Partie 33
De retour aux Falaises Sanglantes ! Ce lieu m'a manqué !
— Mais tu es en pleine forme aujourd'hui ! s'exclame Arquen à l'égard de mon maître.
L'elfe s'affale dans le canapé, Alacamor juché sur l'accoudoir. Le fait que ce dragon parvienne à rétrécir me rend perplexe. Je me demande quelle est sa taille maximale...
— Oui, en effet, soupire Morgal en s'étirant, j'ai assisté à un petit feu de joie. Ça m'a mis de bonne humeur.
— Ah. Bah moi ce sont des filles de joie qui m'ont mis de bonne humeur.
— Je ne veux pas de détails.
— Pour changer de sujet, Currunas te cherche partout.
— Je préférais le sujet précédent...
— Tu dois savoir que ton père le liquidera s'il faillit à son devoir.
— Bien. Je ferai en sorte qu'il faillisse, alors.
Il ne changera jamais.
Arquen me regarde et me fait signe discrètement de sortir. J'exécute son ordre et il me retrouve dans le couloir :
— J'ai tenu ma parole, Binou. À toi d'en faire de même.
Je hoche la tête et part en courant : Püpe a été libérée ! Je cours dans les escaliers, bousculant les gnomes sur mon passage. J'arrive à ma chambre mais elle ne s'y trouve pas. Elle doit être dans la sienne. Ah zut ! Je n'ai pas l'autorisation d'aller dans cette partie du couloir. Je passe donc par ma fenêtre et me retrouve sur les toits. J'avance le mieux que je peux sur le chemin de ronde.
En cette fin d'après-midi, le soleil du printemps chauffe agréablement mon dos. Une sensation de bien-être m'enveloppe. Je continue mon chemin et soudain je la vois.
Elle est debout, sur la tête plate d'une grosse gargouille, scrutant la forêt de tours. Ses longs cheveux blonds sont détachés et dansent avec mélancolie dans le vent. Elle porte une longue robe fluide qui lui tombe aux chevilles.
— Püpe ?
Elle se retourne vers moi, immobile. Je m'approche doucement sur le cou de la statue et puis elle se jette dans mes bras.
— Binou ! Tu m'as tellement manqué ! Arquen m'a dit que c'était grâce à toi que j'étais sortie. Merci. Merci.
Je souris : en soi, je n'y suis pour rien. J'ai juste eu recours à un chantage. Mais les résultats sont là : Püpe est avec moi.
Je lui prends la main et l'embrasse.
Bon, on est d'accord, ces retrouvailles sont d'une niaiserie inégalée ! Avec le soleil qui ne va pas tarder à se coucher ! Ça ferait vomir Morgal.
Le froid commence désormais à mordre. Je conduis Püpe à l'intérieur, jusqu'à nos petits appartements que nous avons élus secrètement. Bradh ne nous y trouvera pas et son lapin aussi, j'espère.
Je la soulève dans mes bras, chose qui m'était impossible il y a cinq ans, et la porte jusqu'à notre couche.
Elle encercle mon cou de ses bras fins, amaigris par la captivé :
— Comment Arquen, t'a-t-il sortie du cachot ? lui demandé-je en passant la main dans ses magnifiques cheveux.
Elle sourit tristement mais ne me répond pas :
— Püpe ? Ça va ?
Elle se pince les lèvres et ajoute :
— Tu ne trouves pas qu'on a fait du chemin, tous les deux ?
Oui, en effet. Je n'ai pas pris le bon versant d'ailleurs.
— Binou, ajoute-t-elle, j'ai changé aux Falaises Sanglantes.
— Comme tout le monde.
— Mais moi je suis devenue meilleure.
Si tu le dis...
— Alors, il n'y a pas de raison de s'inquiéter, Mmh ?
Elle opine de la tête. Serrée contre moi, elle ressemble à une fleur fragile. Mais peut-être ignore-t-elle que je ne serais pas toujours en mesure de la protéger. Mes yeux glissent sur ses lèvres et l'envie me prend. Comme si elle lisait mes pensées, elle joint sa bouche à la mienne et je la fais basculer doucement sous moi.
Nos regards ne se quittent plus désormais. Je lis tellement d'émotions dans ses iris bleues. Je suis indéniablement amoureux d'elle.
Je me réveille avant le lever du soleil. J'étais sensé rejoindre le caveau d'entraînement mais Arquen comprendra. Enfin, il a intérêt à comprendre.
