Partie 37
Aujourd'hui, nous partons pour la Gorge des Dragons ! La montagne ! Bon et aussi les forêts ensorcelées... Espérons qu'il n'y ait pas des loups affamés. Pourquoi je parle de faim ? Ça fait la cinquième fois depuis me début de la matinée que je mange l'équivalent d'un repas.
Avec ça, j'ai un mal de ventre épouvantable et un pantalon qui ne ferme plus.
Je finis mes bagages et part réveiller Morgal. Il n'est toujours pas apparu et je doute de sa santé à lui aussi.
Je pousse sa porte et le trouve assis sur son lit, les yeux dans le vague. Sa chemise est en partie défaite et ses cheveux ont décidé de danser dans tous les sens. Vues les cernes rouges qui lui tombent des yeux, la nuit a été mouvementée.
— Majesté ? Nous devons partir...
— J'ai besoin d'une douche.
— En effet. Et d'une douche bien froide !
— Binou ! Continue à me parler sur ce ton et je t'arrache les oreilles !
Quelle humeur massacrante !
— Et sinon, pourquoi cette tête ?
— Je ne suis pas obligé de te communiquer mes problèmes personnels à ce que je sache !
Bon, il est de mauvais poil. Je le laisse dans son merdier et part rejoindre les écuries. Poney Obèse... Il ne m'avait pas manqué celui-là.
Je l'enfourche et rejoins le convoi qui s'est déjà mis en branle. Ah j'aperçois Monsieur Parfait, là-bas. Il n'est pas aux côtés de Narlera, c'est déjà cela. Seul un astre qui semble un peu bête l'accompagne.
Je te tiens à l'œil l'ami. D'ailleurs, j'ignore pourquoi mais il me fait penser à quelqu'un...
Et voilà le célèbre épéiste ressuscité ! Lagordus, si je me souviens bien. Instinctivement, je m'approche de lui. Il n'a pas encore sauté sur sa monture mais cette dernière est sellée avec les bagages. Je me colle sans crier gare et fouille la première sacoche. Mais qu'est-ce que tu cherches, Binou ?
J'ai une intuition, comme un mauvais présentiment.
Et puis je tombe sur une lettre manuscrite.
Je me retire discrètement et contemple ma trouvaille. Personne ne me remarque dans la cohue générale.
Nom de tous les noms ! Je relis trois fois la missive avant de comprendre exactement ce dont il s'agit : un ordre d'exécution signé par Luinil ! Et je vous laisse deviner qui a sa tête mise à prix !
La Reine Vierge n'apprécie pas que son assassin court dans la nature à ce que je vois !
Elle a chargé une quinzaine d'astres d'éliminer le dégénéré en feintant un accident. Parce que madame ne tient pas à rompre l'alliance avec Elaglar.
Une voix dans ma tête me pousse à leur faciliter la tâche : Morgal n'est-il pas la source de mes problèmes ? Il mériterait que ses actes se retournent contre lui.
Je ne sais pas quel camp choisir, mais j'aurai tout le loisir d'y réfléchir durant notre traversée.
La Gorge des Dragons est une citadelle aussi imprenable que rudimentaire. Les cellules des guerriers sont parées du strict nécessaire et je ne parle pas des murs qui sont taillés à même le roc.
J'ai appris que les soldats astres ayant intégré l'élite allaient recevoir des dragons de combat. C'est une grande marque de confiance de la part des elfes. Mais l'attribution de telles créatures ne se déroule pas de façon anodine.
Toute une cérémonie est mise en place à chaque individu pour savoir quel dragon il peut apprivoiser. Cela a lieu dans les profondeurs de la cité et le concerné est seul avec Morgal puisque c'est ce dernier qui connaît les rituels.
Je suis d'ailleurs chargé de guider le premier soldat à sa chambre après l'attribution du dragon.
Dommage qu'Arquen soit resté à Elmaril, je me serais amusé avec lui.
J'attends donc le guerrier devant le dôme qui mène aux profondeurs ténébreuses de la citadelle. Je suis curieux de connaître cet endroit...
Pour tromper l'ennui, j'avale un morceau de pain, ça me détend. Ah, des bruits de pas...
L'astre apparaît par la porte étroite et s'arrête à ma vue :
— Heu...C'est vous, Binou ?
Ma parole ! C'est Tronche Parfaite !
Je lui réponds par un grand sourire ironique. De son côté, il se retient de rire : j'ai une tête de bouffon, c'est ça ?
— Suivez-moi, lui dis-je, je vais vous montrer votre chambre.
Il fronce les sourcils et resserre son bras sur le gros œuf de dragon.
— Qui êtes-vous ?
— Je suis le gnome du seigneur Morgal. Je m'appelle Binarvivox mais mon maître m'appelle Binou.
Il recule sa tête d'étonnement en me suivant :
— Ça ne lui ressemble pas.
Je hausse les épaules et commence l'ascension des interminables escaliers :
— Cela diffère d'un homme à l'autre, soupiré-je.
— Il vous exploite en somme.
