Partie 22

Cinq ans. Cinq années que je suis aux Falaises Sanglantes. Cinq années que rien n'a changé : Bradh est toujours aussi intrusif dans ma vie personnelle, Selnar essaie à maintes reprises d'évincer son tendre et cher fiancé, Arquen se rend toujours fréquemment sur l'Île des Sirènes et le monde continue à s'entre déchirer.

Prochainement, une bataille sur l'Île Bénite devrait sceller le destin du Cosmos.

Les légions se préparent au combat.

De sa fenêtre, Morgal regarde l'Armée Écarlate quitter les Falaises Sanglantes. Il est infiniment triste et déçu de ne pas pouvoir les accompagner mais il n'est pas encore remis. Désormais, il peut marcher même s'il nécessite d'une canne et qu'il boite laborieusement. Ses bandages sont partis mais sa peau reste purulente et il garde sa capuche rabattue sur la tête, pour éviter de terroriser ses visiteurs. De manière générale, il ne sort plus publiquement : sa fierté et l'honneur de sa famille dépendent de sa discrétion.

Et pourtant, si les elfes gagnent la guerre, ce sera bien grâce à lui. Injuste, non ? Mais, c'est pas grave, c'est la vie...

— Je vais me rendre sur l'Île Bénite, lâche-t-il de sa voix déraillée.

— Hein ? Vous voulez tuer votre médecin ?

Il ne répond pas et rejoint le salon pour déclencher le levier derrière la cheminée. La « descente aux enfers » comme j'appelle ce passage secret. Car, en effet, cette crypte est glauque au possible.

Morgal se fige devant la statue du Créateur, crispant ses mains décharnées sur sa canne.

Il murmure quelques incantations et recule pour finalement s'asseoir sur le sol. Je le regarde, ne comprenant pas ce qu'il cherche à faire. Je baisse la tête et remarque un étrange pentacle dessiné sur le sol avec des bougies aux extrémités de l'étoile. Heu... Il invoque des démons ou ça se passe comment ?

— Préviens le palais que je me cloitre volontairement dans ma chambre. Personne ne doit savoir que je suis parti.

Je hoche la tête et regarde la scène : déjà, les yeux de mon maître s'emplissent de la substance rougeâtre qui dégouline sur ses joues abimées.

Il commence à dialoguer dans une langue étrange, à la fois gutturale et mélodieuse et tend les mains devant lui, paume vers le ciel.

Aussitôt, une arme s'y forme dans un nuage filandreux de ténèbres. Une faux impressionnante qui goute déjà d'un sang sacrificiel.

Ainsi paré, avec sa capuche, son manteau de cuir noir et son arme macabre, Morgal est la personnification parfaite de la Mort.

Ses paroles prennent de l'importance dans la crypte jusqu'à résonner dans les moindres recoins, y compris dans le fond de ma tête.

Son corps se met à trembler frénétiquement alors que la fumée qui s'échappe de la faux se répand dans la salle, glissant sur les dalles et léchant les murs.

Et puis, dans une explosion de noirceur, il disparait complètement.

Je suis seul.

Et ma mâchoire tombe dans un claquement sonore.

Nom d'une chiasse de troll ! Il s'est téléporté ! Cet imbécile s'est téléporté !

Je n'en reviens pas ! Je remonte les marches en courant et referme le passage derrière moi : mon maître a le don de téléportation !

J'ouvre un buffet et me sert un verre de vin pour me remettre de mes émotions.

Beurk ! C'était du sang ! Ah, voilà la bouteille de whisky.

C'est mieux. Je reste ainsi jusqu'à tard dans la nuit. Heureusement que je suis résistant à l'alcool. Par contre, j'ai vidé les réserves et j'ai le ventre gros comme un ballon.

— Vous faites quoi ? demande soudain une voix derrière moi.

Oups, Bradh me toise du regard : autant dire que le Règlement Suprême interdit de se servir dans les bouteilles des elfes :

— Je vérifie que rien n'est empoisonné...

— Ah oui ? Dans ces cas-là, je suis la reine d'Arminassë ! Vous allez me suivre immédiatement !

— Le prince m'a demandé de rester ici sauf contrordre de sa part. Il exige que le palais soit prévenu de son retirement et que personne ne vienne le déranger.

