius... vous ne pourrez pas rentrer à la maison de votre guilde. Vous en êtes bien conscient ? Personne ne vous y protégera. Nous allons nous rendre à la Guilde des messagiers, où nous courrons moins de risques... »
Cornelli Blaubrunnen sortit de sa torpeur et murmura d'une voix emprunte de méfiance :
« Nous allons tout raconter à mestre Fairweather, je suppose ? »
Il la fixa avec intérêt :
« Vous l'avez rencontré ?
— Oui », murmura-t-elle sombrement.
Loys se sentait tellement perdu qu'il n'eut même pas la présence d'esprit de faire rectifier son prénom. Ce qui venait de se passer dans le bureau de maître Fetter n'avait pas ébranlé que l'existence de Deepriver, mais aussi la sienne et celle de mestre Fetter. Seule sa cousine serait peut-être épargnée par cette terrifiante vindicte.
Il ne regardait plus vraiment où il allait ; il se laissait mener par la main ferme que Valdor posait sur son bras, submergé par des pensées chaotiques. Que serait sa vie à présent ? Lui qui avait si souvent maugréé contre son sort, contre toutes les corvées qu'on lui imposait, ces travaux ennuyeux de révision et de surveillance qui étaient l'apanage des apprentis, réalisait que tout cela lui manquerait douloureusement... Il n'avait pas été un élève modèle, mais il n'avait jamais fait figure de fauteur de troubles. Et pourtant, la carrière dont il avait rêvé, celle d'un pilote aux commandes d'un skif fendant les nuées du Nebel, lui échappait désormais... peut-être à jamais.
Serait-il réduit à mener une vie de proscrit ? De quoi pourrait-il vivre ? Aurait-il l'occasion de revoir sa mère, sa cousine Clélie ? Avait-il un espoir – même minime – que les choses s'éclaircissent et que sa guilde l'accueille de nouveau en ses rangs ? Après tout, il n'était responsable ni de sa naissance ni de sa parenté avec Deepriver. Avant ce testament de malheur, dont la copie craquait toujours dans sa poche, il ignorait tout d'Earnest Seastrand et de son héritage.
Sa gorge était si serrée qu'il s'étonnait de pouvoir encore respirer. Ses tripes s'acharnaient à se tortiller en nœuds complexes dans son ventre. Des pensées rageuses fulguraient dans son esprit : il n'aurait jamais dû chercher à aider Deepriver ! Si le Saxe était capturé, tous les risques qu'il avait pris ne serviraient à rien. Et de quel droit Earnest Seastrand faisait-il porter à sa descendance les conséquences de ses décisions malheureuses ? Il espérait que ce vieux fou était bien mort et qu'il le resterait !
Il secoua la tête, horrifié par le tour de ses réflexions. À la peur, au doute, vint s'ajouter la honte, si puissante que sa vue se brouilla et son visage s'enflamma. Une voix résonna à son oreille :
« Tout va bien, Aloysius ?
— C'est Loys ! répliqua-t-il rageusement. »
Valdor ne releva pas ; ils étaient arrivés à l'extrémité de l'allée, où se trouvait une station de monorail. Le vieux Calicien entraîna sa petite troupe vers les wagons jaunes qui venaient de s'immobiliser le long du quai :
« Venez ! lança-t-il d'un ton autoritaire. Dès que Holstein retrouvera la liberté, il préviendra ses troupes. Le monorail nous donnera de l'avance... »
Loys s'apprêtait à protester : il n'avait pas assez d'argent pour le transport ! Mais Valdor sortit de sa poche intérieure un portefeuille de cuir travaillé et se dirigea vers le guichet de son pas impérieux. L'instant d'après, il revint avec trois billets qu'il confia à chacun de ses compagnons avant de les pousser dans le monorail. Loys y entra comme un somnambule, remarquant que Cornelli Blaubrunnen semblait tout aussi choquée que lui, sinon plus. À plusieurs reprises, elle avait levé sa main à son front, comme si sa tête la faisait souffrir.
Le jeune homme se laissa tomber sur la banquette à côté de sa cousine : il faillit mettre un bras autour de ses épaules pour la réconforter, comme il l'aurait fait pour Clélie, mais il doutait qu'elle apprécie cette initiative. Surtout venant de quelqu'un qui appartenait à une caste inférieure. Après tout, n'avait-elle pas déclaré que son père occupait un poste haut placé ?
Le frère de son propre père... et de la mère de Deepriver. Il peinait encore à réaliser qu'ils partageaient tous un lien du sang, plus proche que celui qu'il avait avec Clélie, sa cousine issue de germain. Mais Clélie et lui avaient grandi comme frère et sœur ; Armince l'avait toujours considérée comme sa fille. Tous les trois s'entraidaient, se tenaient compagnie, se soutenaient, se comprenaient sans avoir besoin de parler. Son cœur se serra à la pensée qu'elles pourraient être inquiétées à cause de lui.
