Partie 55
— Ne faites pas cette tête, Majesté, c'est une bonne idée.
— Ah oui ? J'ignore quels seront les effets secondaires de cette maudite potion...
— Tant qu'elle ne vous statufie pas...
— Pardon ?
— Non, oubliez... Et vous tenez à prévenir Arquen de votre plan machiavélique ?
— Le prévenir que je veuille empoisonner une seconde fois la reine ? Tu rêves ?!
— Pourquoi recourir à un tel moyen ? Je vous ai dit que Luinil vous aime toujours. Faîtes lui un petit salut et donnez-lui le flacon dans l'intérêt de vous deux. Et de votre fils aussi.
— Mais tu es stupide. Jamais elle ne me ferait confiance. Et je ne tiens pas à retrouver les aratayas.
— Alors vous avez intérêt à ce la chance vous sourît... Je peux vous accompagner ?
— Tu rejoindras l'escadron d'espionnage et t'assureras que ma couverture ne soit pas découverte.
Je ricane en me frottant les mains : tout ça sera très amusant. Quelle coïncidence qu'un bal masqué soit organisé : Morgal se fondera dans les invités avec facilité. Hop, trois petites goutes de poison, Luinil s'évanouit, on lui administre la lotion et on repart. Enfin, j'espère que mon maître repartira gentiment et qu'il ne décidera pas de rompre son abstinence dans la foulée.
Je l'observe attentivement, essayant de percer ses pensées : mais il reste toujours aussi indiscernable. Un bloc de glace...
— Tu n'as rien d'autre à faire que me regarder ?
— Mmh... Vous êtes sûr de ne pas vouloir renouer avec votre ex-maîtresse ?
Il fronce un sourcil, impatienté par mon caractère toujours aussi intrusif.
Non mais je dis ça mais je sens que tout va capoter au dernier moment parce qu'il décidera de réitérer son petit numéro d'il y a vingt ans. Il s'apprêtait à me répondre lorsque l'hybride fait irruption dans la pièce, surexcité :
— Mon cher Morgal ! Tu devras te passer de moi ce soir : je pars au palais ! Et devine quoi, la Reine Vierge m'a invité : je ne la quitterai pas d'une semelle. Ahah, cette fois-ci, c'est la bonne !
— C'est moi ou tu espères conclure avec elle ?
— Bien évidemment ! Avec qui tu veux qu'elle se laisse aller d'autre ? Je suis le fils d'un dieu !
— Ah bah, c'est sûr, murmuré-je dans ma barbe, c'est toujours mieux que de le faire avec un Réceptacle et se taper une punition divine !
Morgal fait volte-face vers moi et me donne un soufflet d'une rare violence. J'atterris sur les fesses, la joue en sang. Ce salaud m'a écorché avec ses bagues...
— De quoi parle-t-il ? demande Arquen, interloqué.
— Rien, assure l'autre connard avec un grand sourire innocent.
— Mouai... Arrête de le maltraiter, Morgal. Binou ne t'a rien fait. Il est fatiguant mais c'est un bon espion.
— Merci, chef.
L'elfe souffle d'exaspération. Mais je voudrais bien voir l'attitude d'Arquen lorsqu'il apprendra toutes ses machinations avec la Reine Vierge. Il me relève d'une main et me tapote amicalement l'épaule :
— Ça va aller ?
Je hoche la tête sans lâcher ma paume de la joue. L'hybride lance un regard noir à son ami et se tourne vers moi :
— C'est toi qui m'as empêché de dormir cette nuit ? Bon, peu importe, je compte bien me rattraper après le bal masqué.
Pauvre créature... S'il savait...
Cela veut dire qu'il me reste plusieurs heures avant de me préparer : si Momo n'exige pas mes services, je vais pouvoir rejoindre ma petite famille et m'expliquer avec Mya. Cette adolescente au caractère bien trempé ne semble pas m'apprécier. Je ne comprends pas : ne suis-je pas un être exceptionnel ?
Je remonte vers leur chambre, farfouillant machinalement mes poches. C'est à ce moment que je découvre le flacon de Neisse. Je beugue quelques instants en faisant tourner la fiole dans ma main ; elle pourrait m'être utile, finalement. Dans quel but ? Je l'ignore encore.
Je passe avec précaution devant la chambre de la majordome en prenant soin de ne pas attirer son attention ; la porte est ouverte mais de toute façon, elle n'est plus dans la même dimension que nous à en juger la fumée qui occupe la pièce.