À côté, Püpe dort toujours, enroulée dans les draps jusqu'aux aisselles.
— Ma chérie ? Tu dois te lever.
— Mmph
Je l'embrasse sur l'épaule et passe ma main sous la couverture pour lui pincer les fesses.
— Binou !
— Tu es réveillée ?
Elle me foudroie du regard, peu encline à rigoler. Et puis finalement elle éclate de rire, me détendant sur le champ.
— C'était une nuit merveilleuse, Binou, sourit-elle.
Elle fronce les sourcils et ajoute :
— Mon nom, je veux dire, mon vrai nom... c'est Nalpalyre.
Je reste perplexe :
— Mais... Pourquoi ... ?
— Pourquoi je ne te le dis que maintenant ? Parce que c'est la dernière fois que je te vois, Binou.
— Hein ?! C'est une plaisanterie !
Je me suis redressé sur mon séant et scrute Püpe intensément.
— Tu voulais savoir comment j'étais sortie ? Arquen a joué des pieds et des mains pour convaincre Morgal de ne pas me tuer dans les prochains mois. La seule solution pour moi était l'exil.
— L'ex...
Ma voix se tord dans ma gorge. J'essaie de me reprendre :
— Mais...
Je n'y arrive pas. J'ai envie de pleurer. Püpe aussi d'ailleurs.
— Tu veux savoir pourquoi ils m'ont épargnée jusqu'à maintenant ?
Je me mords les joues pour ne pas lui montrer que je ne vais pas bien du tout. Elle murmure :
— Parce que tu n'avais pas menti, Binou. Je suis enceinte de toi.
— Hein ?!
Quoi ?! C'est une blague, elle dit ça juste pour rajouter du mélodramatique à la scène !
— Binou ? Ça va ?
— Mais... Non ! Je ne vais pas bien du tout ! Tu me balances comme ça que tu t'en vas et qu'en plus je t'ai fait un enfant ?! Ça ne pourrait être pire !
— Si, nous aurions pu mourir tous les trois.
Je me lève en respirant bruyamment. Tout cela me semble une mauvaise farce.
— Binou, murmure-t-elle doucement, tout ira bien. Je partirai pour Fanyarë dès ce soir. Arquen a un contact pour moi là-bas. J'y serai bien avec le petit.
— Mais je ne te verrai plus !
— Ça c'est dans le pire des cas. Mais Morgal voyage beaucoup. Tu pourras nous rendre visite. Le plus tôt étant le mieux, bien sûr.
Je m'assois près d'elle, sur le drap. Je suis au bord du désespoir :
— Je t'aime, Püpe, tu sais ?
— Bien sûr, sourit-elle paisiblement, tu sais que c'est réciproque, mmh ?
Elle me caresse la joue. Une larme est écrasée.
— Je n'ai pas su te protéger, murmuré-je, tout est de ma faute...
— Mais non. Regarde.
Elle pousse le drap et colle sa chemise de nuit contre son ventre. C'est vrai qu'elle a grossi.
— Tu vois, si tu ne m'avais pas mis la petite graine, je serais morte à l'heure qu'il est. Je suis la seule coupable de notre séparation, Binou et j'en suis tellement désolée.
Je renifle et la prend dans mes bras. Je voudrais tellement qu'elle reste... Mais la vie n'est pas ainsi, elle est semée de désillusions, de déceptions et de tristesse.
Voilà, c'est fini. Je vois Püpe disparaitre dans le flot continu d'une immense avenue. Un dernier signe de la main et c'est terminé. Je lui ai juré de la rejoindre bientôt. Peut-être est-ce un serment que je me suis fait à moi-même. Elle va tellement me manquer. Du haut de la terrasse où je me trouve, Maril et Tampë m'épaulent fraternellement. Ils m'aideront dans cette mauvaise passe.
Des larmes coulent sur mes joues basanées : et si elle se perdait ? Et si l'accouchement tournait mal ? Je commence à m'imaginer les pires histoires. J'ai vraiment peur pour elle et pour notre enfant.
Mais je suis aux Falaises Sanglantes et en ce lieu, il n'y a pas de place pour ce genre d'histoires. Il n'y a que malice, ruses, et tromperies. Le mal y est omniprésent, incarné par Morgal.
Alors je n'ai pas le choix : je dois passer outre. Je me détourne du cœur de la cité et entre dans les murs du palais.
J'ai déjà revêtu le masque.
Le masque de la perversion.
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