Il regarda le bout de ses pieds, se frottant machinalement les yeux pour en évacuer un reste d'humidité. Un début de somnolence s'emparait de lui ; il se laissa aller sur le rembourrage de cuir et ramena contre lui son bras blessé, qui commençait à l'élancer. Il espérait que dans la précipitation de l'instant, il n'avait pas arraché quelques points.
L'arrêt brutal du monorail le projeta en avant ; il faillit cogner dans Fetter, assis devant lui dans le sens de la marche, à côté de Valdor. Quelques cris de surprise s'élevèrent parmi le reste des passagers. Les mécanismes firent entendre un grincement torturé. Après un dernier soubresaut, la rame s'immobilisa au-dessus du vide, dans l'espace étroit entre deux bâtiments. De hautes fenêtres, obscurcies de reflets, les contemplaient d'un œil sombre et vitreux, entre de sévères moulures verticales.
Tout en se laissant retomber à sa place initiale, Loys se demanda, le cœur battant, si le bureau des Affaires tripartites avait pu stopper la ligne, afin de les retenir assez longtemps pour envoyer des hommes à la prochaine station. Il leur suffisait de faire actionner les systèmes de sécurité ou couper l'alimentation électrique.
Son regard rencontra celui, assombri par la préoccupation, de Valdor dont les suppositions devaient rejoindre les siennes. Cornelli se contenta de jeter un coup d'œil nerveux autour d'elle. Finalement, ce fut Fetter, qui avait tiré son grand mouchoir de sa poche pour s'éponger le front, qui parla le premier :
« Je suppose qu'il n'y a aucun moyen de sortir de là ?
— Aucune qui vous agréerait », répliqua ironiquement Valdor.
Il observa la façade de l'immeuble : il n'y avait guère plus de deux toises entre la rame du monorail et le rebord de la fenêtre la plus proche. Loys prit une inspiration un peu tremblante, en songeant qu'il ne parviendrait jamais à franchir cet espace : aucun d'entre eux n'était un athlète ou un équilibriste. Pourtant, c'était la seule solution possible.
Les passagers discutaient nerveusement, pour tenter de dissiper leur inquiétude. L'apprenti calicien espéra que personne ne s'aviserait de l'étrange silence de leur petit groupe.
Le cri aigu d'une femme, vers l'avant du wagon, fit sursauter le jeune homme : elle était tombée au sol, poussant des hurlements hystériques, frappant de coups désordonnés tous ceux qui essayaient de l'approcher. Ses bottines battaient l'air frénétiquement, ses mains gantées raclaient le plancher... Ses lèvres déversaient des supplications incompréhensibles.
Un homme d'un certain âge, qui s'était porté à son secours, s'effondra à côté d'elle ; il se recroquevilla sur lui-même en sanglotant nerveusement. Un autre, un peu plus jeune, se précipita vers la fenêtre et tenta de l'ouvrir avec des halètements incontrôlables. Dès lors, une véritable panique se communiqua à tous les passagers, qui reculèrent vers l'arrière du wagon avec des cris de terreur. Malgré les injonctions chuchotées par Valdor de ne surtout pas bouger, Loys se leva pour essayer de comprendre ce qui avait pu arriver.
Ce qu'il aperçut le cloua de stupeur : entre les fauteuils, de longues écharpes de brume se faufilaient comme des serpents éthérés.
Des serpents de brume verte...
***
Le regard pensif, Koenig se dressait au sommet d'un des plus hauts bâtiments du quartier est.
Ses mains agrippaient la rambarde couronnant le toit mansardé de l'édifice. La Tour blanche avait miraculeusement échappé aux affronts des fumées noires, que les auvents ne parvenaient pas à écarter totalement de la ville. Seuls la dominaient la Lanterne, le phare depuis longtemps désaffecté de l'ilande, et le beffroi au-dessus de l'ancien siège de la préfecture de Silberleut.
Il observa la forêt urbaine qui s'étendait devant ses yeux : même si d'autres sens lui permettaient d'en percevoir les tours, les détours et les moindres recoins, la vue lui en offrait la couleur, l'aspect, les infinies nuances.
Il poussa un soupir en plongeant le regard vers les vallées artificielles : il avait été négligent et, à présent, sa précieuse proie s'était échappée de l'endroit où il la croyait soigneusement confinée par un hasard bienveillant. Il glissa la main dans sa poche et en sortit son récepteur d'affinité. Le globe métallique tenait tout juste dans sa paume ; sa partie supérieure, délicatement ajourée, laissait voir une couronne de bulles de verre où se tordaient les essences colorées des différents dons d'Handesel. Il tapa du bout d'un doigt ganté la celle où se bouillonnait un léger filet vert, pas tout à fait liquide, ni tout à fait gazeux... Mais l'essence refusait de lui parler.
« Où te caches-tu ? » murmura-t-il.
