{CHAPITRE 3}
Le ciel venait à peine de prendre les couleurs de l'aube quand un hurlement retentit dans le camp du Soleil, ou plus précisément, dans la tanière des disciples. Ceux-ci se réveillèrent en sursaut, et trouvèrent bien vite la source de leur dérangement. Tremblante, les yeux hagards, Nuage Vif était recroquevillée sur son nid de mousse. Aussitôt, Nuage des Eaux se précipita à son chevet et la secoua doucement.
— Nuage Vif ? Que se passe t-il ? murmura t-elle, ses yeux ambrés brillant d'une inquiétude sincère.
La petite disciple ne réagit pas. Ses prunelles bleues avaient perdu leur éclat joyeux, remplacé par une expression d'horreur totale.
— Allez chercher Ombre de la Forêt ! lança Nuage des Eaux aux deux autres disciples, qui, à peine réveillés, contemplaient la scène avec incompréhension.
Voyant que Nuage de Lune n'était pas décidée à quitter son nid douillet, Nuage Enflammé, un jeune mâle âgé de huit lunes, s'empressa de quitter la tanière. À la grande surprise de Nuage des Eaux, ce ne fut pas la soignante qui arriva, mais son disciple.
— Nuage Orageux ? Va chercher ton mentor ! s'écria la chatte gris bleu, en jetant un regard exaspéré au petit félin gris.
— Elle apporte des remèdes. Du pavot, pour la calmer, rétorqua le futur soignant en désignant Nuage Vif, dont les tremblements s'étaient encore accentués. La fratrie est enfin réunie, ajouta t-il après un instant de silence.
En effet, Nuage Orageux complétait la portée de Museau de Galet et de Fleur de Lilas, également composée de Nuage des Eaux et de Nuage de Lune - qui les observait d'un air absent. Nuage Enflammé, lui, était le fils unique de Plume de Miel et d'Écorce de Chêne. Ce dernier réapparut peu après, précédé d'une vieille chatte au pelage brun ébouriffé : Ombre de la Forêt.
La soignante fit signe à Nuage des Eaux de s'écarter, puis s'avança vers Nuage Vif. Soudain, celle-ci hurla de nouveau, prononçant des paroles à peine perceptibles :
— Destruction... Sang...
Pris de peur, Nuage Enflammé sortit en trombe de la tanière. Ombre de la Forêt se hâta de faire avaler à Nuage Vif deux des petites graines noires que contenait la large feuille qu'elle portait dans sa gueule. La jeune femelle ne résista pas, et quelques instants plus tard, les graines de pavot firent leur effet : elle respirait à présent plus calmement et ne tremblait presque plus.
Puis, la soignante se tourna vers Nuage Orageux, occupé à retenir la demi-douzaine de combattants qui, tirés du sommeil par le bruit, se pressait devant l'antre des disciples.
— Laisse entrer Œil de Saphir et Belle Aurore. Vous autres, sortez, ordonna Ombre de la Forêt.
Aussitôt, Nuage des Eaux se faufila entre le groupe de combattants, entraînant sa soeur avec elle, tandis que le couple désigné se précipitait aux côtés de leur fille.
— Que lui est-il arrivé ? demanda le mâle blanc tandis que sa compagne caressait la petite femelle, désormais endormie, du bout de la queue.
— Un cauchemar, affirma la soignante.
— Un simple rêve a mis ma fille dans cet état ? gronda le combattant.
— Ce n'était pas qu'un simple rêve, mais une terreur nocturne. Cela arrive souvent chez les jeunes chats, elle s'en remettra. Il faudra s'inquiéter si cela se reproduit, répliqua Ombre de la Forêt, insensible à l'agressivité du combattant aux yeux bleus.
Sur ces mots, elle quitta à son tour la tanière après avoir dit aux guerriers, d'une voix autoritaire, de retourner à leurs occupations.
Un peu plus tard dans la matinée, alors que la première patrouille de la journée venait de regagner le camp, Nuage Vif émergea de son sommeil. Les graines de pavot avaient rendu celui-ci calme et paisible. La jeune femelle, aveuglée par les rayons du soleil qui illuminaient la tanière des disciples, ne comprit pas tout de suite où elle se trouvait. Elle se leva, légèrement étourdie, et s'étira les pattes. Elle fit un pas en avant, avant de chanceler et de se retrouver à nouveau au sol. Un sentiment d'incompréhension l'envahit : était elle malade ? Pourtant, elle se souvenait avoir passé une nuit paisible et reposante... Puis, elle secoua la tête et chasse cette idée de ses pensées.
— Je me suis sûrement levée un peu trop vite, ou je n'ai pas assez mangé hier, se murmura t-elle.
