II - Les Passagers du Brisevent


Les derniers passagers avaient quitté le Brisevent.

La tâche des pilotiers était cependant loin d'être terminée. Les techniciens vérifiaient les machineries complexes de la chaudière, du gouvernail et des hélices, ainsi que l'enveloppe du ballon et la pression du gaz qu'elle contenait. Pendant ce temps, les équipes de navigation veillaient à ce que les quartiers intérieurs soient prêts à accueillir de nouveaux occupants.

« Blancherive, un passager a été souffrant dans la C2 ! » vociféra le maître de cabine.

Seau et serpillière en main, Loys se dirigea vers la pièce en maudissait la coutume qui voulait que tous les travaux les plus répugnants soient confiés aux apprentis. Quand il manipula l'ouverture du sas, l'odeur écœurante le prit aussitôt à la gorge : il attendit que le dégoût qui lui tordait les entrailles s'atténue avant de s'avancer dans la cellule. Tous les passagers ne sortaient pas aussi aisément du sommeil artificiellement induit par les dormeuses que les jeunes gens du C3. La plupart d'entre eux manifestaient un temps plus ou moins long de désorientation, de confusion, voire des vertiges et de nausées. Et quand tel était le cas, sunders ou pas, les apprentis devaient nettoyer les dégâts.

Après quelques haut-le-cœur supplémentaires et un véritable effort de volonté, le garçon s'accroupit et entreprit d'essuyer la flaque de vomi au pied de l'un des sarcophages.

« Je parie que c'était un Saxe, maugréa-t-il. Leur cuisine est tellement immonde que c'est normal qu'ils n'arrivent pas à la garder... »

Respirant par la bouche, il s'efforça de penser à autre chose qu'à la corvée en cours. De l'autre côté de la paroi, le maître de cabine et l'un des techniciens affectés aux dormeuses vaquaient à des tâches d'entretien plus noble que la sienne. Même si le mur métallique étouffait le son, les cliquetis, crissements et tintements des outils jouaient une mélodie qui stimulait son imagination.

Comme tous les apprentis, Loys suivait, entre les traversées, des enseignements dans tous les domaines de compétences des pilotiers. Il appréciait l'aspect fascinant des machineries, de l'imbrication complexe des pièces et des rouages, mais il devait avouer que le pilotage des skifs l'attirait plus que leur fonctionnement. Toutefois, il était douloureusement conscient que seules les plus brillantes des jeunes recrues étaient admises parmi les élites qui se tenaient, tout le voyage durant, derrière la verrière. Ce qui impliquait pour lui de se plonger dans des cours théoriques qui l'ennuyaient prodigieusement.

Pas autant, cependant, que sa tâche actuelle... Il aurait volontiers échangé sa prochaine journée de repos contre la possibilité de retrouver à l'instant ses livres.

Dans la cabine adjacente, le technicien prit la parole :

« Je suis navré... Je n'ai constaté aucun dysfonctionnement de la dormeuse.

— En êtes-vous sûr ? demanda le maître de cabine avec insistance.

— Absolument certain.

— Elle n'est pas... trop... réceptive ? »

Un temps de silence s'écoula, puis le technicien expliqua, du ton sur lequel on s'adressait à un enfant un peu lent :

« Ces machines sont calibrées pour reconnaître les différentes phases de sommeil. D'après le diagramme, ce passager s'est bien éveillé deux fois, alors que nous nous trouvions au cœur du Nebel.

— Il doit bien arriver que certains voyageurs soient moins sensibles à la dormeuse ?

— À peu près une fois sur deux mille. Et vous savez aussi bien que moi ce qui se passe dans ces cas-là. Vos équipes n'ont rien constaté de particulier concernant ce sujet ?

— Il s'est agité à deux reprises, mais nous ne pensions pas qu'il avait pu passer à un état vigile. Il se serait conduit en fou délirant et nous l'aurions remarqué ! Nous avons appelé un de vos hommes, qui a affiné le réglage, et tout s'est bien passé.

— Ce qui est... techniquement impossible...

— Non, techmestre, ce n'est hélas pas impossible... répliqua sombrement le maître de cabine. Colper ?

— Messer ? répondit la voix jeune et incertaine d'un de ses camarades apprentis.