Koenig rempocha le récepteur trop silencieux : l'objet pouvait confirmer l'utilisation dans les parages d'un don, même pointer vers son propriétaire, mais il n'était pas assez puissant pour le repérer à l'échelle d'une ilande. Il ne lui restait que la chance... ou la détermination. Il redressa son haut-de-forme en considérant pensivement la termitière de pierre, de métal et de verre. Un vent léger jouait avec les longues mèches de ses cheveux.
Ce monde n'était pas le sien : comme tant d'autres ilandes, Silberleut n'était qu'une abomination où s'entassait une population aveugle, maintenue à dessein dans l'ignorance par des dirigeants au savoir tout aussi défaillant. Ils avaient préféré oublier le passé et tout ce qu'il comportait de devoirs et d'appels à la prudence.
Avec un soupir, il nettoya soigneusement ses lorgnons, les replaça sur son nez et assura sur son épaule la bride de sa lourde besace. Il espérait ne pas avoir à affronter directement les agents de ce bureau supranational qui semblait décidé à imposer ses lois. Ce n'était jamais de gaieté de cœur qu'il incitait ses hommes au meurtre, mais quand des intérêts supérieurs entraient en jeu, il fallait parfois mettre de côté ses scrupules et agir sans états d'âme.
Koenig assumait la possibilité de faire des erreurs... comme celle, compréhensible, mais regrettable, qui avait bien failli entraîner une perte irréparable. Il porta le dos de sa main à sa bouche, agaçant pensivement du bout des dents la couture de son gant. Cet enfant devait bien être quelque part parmi les quarante mille habitants qui grouillaient à tous les niveaux de l'ilande.
Derrière lui, deux des membres de sa petite armée privée attendaient qu'il daigne bouger de son poste d'observation afin de les ramener dans leur baraque décatie ou de les mener à la recherche de leur cible. Finalement, la silhouette dans son élégant manteau de laine blonde se détourna de l'abîme.
« Allons-y », conclut-il d'un ton résigné.
Mais les trois fiers-à-bras au visage impassible et couturé refusèrent de quitter la place. Ils continuaient à fixer un point dans son dos. Au fond de leurs yeux, une émotion brutale noyait toutes les autres : la peur.
Koenig connaissait ses hommes : ils faisaient partie d'une caste qui existait dans chaque ville, une société secrète qui les préparait à montrer une loyauté absolue aux envoyés tels que lui. Ils n'étaient pas du genre à s'effrayer d'un rien. Lentement, il se retourna à son tour pour tirer au clair l'origine de leur étrange fascination...
Et il la vit.
Cette colonne fluctuante, tourbillonnante, répandant des écharpes de brume à tout venant... Il n'en croyait pas ses yeux. C'était comme si le monde lui accordait un signe, on ne peut plus limpide, on ne peut plus brillant.
« Meister Koenig, intervint l'un de ses hommes avec nervosité, vous savez ce que c'est ? »
Il plissa légèrement les yeux, observant les variations de la colonne éthérée :
« Oui, je le pense... », répondit-il sereinement.
Il sentit un sourire tirer les commissures de ses lèvres.
« Nous devons juste faire tout ce qui est en notre pouvoir pour retrouver celui qui en est l'origine. »
Sa mine redevint sévère :
« Mais... vivant. Et en bonne santé, c'est impératif. Dites-vous qu'il sera notre... invité. Oui, ajouta-t-il avec plus de fermeté. Notre invité. »
Il ferma les yeux et se laissa pénétrer par la vision de la ville dans son intégralité. Progressivement, le tracé des rues, l'enchevêtrement des passerelles, la course erratique des passages s'imposèrent dans son esprit. Comme tous les géomestres, il ne percevait pas le vivant, juste l'inerte, ce qui était bâti avec des matériaux censés défier le temps.
L'image s'éloigna subitement pour lui offrir une vue complète de l'ilande, comme une maquette vaguement transparente. Même si elle ne laissait pas apparaître le tourbillon, il pouvait cependant déterminer comment s'en rapprocher, au milieu de ces étranges piques immatérielles qui fleurissaient dans sa conscience comme des herbes drues. Il se pencha en pensée sur cette carte bienvenue, cherchant à trouver le chemin le plus simple et le plus aisé.
Koenig rouvrit ses paupières et regarda autour de lui : les fragments de brume qui se détachaient de la colonne commençaient à voleter çà et là. Il connaissait leur effet sur des passants non protégés. Si des membres de la maréchaussée ou du bureau des Affaires tripartites s'en apercevaient et tentaient de s'approcher de l'origine de ce fléau vert, les choses seraient moins compliquées pour ses hommes et lui. Il fallait juste espérer qu'ils n'avaient pas de sunders parmi eux, et que même si c'était le cas, ils s'avéreraient vulnérables aux émanations les plus puissantes d'un invocant.