Après avoir repris ses esprits, la disciple sortit enfin de la tanière. Elle fut étonnée de voir le camp déjà en effervescence, et se demanda pourquoi Écorce de Chêne ne l'avait pas réveillée plus tôt. Son ventre gargouilla, et la jeune disciple avança à pas rapides vers la pile de gibiers, déjà bien garnie, et y prit un écureuil. Elle s'installa ensuite à l'ombre du grand chêne et mangea avidement une bouchée de son repas. Nuage Vif n'eut pas le temps d'en reprendre une deuxième que Nuage Orageux se précipita vers elle.
— Comment te sens-tu ? Pourquoi n'es tu pas restée te reposer ? s'exclama t-il.
— Pardon ? répondit sa camarade, abasourdie.
Un éclair d'incertitude passa dans les grands yeux bleus du disciple gris perle. Il faillit dire quelque chose, mais se ravisa et détala vers l'antre d'Ombre de la Forêt.
— Je me demande quelle mouche l'a piqué, marmonna Nuage Vif, mécontente d'avoir été dérangée pour si peu.
Elle finit en vitesse de manger, puis lissa à coups de langue son pelage blanc ébourrifé. Alors qu'elle s'apprêtait à partir à la recherche de son mentor, elle aperçut Nuage Oragaux, qui cette fois était accompagné de son mentor. La disciple soupira avec exaspération et se dirigea à grand pas vers les deux félins.
— Qui y a-t-il ? lança t-elle. D'abord, Nuage...
— Tu ne te souviens de rien ? la coupa brusquement la vieille chatte, dont les yeux ambrés brillaient d'une incertitude inhabituelle.
— Me souvenir de quoi ? répliqua Nuage Vif, incrédule.
Ombre de la Forêt et Nuage Orageux s'entre-regardèrent en silence, puis le disciple soignant commença :
— Ce matin, très tôt, tu t'es réveillée en hurlant. Tu tremblais et prononçais des mots incompréhensibles, et Ombre de la Forêt t'a administré des graines de pavot, pensant que tu avais été victime d'un mauvais rêve. Tu es sûre que tu n'en as plus aucun souvenir ? insista t-il, déconcerté par l'air ahuri de la petite chatte assise en face de lui.
Celle-ci se concentra, mais elle ne put se remémorer la scène. Elle secoua le tête, troublée. Un cauchemar aussi intense aurait dû laisser des marques...
— Les graines de pavot sont faites pour atténuer le choc, pas l'effacer de la mémoire de la victime... murmura Ombre de la Forêt.
— Je me sens très bien, assura Nuage Vif. C'était peut-être un simple rêve et j'ai pris peur. Je suis assez froussarde, ajouta-t-elle avec un sourire timide.
Les deux soignants ne répondirent pas et s'éloignèrent lentement. Légèrement ébranlée par cette discussion, Nuage Vif ne vit pas Écorce de Chêne s'approcher d'elle.
— Bonjour, Nuage Vif. J'espère que tu te sens mieux.
— Bonjour... Oui, je vais très bien, répéta t-elle en poussant un soupir.
Le combattant brun perçut son exaspération et lui proposa de lui apprendre quelques techniques de combat, ce que la jeune disciple accepta avec joie. Tous deux s'engagèrent dans le passage menant à la sortie du camp, et croisèrent la patrouille de chasse composée de Museau de Galet, de Souffle du Vent et de son apprenti Nuage Enflammé.
— Vous ne rapportez pas de proies ? s'étonna Écorce de Chêne.
— Nous avons aperçu une patrouille de la Tribu du Lac à la frontière, ils étaient attaqués par une horde de renards. Nous les avons aidé, mais une de leurs combattantes est gravement blessée, justifia Souffle du Vent.
En effet, son pelage gris et noir, qui était toujours propre et lisse à l'ordinaire, était ébourrifé et une légère entaille lui courait sur le flanc. Nuage Enflammé ne semblait pas blessé, mais Museau de Galet saignait à la patte avant.
— Allez vous faire soigner, leur conseilla Écorce de Chêne. Vous avez fait fuir les renards ?
Museau de Galet hocha la tête, et tous trois disparurent à l'intérieur du camp, tandis que Nuage Vif et son mentor s'enfonçaient dans la forêt.
***
Nuage d'Éclat somnolait sur l'un des rochers qui surplombaient la combe du camp du Lac. Il perçut soudain une agitation en contrebas et s'empressa de relever la tête. Près du tunnel qui servait d'entrée, Pétale des Prés gisait au sol, le flanc ensanglanté. A ses côtés, Nuage de Blé soutenait avec difficulté son mentor, Griffe de Renard, qui essayait tant bien que mal de tenir debout. Pluie du Tonnerre, complétant la patrouille, ne semblait pas blessée contrairement à ses camarades et courut vers la tanière d'Oreilles Sombres.