— Qui occupait cette couche ? »

— Un cadet saxe, messer. Son nom est... »

Loys entendit bruire les pages du registre ; il s'aperçut seulement qu'il avait cessé de respirer pour mieux suivre la conversation. Il laissa l'air affluer de nouveau dans ses poumons et le regretta quand l'odeur persistante du vomi le prit à la gorge.

« Voilà... Il s'agit de... Nigel Deepriver. Dix-sept ans, originaire de l'ilande de Grinwats. Cadet de l'armée impériale de Saxe, répertorié comme... »

La voix de Colper trembla, mourut avant de livrer dans un murmure inaudible l'ultime information. Un froissement plus violent fit supposer que quelqu'un d'autre, probablement le chef de cabine, venait de lui arracher le registre pour vérifier ce détail.

« Vous pensez que l'armée saxe est au courant ? demanda le technicien d'une voix inquiète.

— Je ne m'en étonnerais pas outre mesure. Ce n'est pas la première fois que l'armée tente de dissimuler la présence de l'un d'entre eux dans ses rangs. Ce n'est pas faute de connaître le règlement !

— Messer... intervint timidement Colper, allez-vous en référer au recteur local de la guilde ?

— Nous en avons l'obligation... ainsi qu'au bureau des Affaires tripartites. S'il était membre d'une autre guilde, ce serait plus simple, en vertu des accords qui nous lient. Mais l'armée... et l'armée saxe en particulier, c'est une tout autre paire de manches ! Il est hors de question de fermer les yeux, mais nos accusations et nos preuves doivent être assez solides pour que l'État-major accepte qu'il soit contrôlé. Quant à vous, Colper...

— Messer ?

— Pas un mot de tout ceci à qui que ce soit, vous entendez ?

— Bien, Messer... »

Tremblant légèrement, Loys essuya machinalement les dernières traces sur le sol et fourra sa serpillière dans le seau métallique. Deepriver ne lui avait pas laissé une impression des plus favorables, mais le cadet ne méritait certainement pas le sort qui l'attendait... Un sort que l'apprenti n'avait pas envie d'imaginer, si le jeune Saxe possédait officiellement un autre don d'Handesel...

Loys avait beau n'avoir intégré sa guilde que depuis deux ans, il éprouvait déjà envers les siens une profonde loyauté. Il avait été largement averti du danger que pouvait représenter quelqu'un comme Deepriver, pour les pilotiers comme pour l'ensemble des habitants d'Handesel ; il avait pleine conscience que le bien d'un seul individu devait s'effacer devant celui de la communauté toute entière. Et cependant, il ne pouvait s'empêcher de trouver le probable destin du jeune homme profondément injuste.

Plongé dans ces réflexions amères et contradictoires, Loys attendit que les trois autres membres de l'équipage aient quitté la C3 pour évacuer à son tour la C2, d'un pas traînant qui ne devait rien au poids de son seau.

***

« Eh, petit ! »

Framke se retourna d'un bloc, le cœur battant, sans oser croire que c'était bien elle que hélait cette voix jeune et énergique. Elle avait abordé sans succès plus d'une vingtaine de passagers ; après le cinquième, elle avait cessé de compter, mais son courage ne s'en amenuisait pas moins.

« Oui, toi, reprit le propriétaire de la voix avec un large sourire. Je cherche quelqu'un capable de m'indiquer où se trouve la caserne du Détachement saxe.

— Je peux vous y mener pour seulement deux guldsens, manher, entonna-t-elle machinalement, je veux dire... offizer... »

Son regard se trouvait comme englué par la vision qui se dressait devant elle : celle d'un jeune officier saxe, d'une élégance assurée, qui la fixait avec une paire d'yeux d'une couleur insensée. Seul l'azur des cieux au-dessus de la Lanterne, les jours de beau temps, pouvait rivaliser en profondeur et en nuance.

« Eh bien, petit, marché conclu », répondit-il d'un ton enjoué.

Framke secoua légèrement la tête, osant à peine croire en sa chance. Peu lui importait que son nouveau client la prenne pour un garçon : ses vêtements informes cachaient tout de sa silhouette – du moins, le peu qu'elle avait à montrer – et ses boucles en batailles, frôlant à peine son cou, ne plaidaient guère pour sa féminité.