« Allons-y »
De sa besace, il tira un masque intégral, une sorte de cagoule avec un filtre respiratoire et deux grandes lentilles rondes. Un long tuyau, fixé à la nuque, menait à un réservoir plat muni de bretelles pour l'accrocher dans le dos. Il enfila son attirail, replaça soigneusement son haut de forme par-dessus le casque de cuir avant de prendre la direction qu'il supposait être la bonne. Les trois sbires, qui s'étaient pareillement équipés, le suivirent sans discuter vers le cœur de la ville.
***
Cornelli laissa échapper un cri, en se renfonçant avec panique dans son fauteuil.
Elle avait eu le sentiment, depuis leur fuite du bureau de Fetter, de vivre au milieu du brouillard... mais cette nouvelle menace, aussi insolite qu'inattendue, l'avait brutalement éveillée. Ils étaient les seuls passagers à être restés à leur place dans le wagon : les autres se serraient en groupe compact, terrorisés à la vue des trois personnes qui avaient sombré dans les affres de la folie. Fetter, en face d'elle, semblait également pétrifié, mais ni Valdor, ni Aloysius n'étaient affectés au-delà de leur évidente surprise. Ce qui paraissait naturel pour l'apprenti pilotier, puisqu'il était sunder ; est-ce que cela signifiait que mon'sier Valdor possédait ce don ? Oui, bien sûr... il avait été cité parmi les anciens compagnons de Seastrand.
Elle ferma brièvement les yeux, tentant de calmer sa respiration : rien ne la protégerait, elle, de cette abomination qui hantait les cauchemars de tous les enfants d'Handesel. Même si...
Les souvenirs éveillés par mestre Fairweather lui revinrent en tête. Pouvait-elle être également sunder, comme l'avaient été son grand-père et sa grand-mère paternels ? Après tout, ses deux cousins avaient reçu ce don en héritage.
Valdor se pencha vers elle, la prenant par l'épaule :
« Emmenez mestre Fetter avec les autres, manfrolen. Je pense que vous ne risquez rien, mais ce n'est pas son cas. Votre calme rassurera les autres passagers. Vous comprenez ? »
Il la fixa droit dans les yeux, ses prunelles vertes habitées par une absolue confiance. Cornelli déglutit difficilement : personne ne s'était jamais appuyé sur elle de cette façon.
L'ancien exploreur tourna son attention vers Aloysius et déclara d'un ton pressant, en désignant de la tête les trois victimes :
« Nous devons les éloigner des nuées, le plus rapidement possible. Et empêcher la brume de les atteindre de nouveau.
— L'empêcher ? » demanda Loys nerveusement.
Mais cette question n'était pas destinée à recevoir de réponse immédiate ; il s'élança dans la foulée de Valdor. Elle ne pouvait nier qu'elle éprouvait quelques préventions à son encontre, du fait de son appartenance à un milieu populaire. Mais en le voyant ainsi se porter au secours des autres, sans temporisation superflue, elle ne put s'empêcher d'être impressionnée. D'autant plus impressionnée qu'il ne lui faisait pas l'effet de quelqu'un d'inconscient ou même d'héroïque.
Cornelli retourna très vite à sa propre situation. Le peu de défiance qu'elle avait montré dans le bureau l'avait drainée de son énergie et laissée tremblante, dans un état quasi-second. Elle se sentait encore plus démunie que lorsque le préfet lui avait demandé d'espionner mestre Fairweather. Mais elle ne voulait pas décevoir Valdor, pour qui elle éprouvait un respect instinctif. Elle savait aussi que si elle ne faisait rien, elle devrait vivre avec ce sentiment de lâcheté et d'impuissance qui menaçait déjà de la submerger.
Essayant d'oublier la douleur qui martelait ses tempes, elle se leva et murmura à mestre Fetter :
« Suivez-moi... je vous prie. »
Le tabellion, visiblement démuni, la suivit sans protester. La jeune fille se dirigea vers la quinzaine de personnes paniquées qui se tassaient aussi loin des émanations que le leur permettait l'espace du wagon. Déjà, certains d'entre eux essayaient d'ouvrir les vitres, comme si la simple vue des écharpes de Nebel suffisait à les jeter dans la démence. Leur frayeur créait une chape sinistre, presque substantielle, tout autour d'eux... Plus insidieuse que la brume, elle tentait de s'infiltrer dans l'esprit de Cornelli, fragilisé par les événements passés.
Elle devait se reprendre en main.
La bouche sèche, elle chercha quelque chose à dire et finit par balbutier :
« Ne vous inquiétez pas... Je suis sûre qu'on viendra nous secourir... »
Mais personne n'entendit sa voix si faible, si jeune, si hésitante.
