Partie 29

— Bon, écoute-moi bien, Binou.

— Je suis toute ouïe, chef.

— La reine Luinil comme les autres astres pensent que Morgal est mort. Personne ici ne sait exactement ce qu'il s'est passé à l'ambassade, à Arminassë, mais ils le détestent tous. Donc pas un mot sur notre maître, compris ?

— Oui chef.

— Une question ?

— Pourquoi Morgal vous a-t-il envoyé pour cette mission ? C'est délicat étant donné votre nature d'astre.

— le dégénéré m'envoie convaincre la reine si elle demeure réticente sur le projet.

— Mmh... De la part d'un hybride qui vit avec des elfes, je ne vois pas comment elle peut vous faire confiance.

— Je suis marqué. Donc je garde mes bonnes intentions originelles. C'est juste que je n'ai pas le choix d'être dans ce camp. Luinil sait que j'appartiens à Arminassë avant tout.

Je hoche la tête. Dans la large cabine d'Arquen, je supporte difficilement le roulis des vagues. Je me cramponne à ma couchette de fortune et attends un ordre de mon chef :

— Quel est mon rôle, là-dedans ?

— Infiltration dans le navire astral.

Je hoche une nouvelle fois la tête. En face, Arquen se pose sur un pouf et tire une grosse bouffée de fumée. Ça le calme, apparemment. Sa forte carrure demeure tendue, signe distinctif de son stress. Il craque son cou et rabat le col de sa veste de cuir. Envie pressante de parler !

Je ne peux pas résister :

— Pourquoi n'avez-vous pas emmené des femmes avec vous ? C'est austère comme voyage.

— Je n'ai pas la tête à ce genre d'histoires.

Pardon ? Arquen qui ne pense pas à des femmes dans son lit ? Il doit être malade. Peut-être ne possède-t-il pas le pied marin ? Ou alors peut-être aurait-il préféré culbuter Morgal, haha.

— Ah mais je sais ! Vous pensez à la reine ? Chef, je croyais que Morgal vous avait expliqué nettement que c'était peine perdue !

Il grogne tel un ours sortant de l'hibernation. J'ai touché la corde sensible, il semblerait.

— Tu comprendras lorsque tu la verras, Binou. Cette femme est unique.

Bien sûr, bien sûr. Ils disent tous ça.

Toutefois, cette soi-disant plus belle femme du Cosmos m'intrigue. Ce ne doit pas être n'importe qui puisqu'elle gouverne depuis de si longs millénaires son pays sans faillir. Elle a l'air diablement intelligente...

Au-dessus de nos têtes, le pont craque sous les pas précipités des marins : nous approchons de la frégate des astres.

Ce sera amusant !!

Je bondis de ma couche et me jette à la fenêtre : une véritable flotte armée rejoint nos bateaux. Leurs navires sont bien plus larges et sûrement plus lourds. Déjà, les bâtiments s'élèvent tels de véritables châteaux, regorgeant sans aucun doute de soldats.

Au contraire, les vaisseaux elfiques sont construits pour la vitesse et l'attaque. Ils sont bien plus fortifiés mais abritent moins de guerriers. Ils semblent taillés dans l'onyx, arborant leurs centaines de canons rutilants.

Si ça pète, les petits amis, les poissons auront de quoi manger pour les prochaines dizaines d'années sans parler des carcasses de navires. Morgal a dû connaître ce genre de batailles navales... Je lui demanderai à mon retour.

Les deux bateaux principaux s'accostent dans le plus grand silence. Seule la houle, les mouettes et le frottement des cordages viennent briser ce silence religieux.

L'émissaire elfe, Dorgon, est un homme plutôt mystérieux. En fait, ça pue en plein nez la magouille avec Momo mais bon...

Il est aussi expressif qu'une statue, en tout cas. Ses yeux presque blancs ne se ferment jamais et son visage reste continuellement figé dans un masque d'indifférence et d'intransigeance.
Comme la plupart des hommes de Fëalocy, il est blond avec des épaules bâties pour le combat. C'est un général d'armée qui n'acceptera pas de se faire marcher sur les pieds par la Reine Vierge.