Le militaire fouilla dans la sacoche à sa ceinture et en ramena deux pièces d'un vert jaunâtre. Framke écarquilla les yeux : pour préserver le métal qui se faisait de plus en plus rare dans les Trois Empires, la menue monnaie se trouvait bien souvent imprimée sur toutes sortes de matériaux : papier, cuir, étoffe... Les pièces de bronze n'étaient encore employées que dans les milieux les plus distingués ; la jeune fille ne se rappelait pas en avoir vu une seule. Quand le Saxe les posa dans sa main tendue, elle referma instinctivement les doigts sur leur surface lisse et froide, sentant leur poids au creux de sa paume. Plongeant sous ses couches d'oripeaux, elle les glissa soigneusement dans la petite bourse qu'elle gardait sous sa chemise.

Quand elle fit mine de saisir la gibecière qu'il portait en bandoulière, il l'arrêta d'un geste :

« Ce n'est pas nécessaire ! J'ai besoin d'un guide, pas d'un porteur. »

En son for intérieur, Framke poussa un soupir de soulagement : elle n'aurait pas à endosser le volumineux bagage, que son corps maigre aurait supporté avec moins de grâce que celui, élancé mais vigoureux, de l'officier.

« Par-là, dit-elle en indiquant une ruelle qui prenait sa source entre deux hauts conteneurs. Ce sera plus court. »

Son client haussa un sourcil arqué, à demi effacé par la courbe d'une mèche blonde :

« Ce n'est pas un coupe-gorge, au moins ? »

Framke se retourna, offusquée :

« Bien sûr que non, offizer ! Vous pensez que je suis malhonnête, juste parce que je suis... grau ? »

L'éclat facétieux mourut dans les yeux bleus, soudain ternis par la gêne :

« Pardonne-moi, s'excusa-t-il d'un ton contrit. Je ne cherchais pas à te blesser... »

Il se dégageait de lui une telle aura de sincérité qu'elle sentit sa colère s'évanouir aussi vite qu'elle l'avait saisie :

« S'il y a des voleurs dans cette ruelle, poursuivit-elle d'un ton effronté, je suis tout autant en danger que vous, maintenant que je possède deux guldsens... Mais au moindre souci, je compte sur vous pour me protéger ! »

Elle posa un regard appuyé sur la dague qu'il portait à la ceinture. Il porta la main à la garde de l'arme et se redressant d'un air martial :

« Je ferai mon devoir ! »

D'un cœur étonnement léger et d'un pas qui ne l'était pas moins, Framke s'engagea dans la ruelle, entraînant à sa suite son improbable compagnon.

***

Enfin libérée de la cohue du quai, réfugiée sous le couvert salvateur d'un porche, Cornelli ferma les yeux et prit une longue inspiration.

Depuis son réveil sur le Brisevent, la jeune fille avait le sentiment d'être assaillie et bousculée de toutes parts. Son enfance paisible et l'enseignement austère de sa guilde, autant que ses dispositions naturelles, ne l'avaient guère préparée à affronter la cohue du vaste monde.

Lentement, elle releva les paupières : l'appontement commençait à se déserter. Quelques groupes attardés fêtaient encore leurs retrouvailles ; un escadron de techniciens en longue blouse noire, les yeux protégés par d'épaisses lunettes à lanières de cuir, vérifiait chaque pouce du skif. Un peu à l'écart se dressait un homme mince aux tempes grisonnantes. Un fonctionnaire erdan, à sa livrée d'un ocre pâle, rehaussée d'or aux manches et au col.

Un peu hésitante, Cornelli quitta son abri et s'avança en direction de la silhouette solitaire, guettant le moindre signe de reconnaissance sur le visage digne et anguleux. L'homme pivota vers elle, s'inclinant légèrement :

« Manfrolen Blaubrunnen ? »

Cornelli hocha imperceptiblement la tête. L'homme promena un regard circulaire sur le quai avant de s'approcher et de lui présenter son bras. Un peu hésitante, la messagière leva une main fine et la posa sur l'étoffe raide de sa manche.