La messagière se dirigea vers une femme qui devait avoir trois fois son âge, vêtue d'un jaune vif du plus mauvais goût, qui gémissait en serrant son sac contre sa poitrine. Elle posa une main sur son bras rebondi :
« Je vous en prie, calmez-vous... Ça ne sert à rien de paniquer... Mes... mes compagnons sont sunders... Ils vont tout faire pour vous aider. »
Un homme d'une quarantaine d'années, qui était resté à peu près digne, lui lança un regard méprisant :
« Nous aider comment ? Ils n'ont rien à craindre, eux... »
Elle se mordit la lèvre en songeant qu'elle allait devoir mentir, mais elle savait que c'était nécessaire :
« Mais moi si, rétorqua-t-elle, retrouvant instinctivement les accents de sa mère. Je suis messagière et je suis arrivée à Silberleut couchée dans une dormeuse. Pas debout sur le pont du skif ! Je me fie à ceux qui connaissent le Nebel. En attendant, nous devons retrouver notre calme et surtout, ne pas tenter de descendre de la cabine. Ce serait une mort certaine ! »
À bout de souffle après cette tirade, elle braqua son regard sur le petit troupeau, tentant de leur communiquer une sérénité qu'elle ne ressentait guère. À son grand étonnement, les passagers se calmèrent sensiblement. Sans doute avaient-ils juste besoin que quelqu'un se dévoue pour prendre les choses en main. Mais elle comprenait difficilement pourquoi aucun de ces messieurs à l'air important, aucune de ces dames respectables n'avait été capable de le faire. Au moins, plus personne ne tentait de se jeter dans le vide...
Elle regarda derrière elle : ses compagnons avaient secouru les victimes de la brume ; Loys tenait par les épaules la femme qui marchait en titubant, les yeux hagards, tandis que Valdor entraînait par le bras l'un des deux hommes. Le troisième suivait, la mine défaite, manifestement moins affecté que les deux autres. Les deux sunders les assirent sur les fauteuils ; l'ancien exploreur observa la petite assemblée :
« Je vois qu'il n'y a pas de médicants ici... remarqua-t-il. Mais peut-être que certains d'entre vous ont des connaissances en la matière ? »
Une petite femme très pâle s'avança courageusement et vint s'asseoir à côté de la passagère, toujours dans un état second. Elle se pencha vers elle et commença à lui parler avec douceur. Valdor et Aloysius regagnèrent le groupe ; le vieux Calicien lança aux autres un regard perçant :
« Nous devons rester ensemble. Le Nebel atteint bien plus gravement les personnes isolées...
— Mais comment est-il arrivé ? » demanda nerveusement un jeune homme aux allures de dandy.
Il se tourna vers Blancherive :
« Vous devez le savoir, vous ! Vous êtes un pilotier ! »
Le garçon secoua doucement la tête :
« Apprenti pilotier », rectifia-t-il.
L'homme autoritaire lança un regard soupçonneux à Valdor :
« Mais vous... vous n'êtes pas pilotier, remarqua-t-il d'un ton accusateur. Comment se fait-il que vous portiez un habit civil, si vous êtes sunder ? »
Le vieux Calicien redressa son profil aquilin et le toisa avec une désinvolture étudiée :
« Je suis un ancien exploreur. J'ai été rendu à ma nation à la disparition de ma guilde. »
Un lourd silence accueillit sa déclaration, seulement entrecoupé par les sanglots de la femme qui avait été piégée par le Nebel.
***
En parcourant la ville, Koenig s'arrêtait régulièrement pour sortir son détecteur d'affinités.
Il avait conscience de présenter une allure étrange, avec son grand manteau cintré, son haut de forme emplumé et ce masque qui couvrait tout son visage. Heureusement pour lui, les habitants de la Silberleut étaient tellement paniqués qu'ils ne prêtaient aucune attention à ce qui les entourait, cherchant le salut le plus loin possible de la colonne et de ses effluves, ou, plus naïvement, entre les murs de leurs logis.
Suivi de ses deux hommes, il marchait aussi vite qu'il le pouvait sans s'essouffler, en direction de l'origine du tourbillon. Le phénomène commençait à faiblir ; le vent léger lui arrachait de longues volutes qui s'évaporaient paresseusement dans les airs.
Leur chemin les menait vers les bas-fonds de la ville, dans ces tranchées qui s'ouvraient comme des failles au cœur de l'ilande. Il se demanda ce qui avait bien pu pousser ce garçon à fuir vers ces profondeurs chaotiques. Sans doute avait-il été poursuivi... et acculé, sans autre solution que relâcher instinctivement son don. Un acte des plus imprudents : jamais un invocant ne devait être placé dans une situation si périlleuse...
Surtout un invocant assez puissant pour créer un tel tourbillon.
Il peinait à respirer sous son masque : l'air ne lui parvenait que de façon limitée, à travers le filtre de vapeur que lui dispensait régulièrement le dispositif. À chacun de ses pas, les verres épais déformaient la perspective.