J'ouvre la porte et me retrouve nez-à-nez avec Mya, un lapin dans les bras. Bhaurisse ?! Cette créature sortie des enfers ne s'est pas faite contaminée par le nuage radioactif ? Je me demande bien comment il a pu nous suivre jusqu'en Arminassë ; peut-être dans les bagages de Currunas : c'est un vrai boxon son histoire.
Heureusement, la bête semble pacifique.
— Mya ! Je te cherchais.
— Cela tombe bien, moi aussi.
Bon... L'ado en crise ne parait pas plus aimable que ce matin.
— Je crois que nous sommes partis sur de mauvaises bases, commencé-je en croisant les mains dans le dos, je ne suis pas ton ennemi, Mya.
— Il n'y aura pas besoin d'une quelconque base, crache-t-elle, vous utilisez ma mère pour servir l'elfe. Je ne veux pas vous voir entrer dans nos vies.
D'accord : cette petite peste ne digère toujours pas mon retour à ce que je vois. Je m'approche d'un pas qui se veut rassurant mais Bhaurisse montre sauvagement les crocs, comme piqué au vif.
Je recule instantanément :
— Écoute Mya, j'ai réellement essayé de vous rejoindre, ta mère et toi. Mais le prince Morgal m'en empêchait. Tu sais, ça m'afflige beaucoup que tu ne veuilles pas de moi.
Elle secoue la tête :
— Je suis au courant que vous éliminez ceux qui s'opposent à vous ou à votre dégénéré de maître.
Je soupire et lui tourne le dos : inutile de perdre du temps avec elle. De toute façon, elle restera sur son idée.
— Attendez !
— Quoi ?
— C'est tout ? Vous ne dites plus rien ?
Mes yeux se plissent : je pense cerner son attitude. Devant mon retour soudain, ma fille a cru bon de réagir en me dénigrant. Mais je doute qu'elle m'en veuille autant qu'elle le laisse paraitre. C'est ça manière à elle de vivre la situation.
Je lance un regard à la boule poilue qui me toise hautainement du regard et ajoute :
— Quand tu seras disposée à m'écouter sans me lancer des pierres, je serai intéressé pour mieux te connaitre. Et tu peux dire ce que tu veux, ça me blesse que tu réagisses ainsi.
Elle se pince les lèvres, guère convaincue :
— De toute façon, tu repartiras d'ici quelques jours...
— Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi ? Je suis certain que Morgal accepterait. La vie aux Falaises Sanglantes n'est pas si terrible que ça. Enfin, si on oublie le temps...
— Heu... C'est à voir...
Voilà ! Elle ne me déteste pas tant que ça. Je suis sûre que je pourrais lui apprendre les rudiments de l'espionnage, c'est toujours utile.
J'embrasse spontanément ma fille sur le front et quitte la chambre, bien décidé à me préparer pour ce soir. J'ignore pourquoi mais un indescriptible pressentiment me taraude... Je sens que le plan - il doit bien y en avoir un - va tourner au désastre mais bon !
Qu'est-ce que je risque ?
Je pénètre dans ma chambre et enfile une tenue neutre, composée uniquement de noir et de gris : pas question d'attirer l'attention.
— Ah ! Binou !
Je me retourne vers l'encadrement de la porte d'où vient surgir Arquen :
— Enfile ça. Je t'assure que ce n'était pas mon idée...
Il me tend un vêtement plutôt particulier :
— C'est moi où vous voulez me déguiser en bouffon ?
— Ne rechigne pas, le nain, tu as la chance d'assister à une fête de la reine Luinil.
— Je sens déjà mon succès... D'ailleurs si on me demande de sortir une plaisanterie, ce sera l'échec.
— Au fait, pourquoi Morgal a-t-il exigé ta présence au palais ? Rassure-moi : il ne prépare rien contre les astres ?
— Non ! Non, pas du tout ! Juste s'assurer que... Enfin, vous voyez, il aime bien envoyer ses pions sur tous les terrains...
— Mouai...
Il tourne les talons, le visage marqué par la méfiance : espérons qu'il ne fasse pas tout capoter. Je pense qu'il aura oublié toute potentielle duperie lorsqu'il croisera Luinil.
Je revêts mon affublement d'une rare crédibilité : je manque de me vautrer dans les marches à cause de mes poulaines. Saleté de chaussures. La totalité de ma tenue, des chausses au chapeau à grelots est striée de vert et de jaune. C'est immonde.
Maintenant, je dois rejoindre mon maître à la fête. Je pars donc dans un carrosse, occupé par d'autres espions, soient parés pour une réception soient pour une infiltration illégale. Le moindre faux pas et on déclenche une deuxième guerre millénaire !
