Partie 36
Mon maître est enfin de retour !! Je m'élance à la terrasse et contemple les colonnes de guerriers qui remontent jusqu'au plateau : les deux armées se positionnent symétriquement sur la place, pendant que les chefs se réunissent sur une estrade.
— Impressionnant, non ? remarque Morgal.
— Pourquoi n'êtes-vous pas avec eux ?
— La discrétion est de mise dans mon cas.
— Ah. Mais ils s'en apercevront tôt ou tard puisque vous êtes à la tête de la prochaine élite.
— Mmh.
Il semble tracassé. L'angoisse de travailler avec des astres, peut-être. Après tout, ils lui ont bien lancé une horde d'aratayas.
— Tu vois le représentant de la couronne d'Arminassë ?
— L'astre aux cheveux noirs ?
— C'est l'un des meilleurs épéistes du royaume. Il a tenté de me tuer à l'ambassade avant que je ne vole leurs plans de guerre.
— Et ?
— Je l'ai égorgé.
— Mais...
— Il est de nouveau en vie. C'est normal chez les astres. La vie est renouvelée par des résurrections puisqu'ils sont stériles.
— Ah. Il sera heureux de vous retrouver !
— En effet, haha. Tu me trouveras à la caserne, Binou. D'ici peu, nous partirons pour le Nord, à la Gorge des Dragons.
Je hoche la tête, excité par ce nouveau voyage : j'aimerais voir Morgal en tant qu'instructeur. Il doit se révéler une véritable plaie pour ses élèves, haha.
En cette fête d'Elen, les soldats ont quartiers libres. J'observe le mélange entre les deux races : la nervosité est palpable ! Ils se sont entretués pendant des milliers d'années et voilà qu'ils séjournent ensembles, partagent les mêmes repas et les mêmes dortoirs.
Un joli choc de culture !
D'ailleurs, je remarque qu'il n'y a pas de femmes guerrières chez les astres. J'espère qu'ils ne vont pas essayer de tenter leur coup chez les petites elfes, ça risquerait de mal tourner !
Mais faut croire qu'il n'y a pas eu d'accidents, cette nuit, alors que la fête battait son plein. Les astres ont dû être briffés à ce sujet. Certains des soldats, elfes et astres, profitent d'ailleurs de leur congé pour rejoindre l'Île des Sirènes.
Ils n'ont pas le droit. C'est interdit par leur règlement. Donc je me suis empressé de tout raconter au dégénéré. Il est parti leur passer un savon et pour rien au monde, je ne voudrais être à leur place !
Ne suis-je pas détestable ?
Je suis surtout affamé. Je commence à croire qu'un horrible parasite a élu domicile dans mon ventre et mange tout ce que j'avale. Si j'en crois mon miroir, ma panse a pris une jolie courbe rebondie mais c'est sûrement dû à une intoxication, hein ?
Je monte dans les appartements de Narlera. Depuis peu, Morgal lui a donné un dragon et j'espère bien ne pas le croiser même sous forme réduite.
Je pousse la porte :
— Narlera ?
— Binou ? Entre, je t'en prie.
Ah, elle semble de bonne humeur. Je la rejoins et la trouve avachie sur son lit. Ça me fait toujours étrange de la rencontrer revêtue d'une veste et d'un pantalon. Avec son métier, c'est devenu son uniforme. Pourtant, actuellement, elle porte une robe noire, transparente.
Bah dis donc ! Ça se dévergonde ici ! Elle essaie de séduire qui ?
— Arrête de me regarder ainsi, Binou, me gronde-t-elle gentiment. Que veux-tu ?
— J'ai une faim de dragon, Narlera.
— Encore !
Ce n'est pas la première fois que je viens quémander à sa porte :
— Je crois que je suis malade.
Elle fronce les sourcils et rétorque :
— Je pense plutôt que tu essaies de compenser un manque.
— Un manque ?
— Tu manges sans arrêt depuis le départ de Püpe.
— Je...
Elle me sourit tristement et me fait signe de la rejoindre sur le lit.
— Tu as des nouvelles d'elle, non ?
— Pas depuis trois ans.
Elle passe un bras autour de mon épaule et ajoute :
— Si tu veux, je demanderai à Arquen de vérifier si elle va bien, Mmh ? Et je pourrais faire passer quelque chose à ta fille, ça te dit ?
— C'est de moi qu'elles ont besoin. Pas de cadeaux ou d'argent.
Ma voix se brise douloureusement dans ma gorge. Tout ça, c'est la faute de Morgal. C'est lui qui est la source de mon malheur. Jamais je n'ai pu rejoindre ma petite famille. À quoi bon essayer d'expliquer à ce psychopathe sans cœur mes besoins. Il n'a jamais aimé personne. Il n'a ni enfant, ni femme. Tout ce qui compte pour lui c'est l'argent et le pouvoir.
