Partie 26
Ni une ni deux, j'ouvre une fenêtre et me lance sur les toitures pour observer la scène.
Aussitôt, des rafales de vent manquent de me propulser dans le vide et m'écraser cinquante mètres plus bas. Mais dans la pénombre, je distingue déjà mes collègues filer à toute allure sur les crêtes des toits. Ils poursuivent une cible qui m'est invisible.
J'entends les flèches siffler dans la nuit mais pas une parole ne communique à mes oreilles. Seul le son des armes résonne lugubrement, se joignant aux gémissements du vent.
Enfin, j'aperçois une silhouette sombre se déplacer sur la périphérie d'un dôme de verre. Je sais pertinemment qu'elle n'a aucune chance face à de pareils meurtriers, entraînés sept jours sur sept.
Je cours aussi vite que peuvent mes petites jambes et me planque derrière une épaisse tourelle de pierre sombre. D'horribles gargouilles me tiennent compagnie l'espace de ce court instant.
Je souris sadiquement : l'assassin, dans sa fuite, passera forcément devant moi. Grâce à la surprise, je pourrai le maîtriser sans complexe. Sauf s'il s'agit d'un guerrier expérimenté.
J'entrevois la silhouette encapuchonnée se rapprocher de moi. Elle ne jette pas le moindre regard vers ses poursuivants, trop occupée à s'échapper. Quel être naïf ! Instinctivement, je bloque ma respiration. L'attente de ma cible est insoutenable et je me dandine d'un pied sur l'autre, les mains serrées sur le manche de mes dagues.
Enfin, l'inconnu parvient au niveau de ma balustrade et commence le chemin de ronde. Il court drôlement vite mais qu'importe, je vais l'intercepter !
D'un bond, je sors de ma cachette et lui bloque le chemin, entaillant ses épaules dans un arc de cercle sanglant. Ma victime ne se laisse pas pour autant abattre. Elle pivote sur elle-même et envoie son pied dans mon estomac. Le coup est si violent que je perds l'équilibre et me rattrape de justesse à un pinacle qui me sépare du vide.
Je repars à l'assaut et plaque mon adversaire alors qu'il essayait de reprendre sa fuite. Cette fois-ci, nous passons par-dessus les garde-fous et chutons dans le vide. Ma voix se perd dans l'abîme. Je ne sens pas le froid mordre ma peau, ni le vent hurler à mes oreilles. J'ai l'impression que le temps s'arrête. Mais le choc me ramène à la réalité : j'ai échoué sur un arc-boutant, quelques mètres plus bas. L'assassin se relève à son tour et dégaine une lame qui étincelle dans la nuit : je frissonne. J'ai perdu mes poignards dans la bagarre.
Je remarque enfin que mon adversaire est sans doute un gnome, vu sa taille.
Un gnome vachement bien aguerri. Je me précipite sur lui avant qu'il n'ait pu m'analyser.
Sur un passage aussi étroit de l'architecture, le moindre faux pas entraîne une mort certaine. Je pare un coup et frappe de toutes mes forces dans la figure de l'inconnu.
Cocard assuré, mon vieux !
Malheureusement, j'ai sous-estimé son agilité : dans une incroyable pirouette, il m'envoie ces deux pieds dans la poitrine et je chute contre la charge.
Il s'approche de moi mais semble hésiter à me pourfendre.
C'était le laps de temps qui suffisait : un lasso s'enroule férocement autour de l'assassin tel un serpent vorace. Sur les toits, les espions tirent sur la corde ; l'inconnu n'a pas le temps de couper ses liens qu'il est déjà face à un groupe d'espions hostiles. Dans mon coin je respire : je l'ai échappé belle.
Eh merde ! Comment je sors de là, moi ?
Me voilà dans le caveau d'entraînement.
Arquen et Morgal sont toujours aux abonnés absents, sûrement en train de cuver joyeusement leur whisky.
La cible a été attachée sur une chaise, au fond de la salle : les elfes ne vont pas tarder à l'interroger.
Je ne voudrais pas être à sa place : chaque membre de l'escadron tient un penchant avéré pour la torture.
Ils ne vont pas se gêner.
L'assassin en chef s'approche de la future victime, claquant théâtralement ses bottes sur les dalles souillées. Lorsque Arquen est absent, c'est Draël qui dirige les espions et en général, il prend facilement la grosse tête. En fait, je ne le supporte pas : il cherche tous les moyens possibles pour m'évincer.
Il se penche au-dessus du gnome et lâche :
— Voyons voir qui se cache sous cette capuche.
Il découvre l'inconnu d'un geste sec. Ma respiration stoppe brutalement : nom d'un tire-bouchon de cervoise ! C'est Püpe !
Je ne comprends rien. Mon cerveau se bloque, imperméable à tous raisonnements constructifs. Püpe aurait tenté de tuer Morgal ? C'est vrai qu'elle le déteste mais au point de l'empoisonner...