« Soyez la bienvenue à Silberleut, manfrolen. Pardonnez mon peu de hâte à venir vous saluer. Vous comprenez que les circonstances exigent... une certaine discrétion. »

Le visage étroit se pencha de biais vers son fin profil :

« Personne dans votre guilde n'est au courant pour... l'autre raison de votre séjour à Silberleut ? »

Cornelli se redressa, drapée dans son amour-propre :

« Vous savez où va ma loyauté ! »

L'homme hocha la tête, approbateur :

« Et vous bénéficiez en cela de toute mon estime, manfrolen. »

À pas mesurés, il la conduisit vers l'extrémité du quai où les attendait un wagon aux montants de bois vernis et aux parois laquées de jaune. Le monorail suspendu constituait, à quelques exceptions près, l'unique moyen de transport qui existait au sein de l'ilande. Il reliait les centres névralgiques de la ville en une toile complexe, n'accommodant que ceux qui pouvaient s'acquitter du prix élevé des tickets de carton ocre. Si les rames grises s'engorgeaient de tous les voyageurs dotés de ce précieux coupon, les luxueuses voitures jaunes étaient réservées aux seuls dignitaires de Silberleut.

L'homme ouvrit cérémonieusement la porte ; Cornelli gravit les trois marches escamotables et s'assit délicatement sur une banquette recouverte de cuir. Le fonctionnaire referma derrière lui et vint s'installer face à la jeune fille. Aussitôt, le wagon s'ébranla, commençant sa longue ascension vers les hauteurs de la ville, dans le claquement et le grincement des crémaillères.

***

« Arrivons-nous bientôt à bon port, navigateur ? »

Framke sentit les commissures de ses lèvres se relever en un sourire involontaire ; la bonne humeur de son client s'avérait communicative. Il y avait fort longtemps qu'elle n'avait pas pris autant de plaisir à la compagnie de quelqu'un d'autre que Fridrik.

« Le ponton est en vue, manher, répliqua-t-elle en descendant exagérément son ton dans les graves.

— C'est là une bonne nouvelle, navigateur ! »

L'adolescente ressentit une petite bouffée de fierté : les longues heures passées à repérer tous les lieux d'importance, à parcourir Silberleut dans tous les sens, à en explorer les moindres recoins, à en mémoriser les tours, les détours, les descentes et les envolées se révélaient finalement fructueuses.

Au fil des siècles et de l'élévation des structures, les centres du pouvoir avaient gravi les étages vers les hauteurs de la ville. Des mondes différents se superposaient, strate par strate, au point qu'il n'était plus possible d'accéder aux niveaux supérieurs des immeubles depuis leur rez-de-chaussée. Malgré tout, le Quartier impérial, qui remontait aux origines nébuleuses des empires d'Handesel, avait échappé à cette évolution.

Les vénérables bâtisses avaient été construites sur une excroissance rocheuse au sud de l'ilande, hors de portée des fumées des usines, en une succession de terrasses qui faisaient face à la mer – et au Nebel. Une demi-heure de marche, par des allées et des passerelles en pente douce, suffisait pour s'y rendre depuis le quai Ouest. Framke avait réussi à réduire ce parcours de dix bonnes minutes en empruntant différents raccourcis, qui semblaient filer dans la mauvaise direction, mais connectaient en fait les circonvolutions compliquées des itinéraires plus classiques. Grâce à ces chemins de traverse, la jeune grau et son client étaient parvenus à éviter le trafic intense qui encombrait les voies plus fréquentées.

La caserne du Détachement saxe se situait à la frontière du Quartier impérial, sur la pente la plus douce de la crête rocheuse, au cœur du secteur réservé aux institutions des autres empires. Les bâtiments solides et trapus, d'un style plus archaïque que la plupart des constructions de la ville, se dressaient en retrait d'une petite place agrémentée d'îlots de rare verdure. Dans les buissons négligemment taillés, venaient nicher des turdes au plumage gris pâle et des ruks noirs qui toisaient curieusement les passants de leurs pupilles bleues.

Framke se retourna vers le jeune homme, qui s'était laissé distancer sur la fin du parcours. Adossé contre le parapet, la main pressée sur son côté, il lui lança un regard piteux :

« Puis-je solliciter une courte pause ? Je crains de ne pas être habitué à de telles ascensions ! »

Framke éclata de rire :

« Je pensais que les militaires passaient presque tout leur temps à marcher !

— À marcher, peut-être, mais certes pas à gravir des marches, répliqua sinistrement le Saxe. Je dirais même que la carrière consiste surtout à rester immobile au même endroit pendant des heures. »

Avec un sourire d'autodérision, il repoussa la mèche brillante qui balayait son visage.