Narlera tente de me réconforter en frottant amicalement mon dos.
— Tu veux que je te dise un secret Binou ?
Elle se lève gracieusement dans un froufrou de tissu :
— Je vous écoute.
— Je suis tombée amoureuse !
Hein ?
— C'est pour cela que vous êtes habillée de la sorte ?
Elle hoche la tête en souriant de plus belle.
— Vous allez choquer votre amoureux, si je puis me permettre...
— Voyons, Binou. Cette robe est très bien. Et puis les astres ne se formalisent pas sur ce genre de détails !
— Un quoi ?!
Elle ne s'est tout de même pas amourachée d'un crétin d'astre ! Que dirait son tuteur ? Morgal les déteste. Et venant de Narlera, elle veut construire du solide. Autant dire que c'est impossible avec un astre. Ils sont conçus pour flirter n'importe où, n'importe quand et avec n'importe qui.
— C'est un jeune astre. Il est un peu étrange, certes, mais ça le rend différent des autres membres de sa race.
— Mais il vous mène en bateau, Narlera !
— Mais non, le seul inconvénient est qu'il déteste très fortement Morgal, un peu comme les autres. Surtout depuis que ton maître a fait passer des tests aux astres. Ils se sont tous aperçus qu'il était vivant. C'était très amusant de voir leurs visages scandalisés !
J'imagine.
— Écoutez, Narlera. Simple conseil d'ami : cet homme ne s'intéresse qu'au plaisir que vous pouvez lui procurer. Où est-il d'ailleurs ?
— Sur l'Île des Sirènes...
— Mais vous serez peut-être la cinquième femme de la journée qu'il aura détroussée !
— Ah mais je ne compte pas qu'il me déshabille dès notre premier rendez-vous.
— Pff. C'est tout ce qu'il voudra, lui.
— Mais non. Il est gentil.
Ou alors il n'a pas couché avec une femme depuis des mois et son entrejambe le démange...
— Écoute, Binou, accompagne-moi discrètement au port et tu le verras. Tu me diras ce que t'en penses, d'accord ?
— Entendu.
Narlera se dresse sur le ponton, regardant le bateau rejoindre le port. Je me suis caché derrière un ballot de marchandises.
Le navire accoste et des hommes descendent de la passerelle. Ils ont dû se faire détruire par Momo ! Le dragon de l'elfe la rejoint et se pose sur son épaule alors qu'un astre la rejoint.
Attention, mon coco, je vais dépeindre tes moindres traits et trouver toutes tes imperfections !
Bon...
Bon, d'accord, il est plutôt pas mal. Il est brun avec une courte barbe bien taillée. Mais ! Il aurait pu être plus grand avec plus de muscles. Il reste assez sec même si ses épaules sont plutôt larges.
En fait, il est trop parfait et ça m'énerve. Narlera va tomber dans le piège, envoûtée par ces yeux d'un vert intense. Et moi je serais là après pour ramasser les restes à la petite cuillère !
Je les vois tous les deux s'éloigner en bavardant joyeusement. Grrr, j'ai envie de lui envoyer un bon coup de pied aux fesses de ce joli cœur, on verra si elles sont aussi parfaites que sa petite personne !
J'espère que Narlera sera assez résistante pour ne pas céder à ses avances. Et s'il force, je pense qu'elle n'aura aucun mal à lui envoyer un bon sort dans ses parties intimes stériles.
Sur ce, je regagne la propriété de mon maître. Je n'ai pas envie de retrouver ma petite Narlera à la caserne, au bras de cet idiot.
Le temps que je regagne la demeure de Momo, la nuit est bien tombée.
J'essaie de rejoindre la chambre de mon maître mais elle est fermée à clé.
— Majesté ?
Aucune réponse. Enfin si : une forte toux et un bruit de bouteilles cassées.
J'essaie de crocheter la porte mais un sort est fixé à la poignée.
Et si le dégénéré faisait une crise ? Je dois trouver de l'aide. Je m'élance dans les couloirs et croise Narlera.
— Narlera ! m'exclamé-je, Morgal s'est enfermé dans sa chambre et semble malade !
— Quoi !
Elle se précipite jusqu'à la porte et déverse aussitôt sa magie pour l'ouvrir. Pourvu qu'elle y parvienne ! Pourquoi je stresse ainsi ? C'est absurde.
En tout cas je suis heureux de voir que Narlera ne s'amuse pas à satisfaire l'autre imbécile. J'espère que ce rendez-vous sera sans suite...
La porte s'ouvre.
— Non Binou, tu restes là !
La porte claque et je me retrouve seul. Une odeur de joint me parvient aux narines : Morgal déprime, on dirait ! Il se trame quelque chose. Et je saurais bien assez vite pourquoi !
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