Partie 39
Je suis allongé sur ma couchette à ressasser les derniers évènements : Morgal a un fils ! C'est absurde. Le pire c'est qu'il l'a conçu avec une astre alors que c'est l'homme le plus raciste que je connaisse. Ça a dû avoir lieu pendant l'ambassade...
Je repense immédiatement à la femme en question. Serait-ce elle, la mère de Féathor ?
En fait, j'ai du mal à imaginer Morgal s'envoyer en l'air comme ça avec n'importe quelle femme... Mais il l'a fait. Et le fils n'était sans doute pas prévu lorsqu'il a sauté sa maîtresse.
De qui s'agit-il ? Sûrement une femme de la cour d'Arminassë puisqu'il l'a croisée à l'ambassade. Une femme plutôt belle... Il n'a tout de même pas engrossé la Reine Vierge... si ?
Ce serait un désastre !
En plus, ils se haïssent mutuellement. Cela paraît donc inenvisageable.
Mais en recollant les pièces du puzzle, tout coïncide : il a aimé une fille, lui a fait du mal et l'a même frappée. Luinil a été victime de son plan détraqué et garde des cicatrices du poison retenu dans la bague émeraude. Et si cet abruti sanguinaire avait séduit la reine pour dérober les documents ? Et s'il serait tombé lui-même dans son propre piège ? Il se serait épris d'elle ?
Ce qui expliquerait pourquoi le poison n'était pas mortel ! Et que la reine veuille à ce point le liquider !
En plus, j'ai déjà croisé Luinil et c'est sûr qu'il y a de quoi fantasmer : une vraie bombasse.
Et il dit l'avoir épargnée pour Arquen ! Quel sombre enfoiré !
Morgal amoureux de la Reine Vierge... Cela ressemble à un mauvais conte.
Bah du coup elle peut oublier son surnom, la souveraine d'Arminassë. Je dois éclaircir cette piste. Comment Morgal a-t-il pu séduire Luinil ? il n'était pas le premier sur le coup. Il ne cessera jamais de m'étonner. Depuis quand il s'intéresse aux femmes ? Ou alors, il l'a violée... Ça devient glauque, cette affaire. J'ignore s'il recourrait à de tels procédés mais venant d'un homme qui incinère des innocents... En tout cas, il tient à ce que l'identité de Tronche Parfaite reste cachée. Momo a dû découvrir le pot au rose par lui-même et non par les dires de son fils.
Après ce ne sont que des suppositions mais...
Si un chantage ne fonctionne pas, je serai forcé de me ranger du côté de la reine et de participer à son assassinat. Je ne vois pas d'autres moyens pour retrouver ma petite famille.
La journée suivante se passa sans encombre. Je suis plutôt inutile dans ce genre de lieu. J'ai juste à m'assurer que Morgal touche un repas convenable. Pourquoi je pense à ça ? J'ai faim, désormais !
Je trottine jusqu'aux réserves en prenant soin de ne pas me faire repérer par les gardes.
Je n'ai pas recroisé Féathor depuis ma chute vertigineuse mais je surveille tout de même à ce qu'il n'approche pas trop de Narlera. Si son père est le psychopathe, on peut s'attendre à n'importe quel coup bas de sa part.
Alors... personne à droite, personne à gauche. Je me faufile subrepticement entre les étagères et pioche une pomme dans un cageot.
— Mais qui voilà donc !!
Je sursaute et pousse un cri aigu. Le fruit tombe sur les dalles et disparait sous un meuble. Bravo ! Du beau gâchis.
Je me retourne et rate un battement : la reine des pouffiasses se tient devant moi, drapée dans une chaude cape de velours bleu. Mais comment a-t-elle atterri ici ?!
— Madame, hasardé-je dans une révérence douteuse, que me vaut cet honneur ?
Selnar s'avance vers moi en se déhanchant : n'essaie pas de me séduire, tu as affirmé toi-même que tu ne couchais pas avec les gnomes.
— Binou, c'est cela ? dit-elle de son air hautain et suffisant, j'ai quelques questions à te poser.
— N'y pensez même pas.
— Voyons, voyons, pourquoi ce petit air renfrogné, mon mignon, mmh ?
Elle m'ébouriffe les cheveux et continue :
— Tu n'aurais pas dérobé un petit papier appartenant au général Lagordus, par hasard ?
— Non. Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Comment est-elle au courant !?
— Ho, Binou, gémit-elle d'un air attristé, c'est tellement dommage. Je t'ai vu de mes propres yeux dérober la missive et tu ne veux pas collaborer ?
Je grince des dents, me retenant de gifler cette peste.
— Je ne vous la donnerai pas !
Elle éclate de rire :
— Mais je me moque de cette lettre : je sais déjà ce qui s'y lit. Tu vois, j'ai rencontré un astre durant la fête d'Elen, le duc Ilvanar...
Encore lui ? L'ancien chef d'Arquen qui veut se taper la Reine Vierge.
— ...Et après une petite conversation, seul à seul...
La « petite conversation » pourrait très bien être renommée en « partie de jambes en l'air » mais passons.
Elle continue toujours aussi exécrable :
— Il m'a assuré que sa reine voulait supprimer le prince. Et j'ai aussitôt déclaré mon envie de participer à leur quête. Depuis le temps que je suis fiancée sans profiter de la richesse de ton maître ! Je voudrais qu'il meure juste après une petite signature en bas d'un registre, haha !
Mais ils sont tous fous dans ce pays !
— Je ne vois toujours pas où vous voulez en venir, Madame.
— Binou, soupire-t-elle, tu connais tout de Morgal. Et tu vas nous aider à l'évincer.
— Pourquoi le ferai-je ?
C'est vrai que c'était une de mes options mais sa proposition me paraît louche.