Pendant le trajet, je retourne le flacon de Neisse dans ma main. Il faut bien s'occuper pour oublier les rire sardoniques que ces imbéciles me portent. En même temps, le tintement des grelots sur ma tête a de quoi dérider une statue.
Aussi, c'est avec soulagement que je m'extrais de la voiture et rejoins en vitesse les entrées du palais. Je traverse les énormes portiques de marbre et pénètre dans une cour noire de monde. Au-dessus de ma tête, des bouquets de feux d'artifice remplissent le ciel étoilé. Des milliers de torches ont été accrochées sur les murs extérieurs et dans les pièces chaleureuses. Tous les astres sont affublés de costumes magnifiques et couteux ; leurs masques figent leurs visages dans des sourires surréels. Mes yeux se plissent devant l'éclat des parures et des bijoux. Les voir ainsi danser dans un chatoiement de couleurs vives me laisse pantois. Mais là n'est pas mon rôle. Je dois savoir ce que Momo attend de moi. Il doit déjà se trouver dans les murs. Je dépasse quelques joyeuses fontaines et pénètre dans les resplendissantes salles de réception ; des buffets recouverts de nappes blanches exposent une quantité impressionnante de mets et de boissons. Quelques gâteaux disparaissent d'ailleurs malencontreusement dans ma bouche. Autant profiter de la fête.
Mes oreilles pivotent en tous sens pour percevoir les mélodies qui emplissent le lieu : c'est aussi déstabilisant qu'envoutant...
— Binou ! Arrête de rêvasser et rejoins-moi : j'ai une mission précise pour toi.
Ah ! Pratique la télépathie dans ce genre de circonstances !
J'ignore où cet imbécile s'est caché mais le connaissant, il a dû s'élever dans les plus hautes tribunes. Je monte quelques larges escaliers, et longe la balustrade en quête de mon maître. Pas facile lorsque la totalité des convives porte un masque.
Un étau se referme brusquement sur mon bras et me voilà tiré dans un coin du balcon intérieur, juste en-dessous de la coupole principale.
Tous les poils de mon corps se dressent devant la face fixe qui me toise. Il aurait pu trouver un masque moins flippant ! Il ne s'est pas départi de son aspect de psychopathe, en tout cas. Avec son masque blanc, traversé de craquelures argentées et de son long manteau noir, j'ai l'impression de faire face à un spectre. Son sourire statique comme les deux orbites noires aurait de quoi terrifié n'importe quel homme, et c'est pire lorsqu'on connait la vraie identité du personnage.
— Viens là, me lance-t-il en me guidant jusqu'à la balustrade, regardes en bas, tu vois la reine ?
— Oui.
— Elle est entourée par un groupe d'aristocrates mais derrière se trouvent quelques gnomes comme toi. Tu vas te glisser parmi eux et verser le poison de la fiole que voici dans son verre.
Je hoche la tête : cela ne sera pas une partie de plaisir à en juger les gorilles qui la collent.
— Ensuite, elle commencera à se sentir mal : elle demandera à se retirer dans ses appartements. Là, elle s'évanouira et je lui ferai avaler la potion de Djinévix.
— Vous avez déjà ingurgité cette liqueur infâme ?
— Non.
— Donc vous ignorez si ça va la faire souffrir...
Je le sens, quelques instants, désemparé devant ma réflexion. Normalement, il aurait répondu sans soucis que la cible lui servirait de cobaye. Mais en l'occurrence, il semble bien qu'il soit très attaché à elle : il ne veut pas lui faire du mal. Morgal qui ne veut pas faire souffrir quelqu'un ! On aura tout vu !
Je porte mon regard sur son ancienne maîtresse : c'est vrai qu'elle est toujours aussi magnifique que dans mes souvenirs. Me dire qu'elle a été proche de mon maître me perturbe quelque peu mais après tout, ils se ressemblent. Et je pense que Morgal n'apprécie guère toute l'attention que lui portent les courtisans.
Je suis certain qu'il grince des dents sous son masque. Il n'arrête pas de la fixer, revivant probablement mal leur séparation.
La frustration me gagne : pourquoi porte-t-il ce maudit masque ?! Je donnerais cher pour savoir ce qu'il cogite dans son esprit embrumé par la perversion. Peut-être ressent-il de la tristesse ? Ou alors une forte colère à l'égard de son premier et unique amour...
Compréhensible : Luinil ne se gêne pas pour aguicher les hommes par sa tenue incorrecte. Il n'y a qu'à voir la profondeur de son décolleté et l'ouverture de sa robe royale jusqu'à la hanche.
Bah, on est chez les astres pas en Calca ! Leurs mœurs sont totalement débridées, c'est connu.