— Oreilles Sombres ! Des renards nous ont attaqués, et Pétale des Prés est blessée !
Le disciple soignant bondit au sol, sachant que son mentor aurait besoin d'aide. Ce dernier accourut au-dehors au moment où le jeune chat s'approchait de Pétale des Prés. Le pelage roux pâle de la combattante était souillé par le sang, et elle respirait avec difficultés. Oreilles Sombres et Pluie du Tonnerre la soulevèrent avec précaution et la transportèrent à l'intérieur de la tanière. Nuage d'Éclat, quant à lui, aida Nuage de Blé avec Griffe de Renard, et la disciple au beau pelage doré le remercia du regard.
Oreilles Sombres installa Pétale des Prés sur une litière de mousse, et commença aussitôt à réunir les plantes nécessaires. Griffe de Renard s'allongea sur une seconde litière, et Nuage d'Éclat s'approcha timidement de son mentor, et murmura doucement :
— Comment puis-je t'aider ?
Le soignant releva la tête, et déclara rapidement, comme s'il avait oublié la présence du jeune mâle :
— Alors... Désinfecte la morsure qu'a Griffe de Renard à la patte, puis examine Nuage de Blé et Pluie du Tonnerre.
Nuage d'Éclat jeta un regard au combattant roux étendu près de lui. Une de ses pattes avants présentait une morsure rougeoyante. Le jeune disciple serra les dents : il n'avait pas remarqué cette blessure, tandis que son mentor l'avait tout de suite repérée. Légèrement stressé, le petit mâle saisit quelques fleurs de souci, reconnaissables à ses pétales jaunes. Il en fit rapidement un cataplasme - Oreilles Sombres le lui avait appris un peu plus tôt dans la matinée. Puis, il l'appliqua soigneusement sur la plaie du combattant, qui tressaillit à peine, avant d'entourer son membre de plusieurs toiles d'araignées.
Il se tourna ensuite vers Pluie du Tonnerre, et grâce à la pulpe de cerfeuil que son mentor lui indiqua tandis qu'il s'affairait autour de Pétale des Prés désormais inconsciente, il s'occupa de la fine coupure que la combattante gris perle et blanche avait sur le museau. Une fois que celle-ci eut quitté la grotte, Nuage d'Éclat soupira de soulagement. Il avait réussi à soigner deux blessures, certes peu importantes, mais il était fier de lui. Le mâle blanc remarqua alors Nuage de Blé, assise silencieusement près de son mentor.
— Excuse-moi, j'ai oublié d'observer tes blessures ! s'exclama t-il en se rendant compte de son erreur.
— Ce n'est pas grave, le rassura la disciple. Je n'ai rien.
Nuage d'Éclat voulut tout de même s'en assurer, et tandis qu'il examinait son pelage pour déceler d'éventuelles coupures, il remarqua que Nuage de Blé le fixait de ses yeux verts, avec une expression ressemblant à de l'admiration. Le mâle blanc se détourna, gêné. Nuage de Blé était devenue apprentie lorsqu'il n'avait que deux lunes, et ne se connaissaient pas très bien. Il savait pourtant qu'on la décrivait comme honnête et bienveillante, de même que son père, Sables Mouvants.
Nuage de Blé, n'ayant effectivement pas été blessée par les renards, le regarda quelques instants en silence, puis le remercia d'un sourire et sortit de la tanière. Nuage d'Éclat soupira, puis s'approcha de son mentor. Celui-ci terminait de bander la plaie de Pétale des Prés.
— Comment va t-elle ? demanda le jeune disciple, sachant que d'importantes blessures au flanc pouvaient entraîner la mort.
— Elle s'en sortira, si c'est ta question, déclara le mâle gris.
Il alla examina la plaie de Griffe de Renard, et regarda son disciple avec fierté.
— Je te félicite, tu t'en es très bien sorti. Je t'avoue avoir hésité à te confier cette tâche mais tu l'as réalisée brillamment. Tu feras un soignant formidable, Nuage d'Éclat.
Tout sourire, le disciple le remercia et sortit de la tanière. C'est le cœur léger qu'il s'installa à la même place qu'avant l'arrivée des blessés, sans remarquer que Louve Blanche quittait encore une fois le camp en douce.
***
Kitty étira ses muscles endoloris par la nuit inconfortable qu'elle avait passée. Elle grimaça en apercevant ses longs poils blancs emmêlés et couverts de saletés. Après une méticuleuse toilette, la chatonne chercha Eddy du regard, mais il n'était pas là. Profitant de son absence, elle décida d'explorer la cabane.
