Partie 21
Je pousse lentement la porte et pénètre dans les appartements. Je suis un peu angoissé à l'idée de croiser mon maître. Je parviens enfin à sa chambre et le trouve allongé dans son lit, entièrement recouvert de bandages. Il ressemble à une momie, ainsi.
Je pense qu'il ne peut pas parler : ses cordes vocales ont été arrachées dans toute cette histoire.
À son chevet, Currunas farfouille entre ses potions sans m'adresser le moindre regard.
De l'autre côté du lit, Narlera babille sans s'arrêter, racontant tout et n'importe quoi :
— Je vous assure que lorsque je me suis levée, il y avait des bébés lapins partout ! C'était trop mignon ! Si vous voulez, je pourrais vous en apporter un et comme ça, il pourra gambader sur votre lit !
Ça va même lui changer sa vie ! Non franchement, Morgal s'en passera très bien.
Il lève les yeux au ciel, incapable de sortir le moindre mot.
Même son visage est enseveli sous les pansements. Haha, pauvre vieux ! Tu n'as plus fière allure ainsi.
— Mademoiselle Narlera, intervient le mage, si vous voulez bien sortir de la chambre. Le prince Morgal ne souhaite pas que vous restiez pendant que je nettoie ses blessures.
La petite fille opine et gagne la porte, le visage soudain assombri.
Currunas s'assoit sur le lit et défait les bandages de la tête. À ce moment, Arquen débouche dans la pièce :
— Morgal ! s'exclame l'hybride, je viens d'apprendre tes méfaits ! Nous avons deux mots à nous dire !
En fait, ça restera plutôt un monologue...
Il bouscule le médecin et empoigne l'elfe à la gorge :
— Tu as essayé d'assassiner ma reine ?! RÉPONDS, SOMBRE CONNARD !
— Mmph...
— Je n'ai rien entendu ! s'écrie-t-il enragé, explique-toi !!
— Arrêtez, s'empresse Currunas en le retenant par l'épaule, vous allez le tuer !
— Lâchez-moi la grappe, vous ! C'est tout ce qu'il mérite !
D'un revers, il envoie le mage bouler et se retourne vers Morgal, les yeux allumés de haine :
— T'as enfin le visage qui reflète ta personnalité, Morgal ! T'es aussi hideux que ton âme.
Pour toute réponse, mon maître respire plus vite et plus fort. Son regard vitreux foudroie le demi-dieu.
Je décide d'intervenir :
— Arquen ! C'est inutile, il ne peut plus parler.
— Qu'il utilise sa télépathie, alors. Mais je veux qu'il s'explique.
— C'était un ordre du roi ! m'impatienté-je, et s'il avait tenu à tuer la Reine Vierge, il y serait parvenu ! Le poison n'était pas mortel !
Arquen me regarde, les sourcils froncés et se reporte sur Morgal.
— On aura une conversation toi et moi lorsque tu seras rétabli, grince-t-il.
Il laisse le prince retomber comme une masse sur les draps et sort de la chambre.
Je me demande juste si Morgal à épargné Luinil pour son ami...
La nuit est tombée et pour la cinquième fois, je mords violemment la poussière : ces entraînements finiront par me briser toutes mes dents.
— Relève-toi, ordonne Arquen.
Je me redresse en chancelant mais retombe après une attaque imprévue de l'hybride.
— Bon sang, Binou ! Tu es aussi dégourdi qu'un cadavre !
Olala, il est d'une humeur vraiment massacrante depuis qu'il a appris pour Morgal et Luinil. Ce n'est pas de ma faute et pourtant, je deviens le souffre-douleur de mon chef. Il se défoule carrément sur moi !
Je me relève pour la sixième fois et cette fois-ci esquive un assaut. Enfin ma victoire est éphémère car un autre coup me propulse une nouvelle fois à terre.
— On pourrait presque penser que tu t'améliores, Binou, souffle-t-il.
— Avec tous ses entraînements, j'espère bien !
— D'ailleurs, ajoute-t-il, je t'ai vu l'autre jour parler à une gnome. Tu la connais ?
— Püpe ? C'est une collègue de travail, pourquoi ?
— Je l'ai trouvé la nuit dernière dans la salle d'arme.
Hein ? Püpe dans une salle d'arme ?
— Je me demande si elle n'est pas une espionne, elle aussi.
Mon sang ne fait qu'un tour :
— Non, impossible.
— Tu dis ça parce que tu l'as surveillée ou parce que tu l'as baisée ?