Les émanations se densifiaient, flottant autour d'eux tandis qu'ils s'enfonçaient de plus en plus profondément vers les bas-fonds de la ville. Koenig tâchait d'oublier les silhouettes prostrées ou agitées par les convulsions d'une terreur si abjecte qu'elle les plongeait dans les affres de la démence. Il ressentait une profonde colère pour ceux qui avaient, par leur ignorance et leur incurie, provoqué ce désastre. Il espérait juste qu'aucun innocent n'y perdrait la vie.
***
Loys supporta avec gêne les regards qui pesaient non seulement sur Valdor, mais également sur Cornelli et lui-même.
Pourquoi avait-il fallu que le vieux Calicien dévoile ainsi son passé ? Les exploreurs avaient disparu depuis cinquante ans ; attirer l'attention sur leur petit groupe par une telle révélation était bien la dernière chose à faire ! Mais heureusement, les occupants du wagon semblaient plus étonnés qu'hostiles.
« Après la dissolution de la guilde, reprit Valdor, j'ai rejoint la vie civile. Mais cela ne m'empêche pas de posséder encore un don... que personne ne peut m'ôter. »
L'homme qui avait montré quelques velléités d'autorité le toisa avec méfiance :
« Avez-vous pour autant le droit de l'employer ? »
Valdor sourit froidement :
« Mes dons font partie de moi... comme je vous l'ai dit. Mon jeune ami ici présent pourra vous confirmer que le don de sunder est passif. Ne pas m'en servir signifierait... ne pas exister. »
Il croisa les bras, redressant de toute sa taille :
« Mais si vous ne souhaitez pas mon aide, peut-être pouvez-vous le dire maintenant. Vous savez que si le Nebel qui s'est infiltré dans la ville nous atteint à nouveau, nous sommes peut-être votre seule chance de survie... »
L'homme secoua la tête brusquement :
« Vous êtes tout autant coincé que nous dans ce guêpier. Nous ne savons pas ce qui se passe dans les autres wagons. Le conducteur de monorail est peut-être plongé lui aussi dans cette... terreur... »
Le mot peina à franchir ses lèvres.
« Dans les autres wagons, il n'y avait peut-être personne pour intervenir et limiter les dégâts ! le contra Valdor. Nous sommes votre meilleure chance. »
Une très vieille femme engoncée dans ses châles se força un passage de ses coudes pointus vers l'ancien exploreur, qu'elle toisa avec mépris. Levant le bout de sa canne vers son cadet de quelque dix années, elle lui asséna de sa voix grinçante :
« Croyez-vous que nous avons oublié ? Oublié que vous et vos semblables, vous avez joué les héros et les aventuriers et provoqué le massacre d'un filder entier ? Nous n'avons pas besoin de gens comme vous... »
Loys s'était senti inutile jusqu'à présent. Il s'était contenté d'écouter le vieil homme, incapable de prendre la moindre initiative. Il avait admiré la maîtrise que Cornelli avait manifestée, en dépit de son épuisement et de sa confusion. Il n'avait fait que suivre les injonctions de celui qui était devenu, en l'espace de quelques heures, leur protecteur et leur mentor.
L'apprenti avait totalement oublié sa blessure ; à présent, elle l'élançait de nouveau, comme si l'agitation du moment l'avait éveillée. Serrant contre lui son bras douloureux, il se tourna vers l'ami de son grand-père, comme pour chercher une assurance que cette affirmation était fausse, que tout le monde ne considérait pas les exploreurs avec autant de sévérité. Cette question qu'il avait voulu laisser dans les ténèbres du passé prenait soudain une importance majeure. Même s'il n'aurait dû dire pourquoi...
Sans doute parce qu'il avait entendu Valdor assumer ouvertement ce qu'il était...
Qui il était.
Et Loys l'enviait de le savoir aussi précisément.
Mais rien de tout cela ne l'éclairait sur leur sort, quand ils seraient secourus par les mécaniciens de la ville, ou bien quand ils atteindraient le prochain arrêt.
Il reporta son attention sur les émanations qui se tortillaient paresseusement à l'extrémité du wagon : le Nebel ne semblait pas progresser vers eux... il refluait même, comme s'il était repoussé. Il se tournait vers Valdor pour lui demander pourquoi la brume se comportait de cette manière, quand il l'entendit prononcer doucement :
« Souhaitez-vous que le Nebel s'écarte davantage ? Restez avec eux, manfrolen. Suivez-moi, Blancherive. »
Le garçon emboîta le pas à son compatriote. Tandis qu'ils s'approchaient, il vit les langues de brume reculer, comme si une barrière invisible les repoussait hors du wagon.
« Le don de répulseur, déclara à voix basse l'ancien exploreur. La plupart du temps, vous l'employez inconsciemment. Il est partagé par beaucoup, mais plus fort chez les sunders. Bien plus puissant. Et surtout contrôlable... »
Il esquissa un fin sourire :
« À l'époque des exploreurs, les pilotiers peinaient à garder leurs appareils des infiltrations du Nebel. Notre disparition a... également réglé ce problème, en ramenant en leur sein tous les répulseurs tels que vous. »
Un soubresaut agita le wagon, indiquant que celui-ci était en train de reprendre sa route... mais il n'allait pas dans le sens initial. Il était entraîné en sens inverse, vers leur gare de départ...