« Cela dit, sans vouloir me trouver d'excuses, il faut admettre que tout ce temps passé à dormir dans ce skif a sapé mes forces... »

Framke leva ostensiblement les yeux au ciel :

« Si vous en êtes persuadé, je ne peux que vous croire. Vous auriez dû me laisser porter votre bagage.

— Mon défaut de résistance n'implique pas un défaut d'amour-propre, rétorqua-t-il, jouant les offusqués.

— Ça fait partie de mon travail ! »

Il haussa les épaules :

« Nous voilà pratiquement à bon port ! Je peux bien endosser ce fardeau jusqu'au quai de débarquement...

— Ce ne sera pas bien long. La caserne est juste là... »

Elle lui désigna l'une des façades dressées autour de la place, pavoisée du bleu intense de l'Empire saxe. Rongée par les intempéries et noircie par la fumée, elle arborait encore, sur son fronton, la silhouette d'une bête hérissée de crocs et de griffes, debout sur ses pattes arrière. De majestueuses colonnes cannelées encadraient une épaisse porte de bois sombre devant laquelle veillaient deux gardes en uniforme.

« Je pense que je peux considérer mon travail comme terminé. Je vous souhaite un bon séjour à Silberleut ! »

Elle tourna les talons, prête à se fondre de nouveau dans les ruelles, quand la voix du jeune Saxe s'éleva derrière elle :

« Attends ! »

Framke se retourna, figée dans son élan. Avec une légère grimace d'inconfort, le militaire assura la bandoulière de sa besace sur son épaule, puis se détacha du parapet pour la rejoindre :

« Je tenais à te remercier pour ton agréable compagnie... »

Il tira de la poche intérieure de sa veste d'uniforme une petite bourse de toile, que le mouvement fit légèrement sonner. De sa main libre, il attrapa celle de Framke et déposa le précieux sachet au creux de sa paume, la laissant interdite. Voyant qu'elle n'osait pas se saisir de son don, il referma les doigts de l'adolescente autour de la bourse.

« Mais... vous avez déjà payé ! balbutia-t-elle.

— J'ai payé pour ton office de guide. Considère qu'il s'agit d'une prime pour l'excellence de tes services. »

Il sourit avec détachement :

« À la caserne, je suis logé et nourri. Si je ne te l'offre pas, cet argent sera dépensé en futilités. Je suis certain que tu en feras un meilleur usage. »

Quand sa surprise se dissipa, Framke s'empourpra d'humiliation. Ce qui lui restait de dignité la poussait à refuser tout geste de charité manifeste. Cependant, ce n'était pas de la pitié qu'elle lisait sur les traits emprunts de gravité du jeune homme. De la compassion... ? De la compréhension, même ?

La grau se fit pensive. La vie à Handesel n'était aisée pour personne : ceux qui avaient la chance de ne pas trop en souffrir ne perdaient généralement pas de temps à plaindre les moins favorisés. Ce garçon séduisant, au caractère enjoué, n'avait probablement jamais connu d'autres rigueurs que celles de la discipline militaire. Pourquoi se montrait-il si cordial et généreux avec une paria comme elle ?

Lentement, elle dégagea sa main de l'emprise des doigts déliés et glissa la bourse dans sa chemise, troublée par son poids et le doux tintement qui en émanait.

« Je... je ne sais pas comment vous remercier.

— Tu viens de le faire. »

La jeune fille scruta les traits ciselés derrière le rideau de mèches blondes : ils affichaient de nouveau la plus complète désinvolture.

« Je suis certain que d'autres personnes attendent que tu les fasses bénéficier de ta compétence, reprit-il avec un large sourire. Mais avant que tu t'enfuies, dis-moi au moins ton nom, que je puisse recommander le meilleur guide de tout Silberleut ! »

Soudain intimidée, l'adolescente baissa la tête et murmura d'une voix presque inaudible :

« Juste... Framke.

— Framke... ? »

Les yeux bleus s'élargirent d'étonnement :

« Mais alors, tu es une... »

Elle n'entendit pas la suite : déjà, elle bondissait le long des passerelles de Silberleut, le cœur emballé, son trésor serré contre sa poitrine.

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