Partie 43

De la fenêtre de la chambre, je distingue toujours mieux les météorites, prêtes à s'écraser en Narraca. Nous ignorons tous la portée de ce cataclysme. Allons-nous tous périr ? Personne ne peut le prédire. Sauf Morgal, bien sûr, puisqu'il est médium.

Assis dans son lit, il supporte les interventions médicales de Currunas. Si j'ai été convoqué avec Arquen ce n'est pas pour partager un moment de convivialité autour d'une tasse de thé.

Pourtant, l'hybride ne semble pas plus angoissé que cela. Accoudé au buffet, il examine les blessures profondes de son ami.

— Ilvanar ne t'a pas loupé.

— J'ai remarqué, merci.

Mmh... La bonne humeur n'est pas au rendez-vous. Compréhensible vu l'état dans lequel il se trouve. Je l'imagine mal attaché à un poteau de torture avec un bourreau lui entaillant les muscles.

— Me regarde pas comme ça, Morgal, je...

— Tu es un agent double, imbécile. Tu crois que je ne l'ai pas remarqué ?

— Mais qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour ? Enfin, venant de toi, tu ne peux pas comprendre.

Oh si, je crois qu'il le comprend très bien. Rappelons qu'Arquen n'est pas au courant à propos de sa reine bien aimée et son ami.

— La confiance règne, grommèle mon maître.

Arquen hausse les épaules :

— La confiance... Tu ne connais pas cette notion.

Morgal se renfrogne alors que Currunas verse une potion alcoolisée sur une balafre. Ça doit piquer.

— Comment ont-ils fait pour t'attraper ? demande l'hybride pour changer de sujet.

— Ils se sont servis de Narlera. J'ai dû m'échanger contre elle. Et puis Ilvanar a voulu calmer son égo blessé.

— Aucun art de la torture à ce que je vois. À sa place, je me serais montré bien plus sadique.

Morgal se mord un coin de la lèvre et attend que Currunas s'en aille.

— Tu dis ça mais ça a failli dégénérer sérieusement pour moi au plan de ma virilité.

Arquen éclate de rire : aucun respect pour le prince apparemment. Ilvanar avait en effet très mal pris le fait de s'être fait usurper la place auprès de Luinil.

— De toute manière, ça n'aurait rien changé pour toi, ricane le demi-dieu.

— Et voilà le sujet qui revient, soupiré-je, en attendant, Majesté, vous avez une nouvelle femme qui est caméléon.

— Une nouvelle femme ?

— Selnar.

— Elle était là durant ma torture et a pris mon sceau pour signer le contrat. La signature n'est pas valide. Elle était prête à me tuer. C'est une raison suffisante pour rompre nos fiançailles, non ?

— Oh, vous savez, ajouté-je, chez les elfes, on n'est jamais sûre.

Il fronce les sourcils et rétorque :

— Mais au fait, Binou, pourquoi ne t'ai-je pas tué, déjà ?

— Vous m'aimez bien.

— Tu m'as trahi, j'aurais dû te pulvériser par la marque ou t'égorger...

— En plus, renchérit Arquen, n'ayant pas suivi le régime imposé, je doute de ses capacités d'espion, désormais...

Et voilà le sujet de ma ligne qui revient ! Ce n'est pas parce que j'ai desserré ma ceinture de quatre crans que la situation est critique !

— Si ça ne vous plait pas, vous pouvez me laisser partir. J'ai des gens à retrouver en Fanyarë, moi.

— Ah non, Binou ! Tu es rentré à mon service, tu ne peux en sortir.

Zut, je lui collerais aux basques jusqu'à la fin de ma vie.

Profitant de cette petite interlude, l'hybride nous quitte. Je m'assis sur les draps et joue avec la première couverture.

— Il va falloir lui cacher votre malencontreuse aventure avec Luinil, Majesté.

— Pas qu'à lui, si possible.

En effet.

— À votre père ?

Morgal se gratte nerveusement le crane :

— Il est déjà au courant.

— Ah. Qu'a-t-il dit ?

— Pas grand-chose, nous n'en avons pas parlé. Il a simplement tenté de tuer Féathor. Heureusement que je suis intervenu.

— Pourquoi heureusement ?

Il croise les bras sur sa poitrine et me jauge du regard :

— Peut-être parce qu'il s'agit de mon fils, hein ? C'est mon sang.

Depuis quand il protège son bâtard ? Ce n'est pas dans son habitude de se montrer aussi attentionné.

— Mélangé avec celui d'une astre. Enfin une astre Réceptacles. Vous serez bien capable de sacrifier les membres de votre famille pour vos intérêts. D'ailleurs pourquoi craignez-vous une répression des dieux ?

Mon maître soupire et se renfonce dans ses oreillers.

— Une vieille histoire qui remonte à l'aube du Cosmos. De manière générale, les Réceptacles n'ont pas le droit de se parler et de s'approcher, encore moins de concevoir des enfants puisqu'ils seraient considérés comme déclencheurs de cataclysmes...

En parlant de cataclysme, la moitié du ciel s'effondrera sur nos têtes dans quelques jours.

— Vous auriez tout de même pu vous retenir, remarqué-je impassiblement.

Il reste interdit, sa longue mèche blonde cachant la moitié de son visage :

— Comment ça ?

— Eh bien la seule fois où vous la sortez du pantalon, ça tourne mal et vous vous tapez non seulement une reine ennemie légèrement démoniaque mais en plus un châtiment divin.

Sa mâchoire se débloque dans sa chute : je l'ai choqué je crois. J'en profite pour rajouter une couche, la rancœur ressurgissant brusquement :

— « Non mais ce n'est pas possible d'être aussi irresponsable !! Tu es quand même assez grand pour gérer ce genre de choses, non ? ».

C'est exactement ce qu'il m'a dit avec Püpe. L'occasion est trop belle, haha.

— Binou... murmure-t-il les dents serrés de colère.

Il rabat ses draps pour m'attraper mais je m'enfuis. Une course poursuite se déclenche dans la chambre où je ne tarde pas à finir broyer entre ses bras.

— Tu ressors ce genre de phrases et je t'arrache la langue et scelle tes lèvres avec du barbelé !

— Vous êtes en tort, Majesté, vous n'osez l'avouer.

Il me lâche et cette fois-ci éclate de rire :

— Les gnomes me font la morale désormais !

Bon, il a retrouvé sa bonne humeur, on dirait.

— Pas grâce à tes allusions graveleuses.

— Arrêtez de lire dans mes pensées !! J'en ai assez !!

— Malheureusement, tu n'as pas la possibilité ni le rang pour me donner des ordres, Binou ! Ton service reprend aujourd'hui.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top