— Dîtes, Majesté, chuchoté-je en me collant à lui, serait-ce ses bijoux qui attirent ainsi votre regard ?
— Tu crois que ce serait mal d'en dérober quelques-uns ?
— Je crois surtout que ce n'est pas ses bijoux qui vous intéressent vue qu'elle n'en porte pas ! Majesté, vous n'êtes qu'un petit pervers !
— Et sinon pourquoi tu ne te plies pas à ta mission !? Saleté de gnome !
Il me lance le flacon empoisonné pour se donner le change.
— Gné gné gné, ça va, j'ai compris, je vous laisse vous rincer l'œil. Profitez bien de la vue, c'est tout ce que vous obtiendrez d'elle, de toute façon !
Il se retient de me balancer par la barrière à en juger la crispation de ses mains. Pas de pot, mon vieux, tu dois rester discret. Haha, quel imbécile...
Je le quitte donc et quelques tintements de grelots plus loin, je rejoins les autres bouffons, à une dizaine de mètres de Luinil. Elle n'a pas lésiné sur le maquillage, la belle ! En la voyant de plus près, je remarque quelques ressemblances avec Tronche Parfaite. Le bâtard a de quoi tenir une couche de charisme vu son héritage parental.
Je suis brusquement bousculé par les autres gnomes qui ont jugé opportun d'embêter un des courtisans de la cour de Luinil. Tiens ! C'est Arquen. Je profite de la rapide confusion hilare qui s'empare des convives pour m'approcher discrètement de la reine. J'enfouis ma main dans la poche et aussi rapidement que possible, je verse le poison dans la coupe, posée sur un guéridon. C'est si rapide que ma respiration n'a même pas eu le temps de reprendre pendant l'action. C'est fait !
Je respire enfin. La couleur revient sur mes joues. Je me sens soudainement libéré d'un poids.
Il était temps : tout reprend place. Arquen et Luinil échangent des paroles quelques instants en souriant et la souveraine se saisit de sa coupe. Oui, vas-y, bois-là !
Je pense que Morgal doit être satisfait de mon travail, même si la conversation amicale entre la reine et l'hybride doit fortement l'agacer. La jalousie est présente.
Enfin, la Reine Vierge porte son verre à ses lèvres pulpeuses.
— Majesté ! Arrêtez !
Elle se fige, sans oser reposer sa coupe.
Varen déboule brusquement dans le cercle et lui arrache l'objet des mains. Le liquide vole en l'air et s'éclate sur sa face. L'homme hoquette quelques instants, le visage ruisselant de vin empoisonné.
Et puis une lente paralysie s'empare de sa face et descend le long de son corps jusqu'à ses pieds. Un dernier râle sortant de sa gorge et le voilà pétrifié, totalement figé. Oups.
Je glisse ma main dans la poche et sort le flacon de Morgal : il est plein... Dans mon autre poche, la fiole de Neisse est vide. Aïe ! Si avec ça je ne finis pas dans l'assiette de Momo, j'aurais de la veine !
— On a tenté d'empoisonner la reine ! hurle Arquen hors de lui, Majesté, je vous en prie, vous devez vous retirer avant que l'on ait trouvé le coupable !
Par toutes les Chimères de la Terre ! Ils vont la ramener à sa chambre ! Et Morgal attend la reine là-bas ! Quel fiasco ! Tout ça part ma faute... Pourvu qu'il n'ait pas quitté sa loge, en fin de compte. Mais si, il a disparu de la tribune. Je dois courir jusqu'aux appartements royaux pour le prévenir. Sinon on ne retrouvera que les deux petites oreilles pointues du prince.
Je balance mon chapeau ridicule, encombrant et indiscret et m'élance dans les couloirs. Merci Püpe de m'avoir déjà guidé jusqu'à la chambre.
Je cours à perdre haleine : derrière moi, je sens tout le grabuge provoqué par mon erreur. Ils fouillent de partout pour débusquer le coupable. Et la reine est reconduite dans ses pénates.
Enfin, le boudoir – dépourvu d'horloge – apparait. Je me précipite dans la chambre et tombe sur Morgal. Inutile de dire quoi que ce soit : il a deviné rien qu'en regardant mon visage cramoisi.
— Tu vas m'entendre, Binou...
— Désoléééééé.
Je me recroqueville sur moi-même en plissant les yeux, espérant que cette position améliore l'instant présent. Mais faut avouer que Morgal et moi sommes dans un beau bourbier. Surtout que Arquen doit déjà nous suspecter.