Petite confrontation en vue ? J'espère !

En tout cas, les échanges ont lieu dans la frégate de Luinil. C'est parti pour la mission d'infiltration. Au moins, là il n'y aura pas d'ours. Prions pour qu'il n'y ait pas non plus des aratayas : ces reptiles n'ont pas l'air aimables.

Je monte sur le pont, suivant Arquen. Il est angoissé, le pauvre petit. Qui sait ? Peut-être que la reine acceptera ses avances ?

Mmh... Je vais lui laisser le bénéfice du doute, héhé !

Les deux navires sont désormais rapprochés et un pont de bois les relie modestement.
Avec les ambassadeurs elfes, je découvre la frégate royale, contemplant les lourdes voiles bleues claquer au vent.

Mais immédiatement, nous pénétrons dans les cabines. Enfin... disons plutôt dans la vaste salle du conseil. C'est immense !

Les hauts dignitaires astres attendent hautainement, leur bâton magique pendant dans leur dos.
Où est la reine ? Pas encore arrivée, apparemment.

Les deux races se font face en silence. Bonjour le malaise ! Bah ouai ils peuvent toujours faire connaissance, quoi !

— Bien le bonjour, messieurs. Moi c'est Troudhuil de la Vallée du Lys. Enchanté.

— Enchanté. Shénil de la Cour du Chenil. Mais diantre ! je vous connais...

— En effet. Il me semble fort que nous nous sommes affrontés aux dernières batailles...

— Quel outrecuidance ! Vous avez manqué d'honneur, très cher ! Attaquer ainsi de nuit !

— Il ne me sied guère d'acoustiquer de telles félonies. Vous et votre race n'êtes que d'abominables malfrats !

— Si c'est comme cela que vous l'entendez, ce sera la guerre entre nous !

Bref, je m'égare dans ma tête. Mais il vaut mieux pour tous que le silence reste de mise avant l'arrivée de Madame-se-fait-attendre-pour-faire-meilleure-impression.

Dans un coin, Arquen observe avec minutie la scène. Le temps commence à s'étirer désagréablement. Se regarder ainsi dans le blanc des yeux n'est pas le meilleur moyen pour sympathiser. J'espère que ceux qui ont le pouvoir de télépathie s'abstiennent !

Et puis enfin, des voix résonnent derrière une porte. Elle finit par s'ouvrir sur un vieux conseiller à la peau fripée qui s'avancent jusqu'à la table ronde.

Derrière, apparaît la reine.

Ce n'est pas trop tôt ! Immédiatement, j'analyse les moindres détails de sa tenue. Ça va être rapide : elle porte un épais manteau de fourrure noire qui s'étale autour d'elle sur le parquet. Quant à son visage, il est recouvert d'une mantille de dentelle finement brodée. Super ! Elle est en deuil ?

— Je vous en prie, seigneur Dorgon, commence-t-elle d'une voix profonde, asseyez-vous.

L'elfe ne se fait pas prier. En face de lui, la reine dégage une aura de puissance remarquable. Tous y compris ses propres hommes sont scotchés par ses paroles qui semblent sortir des abîmes.

Y a pas à dire, elle en jette. Niveau charisme, elle doit plutôt bien s'en sortir. Mais tout chez elle reflète la froideur et l'hostilité. C'est une femme prête à tout pour parvenir à ses fins, il n'y a pas de doute.

Pendant qu'elle s'entretient avec Dorgon, je me retire et part explorer les cales. Je ne tiens pas vraiment à écouter leurs discours diplomatiques. Je passe devant les canons : tous augmentés par des sorts de destruction massive. Intéressant. Les soldats semblent diablement bien équipés et en pleine forme, reflétant ainsi la puissance d'Arminassë.