Je soupire : inutile de tergiverser, Arquen devine toujours mes pensées. Mais c'est vrai que j'ignore encore beaucoup de choses sur la gnome : quelles sont ses motivations et pourquoi ce goût malsain pour la violence. Car oui, dès qu'il se passe un événement glauque, elle ne peut s'empêcher de rigoler.
Arquen me scrute, cherchant à décrypter mes émotions.
Lassé, il finit par s'asseoir sur un coffre :
— Binou, commence-t-il, je voudrais que tu me rendes un service.
Je m'approche de lui :
— Je voudrais que tu te renseignes sur ce qu'il s'est passé à Arminassë.
Je hoche la tête : moi aussi j'aimerais bien éclaircir ma vision.
— Donc si je vous comprends bien, vous me demandez d'espionner notre maître.
— Exactement.
— Il n'est plus très bavard.
— Son entourage si. Écoute, je tente d'élucider le problème : notre elfe sanguinaire a l'occasion d'anéantir sa pire ennemie mais il se contente simplement de l'empoisonner à moitié. Donne-moi une raison à cela !
— Il était en froid avec son cher papa. Il a dû l'épargner rien que pour faire rager Elaglar.
— Un peu enfantin comme réaction, non ? Et puis nous parlons de Morgal, il trouve toujours un plaisir malsain à tuer.
— Vous voyez autre chose ? Le Faucheur de Calca serait tombé sous le charme de la séduisante Reine Vierge et a refusé de l'assassiner ?
— Je crains que ce jour-là, la Dimension pourrait exploser. Non, plus sérieusement, les elfes sont bien trop racistes pour ça.
— Sans parler du syndrome de Morgal.
Il me fait signe de déguerpir.
Je me demande comment je vais bien pouvoir espionner Morgal. Vu l'état dans lequel il est, ce ne sera pas compliqué. Je pense me cacher derrière les rideaux et attendre qu'un visiteur intéressant ne se manifeste.
Malheureusement, très peu ont l'autorisation de se rendre à sa chambre : Elaglar a ordonné que seule la famille et les amis proches puissent le visiter. Le roi refuse de montrer aux yeux de tous, la faiblesse de son arme la plus puissante.
Me voilà enfin dans les appartements : ne pas regarder le tableau, ne pas regarder le tableau, ne pas... Cette peinture me fout toujours autant la frousse. Je parviens dans la chambre où Selnar et la reine Hirilnim parlent au blessé :
— Tu sais Morgal, dit sa mère, tu as de la chance d'avoir une fiancée aussi attentionnée que la princesse Selnar ! Elle s'inquiète beaucoup pour toi.
— ...
— Ton état n'est pas définitif, mon fils. D'ici quelques décennies, tu redeviendras comme avant !
— ...
— Et ce sera peut-être l'occasion de te marier avec ta fiancée ! Vous serez tellement heureux, j'en suis convaincue.
— Mmph.
Cette reine est un tantinet, trop naïve. Si elle croit que Morgal veuille s'unir avec la rousse...
— Vous êtes trop bonne, Majesté, ajoute Selnar, j'espère juste être à la hauteur de votre famille.
Hypocrite, bonjour ! Elle passe une main dans son épaisse chevelure de feu et s'assoit sur les couvertures chaudes en caressant le bras bandé du prince. Elle lui sourit affectueusement, espérant que son petit numéro ridicule convainque la reine.
— Je vous laisse, conclut Hirilnim, je repasserai au matin.
La fille de Vilnius hoche la tête dans sa direction et attend qu'elle sorte des appartements. Dès la porte fermée, elle reporte son attention sur son fiancé :
— Tu es salement amoché, mon chéri.
Oui, c'est le cas de le dire.
Elle ne m'a pas remarqué alors je décide de me cacher comme prévu.
— C'est dommage, continue-t-elle, tu avais le corps d'un dieu. J'aurai donné cher pour coucher ne serait-ce qu'une seule fois avec toi...
C'est malsain ! Je ne me sens absolument pas à l'aise : qu'a-t-elle en tête ?
Surtout que Morgal ne peut à peine remuer. Son regard reste légèrement voilé, dirigé vers la femme.
— J'aurais aimé te sentir en moi, qu'on vive des moments de plaisir inoubliables. Mais j'avoue que désormais, tu n'es plus qu'un amas de chair infecte, empestant la putréfaction et les potions de ton mage.
Comme ça, c'est dit.
— Rassure-toi, je ne tiens pas à attendre trente ans. Je vais régler le problème moi-même.