L'astre paraît dégoûté par le comportement et les habitudes de Morgal. Pas étonnant. Mais ce blanc bec m'agace sérieusement :
— Non, c'est ainsi, affirmé-je dans un discours puant l'hypocrisie, je suis son serviteur et je dois lui obéir sans résistance. Il me loge, me nourrit et je le trouve amusant.
L'astre retient de s'étrangler :
— Amusant ?!
— Oui, continué-je d'un air très sérieux, mais j'avoue qu'il faut bien le connaître pour apprécier son humour. Un humour un peu noir, c'est vrai...
— Décidément.
Nous parvenons enfin dans l'immense couloir flanqué de portes. J'ouvre la première et déclare :
— Vous voilà chez vous !
Il se pince les lèvres en voyant l'état spartiate de sa chambre. J'en profite pour l'énerver d'autant plus et me jette sur son lit :
— C'est confortable... Je vais rester avec vous parce que je risque de m'ennuyer sinon. Oh et puis votre œuf va éclore ! Quelle distraction !
Il souffle d'exaspération et s'assoit lentement sur la couchette, comme pour ne pas brusquer le bébé dragon dans sa coquille. Il contemple l'œuf pendant de longues secondes qui me semblent interminables.
— Je peux toucher ?
Je viens de me coller contre lui et le regarde sous les trous de nez, usant fortement sa patience. C'est bizarre mais j'ai vraiment l'impression d'avoir déjà croisé cet homme dans ma vie...
— Non, c'est MON œuf, lâche-t-il en fronçant un sourcil.
Qu'à cela ne tienne ! Je continue de lui parler inlassablement, lui racontant tout et n'importe quoi, comme la fermeture de l'Île des Sirènes et j'en passe. De son côté, il reste taciturne.
Mais nom d'une foutrechiure ! Où ai-je bien pu croiser ce visage ? Je vais le baratiner pour le découvrir...
— Vous pensez à quoi ?
— AU SILENCE ! vous m'épuisez !
Son timbre de voix vient de dérailler et j'ai l'impression d'entendre mon maître :
— Vous avez les mêmes expressions que Morgal, plaisanté-je, vous ne serez pas de la famille, par hasard ?
Il écarquille les yeux et ça bouche s'entrouvre sans sortir le moindre son. Après tout, je viens de l'associer à un homme qu'il déteste. Son front se plisse et il rétorque violemment :
— Mais je suis un astre ! Ne savez-vous pas que ma race ne peut se croiser avec d'autre ?!
La fureur se peint sur ses traits. Mais pas que. J'y lis la peur. La peur ? De quoi aurait-il peur ? J'observe minutieusement son visage et plus ça va et plus je trouve des points communs avec le dégénéré aux oreilles pointues.
— C'est que, répliqué-je, vous vous ressemblez énormément tous les deux. Rasez-vous la barbe et teignez-vous les cheveux en blond et je ne verrai pas la différence.
— Vous dites n'importe quoi !
Il est au bord de la syncope le joli cœur. Pas de bol, j'ai reçu une formation d'espion et je remarque immédiatement lorsque l'on me ment. Finalement, je me demande si ma plaisanterie n'est pas un peu trop proche de la réalité :
— Vous êtes son fils, n'est-ce pas ?
Son teint blêmit devant mon sourire sadique. Bingo ! Je viens de faire une découverte forte intéressante ! Quelque chose me dit que je viens de remuer une eau bien trouble. Il ouvre la bouche pour rétorquer mais je le coupe :
— N'en dites pas plus ! J'ai enfin trouvé un moyen de pression sur mon maître ! Ça va faire un terrible scandale dans toute la cour ! Ce sera amusant !
Oh mais je vais recourir au chantage ! Je lui demanderai de ramener Püpe, en échange.
— Tout ce que vous dites est faux ! lâche l'astre.
Mais c'est ça, essaie de me contredire. T'es son portrait craché, couillon ! Aïe, je n'ose imaginer le savon que Morgal va sentir lorsque son paternel sera au courant. Sans parler de sa douce et délicate fiancée. Et ses frères. La cour en général. Devant un tel fait, Morgal perdra le contrôle et je m'engouffrerai dans la faille. Mais il me manque encore trop d'éléments pour revoir ma famille :
— Et c'est qui votre mère ? Je parie que c'est une aristocrate d'Arminassë. Je ne pensais pas que Morgal irait jusqu'à...
— SUFFIT ! hurle-t-il en se levant, les muscles tendus par la colère, encore un mot et je t'arrache la langue ! Et les mains pour que tu n'écrives pas de sornettes !
Ah mais c'est que le sang Fëalocen coule dans ses veines, à ce petit bâtard... Il possède déjà les rudiments comportementaux de son père.
— Doucement ! murmuré-je en tendant les bras pour le calmer, je ne dirai rien si... si vous m'en dites un peu plus sur cette relation sulfureuse...
À peine ai-je terminé ma phrase qu'il m'empoigne par le col en me foudroyant du regard. Narlera, ton amoureux est un psychopathe ! Il a l'intention de me pulvériser !
Ses yeux d'elfe dérivent sur la fenêtre. Non, mauvaise idée. Non, non ! C'est le précipice de l'autre côté ! Je suis jeté de l'autre côté de la balustrade et je chute vers les profondeurs de la montagne...
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