Partie 28

Voilà un mois que je croupis dans cette geôle. Je passe cette éternité à maudire mon maître, fomentant des complots impossibles contre lui. Faut croire que j'ai rejoint Püpe sur cet avis.
Cette dernière ne supporte pas mieux le cadre que moi : elle passe son temps à râler. Madame voudrait se laver et porter des vêtements propres. Elle a cru que c'était la fête ? C'était la mort qui l'attendait.

Je ramasse un caillou qui trainait et l'envoie ricocher sur la tête d'un astre dans la cellule d'en face.

Il se redresse précipitamment et déblatère une quantité étonnante de jurons et de menaces. Il secoue vigoureusement les barreaux de sa prison sans les bouger d'un millimètre. Dans ces cachots, nombreux sont ceux qui ont cru pouvoir s'élever contre le prince des Falaises Sanglantes. Aujourd'hui, quelle que soit leur race, ils se délitent au fond d'un trou insalubre, incapables d'user de leur Vala.

Et comme je m'ennuie, j'ai trouvé le moyen de m'occuper en transformant leur peine en véritable enfer.
Avec Püpe, on joue à celui qui touche le plus de prisonniers avec tout ce qui nous tombe sur la main.

Bref, notre voisin de l'autre côté du couloir ne nous apprécie guère.

J'adore le narguer : je me dis alors qu'il y en a un qui en bave plus que moi.

Püpe rit dans son coin, agaçant toute la rangée de cellule. Immédiatement, des voix s'élèvent lui criant de fermer sa bouche.

Elle et moi nous nous sommes réconciliés durant ces quelques semaines : avec la dureté du moment, ce n'est pas comme si nous avions le choix. Nous sommes tous les deux dans le même bateau. Et ce bateau part à la dérive.

De lourdes semelles claquent sur les dalles froides. Tous les prisonniers se rétractent. Ce son est l'augure de deux phénomènes : ou bien un homme va être relâché - fait extrêmement rare - ou bien un homme sera torturé et exécuté sans autre forme de procès.

Trois espions s'avancent sombrement dans le couloir humide, où suintent d'innombrables coulées salées.

Pourvu qu'ils ne viennent pas pour Püpe. Je sais qu'ils vont finir par vérifier s'il y a un polichinelle dans le tiroir et lorsqu'ils sauront la vérité...

Mais ils s'arrêtent devant ma cellule et l'ouvrent après un grincement de clés.

— Sors de là, le gnome !

— Je ne vais nulle part sans Püpe !

Un des trois soupire et me détache avant de me sortir de force de ma prison. Comme je me débats, il choisit de me hisser sur ses épaules et de m'entraîner hors des cachots.
Derrière ses barreaux, Püpe me voit disparaitre, un voile de tristesse recouvrant ses yeux.




Me voilà dans le bureau de Morgal. D'après l'espace que je remarque entre mes gardes et moi, un agréable bouquet fruité se dégage de mes vêtements.

Clairement, je pue.

La porte claque et Morgal ainsi que le mage Currunas apparaissent. Aussitôt, les espions s'éclipsent.

— Majesté, geint Chapeau Pointu, vous refusez toujours de m'écouter : vous devez vous reposer. Cela est indispensable pour...

— Taisez-vous. Rien que votre présence me donne une migraine. Dîtes moi plutôt si Arquen se prépare au départ.

— Il est prêt, Majesté.

— Bien, bien... ah oui ! J'allais oublier le gnome... Binou, tu vas... par tous les dieux, tu empestes à dix mètres !

Je baisse la tête, me retenant une réponse acerbe :

— Ça n'aurait pas été le cas si vous m'aviez sorti plus vite de ce cachot puant !

Bon, bah je ne me suis pas retenu en fin de compte.

Il hausse un sourcil, fronçant l'autre. Arrête de faire cette tête ou je te jure que la prochaine fois, je te fais bouffer les oreilles par le nez !

— J'agis comme je veux de ton sort, Binou. En l'occurrence, tu pars sur le champ rejoindre ton chef d'escadron. Il t'expliquera... et il voudra sans doute que tu prennes un bain avant la mission.

Il s'assied nonchalamment sur son large fauteuil, commençant à griffonner sur des papiers administratifs. De temps à autres, il relève les longues mèches blondes qui balaient son visage. Bref, la conversation est close.

Monsieur a repris ses affaires sordides et illégales. C'est comme si je n'avais jamais été incarcéré.

Si je reprends du service comme cela semble être, il peut être sûr que je ne vais pas me gêner pour me venger. Je quitte donc son bureau et rejoins ma chambre. Lorsque je pousse la porte, mon cœur se serre : cette bonne vieille paillasse m'avait manqué. Je me lave le mieux que je peux et renfile des habits civils. Je ne pense pas que mon uniforme de domestique soit requis pour ma mission.

Je regarde mon reflet dans la glace ébréchée : de grosses cernes mangent mon visage amaigri. Ma peau basanée est désormais propre mais ma tignasse noire a poussé jusqu'aux épaules. En trois coups de ciseaux, c'est réglé.

Nom de... des lapins ont établi leur logis sous mon lit ! Tant pis, plus le temps pour la chasse, Arquen m'attend. Je descends les escaliers interminables jusqu'au caveau d'entraînement.

En chemin, je repense à Püpe : je ne la reverrai plus, j'en suis persuadé. Certes, elle n'était pas très équilibrée mais elle était comme moi : un esprit rebelle dans cette tempête de soumission. Et puis... j'avoue que je ne trouverai pas une aussi jolie gnome avant longtemps.

Tant pis, c'est la vie. Jamais je ne pourrais la délivrer. Je crains malheureusement qu'elle ne soit condamnée avant la fin de la saison.




En ce début de printemps, la mer se déchaîne contre la falaise, éclaboussant la roche de ses embruns assourdissants. Le vent se joint à la cacophonie, emplissant le port de Pont-Émeraude.

Malgré la tempête, notre bateau lève l'ancre pour le Sud. Là, en pleine mer, les émissaires elfiques rencontreront les émissaires astraux pour s'accorder sur la clause de la prochaine alliance.
Car oui. Les deux races veulent s'unir pour vaincre leurs ennemis communs.

Si ça aboutit, ce sera explosif ! Les elfes comme les astres se détestent réciproquement. La nécessité les rapproche mais ça risque d'être très amusant !

Ils vont se crêper le chignon pour s'organiser. Par contre, ensembles, ils seront invincibles.

C'est pourquoi tous les deux sont prêts à faire des concessions.

À mes côtés, Arquen semble légèrement angoissé : la reine d'Arminassë nous attend sur sa frégate royale. De notre côté, aucun membre de la famille Fëalocen n'est présent. Pourquoi ? Sûrement un vestige de l'ambassade. Pourtant cette alliance ne concerne que la famille d'Elaglar, les autres royaumes ne daignent plus participer à cette guerre.

Pour ma part, je suis pressé de rencontrer la Reine Vierge, celle qui a transformé Morgal en véritables lambeaux. Il en paie toujours le prix par ses crises.

M'est d'avis que cette charmante femme pourra me donner des idées de vengeance !

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