Le coin où elle avait dormi était recouvert de paille, et le sol de bois était devenu blanchâtre à cause de la poussière qui le recouvrait. De gigantesques toiles d'araignées s'entassaient un peu partout en haut des murs, et autour de la fenêtre à la vitre brisée. Sur le côté droite de la cabane, une échelle s'enfonçait dans un petit grenier situé en hauteur, qu'Eddy avait choisi comme lit. Kitty hésita à explorer cette partie ; mais elle s'aperçut alors que l'échelle serait trop dure à escalader, et qu'elle était trop petite pour espérer sauter jusqu'en haut. En soupirant, la femelle aux pattes crèmes se résigna et s'approcha de l'entrée de la maison en bois. La porte qui se tenait là auparavant avait été arrachée, et il ne restait plus qu'un trou béant donnant sur l'extérieur.
Kitty passa la tête en dehors de la cabane, et observa les lieux qui l'entouraient, les ayant seulement aperçus brièvement lors de son arrivée. Le refuge d'Eddy était situé sur un grand terrain d'herbe, que la chatonne jugea abandonné à la vue des nombreux déchets qui s'entassaient entre les mauvaises herbes. D'un côté, une vieille palissade bancale séparait le terrain de la ville, et de l'autre, la forêt s'étendait à perte de vue. La chatonne fut parcourue d'un frisson d'effroi en scrutant les arbres qui abritaient sûrement les chats cannibales. Mal à l'aise, elle se détourna et décida d'explorer le terrain.
Un peu plus tard, alors que la jeune femelle terminait son observation minutieuse du terrain, un bruissement dans son dos la fit sursauter. Elle fit brusquement volte-face et soupira de soulagement en apercevant la silhouette rousse d'Eddy qui cheminait en direction de la cabane. Kitty se dirigea vers lui avec l'intention de la saluer, mais remarqua alors que le matou n'était pas seul. La chatonne plissa les yeux ; le jeune félin qui gambadait auprès du solitaire lui semblait familier, pourtant elle n'arrivait à le distinguer à travers les rayons du soleil qui l'éblouissaient. Soudain, elle écarquilla les yeux et s'écria joyeusement :
— Lucky ! Que fais-tu ici ?
— Je te pose la même question, grogna Eddy en s'arrêtant devant elle. Je chassais tranquillement et ce gros malin a fait fuir ma proie !
Le mâle aux yeux clairs cracha en direction du petit matou roux qui leva les yeux au ciel.
— Je cherchais Kitty, se justifia ce dernier. Vanille n'a pas voulu me dire où tu étais, donc je t'ai trouvée grâce à mon flair ! ajouta t-il fièrement.
— Impressionnant ! s'esclaffa la jeune chatte domestique.
La présence de son ami lui réchauffa le cœur, et elle implora Eddy du regard. Accepterait-il la présence d'un second chaton dans sa cabane mal en point ?
— Il peut rester, mais seulement aujourd'hui, grommela le matou roux. A une seule condition : vous allez m'aider à chasser.
Kitty grimaça. Chasser ? Que voulait-il dire par là ? Eddy les entraîna en direction des arbres, et les deux jeunes chats n'eurent autre choix que d'obéir. Tous trois marchèrent un moment sur un sentier couvert de feuilles. Eddy était serein, au contraire des deux amis qui, inquiets, ne cessaient de regarder autour d'eux. Leur guide bifurqua derrière un arbre dont l'écorce était couverte d'une mousse verte. Puis, il se tourna vers eux, l'air las.
— J'imagine que vous ne savez pas chasser ? Alors, regardez-moi, enchaîna t-il après que Kitty et Lucky eurent secoué négativement la tête.
Eddy se plaqua au sol, resta un instant immobile avant de bondir. Il acheva le mulot qu'il avait pris pour cible, s'assit au sol et croqua avidement dans la chair tendre du petit rongeur.
— Si vous voulez manger, débrouillez-vous, lança le solitaire aux deux chatons, qui observaient la scène sans bruit.
Lucky opina de la tête et imita la position adoptée par le matou roux peu avant. Il tenta de bondir à son tour, mais s'écrasa lamentablement au sol. En grommelant, le chaton aux yeux noisettes se débarrassa des feuilles accrochées à ses poils, puis essaya de nouveau, déterminé à trouver sa propre proie.
Kitty, quant à elle, était curieuse de goûter à autre chose que des croquettes, et s'aventura un peu plus loin dans la forêt. Regardant autour d'elle, à la recherche d'une éventuelle proie à traquer, la chatonne ne remarqua pas tout de suite la forte odeur qui émanait soudain des buissons à proximité. Elle allait tendre sa patte vers un écureuil qui grignotait une noisette, quand les effluves l'envahirent de toute part. Le femelle blanche releva aussitôt la tête, paniquée et prête à s'enfuir au moindre danger.
Il était trop tard. Trois chats à l'air menaçant l'encerclaient, les yeux brillants de colère.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top