Suite à quelques heures de crapahutage, je remonte vers les cabines supérieures. Je fouille discrètement les lieux après avoir crocheté les serrures. Enfin, je tombe sur la porte qui donne sur les appartements de Luinil. Bien sûr, un sort de protection m'empêche d'entrer. Qu'à cela ne tienne ! Je passe par les hublots, moi ! En deux trois mouvements, me voilà à l'extérieur du bâtiment. Une pirouette et hop ! Je passe dans le hublot et pénètre chez la reine. Habile !

L'endroit est rangé et paisible. Tout semble dormir. J'entre dans la chambre mais rien d'intéressant. Ah... Un coffre sur la table de chevet. Je m'empresse de m'en saisir et de l'ouvrir : une liasse de papiers s'y accumule. Je feuillette rapidement avant de m'arrêter brusquement. J'ai failli m'étrangler : je viens de tomber sur un portrait de Morgal. Absurde ! Que fait-il ici ? Le pire c'est que c'est un autoportrait : je reconnais le style de mon maître. Elle lui a volé dans son carnet ? Il lui a donné ? Tous les deux se détestent donc pourquoi... Oh et puis tant pis, je n'y comprends que dalle.

Je referme le coffre lorsque j'entends des voix. Dont une qui m'est familière. Je me cache derrière les rideaux - qu'elle originalité ! - et observe.

Luinil entre dans la pièce, conversant avec l'hybride.

— Tu sais, continue-t-elle d'un air moins froid, tu m'as manqué, Arquen. Tu étais sans aucun doute notre meilleur soldat.

— C'est bien malgré moi que je n'ai pu continuer à vous servir, Majesté.

Je la devine sourire sous sa mantille. D'un geste gracieux, elle retire son épais manteau et le pose sur une chaise avant d'ôter son voile. Je découvre enfin sa physionomie. Une masse de cheveux couleur encre, sertis de perles, dévale en cascade de son dos nu jusqu'aux creux des reins. Incontestablement, cela lui donne un air sombre, accentué par un maquillage très, très prononcé.

— La situation est complexe, Arquen, affirme-t-elle en entortillant une boucle, à vrai dire, je crains une trahison de la part des elfes.

Elle s'approche du demi-dieu et s'assoit à moitié sur la table, sans le lâcher de ses yeux verts, cernés d'un noir intense. Le fard posé sur ses paupières et ses joues ne fait qu'accentuer le rouge sang qui peint ses lèvres pulpeuses. Bon, d'accord, je n'ai jamais croisé une telle créature : avec sa peau d'albâtre et sa silhouette parfaite, elle incarne la beauté tentatrice dans toute sa splendeur, le fantasme à son paroxysme.

Arquen, si tu veux mon avis, elle va essayer de te séduire. C'est déjà fait de toute façon. Il la dévore du regard, parcourant des yeux son physique ensorcelant.

— Les elfes n'auraient rien à gagner de vous trahir, Majesté. Ils ont besoin de vous.

— Je pensais cela à l'ambassade.

Sa voix est devenue acide comme le venin du serpent. Elle non plus n'a pas digéré ce séjour désastreux. D'ailleurs, voyons s'il lui reste une trace de l'empoisonnement.

Direct, j'aperçois une cicatrice sous sa mâchoire délicate. Morgal n'a pas loupé son coup. Le poison a dû atteindre le système nerveux en moins de deux.

— La situation a changé, la persuade Arquen, vous pouvez en être sûre.

— Tu te portes garant ?

— Oui, Majesté.

— Dans ces cas-là, je voudrais que tu me renseignes sur leurs décisions secrètes. Pour ne pas avoir de mauvaises surprises, vois-tu ?

L'hybride hésite : il reste marqué et si Morgal apprend son double jeu, il risque de réduire son cerveau en cendres.

Voyant sa réticence, Luinil ajoute :

— Tu le feras pour moi, n'est-ce pas ?