Il plisse les yeux, croyant à moitié mes paroles. À ses pieds, Bhaurisse grogne hostilement. Ne sachant quoi ajouter, le maître et sa bestiole repartent annoncer mon message. Bon débarras. En sortant, Bradh croise Püpe et lui tend un paquet :

— Pour vous, mademoiselle.

— Merci, monsieur... Oh, un collier, c'est gentil de votre part.

Le majordome s'incline et sort des appartements, content que son cadeau ait plu.

— Tu le trouves joli, Binou ? me demande-t-elle en me rejoignant.

— Il le serait s'il ne venait pas de cet imbécile.

Elle sourit : cette petite peste adore me rendre jaloux. Mais son petit jeu ne fonctionne pas avec moi, enfin qu'à moitié.

De toute manière, je sais que le maître du lapin diabolique n'a aucune chance.

— Où est Momo ?

— Morgal ? Il est parti depuis un petit bout de temps. Nous sommes seuls.

— Parle pour toi. Tu es en vacances lorsqu'il quitte les Falaises Sanglantes. Mais moi je continue...

— Arrête de te plaindre, tu es moche quand tu te plains : tu as un double menton.

Elle hausse les sourcils et s'avance vers moi :

— Et comme ça tu me trouves comment ?

Elle ouvre son chemisier de manière à ce que j'ai une magnifique vue sur son corset. Bah tiens ! Je sais déjà comment je vais m'occuper pendant l'absence de Morgal.

Alors que je tente d'attirer Püpe contre moi, elle se dégage de ma main :

— Monsieur se veut autoritaire ?

Je grogne et me lève pour l'attraper : cette petite garce ne perd rien pour attendre. Elle s'échappe mais se prend ses talons aiguilles dans le tapis et glisse. Après avoir mis le tapis en accordéon, elle heurte une vitre qui se brise en tombant sur le parquet. Oups...

Elle se relève maladroitement en tirant sur sa jupe et ricane en voyant les dégâts :

— Momo devra encore débourser de l'argent : le pauvre, il est tellement dans le besoin.

— Il va surtout me tuer.

— Non, il ne veut pas te tuer : tu serais mort depuis longtemps, sinon.

Pas faux.

— Bon, c'est pas tout, ajoute-t-elle guillerette, mais je compte bien utiliser une nouvelle fois son lit.

— T'es folle ! Je ne sais pas quand ce timbré rentre !

— Et alors ? T'as peur ?

Elle est déjà dans la chambre et vient de retirer ses escarpins pour sautiller sur le lit :

— Püpe, on va avoir des ennuis ! Arrête de sauter sur le lit ou sinon je viens et c'est moi qui te s...

Bon je vais m'arrêter là, parce que sinon Morgal risque de désespérer sur mon langage.

— Me... ? relève Püpe en continuant ses gamineries.

Tant pis pour elle, je l'avais prévenue. Je me précipite vers elle et la plaque par les jambes. Elle se débat et perd son petit chapeau de bonne dans la bagarre. T'en fais pas tu risques de perdre bien plus.

Je l'attrape et la serre contre moi pour lui retirer son chemisier. Mes mains atterrissent sur ses fesses charnues que je presse pendant que mes lèvres ne lâchent plus son cou. Faut dire qu'avec Bradh qui nous surveille sans cesse, on a rarement un moment de répit. Mais j'ai besoin d'elle, j'ai besoin de la posséder. Et puis, elle sait s'y prendre aussi. Elle introduit ses doigts dans mon pantalon et commence les festivités. Au même instant je perds les pédales et me contrôle plus. Je sais pourquoi Morgal n'entretient pas ce genre de relation : il veut rester maître de lui-même.

En attendant, Püpe retire son corset, invitant mon regard et mes mains à se placer sur ses seins fermes et plantureux. Un sourire jouissif apparait sur nos lèvres : elle doit me sentir durcir entre ses doigts et elle accélère la cadence en se mouvant sensuellement contre moi. Elle parvient toujours à m'exciter au point de devoir abréger nos préliminaires.

Je finis par l'aplatir sur le matelas ; j'ai terriblement envie d'elle, peu m'importe les conséquences.

Elle se tortille sous moi, m'encourageant à lui mordiller ses nichons déjà gonflés par le plaisir et finit par écarter ses jambes. C'est pas trop tôt !

Je baisse mon pantalon et la pénètre un peu trop rapidement.