Vers l'endroit où les attendaient les hommes du bureau.
***
Koenig leva le bras pour essuyer la sueur qui coulait sous son masque, avant de se souvenir qu'il n'y parviendrait pas.
L'urgence se faisait de plus en plus pressante... et il n'avait pas encore retrouvé celui qu'il cherchait. Devant lui, un escalier de métal plongeait vers les profondeurs de la ville, vers les carcasses renforcées et sacrifiées des anciens bâtiments. Il sentit un frison le parcourir : la noirceur qui hantait ces vestiges d'un lointain passé lui semblait bien plus cauchemardesque que le Nebel lui-même. Les longs filets de brume l'entouraient de volutes paresseuses, qui s'épaississaient au fur et à mesure de son approche.
Par les lentilles vitrées de son masque, le geomestre ne distinguait presque plus rien. Les murs vertigineux et l'enchevêtrement de poutrelles constituaient des masses sombres dans son champ de vision. Ses pas résonnaient sur les passages métalliques, les terrassements de pierres ; il sentait des déchets et des débris de toute sorte rouler sous ses semelles.
Koenig plongea la main dans sa poche pour en sortir une nouvelle fois le récepteur : l'essence dans la boule verte dansait violemment, tourbillonnant au rythme des émanations de Nebel autour de lui. Il soupira de soulagement : il touchait au but... Il espérait juste qu'il approchait par la bonne direction, dans ce dédale. Si ses hommes et lui avaient emprunté la mauvaise voie, ils devraient peut-être remonter vers les étages supérieurs de cette maudite ville pour ensuite redescendre par un autre chemin, un trajet ardu en dépit de son don.
L'envoyé inspira autant qu'il le pouvait à travers le filtre du masque et se tourna vers ses acolytes :
« Allons-y, déclara-t-il d'une voix déformée par l'appareillage. Il est tout proche. »
La passerelle de plaques rivetée, suspendue par des tenons fichés dans un épais mur de briques noircies, tremblait sous leur passage. Précédant ses hommes, le geomestre avança avec prudence, doutant de la solidité du dispositif. Au bout d'une dizaine des pas, la tôle se déroba sous ses pieds ; il faillit perdre l'équilibre et se rattrapa en s'appuyant d'une main contre la paroi : des marches plongeaient vers les profondeurs glauques, totalement noyées de tourbillons au centre desquels pulsait une lumière d'un bleu-vert intense.
Son cœur battait à tout rompre ; malgré ses protections, le geomestre sentait s'insinuer en lui les semences d'une indicible terreur, qu'il s'efforçait de repousser au fin fond de sa conscience. Il ne devait pas la laisser s'emparer de lui, encore moins le contrôler. Il commença à descendre marche après marche, quand son pied heurta quelque chose... il songea d'abord qu'il devait s'agir de gravats, mais ce n'était pas dur comme celui de la pierre et du métal. L'obstacle ressemblait plus à un paquet de chiffons ou un... corps humain ?
Avec d'infinies précautions, il s'accroupit et tâta la masse inconnue, qu'il sentit trembler et convulser sous sa main. Il pouvait percevoir le son d'une respiration rauque et frénétique. À son contact, la victime du Nebel se mit à pousser un gémissement sourd ; un bruit de détonation, puis un autre retentirent aux oreilles de Koenig, qui se recula brutalement. Il trébucha sur la marche derrière lui, se retrouva à moitié allongé dans l'escalier, le dos meurtri. La plainte se transforma en hurlements de terreurs qui déchirèrent les ténèbres nébuleuses, ranimant la crainte qu'il s'efforçait de réprimer. Quelque chose – l'arme, probablement – tomba en contrebas, rebondissant sur la tôle dans un vacarme assourdissant.
« Mestre Koenig... tout va bien ? » lança un de ses compagnons.
Le geomestre, encore un peu tremblant, hocha la tête, oubliant que ses hommes de main ne pouvaient le voir. Il se sentait pris de nausée, une sueur froide coulait dans son dos. Il ferma les yeux, s'efforçant de calmer sa respiration et les battements incontrôlés de son cœur.
« Tout va bien, déclara-t-il enfin. Il ne doit plus être très loin à présent. »
Il enjamba le corps pantelant et poursuivit sa route ; comme s'il approchait de l'origine des émanations, le Nebel sembla moins dense et comme saturé de lumière.
Un pas, un autre pas...
L'escalier donnait sur une plate-forme à demi décrochée, sur laquelle il n'avait aucune envie de s'avancer. Il pouvait entendre les pas de ses hommes derrière lui, s'arrêtant à la hauteur de la victime.
« Que faisons-nous de lui, meister Koenig ? »
Le geomestre songea aux balles qui avaient sifflé à ses oreilles.