Des bruits de talons résonnent jusqu'à nous. Je me glisse aussitôt derrière la porte et laisse mon maître agir. Bon courage ! Tu es face à une reine en furie qui n'hésitera pas à te faire payer tes bassesses des années précédentes.
L'elfe retire son masque pour se donner plus de visibilité et se plaque contre le mur de l'entrée.
— Restez bien à l'abri, Majesté, murmure la voix de l'hybride. Nous nous assurons que personne n'entre.
— Merci, Arquen. Mais ne vous inquiétez pas. Ce n'est pas la première fois que l'on tente de me supprimer.
Elle passe le boudoir et entre dans sa chambre.
Morgal se décolle silencieusement du mur, telle une ombre et l'attrape par derrière, une main sur la bouche. De l'autre, il sort une flamme violette et l'injecte dans le crâne de la reine. Un nuage filandreux l'entoure dans un crépitement d'étincelles. Elle se débat quelques secondes, sans voir son agresseur et finit par s'écrouler. Le prince la rattrape au dernier instant pour éviter d'attirer Arquen.
— Faut toujours tout faire soi-même, grogne-t-il en tirant Luinil jusque sur le tapis.
Bon, j'avoue que voir sa magie à l'œuvre m'impressionne. Ce fut rapide !
Il sort le flacon de Djinévix et redresse le buste de Luinil contre lui pour tenter de lui ingurgiter la liqueur. Je vois bien qu'il est déstabilisé, avec la femme dans ses bras. Je ne le reconnais pas, en fait. Il semble hypnotiser par le visage sublime de son ancienne maîtresse. Je vois sa main glisser dans les longs cheveux d'encre et caresser la peau ivoirienne.
— Binou, va faire le guet.
— Pas de bêtise en mon absence...
Je lui donne la fiole pleine et trottine jusqu'à la porte du boudoir. D'accord : Arquen monte la garde devant avec d'autres soldats.
Je me retourne vers mon maître, la reine toujours dans ses bras. Il l'a serrée encore un peu plus contre lui. On pourrait presque croire qu'il la berce. Qu'est-ce qu'on devient bête quand on est amoureux !
On doit déguerpir avant que ça ne dégénère. Morgal avale à son tour la liqueur, espérant ainsi s'éloigner de toute menace divine. Il se relève et étend Luinil sur son lit. Il ne parvient pas à la quitter ; c'est tragique mais s'il continue son petit numéro de guimauve sentimentale, ça finira mal pour nous.
— Majesté ! Tout va bien ?
Je pivote vers les portes et me retrouve face au demi-dieu.
— Binou ?!
— Bonsoir, chef !
Il se précipite vers la chambre et trouve Morgal, penché au-dessus de sa souveraine.
— MORGAL ! SOMBRE ENFOIRÉ ! C'ÉTAIT TOI !?
Il s'élance vers mon maître et l'empoigne au col :
— QU'EST-CE QUE TU LUI AS FAIT ! PUTAIN, RÉPONDS !
L'elfe écarquille les yeux, les neurones pas encore reconnectés. Arquen le plaque violemment contre le mur et lui décoche un magnifique crochet du droit. La fureur se lit sur ses traits : il sera sans pitié pour son ami.
J'essaie de m'interposer mais un violent coup de coude dans la mâchoire m'envoie paitre contre le poteau du lit.
Il dégaine son cimeterre et l'enfonce dans le sternum du prince. Aïe ! Ça pisse le sang. Aussitôt Morgal réagit et donne un formidable coup de boule dans le crâne de l'hybride mais cela n'empêche pas le sang de dégouliner de sa blessure et de ses lèvres.
Loin de s'en arrêter là, Arquen se rue sur lui avec la puissance d'un taureau. Affaibli, l'elfe n'esquive pas assez vite et se fait percuter de plein fouet. Il s'écrase bruyamment contre la fenêtre, la fissurant par la même occasion.
— Je vais t'arracher les tripes, Morgal ! Je t'avais prévenu de ce qu'il t'arriverait si tu touchais encore une fois à ma reine !
Il lève son arme, prêt à trancher la tête de son ancien ami. Ce dernier l'en empêche par un coup d'estoc dans la poitrine. Mais il en faut plus pour abattre le fils d'un dieu. Tous deux s'empoignent sauvagement. La vitre saute dans leur dos et des morceaux de verre leur rentrent dans la chair.
De mon côté, je suis incapable d'effectuer le moindre mouvement, pétrifié par la violence de la scène.
Pris d'un sursaut de survie, le prince fait basculer son adversaire de l'autre côté du perron. Cependant, dans sa chute, l'hybride entraine mon maître.
Et tous deux disparaissent dans la noirceur de la nuit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top