— Binou !

Madame joue l'effarouchée ? C'est nouveau.

— Tu n'es pas au bout de tes peines ma jolie, car je compte bien t'allumer pour la fin de la nuit !

Elle rit bruyamment alors que je commence mes va-et-vient.

— Binou, gémit-elle en se mordant les lèvres, comme ça, continue... Oui...

Je double la cadence et ses plaintes érotiques se transforment en cris. J'adore la faire hurler surtout que personne ne nous entend ici. Je répète mes coups de rein, ma respiration devenant brusquement plus laborieuse.

— Binou...

Et j'adore qu'elle répète comme ça mon nom.

— BINOU !

Ça, ce n'était pas Püpe... Je tourne la tête et je vois ma douce rêverie se transformer en cauchemar : MEEEEERDE !!!

Mon maître est rentré apparemment...

Sa capuche est retombée sur ses épaules ; avec ce regard rageux et ce visage détruit, je suis face à une entité des enfers. Il va me détruire... Parce qu'il ne m'a absolument pas surpris en pleine action dans son propre lit. Non...

— Pourquoi tu t'arrêtes mon chéri ? demande la gnome, déçue.

Ah d'accord... Elle n'a rien vu, elle.

— Püpe, je crois que c'est le moment de courir très, TRÈS vite.

Elle se redresse et aperçoit le prince figé sur le pas de la porte. Ni une ni deux, nous nous levons et courons à la sortie : Morgal est en mauvais état, il ne pourra pas nous attraper tous les deux. Si tu te fais prendre ma belle, je ne vais pas te chercher !

Et... Bien sûr, c'est moi qui me fais saisir par le col et coller au mur avec violence. D'où ça lui vient cette force soudaine ?

— De ma colère !

— Majesté... Alors vous êtes rentré...

— Plutôt, oui !

— La bataille était-elle belle ?

— Suffit !

Je me rétracte sur moi-même : ça sent très mauvais pour moi...

Ses yeux s'illuminent brusquement et il fond sur moi, sa mâchoire s'abattant sur mon cou. Je pousse un cri d'horreur : il boit mon sang ! La douleur est insupportable, je vais défaillir. Je ne veux pas mourir...

Heureusement, il est arrêté dans son repas sanglant par Arquen. Mon sauveur !

— Tu es fou, Morgal ! Tu allais le tuer !

Morgal se retourne vers son ami, la bouche rouge d'hémoglobine :

— Parce que tu crois que c'est le premier gnome que j'égorge ou que je vide de son sang ?

Mes aïeux !

— Binou est ton gnome, et tu as besoin de lui.

Il hausse les épaules et s'essuie la bouche de sa manche : l'envie de me manger semble lui être passée.

Quant à moi, j'applique désespérément ma main contre ma blessure : ça pisse de partout et ça fait atrocement mal. J'atterris sur les fesses, au bout du rouleau.

Le demi-dieu se penche vers moi et me lance un sort de guérison. Je crois que cet homme est l'amour de ma vie ! Je me sens immédiatement mieux.

Mon maître, lui, ne parait curieusement pas trop hors de lui.

— Je ne pourrais plus jamais dormir dans ce lit... lâche-t-il.

— Ah oui ?

— Je te signale que mon gnome profite de mes absences pour sauter sa maîtresse dans mes draps, donc oui, je crois avoir une bonne raison.

— Tu as fait ça Binou ? demande Arquen en se retenant de rire.

— Je n'ai pas fait exprès, chef.

L'excuse la plus pitoyable peut me revenir de droit.

L'hybride glousse dans sa barbe alors que notre maître se retient de tous nous tuer. S'il continue à serrer sa canne comme ça, il va la casser !

Je profite du battement pour me rafistoler convenablement. Bon, on risque de retrouver la culotte de Püpe quelque part dans sa chambre. J'espère que ce ne sera pas un aristocrate qui tombera dessus parce que sinon, Morgal risque bien de se coller une image de maître impitoyable qui abuse de ses domestiques. Bref.

— C'est bon ? Tu es rhabillé ?

Olala, quelle humeur massacrante ! Y a juste des draps à laver et une vitre à réparer, c'est pas la mort !

— Où allons-nous ? interroge Arquen.

Morgal remet sa capuche sur la tête : bonne idée, t'es moche sans !

— Au Var-Nar-Bal !

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