« Je pense qu'il s'agit de son poursuivant. Rendi, Mark, remontez-le hors du Nebel, nous avisera plus tard...
— Bien, mestre. »
Il les entendit s'éloigner lourdement, traînant le poids de l'homme à moitié mort de panique.
« Lanse, suis-moi. »
Il s'arrêta sur la dernière marche, avec l'étrange sentiment d'être enfin sorti du brouillard, dans un air clair et pur, dans l'aura d'une lueur éthérée. Devant lui se projetait une plate-forme entourée d'une rambarde corrodée, presque totalement rongée par endroit. La surface était constellée de croûtes métalliques à demi soulevées, mais ce ne fut pas ce qui attira son attention.
À deux toises de lui, désespérément accroché à la barrière, il apercevait une silhouette vêtue d'un manteau azur tâché de suie, de rouille et sang... Le visage sale, partiellement dissimulé par une frange de cheveux blonds, était celui d'un très jeune homme. Sa peau claire semblait irradier d'une lumière diffuse. Ses yeux écarquillés par le choc et l'incompréhension étincelaient d'une intense lueur bleue.
Si le moindre doute était encore permis, Koenig sentait le récepteur devenir comme fou dans sa poche.
En réalisant sa présence, le garçon sursauta brutalement ; la plate-forme s'affaissa un peu plus. Le geomestre songea que son apparence ne devait pas rassurer l'enfant paniqué. Il ne pouvait le lui reprocher : le malheureux en avait vu de dures durant ces derniers mois, en grande partie par la faute de Koenig lui-même. Il ne comprenait sans doute pas ce qui lui arrivait : encore une raison de détester ce monde de barbares, qui laissaient se perdre des dons précieux autant par bêtise que par ignorance.
L'envoyé poussa un soupir : en théorie, là où il se trouvait, il ne risquait pas grand-chose. Le pire était passé. Le tourbillon autour d'eux n'était plus qu'une émanation résiduelle, qui finirait par se dissiper comme si elle n'avait jamais existé. S'armant de courage, il ôta son haut de forme, puis décrocha le réservoir dans son dos et enleva enfin son masque. L'air reflua dans ses poumons qui en avaient été presque privés, nauséabond, mais frais et abondant. Le verre de ses lorgnons se couvrit d'une légère couche de buée ; il dut les nettoyer avant de les remettre sur son nez, les fixant à l'arrière de sa tête avec un lien de sécurité. Puis, avec des gestes toujours aussi lents, il ôta son manteau, apparaissant dans sa simple tenue de lin et de laine.
« Tu vois ? Tu n'as rien à craindre de moi », déclara-t-il, doutant qu'il reste assez de conscience dans ces yeux envahis de feu bleu pour que leur possesseur comprenne les mots qu'il employait. Mais peut-être que le ton, déjà, rassurerait le pauvre enfant.
Il s'approcha de la plate-forme effondrée, jugeant de la meilleure façon de procéder : il était hors de question d'ajouter du poids sur la structure, qui ne tenait plus que par miracle au palier de l'escalier. Il se tourna vers Lanse :
« As-tu une corde avec toi ?
— Oui, mestre . Même mieux que cela. »
Le geomestre apprécia la prévoyance de son homme de main. Il le regarda sortir de sa besace un harnais et une solide longueur de cordage, qu'il attacha à un tenon plus robuste que les autres. Tout en enfilant les sangles, il réfléchit à la meilleure façon de procéder : le garçon était plus grand que lui et sans doute plus musclé, en dépit de sa minceur. Après tout, n'avait-il pas reçu une formation militaire ? Mais pour l'instant, il ne ressemblait plus vraiment à un joyau de l'armée saxe, juste à un enfant blessé et terrorisé.
Il se tourna vers Lanse :
« Passe-la-moi une seconde. »
Comprenant immédiatement ce que projetait son employeur, l'homme obtempéra. Une fois la corde bien assurée, Lanse la passa autour d'un montant moins rongé que les autres et s'en servit de poulie improvisée pour faire descendre Koenig vers l'invoquant. Celui-ci ferma les yeux, tâchant de ne pas regarder le gouffre sombre et mortel qui s'ouvrait sous eux. Des particules de feu bleu semblaient s'échapper des prunelles du garçon ; ses paupières s'étaient closes d'une fraction, comme s'il peinait à rester conscient – ou du moins, éveillé. Quand Koenig fut à sa hauteur, il tendit sa main gantée vers lui, espérant qu'il reprendrait suffisamment de maîtrise de lui pour la saisir :
« Allez, juste un effort, et tu seras en sécurité... »
Mais il n'obtint toujours aucune réaction du jeune homme. Serrant les dents, le geomestre s'efforça de faire balancer la corde, afin de se rapprocher suffisamment du garçon tétanisé.
Avec un nouveau grincement plaintif, la plate-forme ploya encore un peu.
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