Hoho, que faîtes-vous jeune fille ? Elle relève sa robe et s'assit sur Morgal à califourchon. Elle doit lui écraser ses organes en recomposition, ainsi. Elle le regarde en souriant sadiquement et saisit un oreiller dans ses deux mains sans le lâcher des yeux. Tiens c'est avec ce coussin que j'ai étouffé Püpe... Coïncidence ? Je ne pense pas.
La respiration de Morgal s'accélère et son regard devient fuyant. Sous les bandages, sa poitrine se soulève à un rythme trop rapide.
D'un coup, Selnar abat l'oreiller sur sa figure, l'empêchant de respirer.
— Crève ! Mais crève, enfin !
Ah... C'est beau l'amour dans un couple !
Bon, honnêtement, je n'ai pas l'intention que le dégénéré décède. Haha, c'est drôle de le voir comme ça, quand même, pris de spasmes avec Selnar sur lui qui l'étouffe rageusement.
Heu... Il faut peut-être que j'intervienne : je me précipite vers le lit et bouscule l'elfe en l'envoyant mordre le tapis. J'ai fait ça avec Püpe, je le fais avec toi maintenant !
— Mais il sort d'où ce gnome ?! vocifère-t-elle en se relevant.
Elle me foudroie du regard mais avant de tenter quoique ce soit, la porte s'ouvre sur Currunas. Il manque de lâcher son plateau en voyant l'état de son patient. Compréhensible : ses bandages sont teintés de sang sur le visage et sur le ventre.
— Par tous les Dieux ! Le roi va me tuer !
Bah oui, sinon tu t'en fous royalement de la santé du prince.
Il s'empresse de refaire les pansements sans jeter le moindre regard à la femme. Celle-ci se dirige vers moi et m'empoigne au bras :
— Écoute moi bien, le gnome, tu racontes le moindre détail à quiconque et je te tue !
Directe, la belle mais elle est mal tombée :
— Je n'obéis qu'à Morgal ! Et Currunas serait idiot s'il ne devinait pas la cause des blessures !
— Currunas est un idiot mais il ne dira rien. Je le paie de manière fort satisfaisante pour son silence.
Ah oui ? Je n'ai pas envie de savoir comment elle le paie...
— Et puis, continue-t-elle, tu n'es qu'un stupide gnome, personne ne te croira.
Sur ce, elle quitte la chambre hautainement. Je la déteste, cette salope ! J'espère bien que Morgal lui fera vivre la misère quand il se remettra.
Je le rejoins alors que son mage finalise son travail. C'est ça, casse-toi !
Me voilà seul avec l'amoché.
— Je ne suis pas amoché, juste en cours de guérison.
— Ah ! Vous pouvez toujours communiquer par télépathie !
— En effet. J'ai aussi toujours le pouvoir d'agir à travers ta marque.
— Dommage...
Je le regarde me scruter de ses yeux bleus, légèrement vitreux. Tout le reste de son visage reste enfoui sous les pansements mais il parvient cependant à tourner la tête dans ma direction.
— D'ailleurs, pourquoi n'avez-vous pas tué la reine d'Arminassë ? Vous vous serez débarrassé d'un ennemi de taille.
— Je sais.
— Alors, pourquoi ?
— Cela nous aurait désavantagés par la suite, je te rappelle que je suis médium.
— Donc, juste pour ne pas commettre une erreur stratégique ?
— Oui.
— Votre père ne semble pas tenir la même conception des choses que vous.
— Mon père ne... Ne peut comprendre ce qu'il s'est passé à l'ambassade.
— Il vous en veut, en tout cas.
Je le devine hausser les épaules.
— De quoi ? Je me suis fait dévorer pour lui apporter ces plans de guerre.
— Et moi j'ai été menacé par votre fiancé pour vous avoir sauvé la vie.
— Je savais que tu allais intervenir.
— Cela mérite un petit merci, non ?
— Ce n'est pas parce que je suis au fond du trou que tu peux abuser de ma bonté.
Quelle bonté ?
— En tout, cas, j'ai vraiment cru que c'est Selnar qui allait abuser de vous. Vous serez mort avec une femme qui vous chevauchait, cocasse, non ?
— Ton humour est toujours aussi lamentablement bas...
— Je vais vous laisser vous reposer, Majesté. Courage ! Il ne vous reste plus que vingt-neuf années et cinquante-et-une semaines !
Je me lève prestement du lit et cours rejoindre la porte sans me retourner.
— Va en enfer, sale gnome !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top