Après tout, elle était bien la seule, avec moi, à se révolter contre le système...
En tout cas, elle n'a plus fière allure ainsi, attachée à sa chaise. Son œil droit commence à bleuir suite à mon coup et du sang goutte de son nez en trompette. Avec ses vêtements de cuir serrés, il est normal que je ne l'aie pas reconnue. Sa longue tignasse blonde en tresse balaie son épaule blessée. Elle me fait pitié même si elle a essayé de me balancer du haut de la muraille.
Mon cœur se serre : je me sens trahi. Non pas parce qu'elle a tenté de buter le psychopathe mais parce qu'elle ne m'en a pas parlé. Je croyais que l'on formait un couple à peu près normal. Au lieu de cela, elle m'a caché ses projets. Peut-être m'aurait-elle sacrifié sans complexe pour sa cause après m'avoir utilisé...
Arquen apparaît sous l'arcade, m'arrachant à mes désillusions.
Lorsqu'il découvre la domestique il se retient de rire :
— C'est ça notre assassin ?
— Comme c'est étonnant ! ajoute Draël d'un ton mielleux, il s'agit justement de l'amie de notre cher gnome.
L'enflure ! Il ne manque pas de me lancer un petit sourire vainqueur, cette peste ! S'il continue, je vais lui faire bouffer ses cheveux en brosse à balaie, moi !
Arquen me fixe : je ne sais pas si ses idées sont revenues en place ; il accuse une violente gueule de bois. Il se gratte nerveusement la nuque : il a bien compris que j'étais innocent mais je reste un potentiel suspect. Tous ici connaissent ma liaison avec Püpe ; plus question pour Arquen de fermer les yeux, il doit me mettre sous surveillance.
À contre cœur, l'hybride fait signe à deux espions de m'empoigner par les bras. Je foudroie Püpe du regard : elle a intérêt à me sortir une bonne explication. Si je me fais manger par les rats à cause d'elle, mon fantôme la hantera jusque dans sa tombe.
— Pourquoi as-tu essayé de supprimer le prince ? interroge Arquen, quel était ton mobile ?
La gnome redresse son visage et crache impunément sur mon chef. Aussitôt, Draël la corrige avec brutalité. Il resserre les chaînes alors que du sang coule sur le sol déjà empourpré des précédentes exécutions :
— Réponds ! crache l'elfe.
Püpe se tortille sur son siège, faisant gémir ses liens.
— Le prince Morgal sème la mort et le chaos, murmure-t-elle la bouche en sang, il ne mérite pas de vivre.
— Et que t'a-t-il fait personnellement ? continue Arquen en se penchant à son niveau.
Püpe se retient de verser une larme : ses blessures commencent à l'affaiblir.
— Ma mère est morte par sa faute sur son île abominable. Mon peuple subit un esclavage odieux sans s'en rendre compte, toute ça à cause de ces connards de Fëalocen !
Le demi-dieu hausse les sourcils. Il est sûrement du même avis qu'elle mais sa décision est déjà prise :
— As-tu des dernières paroles ?
Hein ?! Ils vont la tuer ?
— Que tous ces elfes aillent en enfer. Qu'ils connaissent la douleur, la misère et la mort.
Arquen hoche la tête et dégaine un sabre à la lame recourbée qui scintille dans la pénombre des caves.
Stop ! Ça ne va pas du tout ! Püpe n'a pas à mourir. Elle m'a peut-être trompé dans ses intentions mais je ne veux pas qu'elle crève ainsi. L'hybride s'approche d'elle, s'apprêtant à la décapiter d'un revers précis. Une idée, une idée ! Vite !
— Arrêtez ! crié-je alors que les gardes m'empoignent toujours.
Tous se figent et me regardent avec étonnement.
— Vous... Vous ne pouvez pas la tuer...
Ils écarquillent les yeux, attendant une explication convaincante.
— Elle est enceinte ! Vous n'allez pas tuer un bébé innocent ?
Silence. Je croise les doigts pour que mon mensonge passe. Sinon c'est la potence.
— C'est vrai ? demande mon chef en direction de la fille.
Elle acquiesce vigoureusement de la tête.
Mais Draël intervient :
— Qu'est-ce que ça change ? Cette trainée n'a aucune valeur. Son enfant non plus. Le prince a été clair dans son souhait : la tuer sans laisser de traces.
— Je verrai avec lui. En attendant emmenez-la aux cachots.
— Et le gnome ?
— Le gnome à un nom ! m'indigné-je.
— Pareil. Dans les cachots. Mais je doute fortement qu'il soit de mèche avec elle.
Merci Arquen ! Les elfes me soulèvent et m'entraînent dans d'interminables escaliers, derrière Püpe. Génial ! Je vais enfin découvrir les cachots ! Mais pas du bon côté de la grille...
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