— Parce que... tu ne voudrais pas qu'il leur arrive malheur n'est-ce pas ?
Je blêmis.
— Je sais pertinemment où se trouvent ta trainée blonde ainsi que ta garce de fille. Elles travaillent en Fanyarë, dans un palace, n'est pas ?
Je ne réponds pas. L'envie de lui crever les yeux me démange horriblement.
La rouquine sort une liasse d'enveloppes de sous sa cape :
— Et voici tout le courrier en retard depuis trois ans ! Oh, ne fais pas cette tête, mon mignon, je vais te les donner. En échange de quelques informations.
— Je ne vous aiderai que si vous jurez de les faire revenir après la mort de Morgal.
— Mais bien sûr, mon chou... par contre, raconte cela à mon fiancé et je t'assure que ta catin et sa fille seront torturées, violées et écorchées. À toi de voir !
Elle tourne les talons dans un claquement de cape, laissant les lettres voler jusqu'au sol.
Immédiatement, je m'empresse de les ramasser, maudissant cette salope au plus profond de mon âme.
Je regagne en vitesse ma petite chambre et décachète les enveloppes. Les larmes me montent aux yeux et je ravale un sanglot. Cela faisait si longtemps... Mais la tristesse est aussitôt remplacée par la colère. Je hais ces elfes : Morgal, Selnar, tous ! Je voudrais m'enfuir et rejoindre ma petite famille, tout oublier mais c'est impossible.
Morgal mourra.
Je ne vois pas d'autres moyens.
Lorsque je rentre dans le séjour, une forte odeur de décoctions me prend au nez. Currunas s'affaire autour du dégénéré qui crache de gros caillots de sang. M'est d'avis qu'il devra réitérer sa baignade dans le bassin aux Gemmes Blanches.
— Majesté, gémit Chapeau Pointu, vous devez impérativement vous reposer. Votre état se détériore toujours plus...
Ah bon ? Tant mieux, il ne sera que plus aisé de le supprimer.
— Je suis chef de l'élite, Currunas, râle-t-il, j'ai encore des œufs de dragon à transmettre. De plus je me rends sur l'Île des Sirènes : une affaire à régler avec le gérant.
— C'est de la folie !
— Donnez-moi ce médicament et fermez-la !
Morgal n'est pas d'humeur à rigoler, on dirait. Sûrement à cause de son fils... Je doute qu'il considère sa découverte comme une bonne nouvelle.
— Je commence à croire que vous préféreriez mourir que recevoir mes soins, grogne le mage.
— Si vous tenez tant à soigner quelqu'un, déclare-t-il en renfilant son manteau, occupez-vous de mon gnome. Il est malade.
— Je ne suis pas malade ! rétorqué-je vivement.
Morgal hausse un sourcil sans oublier de froncer l'autre. J'ai horreur qu'il fasse cette tête...
— Ah bon ? Et dans ce cas explique-moi pourquoi tu as pris dix kilos ?
Il exagère là. C'est vrai que je me suis un peu empâté mais c'est simplement la bedaine de la quarantaine.
Bon de son côté, Momo n'a rien à se reprocher avec son corps de dieu mais ce n'est pas une raison pour discriminer les autres.
Il s'éclipse par la porte avec l'objectif de régler le problème de l'île des Sirènes. Je sens que Goer, le dirigeant, va se prendre une magnifique raclée pour ne pas avoir remboursé sa dette.
Et je me trouve seul dans l'infirmerie avec Chapeau Pointu. Je ne l'apprécie guère en fait mais s'il peut me guérir, pourquoi pas. Je retire ma tunique et ma chemise et m'assois sur la table, balançant mes petites jambes dans le vide. Il s'approche de moi et débute des tests étranges ; j'ai l'impression d'être un cobaye mais bon...
Aïe, l'envie de parler me prend brusquement à la gorge :
— Combien vous paie le roi ?
— Je n'ai pas à divulguer ce genre d'information à un gnome stupide.
Quel racisme, j'en suis affligé.
— Mais vous n'en avez pas marre de le soigner et de lui courir après ?
— Ce n'est pas comme si j'avais le choix, souffle-t-il d'agacement.
— Il reste des avantages aussi, comme la disponibilité de la princesse Selnar.
Il me foudroie du regard sous son chapeau tordu. Les relations extra-conjugales sont interdites en Calca et sévèrement punies. Cet imbécile préférait sans doute que je garde ses aventures amoureuses avec la pouffiasse. Surtout qu'il risque gros. Mais bien moins que Morgal à l'heure actuelle.
— Tu souffres de maux de ventre ? me demande-t-il pour changer de sujet.
— Non. Seulement lors des crises de foie.
— Depuis quand tu en subis ?
— Une quinzaine d'années, je dirais.
— Je pense que tu es boulimique. C'est au stade psychologique qu'il faut intervenir.
— Mais je ne... Enfin je suis parfaitement équilibré.
— Mmh... de toute façon je ne tiens pas à commencer le suivi d'un gnome. Le prince me suffit amplement.
— Vous savez comment expliquer son attitude ?
Il plisse les yeux.
— Il a subi un traumatisme à la mort du prince Malgal. Il est impossible de le guérir.
— Ah oui ?
— D'où découle ses envies de meurtres et de domination, son syndrome vampirique et son attitude froide auprès des femmes.
Oh bah ça, t'inquiète pas il a vite réglé son souci entre les jambes de l'autre bombasse.
— Je te conseillerais de remonter à la source, conclut-il, et d'arrêter aussi de manger sans cesse. Tu risques une éventration.
Je hoche la tête et me rhabille en vitesse. Je porte à croire que Narlera a raison. Je compense un manque.
Cela me ramène toujours au complot contre Morgal. Ce soir, je rejoins l'escouade d'assassins...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top