Partie 4 (1)

Première nuit où je vais devoir suivre un entrainement intensif. Comme l'a demandé l'autre perché, je n'ai rien dit à Tampë et Maril sur ma formation d'espion. En y pensant bien, c'est absurde : un gnome espion ! Et pourquoi pas une chèvre sur le trône ! Bon, c'est un peu le cas dans certains royaumes elfiques. Pourtant, je ne suis pas le seul de ma race à endosser ce rôle atypique : Visève en est une aussi. Je pourrais la dénoncer : ce serait amusant ! Mais elle représente une carte de sortie en cas de coups durs. Ah oui ! Il faut que je trouve une accusation qui tient la route pour la grande sérénissime dame Lina. Elle me tape vraiment sur le système : j'ai attrapé une scoliose à force de récurer les cheminées.

Bref, me voilà dans les sous-sols du palais, dans des pièces secrètes, en compagnie d'autres espions. La plupart sont des elfes mais il y a aussi le demi-dieu Arquen qui me fait signe de m'avancer vers lui. Autour de moi, les autres espions ricanent : faut dire que je n'ai pas fière allure dans mon petit uniforme tout mignon de domestique.

— Nous avons une nouvelle recrue, annonce mon chef, comme vous, j'ignore pourquoi il est là mais notre maître y a tenu alors... Nous sommes censés faire de lui l'un des nôtres.

L'assistance ne semble pas réellement convaincue mais tous savent qu'ils doivent me prendre en charge : les désirs de monsieur Morgal sont des ordres.

Ma formation commence donc : entre topos rébarbatifs sur la psychologie des races, entrainements à mentir, je sens que j'aurais peut-être dû choisir l'option facilité : celle de finir canard-confis dans l'assiette de Morgal.

Le pire reste à venir : Arquen ne me l'a pas caché. Il ne sait pas comment faire de moi un combattant et... Je ne sais pas comment je peux en devenir un ! Moi, porter une arme !? Cela ne me dérange pas tant que mon adversaire est à terre, amputé des bras et des jambes et dos à moi. Mais apparemment, les adversaires cul-de-jatte sont rares.

— Comme tu es un gnome, assure le demi-dieu en me lançant une épée, il peut arriver de combattre un homme de deux fois ta taille. Un lumbars, par exemple.

Je recule précipitamment, craignant de me blesser avec l'arme qui atterrit bruyamment à mes pieds. Je la ramasse, ne sachant si je dois rire ou pleurer de ma situation ridicule. En face de moi, mon nouveau mentor semble désespéré. Je n'ai pas demandé à vouloir me battre, moi !

— Vous êtes sûr qu'il n'y a pas d'autres moyens pour devenir espion ? Si je me bats, cela veut dire que je suis repéré, non ?

— Oui, la plupart du temps. C'est pourquoi tu vas devoir exceller dans la ruse, le mensonge et la manipulation.

— Cela me ressemble déjà plus !

— Bah tiens ! Tu ne serais pas un Fëalocen, par hasard ? Bon, assez ri. Attaque-moi avec ton épée et on verra si tu es au moins capable de tuer un lapin.

Sans me faire prier deux fois, je m'élance sur mon adversaire, la lame levée. Il n'a même pas besoin de se servir de la sienne : il m'envoie rouler par la seule force d'un coup de pied. Faut dire que je me bats contre un homme dont le père est un dieu. Ce n'est pas mon cul-de-jatte.

— Bon, rectifions. Seras-tu capable de tuer un scarabée ?

— Mais enfin ! Vous voyez que c'est inutile. Un cadavre aura plus de chance de vous battre !

— Oui, en effet... Je me demande bien ce qui est passé par la tête de notre elfe... Enfin, bon !

Il baisse sa rapière et me regarde, tentant de déceler le don formidable qui sommeille en moi. Malheureusement, ce don est bien caché- trop même- et ne semble pas vouloir se manifester. Logique : tout mon être aspire au sommeil lorsqu'il ne s'agit de fourberies.

— Très bien, continue l'hybride, nous allons développer ton esprit à défaut de ton physique.

— C'est raciste et discriminant.

— Ton ennemi s'en moque, petit. Le fait est que tu es minuscule et fragile. Un point c'est tout. Par contre, si tu es agile là-dedans...

Il montre son crâne.

— Tu sais mentir convenablement ?

— J'ai toujours réussi à me sortir d'affaire.

— Bon, pour ce qui est du domaine de la manipulation mentale, ça devrait passer mais pour tout ce qui est séduction...

Oui, en effet. Je me vois bien aborder une femme en disant : « Bonjour gente dame, je fais trente centimètres de moins que vous mais je trouve que vous avez un joli minois ; serait-il possible d'approfondir cette relation naissante ? ». Pathétique ! J'aurais plus de succès auprès d'un pot de fleurs.

— Et si je veux accuser un innocent ? demandé-je.

Il hausse les sourcils :

— Qui veux-tu accuser ?

— Des gens qui m'agaceraient, par exemple.

— Comme la majordome Lina ?

Zut. Il a deviné.

— Tu es trop prévisible, Binou. Cela joue contre toi.

— Vous réussissez souvent à deviner les pensées des autres, ainsi ?

— Personne n'a de secrets pour moi, sourit-il, mis à part quelques exceptions.

— Morgal ?

— Les Fëalocen en général. C'est réellement une famille étrange. Il n'y a que la reine et le dernier fils, le prince Arlin, qui sont normaux.

— Comment êtes-vous arrivés ici ? Vous avez parlé d'un champ de bataille.

Je sens Arquen contracter les traits de son visage. Je suis peut-être un peu trop bavard ; les autres espions ne perdent pas leurs temps en paroles, à mes côtés : ils sont plutôt afférés à s'entrainer.

— J'étais mercenaire du duc Ilvanar, lâche-t-il en scrutant nostalgiquement son reflet dans la lame, au service de Luinil, reine d'Arminassë. Je suis devenu un Ilfégirin : un guerrier classé dans les plus redoutables. Malheureusement, Morgal en est un aussi et il m'a vaincu, me ramenant aux Falaises Sanglantes afin que j'exécute ses ordres.

— Comment êtes-vous devenus amis ? C'est improbable !

— Oui, en effet... mais cet imbécile sanguinaire me fait bien rire, alors... Et il m'apprécie car je dois grandement changer des autres hommes qu'il croise.

— Et vous en profitez pour vous taper sa fiancée ?

— Tout le monde se tape Selnar ! Sauf le seul concerné ! Morgal est aussi têtu qu'un nain ! Comme la reine Luinil ! On devrait essayer de les mettre ensemble dans la même chambre. Tu verras que même au bout de plusieurs semaines, ils ne se seraient toujours pas touchés. Quelque chose m'échappe... Et tu peux me dire pourquoi on parle de ça ?!

— C'est pour éviter de ma battre, chef ! Vous voyez, je suis parvenu à vous faire parler tout en échappant à ce mauvais sort !

— Tu as de la chance que je sois bavard aussi. Une potentielle cible ne le sera pas forcément autant ! Bon, c'est fini pour cette nuit ! Garde l'épée, elle pourrait être utile.

Je soupire de soulagement et sors rapidement des salles secrètes, remontant vers les étages supérieurs. Dehors, la nuit garde encore jalousement le peu de temps qui lui reste. À croire que le matin ne paraitra jamais sur cette côte... Pourtant, mon moral est assez en forme : la réunion diplomatique qui va avoir lieu dans trois jours va apporter de nouvelles péripéties à ma vie. Ça sent le complot, l'assassinat et les magouilles : ça promet d'être amusant !



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