Elle adopte une position plus sensuelle que sa robe bustier en dentelles ne fait qu'accentuer. Sans parler de la fente qui remonte jusqu'à la hanche en découvrant des jarretelles et des escarpins reluisants. Une vraie allumeuse !

Et cet imbécile d'Arquen qui tombe dans le piège comme un apprenti. C'est un concept de base, ça : ne pas faire confiance à une femme dans une tenue aussi indécente. Mais je crois que lui-même en est conscient. Il veut simplement ne pas gâcher la magnifique vue que Luinil lui offre.
Sans s'en rendre compte, il la rejoint et prend sa main gantée.

— Je ferai tout pour vous, ma reine mais...

— Mais ?

L'hybride va céder, c'est sûr. Il est déjà en train de mater les seins volumineux de la reine. Cette dernière bénéficie tout de même d'une taille de guêpe, ce qui ne lui empêche pas d'avoir un fessier comme il faut.

Arquen lui caresse le cou et se penche vers son visage :

— Vous allez causer ma perte, Majesté, murmure-t-il.

Plus que tu ne le penses, crétin ! Mais c'est pas possible ! On ne prend pas de telles décisions, juste parce qu'une bombasse canon exhibe un peu trop ses attributs. Non, n'essaie pas de l'embrasser, ça va mal finir...

Apparemment, la connerie n'a pas de limites ! Je me tape le front devant cette calamité. La reine l'embobine complètement. Elle a déjà lancé ses charmes sur lui.

Il tente de l'embrasser mais Luinil esquive ses lèvres au dernier instant, le contentant d'un délicieux sourire.

Elle le nargue !

Et finit enfin par se relever, se dirigeant vers sa glace d'une démarche sensuelle. De son côté, Arquen doit sentir la frustration à son comble, lui qui était en feu.

— Je ferai ce qu'il vous plaira, ma reine, conclut-il d'une voix légèrement acerbe.

N'essaie pas de la faire culpabiliser. C'est inutile. Plus je la regarde et plus je me dis que cette femme est le vrai pendant féminin de Morgal : tous les moyens seront bons pour réussir, peu importe le prix.

Elle a ensorcelé l'hybride par sa beauté étourdissante. Il est vrai qu'elle est magnifique, mais elle demeure surtout une souveraine implacable : ce qu'elle désire, elle l'obtient.
Un frisson me parcourt le corps lorsque je scrute son regard. On pourrait y lire une multitude d'émotions dont la colère, la détermination et la tristesse...

— Je savais que je pouvais compter sur toi, Arquen. Toi, tu es capable de tromper leur confiance.

— Un elfe ne fait jamais confiance, ma reine.

— Je sais, je sais...

Elle semble retomber dans ses pensées, méditant sûrement certains souvenirs mystérieux. Je suis curieux à son sujet. J'en demanderai plus à Arquen...

Ce dernier profite d'ailleurs de l'absence passagère de la reine pour la rejoindre et l'embrasser fougueusement, lui retenant un cri aigu. Il la soulève par les cuisses et la plaque sur la table.
Bon... Monsieur n'aime pas qu'on se moque de lui ! Reste à savoir si je vais assister à une partie de jambes en l'air.

Je crois que Luinil ne comprend pas encore ce qui lui arrive. À mon avis, elle n'en revient pas qu'un homme ose ainsi la toucher. L'hybride redouble ses baisers baladant ses mains sur le corps sublime de la souveraine. Lorsqu'il saisit sa culotte, Luinil panique et se dégage violemment, partant à l'autre bout de la cabine.

Sa poitrine se soulève à un rythme effréné alors qu'elle s'appuie contre un buffet.

— Majesté, vous allez bien ?

— Je... sortez, Arquen. Je vais me remettre.

Il se retire sans mot dire. À peine la porte refermée que Luinil s'effondre sur le parquet.
Elle semble désespérée. Pourquoi ? Je l'ignore. Mais je suis espion et je sens que ce qui s'est passé aujourd'hui à un rapport avec mon maître.

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